Pas de règles ? Pas de problème
© 2001 Alex Loke
Première expérience du JdR sans système de règles
Système : n.m., groupe, ensemble organisé, de choses reliées entre elles ou d’éléments formant un ensemble complexe.
Sans : prep., marque la privation, l’absence, l’exclusion.
Je pensais qu’un extrait de dictionnaire était commode et utile pour expliquer un concept ésotérique. Je me trompais.
Il y a quelques années, j’ai été confronté pendant une convention à ce que l’on appelle le jeu de rôle sans règles, quelque chose dont on m’a dit être une mode dans les conventions non-américaines. Presque une contradiction dans les termes, sachant que la folie requiert une méthode (1).
Cela pourrait également être une expression pratique pour “mécanismes creux” bien que je sois sûr que les fabricants de Pokémon le Jeu de Rôle s’accapareront ce marché. En fait, il y a une structure. Le système de règles est simplement minimal. Supportez-moi encore, j’ai quelque chose à dire.
Bon. Un jeu sans système c’est simplement comme un JdR normal de tous les jours, excepté qu’à un certain moment le meneur de jeu a pris la décision de se débarrasser commodément des règles, en faveur d’un système d’appels au bon sens et d’estimations. Revenons-en à ce jeu auquel j’ai joué alors.
J’y ai réfléchi deux secondes et j’ai posé mes 5 dollars.
“Épate-moi”, ai-je dit, fronçant mes minces sourcils vers la stupide scribouillarde/MJ de la convention. Je peux être particulièrement agressif après un ou deux Red Bull. Elle ne l’a pas mal pris, mais je pense qu’elle a cru que j’essayais de la draguer. Je n’aurais pas dû utiliser la voix de mâle macho.
Je me référerai à la susmentionnée stupide scribouillarde/MJ de la convention en tant que SSMJC. L’absence de voyelle donne au mot une sonorité celtique et mythique, ou comme si vous aviez la bouche pleine de gaspacho. Je me demande si White Wolf serait prêt à acheter une partie de mon arrogance.
Elle avait obtenu une salle dans les étages supérieurs et flanqua par terre le lourd sac d’accessoires de jeu qui sont souvent offerts aux MJ en guise de rémunération.
“Faites de la place. Nous allons avoir besoin de beaucoup d’espace.”
Nous déplaçâmes les tables de côté comme de stupides petits assistants obéissants, ce qui sembla satisfaire SSMJC. Par “nous” je veux dire un assortiment de toutes sortes de rôlistes. Faire des JdR n’est pas vraiment comme accomplir un rituel satanique, car cela n’a pas un attrait aussi grand. Voyez-vous, le JdR séduit une foule très spécifique. Ne vous croyez pas particulier à cause de ça, malgré ce que vous dit votre thérapeute.
Le “Lestat” super gothique et sa vampiresse “Raven” me lancèrent un regard plein de dédain, bien que j’imagine que quelqu’un portant autant de piercings ne puisse avoir qu’un regard plein de dédain. Ils firent même un bruit métallique à l’unisson.
L’effet dopant du Red Bull s’était arrêté de lui-même et j’étais un peu léthargique. J’étais le dernier de la file donc je n’eus pas le choix de mon personnage. D’habitude je dois me battre avec le type tranquille pour le meilleur des deux derniers personnages. D’habitude vous ne vous battez pas avec un type tranquille, il accepte simplement sa défaite sans un mot. Le type tranquille de ce groupe fit son choix le premier, afin de pouvoir retourner à ses pensées profondes. SSMJC me tendit la feuille avec ce regard caractéristique qui dit “Essaie de ne pas la manger, imbécile”. Je peux faire une démonstration de ce regard un jour en échange d’un peu plus de gaspacho.
J’étais un ancien de la CIA/FBI/NSA ou quelque chose comme ça (“Encore ? Oh nooon…”). Pour un personnage qui vous scie à ce point (je choisis mes mots avec soin, je ne veux pas utiliser des putains de gros mots), il n’y avait pas le moindre chiffre en vue. Je fis pression pour avoir une explication des règles, ce à quoi SSMJC haussa les épaules et dit simplement :
“Si ça sonne bien, alors ça marche. Rien de plus simple.”
Et merde, cela me forçait à penser. Demander à John-le-super-ringard de faire quelque chose de cool a quelque chose de vain. Je réprimais un gloussement de joie. Le gloussement finit par réussir à sortir quand même. Saloperie de gloussement.
Le type tranquille était un membre hautain de l’aristocratie britannique. N’est-ce pas redondant ?
Lestat et Raven étaient un couple de “vampires”. Dans la partie, je veux dire. Au moins ils éliminaient la prétendue méthode “tempête et stress” (2). SSMJC planta le décor et se mit à nous balancer des départs de scénarios qui commencèrent à former une intrigue. Peut-être même qu’il n’y avait pas d’intrigue.
Peut-être étais-je juste en train de trouver des corrélations ténues (ça m’apprendra à souffrir d’insomnie) ?
Nous avons couru en tous sens un moment, et pendant ce temps SSMJC jouait toutes les autres personnes que nous rencontrions, tout en menant “l’histoire” en avant. Assez bizarrement, nous ne rencontrions jamais plus d’une personne à la fois. Je forçais les choses, et je finis par obtenir de SSMJC qu’elle joue quatre personnages en même temps. Alors je fis commencer une dispute entre eux. À ce moment j’étais quasiment sûr que j’aurais pu partir.
Alors que nous aurions normalement utilisé des dés, nous avons imaginé des trucs qui paraissaient suffisamment cool, et ils marchaient souvent, selon l’humeur de SSMJC. J’imagine que ce système n’apprend pas grand-chose sur la vraie vie, puisque quand je fais quelque chose de sympa, personne ne regarde.
Quelque part vers la fin, nous étions délicieusement enfermés dans une camionnette, à cause du fait que deux membres de notre groupe bigarré étaient incapables de voyager à la lumière du soleil. Alors nous avons été arrêtés par un flic en uniforme qui avait de quoi être soupçonneux envers un van équipé de vitres noircies et d’un affût de mitrailleuse, s’enfuyant à 200 km/h d’un bâtiment en flammes. Raven s’était présentée en dénudant ses crocs et en becquetant un bout de l’agent (ou au moins en essayant – visiblement ce n’était pas assez cool pour SSMJC) tandis qu’il se penchait par la vitre pour nous coller une prune. Pourquoi nous nous étions arrêtés, je ne le sais toujours pas. Il appela du renfort, je sortis du van et je courus vers les collines. Pas besoin de réfléchir ici, je me suis dit que je voulais être hors de la camionnette pleine de gens irrationnels. N’ayant pas de matériel concret pour l’évasion dans une petite salle de convention, j’étais forcé de courir sur place.
“Tu es un ancien du FBI !” me cria désespérément Lestat, comme s’il avait un quelconque réel pouvoir hypnotique (bien que je doive admettre que ses cliquetis étaient apaisants). “Reviens et sauve-la !”
Je cite Larry Barnes, ancien de la FBI/CIA/NRA/ABC/NRA etc. : “Non, non.”
Les autres se réunirent bientôt autour de ma lâche façon de penser. Je pense qu’à ce moment-là, SSMJC fut un peu vexée, donc le grand méchant décida de venir à nous. C’était un très ancien vampire, âgé de 10 000 ans et tout. Il eut un rire dément et posa pour la caméra un certain nombre de fois. Il marcha à pas mesurés, fulmina devant nous et alors nous balança toute l’intrigue “avant qu’il nous tue”. Apparemment, nous étions des pions dans une conspiration internationale pour plonger le monde dans les ténèbres (“Heureux de vous rencontrer M. Gates”). J’attendis patiemment.
Le type tranquille choisit cet instant pour parler.
“Mmmm… n’as-tu pas dit qu’il faisait jour ?”
Il pouvait bien avoir été silencieux, mais son sens du timing était impeccable. Je serais le type tranquille si ça voulait dire que quand je parle je peux sortir des trucs de ce calibre.
SSMJC essaya de discuter un peu, mais je la harcelais. Le type tranquille la harcelait. J’adhère à l’idée qu’un vampire vieux de 10 000 ans a peu de chances de faire une balade par une après-midi ensoleillée à Los Angeles. Nous voulions vraiment nous tirer de là. Et c’est ce que je fis.
Mec, j’étais tellement énervé. J’aurai appris une bonne leçon ce jour-là. Ma première expérience de partie de JdR sans règles aura été quelque chose que je raconterai un jour, style “Âge d’Or”, à un thérapeute.
Les jeux sans règles ne sont pas une mauvaise chose. À la fin j’ai surmonté mon dégoût pour eux. En fait j’en ai même maîtrisé un. Comme toute autre forme de JdR, ils sont bons, selon la personne qui mène, et les gens avec qui vous jouez. La seule différence est qu’ils ne s’appuient pas sur les règles pour faire la partie. Le roleplaying (au sens d’interpréter le rôle d’une autre personne) devient plus essentiel.
Mon conseil ? Essayez de prendre la partie au sérieux (j’étais bien dans mon droit de ne pas prendre au sérieux un ancien super-espion travaillant avec des vampires). Il n’y a pas vraiment une telle différence entre le JdR sans règles et son homologue complexe. Je trouve aussi que cela demande un certain degré d’expérience en “improvisation instantanée”. Le manque de règles qui font autorité ne permet habituellement pas aux joueurs de retomber sur le type de réponses standard qu’un joueur jouant avec des règles spécifiques peut donner (“Je frappe le monstre avec mon épée”).
Sans une idée des limites de leur personnages, ils sont plus enclins à essayer des choses bien en dehors des systèmes de règles typiques (“Je fais un saut périlleux arrière par-dessus le monstre, sors mes flingues et je le tire à la John Woo, ainsi que le gars qui se tient sur le balcon, tout en fumant une cigarette ET en ayant l’air cool !”). Les appels au bon sens constituent vraiment une grande partie de la résolution, bien que quelques personnes préfèrent pierre-papier-ciseaux. Vous pourriez même bien être tentés d’appeler ça du jeu de rôle grandeur nature à ce stade.
Ce n’est pas pour les grosbills, car toute la récompense vient du fait de jouer un rôle, pas d’accumuler les trésors ou les cadavres. Je pourrais même aller jusqu’à dire que j’aime le jeu sans règles.
J’ai même essayé les échecs en mode sans règles, mais les autres joueurs avaient tendance à désapprouver mon super pion robot-géant qui détruit les tours comme si c’était Tokyo.
Je joue encore avec le type tranquille, mais il n’est plus si calme. Je l’ai amélioré jusqu’à “type mesuré”.
Ne vous laissez pas bouffer par quoi que ce soit.
Article original : No System? No problem!
Pour aller plus loin…
Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°12 intitulé Narrativisme, mon amour, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.
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