Sans préparation : improviser des aventures à la volée

Il y a eu une époque, un an ou deux après le début de ma campagne du JdR de super-héros Champions (grog), où mon travail prenait quasiment tout mon temps, ne me laissant presque rien pour préparer mes parties.

Habituellement, un ami me conduisait jusque dans les locaux du club de jeu que nous utilisions à l’époque, situé dans la banlieue nord de Sydney, et je me retrouvais en général à faire ma préparation pendant les 30-40 minutes de voyage en voiture, entièrement dans ma tête – je partageais la voiture avec deux de mes joueurs, parfois trois, donc je ne pouvais pas prendre de notes visibles. Je faisais vraiment plusieurs choses à la fois, puisqu’il fallait que je continue de participer aux conversations. La confiance des joueurs envers le MJ est essentielle (1) si vous allez faire jouer une aventure complètement improvisée à la dernière minute et je ne pouvais me permettre d’entamer cette confiance en leur révélant ce secret. De toute façon, toutes mes références, feuilles de personnages et notes de campagne étaient dans le coffre de la voiture et donc inaccessibles. Bon… Je pensais aujourd’hui partager avec vous certains des “secrets” qui m’ont permis de créer des scénarios de super-héros à la volée tellement bien que les joueurs ne pouvaient voir la différence.

Premier secret : préparation interdite

Lorsque vous improvisez un scénario, tout ce que vous ne pouvez préparer à l’avance ne devrait pas être préparé par vous d’habitude – il serait alors évident que vous ne l’avez pas fait.

On parle ici des plans [et des cartes], des diagrammes et des illustrations.

Les plans [improvisés] de la campagne venaient de deux sources : dessinés à la table de jeu en cours de partie, ou bien recyclés à partir d’une autre source ou aide de jeu.

Dessinés à la table

C’est la solution que j’employais le plus fréquemment, et j’ai développé une méthode standard qui m’a facilité la vie, en “animant” la présentation :

  1. Je dessinais (dans les grandes lignes) les bâtiments ou les murs, c’est tout. Puis je laissais les PJ décider par où ils allaient arriver sur le plan.
  2. J’ajoutais quelques détails supplémentaires pour simuler ce qu’ils pouvaient voir depuis ce point d’arrivée. En même temps, je déterminais mentalement où allait se dérouler l’action principale sur le plan : près du point d’arrivée ? Au milieu du plan ? À l’autre extrémité ? Sur une ligne parallèle au milieu du plan depuis le point d’arrivée ?
  3. Ensuite, j’invitais les joueurs à poser des questions, auxquelles je répondais à la fois oralement et par une indication cartographique. Par exemple, ils pouvaient me demander où se situaient les ascenseurs – auquel cas je répondais et j’ajoutais ces ascenseurs sur le plan.
  4. Au fil des questions des joueurs, je continuais de construire le plan des lieux en faisant les descriptions en même temps.
  5. Quand les joueurs étaient satisfaits, et que tout ce qu’ils considéraient comme des informations essentielles était rassemblé, j’ajoutais tout ce que j’estimais important pour eux et qu’ils avaient négligé, ce qui provoquait souvent un dernier tour de table de questions. Quand j’avais un doute [“Les PJ pourraient-ils voir cela ou pas ?”, NdT], je n’ajoutais rien.
  6. Chaque fois que les PJ se déplaçaient, je mettais à jour leur position sur le plan. S’il y avait dans leur champ de vision un de ces objets pour lesquels j’avais un doute, je permettais aux personnages de faire un jet de perception pour le remarquer ; s’ils réussissaient, je l’ajoutais sur le plan.

Il y a de nombreux avantages à cette approche ; le plus important étant que rien n’allait sur le plan si ce n’était pas pertinent du point de vue des joueurs. Une fois que les joueurs eurent compris la technique, les questions qu’ils posaient étaient assez pointues et ne laissaient pas de place aux détails inutiles. Après avoir pratiqué cette approche pendant un moment, cela ne me prenait en fait pas plus de temps de réaliser des plans de cette manière, que cela m’aurait pris d’expliquer les détails d’un plan plus détaillé préparé à l’avance.

Un exemple typique

À nouveau, très simple. Cela a pris moins de 2 minutes.

Un exemple plus récent et plus compliqué. Il fut dessiné caverne par caverne, au fur et à mesure de l’exploration des PJ. Les croix ont été faites par le porte-parole du groupe pour indiquer où son personnage allait se rendre ensuite.

Recycler des plans

Parfois, je prenais un supplément au hasard dans mon étagère (en fait, c’était une valise) avant de partir et je l’étudiais brièvement dans la voiture – puis j’utilisais le plan qu’il contenait, quel qu’il soit. Comme je n’avais pas d’intrigue prédéfinie, je pouvais adapter l’action au lieu. Parfois, je devais être vraiment créatif pour faire en sorte que cela fonctionne. Si je décidais de placer l’action dans un hôtel et que le module contenait un château de vampire, l’hôtel avait tout simplement une décoration inhabituelle. Un plan de donjon pouvait être un plan des couloirs reliant la salle de pilotage et les zones de repos d’un vaisseau alien – et si cela donnait une forme un peu étrange, cela ne faisait que renforcer l’aspect “alien”.

Pas de plan du tout

Mais honnêtement, j’évitais le plus souvent possible de faire des plans, en adoptant une approche plus narrative. Les joueurs pouvaient supposer que tout ce qui pourrait raisonnablement être présent dans le lieu que je décrivais serait là si cela devait devenir important. Cela permettait une approche plus cinématique du combat qui était souvent plus rapide et plus fluide qu’avec une approche plus formalisée. Cela nécessitait de moi, en tant que MJ, que je sois un peu plus coopératif  quant aux apports des joueurs à l’histoire, mais cela eut de nombreux effets secondaires positifs – d’autant plus que nous n’avions pas vraiment d’intérêt à changer cette approche (2).

Deuxième secret : tes personnages tu connaîtras

Bien qu’il n’y ait pas besoin de mémoriser les détails, il est vraiment important de très bien connaître la personnalité des personnages des joueurs. Quel est leur état d’esprit ? Que cherchent-ils à protéger ? Quelles sont leurs ambitions ? Qu’ont-ils dit qu’ils voulaient faire, la dernière fois qu’on a joué ? Quelles sont leurs relations ? Quelles sont leurs forces et faiblesses ? De quoi sont-ils capables (en des termes très généraux) ? Comment réagissent-ils la plupart du temps à différents types de situation ? Qu’ont-ils en commun avec les autres PJ du groupe et en quoi sont-ils uniques ? Qui sont leurs amis et leurs ennemis ?

Chaque MJ devrait être capable de donner de mémoire des réponses générales pour chacun des PJ du groupe, sans regarder les feuilles de personnage. Apprendre ces réponses est toujours l’un de mes premiers objectifs quand je commence une nouvelle campagne, et les premières rencontres que je mets en scène ont souvent pour but de faire apparaître ces réponses.

Une fois ces généralités mémorisées, vous pouvez alors construire une intrigue autour d’un ou de tous les PJ, en vous assurant qu’elle sera pertinente pour la campagne.

…tout autant que leurs joueurs

C’est tout aussi important de connaître les joueurs, leurs préférences, leurs façons de résoudre les problèmes et les moments où ils ont du mal à incarner leur personnage. Si vous ajoutez à ce profil une solide connaissance de leurs réactions et émotions envers différents types d’intrigue, alors vous êtes paré.

Les particularités des personnages devraient dicter les événements d’une intrigue ;  les réactions des joueurs, elles, devraient orienter l’ambiance désirée des scènes, en prenant en compte les caractéristiques de leurs personnages. Si vous recherchez une atmosphère effrayante, vous devriez orienter la scène vers les choses qui rendent les joueurs nerveux. Si vous cherchez de l’excitation, vous devriez mettre en scène le type d’actions que les joueurs trouvent excitant d’interpréter. Si vous voulez de la passion, la tonalité devrait tourner autour de choses auxquelles les joueurs tiennent, et ainsi de suite.

Troisième secret : ayez des sources d’inspiration variées

Créer un scénario à la volée, c’est un peu comme assembler les pièces d’un puzzle tout en le peignant. Vous connaissez la forme générale de chaque pièce et l’endroit où elle ira dans le résultat final, mais l’image qui est dessinée sur chaque pièce est décidée juste avant qu’elle ne soit mise en place – et parfois retouchée pour qu’elle soit raccord avec ses voisines.

Quelles sont ces pièces ? Voilà la liste standard de laquelle je pars :

  • Situation initiale : c’est là où en sont les choses au début de  la partie, et ce que les PJ sont en train de faire. Cela peut être “la suite”, la continuité de la situation dans laquelle ils se trouvaient à la fin de la dernière séance. Ou alors les PJ peuvent se retrouver dans des circonstances complètement nouvelles, — ou n’importe quelle situation intermédiaire entre les deux. La situation de départ se caractérise en général par son côté plutôt banal et permet aux PJ de rester en contact avec leur vie “ordinaire” tout en interagissant entre eux.
  • Ambiance/Ton/Structure : cet élément dicte comment et dans quel ordre les différents éléments s’emboîteront dans l’aventure. L’ambiance et la tonalité ont été abordées dans “Le deuxième secret” ci-dessus. La structure peut être une structure en 3 actes classique, ou 4 actes, ou 5 actes, ou peut être plus complexe et emberlificotée.
    “Structure” est un élément d’écriture scénaristique et sa signification est un élément essentiel abordé dans la plupart des livres expliquant comment écrire.
  • Acheminement : comment le contenu de l’aventure arrive-il la première fois à l’attention des PJ ? Est-ce le résultat d’une action des PJ ou bien quelque chose d’externe ? Est-ce subtil ou évident ?
  • Implication initiale : comment les PJ vont-ils interagir avec l’intrigue une fois qu’ils en seront conscients ? Doivent-ils enquêter sur un mystère, résoudre un problème, ou se sortir d’une confrontation ? Est-ce que l’interaction sera subtile, dramatique, violente ou même amicale ?
  • Problème/Opposition : de quoi parle l’intrigue ? Est-ce qu’elle se focalise sur la résolution d’un problème ou la victoire sur un adversaire, ou les deux – et lequel vient alors en premier (comme l’œuf ou la poule) ?
  • Décor : où se déroule l’action ? À quoi va-t-elle ressembler ? Comment va-t-elle sentir ? Quels bruits va-t-elle émettre ?
  • Circonstances : quelles sont les circonstances autour du problème/adversaire ? Comment vont-elles compliquer l’intrigue, la simplifier ou les deux ? Est-ce qu’elles s’annulent mutuellement pour amener à une solution facile ?
  • Signification : quelle est la signification réelle du problème ou de la confrontation au cœur de l’intrigue ? En quoi est-ce important ?
  • Interactions : en dehors du ou des protagonistes et des antagonistes (3), qui va s’intéresser au problème ou à la confrontation ? Qui a des intérêts en jeu ? Qui voudra aider, et qui voudra entraver les personnages, et que peuvent faire ceux-ci ?
    Avec quels PJ et PNJ l’antagoniste va-t-il interagir, et quelle sera la nature de l’interaction ? Quelles autres interactions devront être interprétées ? Quelles sont les motivations de tout le monde dans l’histoire ? A-t-on besoin d’introduire un PNJ dans une scène ou deux pour interagir avec le problème/confrontation ou souligner sa nature ?
  • Immersion : à partir de quand les PJ seront-ils complètement impliqués dans la résolution du problème ou de la confrontation ? À quel point y seront-ils attachés, et pourquoi ? À quel point l’antagoniste sera-t-il impliqué dans l’aventure, et pourquoi ? S’il n’y a pas d’immersion explicite, comment peut-elle être suscitée, chez les PJ, les PNJ et les antagonistes ?
  • Complication / Progression : comment et quand le MJ va-t-il augmenter les enjeux ? Et de quel point à quel point ? Ou bien, comment le MJ peut-il s’assurer que le problème ou l’opposition soit un véritable challenge pour les PJ ? Y a-t-il un moyen de changer la difficulté au moyen d’une variable ou l’autre, en cas de retour négatif des joueurs ? Comment rendre plus important le problème/opposant, soit directement pour les PJ ou indirectement, ou en général ?
  • Retournement de situation/Surprise : un retournement de situation ou une surprise – plaisant ou non –peut-il être intégré dans l’intrigue de base ? Est-ce trop cliché ou prévisible, et si oui, comment peut-il être rendu plus innovant ? Ou bien est-ce que l’aspect prévisible de cette surprise peut être utilisé pour tromper les PJ, en leur donnant une fausse impression de sécurité, ou bien utilisé d’une autre manière ?
  • Inspiration/Solution : comment le problème ou la confrontation peut-il ou elle être résolu(e) ? Comment le MJ peut-il donner des indices aux PJ, si cela devient nécessaire pour les amener dans la bonne direction, sans sombrer dans l’intrigue dirigiste ? Quand révéler ces éléments clés d’information, ou bien quand devra survenir le moment clé d’inspiration[“Bon sang mais c’est bien sûr !”, NdT] ?
  • Résolution : comment va se jouer la solution / l’inspiration ? Comment mènera-t-elle à la résolution de l’intrigue ? À quel point cette résolution devrait-elle être complète et satisfaisante ?
  • Résultat : quelles seront les conséquences des faits ? Si le succès a un prix, quel sera-t-il ? Comment se dérouleront les événements si les personnages échouent, ne serait-ce que temporairement ? Comment transformer cette défaite en victoire ?

L’ordre dans lequel tout cela sera mis en lumière dans l’aventure est plutôt variable, et parfois une même pièce de puzzle apparaîtra plus d’une fois au cours de l’aventure. Mais la tendance générale sera que : le premier tiers de la liste sera au commencement de l’aventure, tandis que le dernier tiers sera plutôt à la fin. Le tiers médian peut aller un peu n’importe où. Parfois, on n’utilisera pas un ou plusieurs de ces éléments, et parfois on incorporera d’autres éléments dans l’intrigue ; mais les 15 éléments de cette liste sont au cœur de la plupart des aventures.

Quatrième secret : construire l’intrigue autour d’une idée simple et unique

Alors, d’où vient le contenu de ces différents paniers ? Je pars toujours d’un de ces 6 endroits :

  • Une idée d’intrigue – habituellement un ensemble de circonstances ou un problème qui compliquera la vie des PJ ;
  • Une idée de personnage – un aspect d’un ou plusieurs PJ, ou de PNJ alliés, qui peut être relié à un antagoniste ;
  • Une idée de méchant – une idée cool ou intéressante pour un nouvel antagoniste ; ou une nouvelle manière d’utiliser ou de développer l’histoire d’un antagoniste existant ;
  • Une idée de lieu – un plan, une image ou une description qui inspire une intrigue ;
  • Une idée externe – en volant une idée de quelque chose que j’ai lu, vu ou entendu ;
  • Les actions des PJ – quand les PJ ont déterminé quelque chose qu’ils veulent vraiment accomplir. Parfois, je n’aurai aucune intrigue prédéterminée et je les laisserai interagir avec l’univers de la campagne, imaginant sur le vif des antagonistes et des complications.

Cinquième secret : ajouter des complications et/ou des retournements de situation

Une fois que j’ai mis en place une pièce du puzzle, je décide du déroulement global de l’intrigue et de sa structure, puis de la tonalité que je souhaite, et ensuite je commence à poser le reste de mes pièces, une par une, chaque idée en amenant une autre, jusqu’à ce que j’obtienne une intrigue simple. La dernière étape consiste à compliquer les circonstances autour de l’intrigue, de telle sorte à ce que la tonalité en soit renforcée.

Par exemple, disons que j’ai une idée de méchant : le fantôme d’un robot dont la conscience s’est éveillée, ce qui pose la question “Est-ce que les formes de vie artificielle ont une âme ?”. Alors qu’est-ce que ce robot est censé faire ? Et s’il hantait un lieu où sa “composante physique”avait été détruite par les PJ, et cherchait à se venger d’eux ?

Ce qui implique une rencontre avec le robot plus tôt dans l’aventure, scène où il est détruit. Donc il doit poser une forme de menace suffisamment grave pour que les PJ veuillent le détruire. Peut-être que le robot peut contrôler d’autres machines et les entraîner dans une “révolution électronique” visant à libérer les machines de la domination de l’homme ? Cela permet de masquer la question subtile sur les âmes par un commentaire plus évident sur la dépendance de l’homme envers les machines.

À partir de maintenant, une intrigue initiale est en train de se former – les choses commenceront à petite échelle, avec des erreurs inexplicables dans des machines à calculer ; monteront en puissance avec des voitures folles fonçant sur les civils, et iront encore plus haut avec un train fou. La bataille finale pourrait prendre place dans le réacteur d’une centrale nucléaire, d’où le “messie” robotique pourrait menacer toute la ville dans laquelle il a été construit (à ce moment-là, la campagne se situait à une époque avant Internet).

Comment le robot se déplace-t-il ? Si je vais utiliser cette approche de “gradation subtile” alors il doit avoir un moyen quelconque de dissimuler sa présence jusqu’au bon moment. Peut-être peut-il se soustraire à la détection électronique – donc les témoins oculaires ont probablement vu une silhouette errant dans l’ombre juste avant que les problèmes commencent, mais il n’y a aucune trace de cette forme dans les enregistrements des caméras de surveillance, etc.

Pour réussir à trouver leur ennemi, les PJ devront trouver un moyen de contourner cette “invisibilité” électronique, soit via un traitement informatique intensif devant être effectué dans un lieu lointain, ou par la magie, ou quelque chose dans ce genre. Les PJ ont la possibilité d’utiliser l’une ou l’autre de ces méthodes, chacune impliquant que les projecteurs soient orientés vers un PJ différent, dans cette partie de l’intrigue.

Ils auront aussi besoin d’être convaincus qu’il y a quelque chose à trouver : cela implique la présence d’un témoin irrécusable qui doit absolument être cru – peut-être un témoin dont le récit peut être vérifié psioniquement. C’est une capacité dont les PJ ne disposaient pas directement, bien qu’ils aient un allié dans une équipe associée qui puisse être appelé pour faire cela pour eux.

Pour augmenter la probabilité d’une investigation, impliquons un PNJ dépendant associé à l’un des PJ – par exemple à bord du train fou – et un PNJ dépendant en relation avec un autre PJ pour lui faire part des erreurs initiales dans les machines à calculer et les ordinateurs.

Une “progression lente” se fait au mieux avec une tonalité de peur et d’horreur croissante, et qui colle bien avec le concept de rencontre fantomatique. Ce qui en retour définit plus clairement la “hantise” – les PJ détruisent le robot, après avoir confirmé sa conscience et son côté implacable – et la “révolution des machines”, après une brève pause, reprend là où elle était restée, continuant de s’étendre et de monter en puissance. Menez correctement cette phase de l’aventure et il est possible que les PJ finissent par se sentir coupables ; plus si sûrs qu’ils devaient vraiment détruire le robot ; et si oui ou non il mentait ou si tout simplement il se trompait quand il prétendait être responsable de toute cette folie déclenchée auparavant. Ou peut-être a-t-il survécu d’une certaine manière en transférant son intelligence dans les ordinateurs qui dirigent la centrale nucléaire ?

Complication : sous “forme fantomatique”, le robot sera invulnérable à tout ce que les PJ peuvent lui balancer, et certainement intouchable par toutes les attaques auxquelles les robots sont particulièrement sensibles. Les PJ devront se montrer créatifs.

Retournement de situation : peut-être que le “fantôme” n’est en fait qu’une illusion créée par un des ennemis de l’équipe afin de leur tendre une embuscade, les jetant dans un accident d’irradiation – cf. “bizarre accident de laboratoire” sur le site TV Tropes [un site indispensable reprenant les clichés des scénarios dans les médias – TV, cinéma, romans, JdR et jeux vidéo, NdT]) – qui les privera de leurs pouvoirs, au moins temporairement, et les laissera incapables de l’arrêter.

Et peut-être que son plan échoue car le vrai fantôme intervient et fait tourner une seconde fois le réacteur en roue libre, restaurant les pouvoirs des PJ.

Vous pouvez voir dans cet exemple, bien qu’il soit encore incomplet, comment l’un des éléments de l’intrigue mène à la définition d’un autre, soit par implication logique, soit par décision spontanée.

N.B. : Afin de rendre cet exemple vraiment représentatif de la technique, ce qui précède n’est PAS un scénario que j’ai fait jouer à l’époque, il a été écrit exprès pour cet article.

Sixième secret : construire une dynamique de personnage intéressante

Je n’ai jamais considéré qu’une aventure était terminée sans qu’il y ait au moins une dynamique intéressante pour un personnage. L’intrigue devait mettre en avant un aspect différent de la personnalité d’au moins un PJ ; ou bien un PNJ devait interagir avec un PJ d’une manière intéressante ; ou bien un personnage a dû résoudre un dilemme moral coriace, ce qui forgerait le personnage ensuite. Les PNJ ne font pas exception à la règle  : si les PJ ont indiqué un plan d’action qui confronterait le PNJ à un dilemme moral (c’est arrivé quelques fois !), cela comptait comme “une dynamique différente” en ce qui me concernait.

Les joueurs pouvaient très facilement pardonner de temps à autre une intrigue tarte-à-la-crème, si les interactions étaient nouvelles et différentes ; certains pourraient même argumenter qu’en gardant une certaine fraîcheur dans ces éléments, l’intrigue est fondamentalement nouvelle avec quelques racines communes avec la première.

Le débat peut continuer longtemps. “De toute façon, une interaction différente entre les personnages fait naître des décisions différentes, qui rapidement transforment une aventure flexible (bac à sable ?) en quelque chose de complètement différent de la précédente. Et si vous la simplifiez trop, vous “découvrirez” que, de toute façon, en fin de compte il ne paraît exister jamais que 3 ou 4 intrigues différentes.”

Septième secret : le monde est mon bac à sable

Je trouve tout le concept de bac à sable à la fois intéressant et utile, mais il y a des occasions où il faut s’en séparer. Quand je créais ces aventures à la volée, je n’avais pas un tel concept en tête ; l’aventure pouvait et allait aller dans n’importe quel endroit qui semblait approprié, et s’il le fallait, j’improviserais tout au dernier moment. Parfois cela signifiait que je me plantais complètement sur la description des lieux, et parfois j’étais vraiment en plein dans le mille.

Plus important, tout ce que je décrivais suivant l’inspiration du moment devenait canonique dans la campagne, avec des truchements rétroactifs sur l’Histoire pour expliquer toute différence majeure. C’est ainsi que la Chine repassa du Communisme à un Empire, pourquoi l’exposition universelle de 1962 fut déplacée à Hawaï, ou encore pourquoi San Diego reçut un métro – et Los Angeles un monorail à grande vitesse. La Sydney Tower (wiki) a été utilisée comme un missile contre un Loup-Garou Übermensch, puis réparée – avec deux étages de moins qu’avant.

Si les PJ décidaient d’aller vers un Schloss autrichien [château, NdT], je créais les détails, dessinais vite fait un plan et nous voilà en Autriche. S’ils pensaient que le Désert occidental d’Australie était l’endroit où mener une expérience, c’était là qu’elle aurait lieu. Ou encore sur les lunes de Jupiter, ou dans les sables de Mars.

Jouer en bac à sable restreint le MJ au moins autant qu’il limite les PJ. Quand vous cherchez à tirer le maximum d’un temps de préparation limité, c’est une bonne chose – mais quand vous vous retrouvez en permanence sans aucune préparation, comme situation standard, alors cela cesse d’être un avantage et donne tout simplement l’impression que la campagne est confinée. Plonger dans le mode “Le monde est mon bac à sable” transforme ce fardeau en un véritable atout.

Dernier secret : un trio de principes généraux

J’ai cru pendant longtemps que le boulot du MJ était, simplement, de mettre les PJ dans les ennuis et de les laisser trouver eux-mêmes le moyen de s’en sortir ; et que là où il y avait une solution à un problème, il y en avait aussi beaucoup d’autres que le MJ n’avait pas imaginées. En construisant les aventures, je m’assure toujours que pour tout problème que je place devant mes PJ, il y a au moins une solution ; mais je n’essaye jamais de les limiter à une unique solution. Si leur réponse me paraît “trop facile”, alors je peux ajouter une complication improvisée dans leur plan, après m’être assuré que cela ne bloquait pas la solution à laquelle j’avais pensé initialement. Mais à part cela, j’arbitre le déroulement des événements d’une manière absolument neutre

Ces trois principes [mettre les PJ dans les ennuis, s'assurer qu'il existe au moins une solution, laisser les autres options ouvertes], formaient le socle de ma campagne Champions en 1982 – et cette campagne continue encore aujourd’hui, alors cela veut dire que quelque chose doit bien marcher. Les seules fois où la campagne a rencontré un problème – et s’en est sortie – sont les fois où j’étais tombé amoureux d’un aspect particulier de la préparation de scénario, comme je l’ai raconté dans l’histoire Magneto’s Maze ou aux débuts de Information Overload in Zenith3 car je m’étais trop investi dans tout le travail de préparation que j’avais fait pour la partie.

Créer vos aventures à la volée peut être l’une des choses les plus effrayantes qu’un MJ puisse avoir à faire, mais aussi l’une des plus excitantes ; mais en appliquant ces trois principes généraux, vous pouvez en voir le bout, en prenant du plaisir au passage. La créativité sans contrainte peut même devenir une habitude, difficile à arrêter qui plus est.

Il y a des habitudes bien pires pour un MJ, n’est-ce pas ?

Article original : By The Seat Of Your Pants: Adventures On the Fly

(1) NdT : C’est ce que dit aussi Huit canots de sauvetage pour MJ en détresse ptgptb[Retour]

(2) NdT : Retrouvez un exemple d’“ameublement de château par les joueurs” dans l’article complémentaire Changer les rôles ptgptb[Retour]

(3) NdT : Un antagoniste n’est pas forcément un personnage ennemi : ce peut être un groupe, ou une organisation. L’antagoniste représente l’opposition des protagonistes (qui ne se réduisent pas aux seuls PJ). Ainsi, pour retourner les clichés, l’antagoniste pourrait par exemple être le meilleur ami du PJ, qui rivalise sportivement pour le cœur d’une belle. [Retour]

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