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Comment relancer tout le marché du JdR

Il y a toujours beaucoup de débats dans le milieu – forme d’art / communauté artistique / fraternité / secte malfaisante vouée à dominer le monde – rôliste, sur l’état du marché du JdR. Même des gens comme nous, qui n’auraient normalement jamais rêvé d’utiliser un terme tel que celui de “marché”. Ce dernier est en crise, selon l’avis général. Des magazines comme Arcane et Australian Realms ont fait faillite (1) et toujours rien n’est arrivé sur les rotatives pour les remplacer. La petite presse continue de souffrir.

Le géant du secteur [TSR] a été racheté par un autre [Wizards of the Coast, avant le rachat de Wizards par Hasbro (NdT)]. Beaucoup de gens ont blâmé un certain jeu de cartes qui devra rester anonyme (afin d’éviter de payer des royalties). Les consommateurs de jeu de rôle ont simplement été trop peu nombreux pour le supporter et certaines branches malades ont étés coupées. Par conséquent, le sujet de choix en ce moment, dans les groupes de discussions et autour des tables de jeu, est de trouver des solutions pour ramener les joueurs au jeu de rôle. Ou plutôt, d’y amener de nouveaux joueurs. Mais comme tous les rôlistes le savent, introduire des novices dans les rangs du culte du JdR n’est pas une tâche facile. Même en présumant qu’ils saisissent le concept, les gens ont tendance à repousser l’idée de passer leurs vendredis soirs penchés au-dessus d’un dé polyédrique en comparant la taille de leurs épées (ricanements).

Certaines personnes ont eu la témérité de suggérer que le jeu de cartes mentionné plus haut serait une option pratique pour intégrer de nouveaux joueurs. En fait, depuis de nombreuses années, chaque nouvelle création ludique a été présentée comme une “formidable introduction au jeu de rôle”. Livres Dont Vous Êtes le Héros, jeux vidéo, jeux de cartes à collectionner (JCC), qu’importe. Cette idée comporte deux défauts fondamentaux.

Premièrement, cette idée suppose qu’il existe une espèce de grande fracture dans le milieu du jeu, qu’il y a des gens qui jouent à des jeux de cartes à collectionner, des jeux de plateau stratégiques ou des jeux vidéo, et qui n’ont aucune idée de ce qu’est un jeu de rôle. Sans doute que ces personnes étaient trop occupées à astiquer leur Momie Cyclopéenne préférée pour remarquer tous les autres types de l’autre côté de la salle qui s’exclament combien leur épée est grande (éclats de rire).

Le fond de l’affaire est que la sous-culture ludique est un tout autonome et une fois que vous entrez à un endroit, rien ne peut vous empêcher de pénétrer dans tous les autres, si vous le désirez. Il existe presque certainement des joueurs de cartes à collectionner qui trempent dans les jeux de rôles, les grandeurs nature, les jeux de plateau, les wargames, les jeux de société, les jeux de réflexion, toutes les sortes de jeux qu’ils peuvent trouver. Ce n’est pas par hasard que nous nous appelons nous-mêmes “joueurs”.

Le second défaut de cette argumentation est qu’elle nous demande de croire que le joueur de bridge moyen va se procurer la dernière édition du jeu de Richard Garfield pour pimenter sa prochaine soirée de jeu de cartes. Ou que le fanatique moyen au Scrabble va soudain sortir en courant pour acheter Talisman quand il sera lassé du frisson que le placement de “QUIZLING” en mot compte triple peut procurer. Ces jeux “normaux” sont similaires, s’ils ne sont pas supérieurs dans leur conception, et ainsi leurs joueurs ne vont pas se diversifier dans les secteurs plus inattendus, à moins qu’il n’existe quelque chose d’autre qui les attire. C’est ce quelque chose d’autre qui est la vraie clé pour amener de nouveaux joueurs au JdR.

Le jeu de rôle a toujours été une question de sous-cultures. C’est la culture heroic-fantasy – en particulier Tolkien – qui a tout fait démarrer dès le début. Les fans de fantasy et de science-fiction ont de tous temps formé les marchés majeurs du JdR et rien ne peut changer cela. Même les tentatives de TSR au début des années 80 (vous vous rappelez ces pubs au dos des comics et cette scène dans E.T. ?) ne nous ont pas fait basculer dans la culture dominante.

Titanic a peut-être été le succès commercial le plus profitable de l’histoire du cinéma, mais les jeux de plateau dérivés qui en ont été tirés ont des ventes insignifiantes comparé au succès du nouveau Monopoly Star Wars. Ceci n’est clairement pas dû à la qualité de la conception. Le Monopoly doit certainement être un des jeux les plus monotones de l’univers, et la stupidité monumentale de combiner son système avec l’action échevelée de l’esprit de Star Wars suffit à vous faire émerveiller que l’intellect humain ait compris comment cogner deux pierres ensemble. Mais nous ne vendons pas de jeux ici, nous vendons des sous-cultures.

Même si Titanic est plus largement consommé que Coca-Cola, cela ne suffit pas pour changer l’adoration en sous-culture. Même pas si l’on apprenait à la fin que Billy Zane était le père de DiCaprio (2).

Et pendant que j’y suis, j’ai le sentiment étrange que si Luke s’était penché sur l’avant de l’Étoile de la Mort en beuglant “Je suis le Roi de la Force !”, Georges Lucas ferait la plonge maintenant. Mais je m’égare.

Le meilleur exemple de sous-culture apportant du sang neuf (hum !) dans notre loisir a probablement été Vampire : la Mascarade. Avant que White Wolf n’ait trouvé ce merveilleux filon, le rôliste type était une bestiole très différente de celle qui existe maintenant. Le/la rôliste lambda est maintenant un pseudo-gothique. Vampire a fait exactement ce que Sandman (3). Il a pris quelque chose équivalant aux fantasmes adolescents zarbis et les a rendus cool et sombres. Les gothiques (goths), qui se réunissaient auparavant en plaçant leur créativité dans la musique déprimante ou la poésie sinistre, peuvent maintenant se regrouper pour lire des comics déprimants et jouer à des JdR tout aussi déprimants.

La transplantation a, semble-t-il, été couronnée de succès. Moralité : le jeu de rôle peut être facilement acceptable pour d’autres sous-cultures, mais il gèlera à Athas [le désert de l'univers désertique Darksun (grog) (NdT)] avant que cela ne soit accepté par la culture dominante (Mon Dieu, une plaisanterie avec AD&D ? Faites cesser cela tout de suite !).

Alors qu’aurait dû faire la Profession après le succès initial de Vampire ? Rechercher de nouvelles sous-cultures à infiltrer, ou tenter d’extraire le moindre dollar de cette nouvelle sous-culture, tout comme cela avait été fait avec la fantasy et la science-fiction ? La réponse se trouve dans les innombrables suppléments White Wolf et ses clones comme Witchcraft, In Nomine, Nephilim, Immortal, Nightbane … Dois-je continuer ?

Il y eut pourtant un JdR, avant Vampire, qui nous faisait nous étendre dans une autre sous-culture sans pour autant la sucer jusqu’à la moelle. Je parle de L’Appel de Cthulhu, qui a été élu meilleur JdR de tous les temps par l’enquête d’Arcane au niveau mondial. Je ne connais aucun fan de Lovecraft qui n’en ait pas entendu parler et ceux qui le caricaturent (“Cela se prononce keu-thu-lhu, mon cher pseudopode !”) sont bientôt remis au pas quand on leur montre certaines œuvres littéraires inspirées par Delta Green (grog), ou tombent sur la tête avec l’intégrale des Masques de Nyarlathotep (grog). De façon perverse, la contamination a marché dans l’autre sens, beaucoup de rôlistes étant amenés au monde de Lovecraft à travers le JdR.

Bien que les JdR d’horreur soient plus répandus maintenant, personne n’a empiété sur le territoire de Cthulhu et il en est resté bien plus puissant. Où la Profession doit se diriger semble alors assez évident. Si nous voulons que notre loisir grandisse et se renforce, nous devons lancer nos filets dans chaque nouvelle sous-culture et attraper tous les joueurs que nous pourrons.

Cela arrive déjà, bien sûr. Deadlands (grog) de Pinnacle est le premier JdR western depuis 20 ans, qui marche. Avec ses règles pour figurines, il est certain qu’il va choper au vol quelques aficionados de la “cow-boy attitude”. Conspiration X (grog) est à peu près le seul à viser la cible de la génération X-Files. West End Games semble être capable de survivre juste assez longtemps pour lancer leur JdR Hercule et Xena, ce qui, vu la popularité de la série chez les pré-adolescents, pourrait être une très bonne pioche pour trouver de futurs rôlistes [la gamme s'est en fait arrêtée après un supplément (NdT)]. En fait, West End Games a toujours entraîné le peloton sur ce segment, donc ce serait vraiment dommage s’ils coulent complètement.

Plus impressionnant encore est le nouveau JdR Sailor Moon. Votre habituel grosbill à D&D ou éternel goth doit être une victime de la mode s’il achète ce JdR, et pourtant il se vend très bien. Il est acheté, surprise, surprise, par des jeunes filles qui aiment la série. À une époque, des séries comme Pokémon ou Sailor Moon auraient engendré une gamme de peluches ou des fournitures scolaires colorées. De nos jours, nous avons des jeux de cartes à collectionner et des jeux de rôles. Traitez-moi de fou, mais j’aime ça.

Ce qui signifie, bien sûr, que notre prochaine convention sera envahie par des filles prépubères, mais hé, qui remarquera une queue de cheval de plus dans cette foule ?

Ainsi, les nouvelles sont bonnes. Mais il y a encore bien plus de sous-cultures à piller là dehors. Prenez Ultima Online, ce JdR en ligne multijoueurs sans grand succès qui comble le fossé entre jeu vidéo et jeu de rôle et conduit des milliers de gens frustrés à la psychose meurtrière. UO, malgré les vantardises incongrues d’Origin, se joue encore beaucoup comme un jeu vidéo. Chaque jour, des centaines, voire des milliers de personnes dans le monde entier sont si emmerdées par les ralentissements et les player-killers qu’ils arrachent le CD de leur lecteur et roulent dessus avec leur bagnole. Ne serait-ce pas génial s’ils pouvaient alors se tourner vers un JdR qui reprendrait l’ambiance de Britannia et l’interaction des MMORPG (4) mais qui ne vous coûte pas la peau des fesses chaque fois que vous vous connectez ?

D’autres MMORPG peuvent aussi être une possibilité. Et, bien sûr, il y a les jeux vidéo. Bien que ces derniers ne répondent pas aux mêmes désirs (comme Joel l’a fait remarquer au dernier numéro), les jeux vidéo se traînent vaguement vers un aspect plus orienté vers l’interprétation du rôle. Hypothétiquement, cela signifie que beaucoup de joueurs sur ordinateur chercheraient un JdR pour débutants, alors pourquoi ne pas en créer un qui les interpelle ? Bien sûr, Doom ne constitue pas le meilleur univers de jeu au monde (bien que certains joueurs de GURPS de ma connaissance l’aient essayé) mais des décors tels que ceux de Fallout et de Wing Commander implorent leur adaptation. Peut-être suis-je partial ici : selon moi, Privateer (5) était le jeu vidéo qui s’est le plus rapproché du JdR – en partie parce qu’il ne prétendait pas en être un.

Mais ne nous arrêtons pas là. Le JdR est en train de rater le coche du plus grand événement sous-culturel de la décennie – Star Wars Episode Un – en ce moment, parce que West End Games manque d’argent pour une nouvelle édition. Il y a là un marché qui SUPPLIE qu’on s’y engouffre. La dernière grosse machine à sous commerciale avant cela était Men In Black, et son JdR était à ses côtés au bon moment. Quand la prochaine superproduction – et il y en aura toujours une prochaine – fera exploser le box-office, sera-t-il accompagné d’un JdR ? Y aura-t-il un JdR sur Matrix ? Nous ne pouvons que l’espérer. Et le Jeu de Rôles des Terres du Milieu de ICE a été plutôt tranquille pendant un bout de temps – si tranquille, en fait, que je serais tenté de prendre son pouls. Mais s’ils ne sont pas préparés à tirer profit des films à venir sur le Seigneur des anneaux, quelqu’un le fera, aussi sûrement que le soleil se lève à l’est. Si des managers d’éditeurs de JdR nous lisent, vous devriez commencer à prendre des notes.

Et je n’ai pas encore mentionné le plus grand phénomène sous-culturel du petit écran. D’accord, d’accord, à part Star Trek – qui, grâce à Last Unicorn, revient dans la course. Je parle d’une certaine courageuse petite tueuse de vampires de Sunnydale. Comme Cthulhu, avec un style et un feeling branché, Buffy réclame à grands cris d’être adapté en JdR (6). Ils vont faire la queue devant les magasins pour l’acheter, c’est certain. Et pourtant, je sais que la prochaine fois que j’entrerai dans mon magasin de jeu, la dernière nouveauté sur l’étagère vantera son univers de jeu d’heroic-fantasy incroyablement unique et totalement nouveau et pas-basé-du-tout-sur-Tolkien-sans-déconner-on-a-même-rendu-les-elfes-réalistes. Est-il très surprenant que la Profession soit en récession ?

D’une manière ou d’une autre, les JdR dérivés de succès ont presque acquis un peu une mauvaise image, comme s’ils constituaient d’une certaine façon des expériences de jeu de rôles moins “pures” à cause de leur étiquette commerciale. Mais dans le monde moderne, le marketing est, pour le meilleur ou pour le pire, un moyen très efficace de créer des marchés plus importants. Si nous ne nous en servons pas, nous sommes une bande de niais.

Bien sûr, parfois, on se retrouve avec Tank Girl RPG (grog) (7), mais c’est un risque que nous devrons être prêts à prendre. Si nous voulons que de nouveaux joueurs nous rejoignent, et que la profession se renforce, alors le comportement “commercial” est la marche à suivre. Si nous commençons à considérer que si on peut en faire un jeu vidéo, ça peut aussi être adapté en JdR, nous sommes sur la bonne voie pour fabriquer des JdR aussi omniprésents, rentables et sûrs, que nos cousins virtuels.

Les possibilités citées plus haut ne sont que le début. Je suis sûr que si nous avions mieux regardé, nous aurions trouvé infiniment plus de domaines à explorer. Nous découvririons probablement aussi que beaucoup de gens voudraient faire du jeu de rôle, si seulement ils savaient comment. Nous n’avons qu’à trouver un moyen pour les faire rentrer dedans. J’estime que le noyau dur des fans d’Agatha Christie, des comics Biggles (wiki), ou même des Télétubbies, peuvent être entraînés d’une manière ou d’une autre dans ce loisir génial qui est le nôtre. Tout ce dont nous avons besoin est de quelques missionnaires afin de prêcher la bonne cause. Des volontaires ?

Article original : Today your Subculture, Tomorrow the World

(1) NdT : À la même époque en France, Casus Belli ancienne formule cessait de paraître. [Retour]

(2) NdT : Billy Zane et DiCaprio sont rivaux amoureux dans Titanic. Mélanger cette intrigue romantique avec la révélation de la paternité de Luke dans Le Retour du Jedine marcherait pas. [Retour]

(3) NdT : Sandman détourna les univers de super-héros en contes oniriques. [Retour]

(4) NdT : L’auteur parle de MUD – multi user Dungeon – ancêtre des jeux en ligne multi-joueurs Everquest, World of Warcraft, etc. Un JdR papier ayant été tiré d’Everquest, on voit combien ce texte de 1999 est visionnaire. [Retour]

(5) NdT : Privateer est un jeu de simulation spatiale développé par Origin en 1996. Les échanges avec les PNJ et la liberté d’action totale font que l’auteur rapproche ce jeu vidéo du JdR. Téléchargement gratuit ici[Retour]

(6) NdT : Cette prédiction s’est également réalisée (grog)[Retour]

(7) NdT : Tank Girl est une BD punk culte (wiki en) mais sans vraie structure, ce qui rendit casse-gueule son adaptation en JdR. La gamme n’alla d’ailleurs pas au-delà du livre de base. En fait cela pourrait même être un cas d’école : le fait que certains univers sont propres à un média et que tout n’est pas adaptable en JdR. [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

Cet article est reproduit dans l'e-book n°25 de notre 20e anniversaire - Souvenirs, souvenirs - qui rassemble les moments de découverte du JdR des Australiens de ptgptb.org

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