Comment j’écris mes critiques de jeux

Il y a longtemps – en 1999 –, j’ai commencé à écrire mon premier article publié en envoyant des critiques (1) de JdR sur RPGNet. À l’époque, c’était presque les seuls à faire des critiques. Je pense que cette critique [du jeu de cartes Groo] a été la première publiée. Depuis, j’ai chroniqué pour quelques autres sites, et j’ai eu le plaisir d’atteindre le but que je m’étais fixé en commençant à en écrire : recevoir des exemplaires en service de presse. Comme j’étais (et suis toujours) trop pauvre pour m’acheter des jeux de toutes sortes, j’ai toujours rêvé d’être quelqu’un à qui on donne des trucs gratuitement, et j’y suis arrivé.

 

Malheureusement, aujourd’hui presque toutes les copies de JdR sont en PDF, donc je laisse tomber les critiques la plupart du temps (2). Je ne peux pas revendre les PDF si j’ai besoin d’argent, et je les trouve pénibles à lire. J’ai aussi arrêté de critiquer pour RPGNet parce que plus grand-monde ne les lit. J’imagine que les critiques de JdR ne sont pas vraiment recherchées, ni sur RPGNet ni ailleurs. Je pense que les gens préfèrent aller sur un forum et demander l’avis de tout le monde, plutôt que lire une critique détaillée. Peu de lecteurs, donc peu de retour sur investissement.

Cependant, au cours des douze dernières années, j’ai écrit plus d’une centaine de critiques, et j’ai souvent reçu des compliments – assez souvent pour être remarqué, recevoir des trucs gratuits et même, quelquefois, décrocher un contrat avec un éditeur. C’est ce qui me permet d’affirmer que je fais visiblement du bon travail. Je dois savoir comment écrire de bonnes critiques.

Jusqu’à aujourd’hui, personne ne m’a jamais demandé comment je faisais. Maintenant qu’on me pose la question, j’y réfléchis.

Comme pour n’importe quel travail d’écriture, la première règle est de connaître votre public et de vous connaître vous-même. Si vous écrivez pour une niche éditoriale particulière, vous devrez vous adapter à son style et son public. Si vous écrivez pour vous-même – ce que, heureusement, RPGNet me laissait faire – vous devez savoir quel genre de critiqueur vous voulez être. Pour moi, l’objectif a toujours été d’être un critique autant qu’un commentateur (reviewer) – dans le meilleur et plus noble sens du terme. Comme le disait Oscar Wilde, “Le rôle du critique est d’éduquer le public. Le rôle de l’artiste est d’éduquer le critique”.

Si vous vous voyez comme cela, alors votre rôle n’est pas seulement de décrire mais d’éclairer ; pas seulement de donner une note, mais de convaincre votre public de la véracité de vos affirmations. Ce n’est pas très différent que d’être un auteur de récits de voyage ; vous ne convainquez pas le public d’acheter un livre seulement avec les faits, mais via une aventure, une expérience – votre expérience. Il n’est pas nécessaire que vous indiquiez votre contexte personnel à chaque fois, mais vous devriez toujours parler de votre voyage et de ce que vous y avez trouvé. J’ai découvert que c’est le meilleur moyen de laisser des indications à l’attention des autres, de les guider jusqu’aux trésors que vous avez découverts, et de les éloigner des navets.

Assez tergiversé. Voici quelques règles supplémentaires – et plus concrètes – que j’ai apprises par expérience – parfois douloureusement. Que ces règles soient bonnes ou mauvaises, ce sont celles que j’ai utilisées, et comme mes critiques ont eu de bonnes critiques, ces règles doivent valoir quelque chose.

Posez le contexte

Qu’il soit personnel, historique ou thématique, aucun produit n’existe à partir de rien, aucune critique non plus. Le lecteur tire avantage du contexte, parce qu’il lui donne une perspective pour situer vos commentaires et mieux comprendre votre conception de l’ouvrage. Et si vous parlez de votre expérience, les lecteurs sauront comment et pourquoi vous en êtes venu à cette œuvre, les rendant plus perspicaces pour comparer votre point de vue au leur. Un ton ferme est important – votre opinion compte, ne laissez personne vous soutenir le contraire – mais si vous utilisez un ton personnel plutôt qu’universel, un ton dogmatique plutôt que didactique, vous laissez aux lecteurs la possibilité d’avoir leurs propres opinions et expériences. Vous leur permettez également de comprendre ce qu’ils pourraient percevoir de l’œuvre, plutôt que de se voir imposer comment ils doivent la ressentir.

Posez (et répondez) aux Trois Questions

Il y a longtemps, j’ai lu quelque chose qui disait qu’une critique devait répondre à trois questions : quels sont les objectifs de l’œuvre ? Est-ce que ces objectifs sont remplis ? Et, avant tout, est-ce que ces objectifs en valaient la peine ? Ces questions ont constitué l’ossature de toutes mes critiques, et elles sont ce qui fait d’une critique plus qu’une simple description de contenu. Elles donnent aussi de la cohérence, une orientation et une structure à votre critique, ce qui est d’autant plus important quand il faut critiquer un tome de cinq cents pages en cinq mille mots. En gardant en tête les objectifs de l’œuvre, votre critique gagne en concision et en direction et vous évitez d’être partial, parce que vous vous rappelez que même si vous n’aimez pas les objectifs poursuivis, cela ne veut pas dire que le produit est mauvais (3). Ces questions vous encouragent aussi à analyser et évaluer, ce qui est essentiel. Simplement décrire n’est pas suffisant.

Respectez l’œuvre, mais respectez encore plus votre public

Un jeu de rôle est, ou peut être, un sacré gros produit, le résultat d’un énorme labeur, voire même une œuvre d’art. Il mérite votre respect. Vous devez au produit, à son créateur, et à votre lectorat, de l’aborder sans trop de préjugés, de le lire de bout en bout, et de prendre le temps de l’évaluer honnêtement et dans sa globalité. Cependant, ne pensez en aucune circonstance que vous devez plus que cela à l’auteur ou à son produit.

Dans le passé, j’ai fait l’erreur d’être trop gentil, et c’est une grosse bêtise. Vous vous sentez mal parce que vous avez menti ; votre public n’obtient pas la vérité, et dans presque tous les cas, le créateur ou la compagnie sont ennuyés de toutes façons, parce qu’ils ne vous trouvent pas encore assez positif. Vos lecteurs ne réclament rien de moins que votre honnêteté totale. Leur temps et leur argent (ainsi que les vôtres) sont précieux, et ne doivent pas être gâchés pour des produits médiocres ou creux. Votre public, vous devez le supposer, est également intelligent, expérimenté, raffiné et mérite ce qu’il y a de mieux. Tout élément qui ne satisfait pas ces critères devrait être signalé explicitement, sans ménagement et sans ambiguïté.. On n’est pas à l’école maternelle, on ne reçoit pas de bons points pour ses efforts, son enthousiasme, et encore moins pour son tact.

Respectez l’artiste – et vous-même

Si c’est un exemplaire de presse envoyée par un éditeur, prévenez-les quand vous l’avez reçu. Rédigez votre critique aussitôt que possible. Quand elle est prête, ayez la courtoisie de les prévenir. Il n’y a pas de raison pour que vous n’ayez pas une bonne communication (et les exemplaires gratuits et tout le reste) ; cela n’influence pas votre opinion sur leur œuvre.

Vous pouvez tout à fait faire comme si vous aviez vous-même acheté l’ouvrage, et vous pouvez toujours dire que l’artiste est à côté de ses pompes, si vous en êtes persuadé .Il ne le prendra pas personnellement, et s’il le fait, vous ne ferez simplement plus d’affaires avec lui. Un artiste professionnel, quelqu’un qui mérite d’être chroniqué, quelqu’un qui mérite votre temps, ne vous en voudra jamais pour une mauvaise critique. C’est certainement ce qui montre le plus qu’un artiste est professionnel et mûr. Et quand je dis “Respectez-vous”, comprenez que le minimum que vous puissiez faire, c’est d’être le plus professionnel possible. Si qui que ce soit vous cherche des noises à cause d’une critique défavorable, il ne vaut plus la peine de faire affaire avec lui (4). De même, si un de vos lecteurs vous fait un caca nerveux parce que vous n’avez pas aimé son sacro-saint jeu, ignorez-le complètement. Quiconque aime vraiment quelque chose en connaît déjà les défauts, ou l’aime encore plus quand il les découvre – ou a d’assez bons arguments pour réfuter les défauts que les autres remarquent.

Au-delà de ça : en cas de doute, laissez-vous porter. Gardez l’esprit ouvert, tendez la main à l’artiste, et suivez-le dans son univers qui vous est inconnu. Il faut parfois être prêt à se salir les mains et à suer à grosses gouttes pour remonter. Ce n’est pas tout le temps très joli. Et parfois, c’est même pitoyable. Mais je trouve que le voyage en vaut à chaque fois la peine. Le professeur apprend toujours plus que l’élève, et je réalise inévitablement que je comprends et apprécie plus un produit à la fin d’une critique, qu’à son début. Si ce n’est pas le cas, c’est probablement que ma critique est mauvaise, et que je dois la corriger ou la recommencer.

Article original : How I Write RPG Reviews

(1) NdT : La traduction de review par critique a une petite connotation négative ; il peut s’agir aussi de compte rendu[Retour]

(2) NdT : La preuve, pour dire tout le bien qu'il pensait de Night of the Crusades, Steve en a rédigé une non-critique (ptgptb)[Retour]

(3) NdT : C’est toute l’utilité de la Big Theory pour critiquer un JdR : voir si ses règles et sa manière d’être joué sont cohérents avec ses prémices (promesses). [Retour]

(4) NdT : Monte Cook conseillait aux auteurs de JdR de ne jamais intervenir sur les forums – sauf erreur flagrante dans la critique, du genre affirmer que “il n’y a pas de sorts” alors que vous en avez écrit 20 pages. Et encore, même une réponse courte et polie peut déclencher un retour de flammes finalement encore plus préjudiciable. [Retour]

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