Créativité et esprit JdR : la Bonne Réponse

Fin septembre 2009, j’avais envisagé (en) une série dans laquelle j’étudierais comment la créativité s’exprime (ou se bloque) dans l’esprit des geeks de jeux de rôles. Basé sur le livre(1) du gourou de la créativité Roger von Oech A Whack on the Side of the Head [ouvrage non traduit en français (NdT)], je souhaitais mettre en évidence les obstacles les plus communs à la créativité, et quelques outils pour les démolir. Tout cela parsemé de quelques-unes de mes propres stratégies créatives. De celles qui font avancer mon esprit délirant.

Alors commençons par une énorme barrière.

La Bonne Réponse !

Nous sommes éduqués depuis l’enfance à trouver l’unique bonne réponse à toutes les questions et tous les problèmes qu’on nous soumet. Quand vous demandez à un jeune enfant la meilleure manière de supporter une vague de chaleur estivale, vous aurez autant de chances de vous entendre répondre de “prendre un bain de crème glacée” ou “d’ouvrir les portes de tous les réfrigérateurs de la ville” plutôt que “d’allumer la clim”.

Pendant que nous grandissons, nos parents nous dissuadent activement d’inventer des réponses créatives (“Ne soit pas stupide”), de même que le système éducatif (“Cette rédaction est certes très poétique mais elle mérite toujours un 0/20”).

Notre société pragmatique nous apprend que chaque question possède une seule bonne réponse et qu’il faut travailler dur pour la trouver. Ce moule dans lequel est forgé notre esprit a toutefois un prix : quand nous cherchons les bonnes réponses, nous développons un filtre qui rejette les solutions a priori non pertinentes.

Quand vous créez du contenu pour des JdR maison ou pour les publier, cette façon de penser (“Je dois trouver l’idée parfaite !”) peut complètement noyer votre créativité, notamment quand vous devez trouver des idées immédiatement exploitables. Ainsi à la recherche de LA bonne solution, vous rejetez continuellement les idées secondaires.

Le truc, c’est qu’il n’y a pas une bonne réponse… Il y en a une douzaine. Mais soit on les ignore… soit on arrête trop tôt de les chercher.

Je suis persuadé que beaucoup d’entre vous ont connu ces réunions de travail, lorsque le costard-cravate, le chef de projet ou le big boss au bout de la table présente un problème et demande des solutions. Les gens autour de la table font des hum ou des aaah, jusqu’à ce que quelqu’un hasarde une solution… Solution qui a de bonnes chances de se faire descendre (c’est particulièrement vrai si les types autour de la table sont du genre technique, vous vous reconnaîtrez !). La discussion continue alors généralement jusqu’au moment où quelqu’un arrive avec une idée qui semble au moins à moitié convenable… et là, tout le monde saute sur la solution pour la couronner “Meilleure idée de l’année” et la réunion est terminée.

La première bonne réponse n’est souvent pas la meilleure. En fait, avoir une seule bonne réponse/idée est carrément dangereux. Vous avez des chances de penser que votre brainstorming est fini et que vous pouvez avancer, mais vous le ferez peut-être avec une idée moins optimale.

En termes de JdR, cette situation m’arrive souvent lorsque je suis en retard pour préparer une partie. Je recherche désespérément une idée d’aventure et je pioche souvent une idée que j’avais abandonnée (ou un scénario publié). Je me persuade alors que ce n’est finalement pas si mauvais que ça… jusqu’à ce que je la fasse jouer et que je comprenne que j’aurais dû travailler un peu plus dur.

Mon cerveau est en ébullition

Beaucoup de MJ et de gens qui se rêvent écrivains de JdR pensent que les idées sont difficiles à trouver. Je ne suis pas vraiment qualifié pour en parler car j’ai souvent l’impression d’avoir un réacteur nucléaire à idées à la place du cerveau. Néanmoins, j’en viens à penser que je commence à croire que l’un des défis pour les MJ n’est pas de trouver des idées, mais plutôt de ne pas les abandonner immédiatement (pas terrible, pas la bonne, boiteuse, trop banale, manque de logique, etc.) avant qu’elles n’aient la chance de se combiner pour créer quelque chose de vraiment génial.

Et c’est là que réside le génie du brainstorming (wiki).

Les idées adorent se mélanger, s’agréger, emprunter les unes aux autres. Tout ça conduit souvent à de meilleures idées, plus consistantes, lorsque votre esprit (ou l’esprit de groupe) associe les idées idiotes/bidons/non pertinentes pour en faire quelque chose qui fonctionne, voire même de carrément génial.

Quand je me creuse la tête pour un scénario de D&D ou un article de magazine, et que je trouve finalement une idée qui “me paraît bien”, je l’ajoute à une liste, comme toutes les autres que j’ai eues jusque-là, y compris les idées foireuses. Je résiste à la tentation de m’arrêter là, et je continue, sans porter de jugement pour le moment. Lorsque le flot d’idées se tarit, je regarde la liste et je pioche les deux à cinq idées qui me plaisent le plus. Ce sont mes meilleures idées. Si, quand je réfléchis à ces “meilleures” idées, il m’en vient de nouvelles, je les note en bas de la liste. Ce sont souvent mes deuxièmes meilleures idées, qui viennent du fait que je continue à réfléchir, que j’associe les premières idées et que je commence à faire des combinaisons avec d’autres éléments.

Ensuite, je montre ma liste à quelqu’un et je regarde quelles idées provoquent le plus de réactions. Mes choix définitifs se portent habituellement sur les idées qui se trouvent à l’intersection entre celles que mes “testeurs” préfèrent, et mes idées favorites.

Et ça marche vraiment.

La deuxième meilleure réponse

Alors que j’écris ceci, je me rends compte que j’ai peut-être un processus créatif plus structuré que beaucoup. C’est probablement parce que j’ai beaucoup d’années de pratique à gérer un esprit qui essaie constamment d’attirer mon attention sur une nouvelle idée.

Esprit : Pssst. pourquoi pas un scénario où des elfes tueraient un père Noël orque, comme le Père Porcher de Terry Pratchett, démarrant une guerre sanglante entre les mères orques affamées et le camp elfe à proximité ?

Chatty : Pas pour l’instant, tu vois pas que je bosse ? Je note l’idée et j’y reviendrai plus tard.

Esprit : T’es pas drôle. Je te préférais lorsque tu étais plus loufoque.

Comme je le disais, si vous bloquez avec le syndrome de la “bonne réponse”, Roger Van Oech propose un super exercice dans son livre ; ne pas arrêter le brainstorming tant que vous n’avez pas trouvé votre deuxième meilleure idée. Au final, vous aurez une autre idée à comparer à la première, et vous serez en meilleure position pour faire un choix judicieux.

Alors la prochaine fois que vous chercherez une idée d’aventure, de monstre, de background ou même un PJ… faites une liste d’idées, combattez le réflexe de les juger (je ne vais pas en parler ici, ce n’est pas le bon moment, j’y reviendrai plus tard) et continuez votre liste après votre première bonne idée. Trouvez-en une seconde. Vous me remercierez.

Alors, qui d’autre se trouve bloqué par le syndrome de la Bonne Réponse ? Quelles sont vos stratégies pour y faire face ?

Article original : Creativity and the RPG mind, part 2: The Right Answer

(1) NdT : Ce n'est pas la première fois que des essais inspirent une réflexion pertinente pour l'exploitation en jeu de rôle. Jeu de rôle et The Righteous Mind (ptgptb) en est un autre exemple. [Retour]

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