Quelle est ton intention ?

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Parlons d'une technique de communication hyper simple que j'ai apprise tardivement lors de mes années de maîtrise.

Je me suis souvent retrouvé face à des joueurs ou joueuses qui en faisaient des tonnes pour essayer d'expliquer ce qu'ils voulaient que leur personnage fasse durant leur tour. Ils invoquaient des pouvoirs, des règles, mélangeaient l'ensemble avec ce que leur personnage disait et pensait, et cela provoquait souvent une pagaille assez confuse. J'ai vu cela dans des parties de convention, mais aussi parmi mes joueurs, dont la plupart sont des roleplayers (1) jusqu’au-boutistes. Ce type de joueurs commence souvent par développer le contexte de la situation et ce qui motive leur personnage, et ensuite ils se perdent dans l'interprétation de celui-ci.

Lorsque cela arrive, je me penche vers le joueur, m'excuse pour l'interruption et lui demande "Qu'est-ce que veut ton personnage ? Qu'essaies-tu d'accomplir ? Cela finit bien souvent par me donner ce que j’en attends : le joueur se focalise à nouveau sur le fait de me raconter ce qu'il veut que son personnage fasse. J'ai puisé cette technique dans Burning Wheel grog, ou il est dit que chaque action du joueur doit être composée d'une intention et d'une action. Dès lors, j'ai posé ces questions lors de presque toutes mes parties de Jeu de Rôle.

À chaque fois qu'un joueur ou une joueuse a du mal à se décider sur ce que fait son personnage durant son tour, je lui dis :

"D'abord, dis-moi les intentions de ton personnage, ensuite nous verrons ensemble comment les réaliser."

J'ai aussi remarqué que certain-es joueur-euses répugnent à partager leurs intentions, craignant que je ne les contre. Je ne crois pas à ce comportement du Meneur de jeu. Mon travail est de s’assurer que vous soyez mis au défi adéquatement, pas baisés par le MJ. J'ai déjà mis en place tous les obstacles dans les scènes/rencontres ou les Personnages-Joueurs se trouvent. À partir de là, quand les joueureuses décident de ce qu'iels vont faire, je deviens leur plus grand fan l'espace de quelques tours de jeu. Je les encourage à trouver des solutions intelligentes, à créer des combinaisons de pouvoirs diaboliques et à mettre à mal mon plan si bien ficelé.

[Meneur et Meneuses de Jeu,] je vous encourage fortement à procéder de la sorte : mettez au défi vos joueuses avant de savoir comment elles vont réagir à vos menaces, puis adaptez-vous à leurs décisions d’une manière qui fait sens dans l’histoire que vous faites jouer, et non d’une manière qui contrecarre précisément leurs plans.

(À l’exception possible des cas où ils affrontent des adversaires clairement plus intelligents ; n’hésitez-pas alors à recourir au méta-jeu, vous aurez au moins un argument narratif sur lequel vous appuyer)

Cela étant dit, j’ai aussi vu l’opposé se produire chez certains joueurs. Confrontés à un problème ou à une scène de combat, le joueur va aller regarder l’intégralité de sa fiche de perso pour trouver une solution - généralement le mélange le plus efficace entre action et pouvoirs - et il va ensuite essayer de construire une intention derrière l’action envisagée. Je ne m’en formalise pas trop lorsque le joueur arrive à faire son choix suffisamment rapidement et parvient à me donner une intention qui fait sens dans le contexte de la partie.

Mais quand le joueur hésite tant qu’il sombre dans la paralysie d’analyse, j’utilise la même technique et essaie de le remettre sur les rails de l’histoire au lieu de le laisser se perdre dans les mécanismes du jeu. Ça ne marche pas toujours, mais ça vaut le coup de rappeler aux joueurs et joueuses que les solutions ne sont pas toujours dans leur fiche de personnage.

Un homme sur le point de marcher hors de la planche d'un plongeoir, tenant un petit ballon gonflé à l'hélium.

Lorsque cette technique est devenue une habitude dans mon groupe de jeu, nous avons tous ensemble commencé à nous concentrer davantage sur les actions de nos persos, et comment la réussite ou l’échec affecteraient les rencontres que nous jouons. Je crois que cela a contribué à nous rapprocher davantage de cette mythique [attitude du] « roleplay » que de nombreux maîtres de jeu aspirent à atteindre.

Gardez cette technique en mémoire pour le cas où un de vos joueurs se retrouvera coincé dans une boucle mentale, et ramenez-le à cette base fondamentale du JdR : dites aux Meneurs et Meneuses de jeu ce que votre personnage souhaite faire, et iels vous aideront à déterminer ce qui se passe ensuite.

Alors, quelles seront vos intentions lors de votre prochaine partie ?

Article original : Zen and the Art of Dungeon Mastering #4: What is Your Intent with my Dungeon?

Sélection de commentaires

TheHydraDM

Ton astuce sur « quelle est ton intention ? » est géniale et je l’utilise tout le temps, mais souvent de manière déguisée, tel que « élabores ». Alors que « quelle est ton intention » a pour but de réduire à l’essentiel, « élabores » demande à ajouter de la matière. Tu peux réduire un mélange de :

  • termes de règles,
  • actions en cours et envisagées,
  • dialogues,
  • etc.

à un ensemble d’instructions plus raisonnables. Mais ce procédé s’applique également bien pour améliorer le roleplay, au-delà de « je fais un jet de perception ». Tu donnes de bons exemples de comment réduire un tas de foutaises en « eh bien en fait je veux juste pousser le méchant dans la lave », mais il est également important, je pense, de transformer « je cherche les passagers secrets » en « je toque sur les murs pour détecter les espaces creux ou les pierres branlantes ».

Ensemble, ces deux outils ont fait des merveilles en me permettant d’ajuster au mieux ce que mes joueurs me communiquent. Certains jours ils veulent juste faire un test de Force sans avoir à décrire l’action, et je dois leur rappeler de détailler ce qu’ils souhaitent accomplir (un test sans intention est sans intérêt !), et dans le même temps j’ai rarement des joueurs qui iront trop loin, comme tu le suggères, et je dois leur rappeler de donner à leur description un fil conducteur qui soit facile à suivre.

Je suis impatient d’en lire plus.

Réponse de Chatty DM

Je suis 100% d’accord avec toi. « Détailler » devrait être la deuxième étape d’une série d’outils de communication à disposition des MJ.

Vincent Baker le réduit à son essence dans Apocalypse World, quand il dit au MJ que, quoiqu’un joueur déclare qu’il veut que son personnage fasse, il devrait presque toujours répondre : « Cool ! Et comment s’y prend-t-il ? ».

Merci pour le retour !

highbulp

C’est une super astuce. Le seul problème est qu’elle requiert de faire confiance à ta Meneuse de jeu pour donner suite à ton idée. Je me suis retrouvé face à des MJ qui, si je leur déclarais simplement mon intention, réagissaient par « Oh non, c’est trop puissant, trop simple, cela ne convient pas à la manière dont je souhaite que les choses se déroulent… » et ils descendaient en flammes toute justification que j’aurais pu ajouter par rapport aux motivations du personnage ou les règles, avant même que j’ai commencé.

Si j’avais au moins eu le temps d’expliquer les motivations de mon personnage et les points de règle attenants (les trucs qu’elles l’autorisent à faire), alors ces MJ étaient plus à même d’accepter que mon intention soit faisable. Sinon, quand je déclarais « l’intention est de tuer ce mec ! » on me répondait souvent « Eh bien tu ne pourras pas le faire, veux-tu essayer autre chose ? ».

DarkplaneDM

Cet article est de l’or pour un Meneur de jeu. Bien dit. J’utilise « qu’est-ce que tu essayes d’accomplir ? » tout le temps et c’est merveilleux. Je pense aussi que tu décris à la perfection là où va la loyauté du maître de jeu. Il est l’antagoniste lors de la préparation, mais lors de la partie, il est le plus grand fan des joueureuses. Je me retrouve à encourager à grand bruit les joueurs quand ils tuent un gros dur, et je pense qu’il n’y a rien de mal à ça.

Ashtoret

Un excellent article ! J’ai aimé le lire, et le conseil prodigué est simple à utiliser, et pourtant très percutant. Je me questionne à propos de cet usage du méta-jeu, par lequel des créatures supérieurement intelligentes contrecarrent les plans et actions des personnages-joueurs.

Lors de ma dernière partie, les personnages sont arrivés à la scène finale de la campagne en s’associant avec une Méchante contre d’autres Méchants de la campagne. Il s’agissait d’une femme-renard, destinée à les trahir tôt ou tard. J’ai été cohérent dans sa description de vicieuse très intelligente, expérimentée, maligne, adepte des coups dans le dos. Elle n’était pas vraiment menaçante en combat, mais parvenait à se montrer plus rusée que les autres Méchants (dont une liche, un dragon, un illithid et une guenaude) - et les PJ ont décidé de s’associer à elle.

Quand arriva la scène de la trahison, j’avais des notes imprimées deux mois avant, avec des descriptions des manières précises qu’elle avait de déjouer les actions des PJ, nommément, et annonçant ce que je pensais que le PC ferait et comment elle le contrerait. Mon excuse dans le cadre de jeu était qu’elle avait vécu de nombreuses aventures en leur compagnie et avait eu suffisamment de temps pour savoir ce qu’ils allaient tenter contre elle. Comme tu l’as mentionné, j’ai utilisé des connaissances méta-jeu des différents pouvoirs / tactiques / styles de jeu de mes joueurs face à eux.

Dirais-tu que c’était équitable, si c’était pour donner de la profondeur à mon antagoniste et faire advenir la conclusion que je voulais pour cette campagne, ou c’est le genre de manière de mener qui fait froncer les sourcils ? Mes joueurs me font confiance et ils ont trouvé que cela avait été amené avec goût et conforme au récit, mais quelque part j’ai le sentiment de les avoir privés de la chance de changer leur destin. Note bien qu’ils auraient pu la surprendre en proposant des actions que je n’avais pas prévues dans mes notes, et qu’elle n’aurait pas su quoi répondre à cela. Mais je connais trop bien mes joueurs et elle avait suivi de près leurs aventures ; tout s’est donc déroulé comme je l’avais anticipé.

Qu’en penses-tu ?

Réponse de The Chatty DM

Très belle histoire. Je ne me sentirais pas mal, dans la mesure où tu as fait exactement ce que je suggère qu’un Meneur fasse : tu as préparé ton antagoniste en amont, tu l’as joué telle qu’elle a été pensée et les joueurs ont pris leur destin en main au moment où ils ont accepté de s’associer avec une traitresse ET une Méchante.

De plus, tu as eu la meilleure des confirmations possibles : tes joueurs t’ont dit qu’ils ont aimé…et je pense que tu savais que ce serait le cas. S’il te reste des doutes, ils viennent de tes démons intérieurs. :)

Kevin

J’ai joué récemment à des jeux indépendants, tels que Apocalypse World et Psi*Run (2), où le MJ n’est pas proactif, mais se contente de réagir aux actions des joueurs. Cette manière de procéder et de répartir les tâches fonctionne très bien dans ce contexte : le jet de dé détermine si l’action a atteint l’objectif souhaité ou non, le maître du jeu a juste à déterminer comment l’histoire s’adapte pour laisser les joueurs faire ce qu’ils souhaitent ou non.

Nous dédions cette tradiuction à Aigri-Man, qui nous donne un Tip (pourboire). Vous aussi, financez l'hébergement de PTGPTB à partir de 1€ par trimestre. :)

(1) NdT : extrait de Les Formes du Jeu d’aventure ptgptb de Glenn Blacow : « Lors d’une campagne purement “roleplay”, les éléments les plus importants sont le personnage-joueur et sa vie. Les personnalités des PJ sont travaillées avec un soin particulier, et les joueurs ont tendance à être émotionnellement très attachés à leurs personnages préférés. Ils ont tendance à agir dans le cadre de la personnalité qu’on leur a créée et en accord avec les valeurs auxquelles ils sont censés adhérer, et les joueurs s’expriment comme le ferait leur personnage. Dans une partie de ce genre, le monde entier est juste une scène sur laquelle les personnages vivent leur vie, éclairés par les projecteurs. Ils souffrent, triomphent, aiment, haïssent et pleurent ; d’une certaine façon, ils sont tout aussi vivants que les joueurs qui les ont créés. » - aujourd’hui on les appellerait plutôt « immersioniste » [Retour]

(2) NdT : Apocalypse World grog est un jeu de rôle de D. Vincent et Meguey Baker (2010, VF 2012). Son système de résolution - Powered by the Apocalypse ou PbtA -, a été repris par bien d’autres jeux.

Psi*Run grog est un JdR de D. Vincent et Meguey Baker(2012, VF 2015). C’est un jeu à narration partagée, sans préparation avec un Meneur de jeu, et qui donne une grande latitude aux joueurs pour s’impliquer dans l’histoire. [Retour]

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