Traité du zen et de l’art du meneur de jeu chap. 2 : connaître son style personnel

Vers la première partie

De nombreux MJ se rendent compte que leurs joueurs ne jouent pas conformément à leurs attentes. J’ai lu et entendu bien des meneurs se plaindre que leurs joueurs ne s’intéressaient pas au roleplay(I),ou bien qu’ils se fichaient éperdument du combat tactique, et ainsi de suite. Je pense que de nombreux MJ s’attendent à ce que les joueurs s’adaptent à tout ce qu’ils ont préparé, mais je suis intimement convaincu que ce n’est pas là que se trouve le secret d’une campagne réussie. Je pense plutôt que les MJ devraient apprendre à sortir de leur propre style naturel et chercher un juste milieu entre leurs attentes et celles de leurs joueurs.

Mais avant d’explorer cela plus en détail, je pense qu’il est fondamental pour les MJ de connaître les motivations profondes qui les amènent à la table semaine après semaine. En fait, il est bon pour un meneur de connaître son style, afin justement d’être capable d’élargir le champ de ses motivations, pour y inclure aussi les envies de joueurs.

Depuis le début des années 90, on discute des profils des joueurs. Le célèbre créateur de jeu Robin D. Laws a écrit de nombreuses pages sur le sujet, tout d’abord dans son livre précurseur Robin Laws of Good Game Mastering et ensuite dans les multiples itérations du Guide du maître. Ce qui suit est un résumé des principaux traits qui poussent les joueurs à participer à des jeux de rôles, et a été adapté d’une liste publiée dans la 4e édition du Guide du maître :

  • Volonté de puissance (Power Gaming): acquérir des nouveaux pouvoirs, les utiliser souvent et efficacement
  • Bourrinage (Butt-kicking): s'amuser avec des combats et écraser des PNJ !
  • Tactique : triompher de situations complexes par un plan bien pensé et astucieux
  • Spécialité : jouer un archétype de personnage similaire encore et encore comme un chat ninja ou un rôdeur elfe noir d’alignement bon
  • Jeu d'acteur façon "Actor's Studio" (Method Acting) : partir dans l’immersion totale d’un personnage fictif, à n’importe quel prix
  • Conteur (Storytelling): explorer le déroulement d’une histoire à partir des choix et actions des personnages
  • Observateur : se retrouver avec ses amis et puiser dans les énergies sociales du groupe
  • Instigateur : aimer faire avancer les événements, tirer les leviers, exploser les portes et déclencher des situations gênantes

Nous allons étudier en détail cette liste et la manière dont elle s’applique aux joueurs dans d'autres posts. Pour le moment, je veux me concentrer sur quelque chose que j’ai remarqué ces quelques dernières années : ce qui motive un joueur à jouer aux JdR est très similaire à ce qui le motivera en tant que Meneur de Jeu. En fait, j’irais même jusqu’à dire que les profils se recouvrent presque parfaitement.

Voici comment je le vois :

Volonté de puissance

Encourage les personnages optimisés équipés d’objets magiques puissants à affronter des ennemis démesurément puissants et des menaces de niveau mondial. Certains groupes développent même une dynamique "MJ contre joueurs"(1) que certains trouvent motivante et stimulante, mais qui laisse les autres joueurs avec un désamour profond du rythme et de l’aspect conflictuel du jeu.

Bourrinage

Focalise les séances de jeu sur les combats et les scènes préconstruites. Le MJ crée une série de défis qui mettent à l’épreuve les capacités de combat et les pouvoirs des personnages. Les parties de démo D&D Encounters organisés dans les boutiques sont très orientés vers ce style de jeu. En fait, je crois que l’ensemble des règles de la 4e édition [de D&D] rendent ce style de jeu très facile à mettre en œuvre.

Tactique

Le MJ aime créer des défis complexes – souvent avec de multiples strates – qui combinent plusieurs mécanismes de rencontre et d’environnement pour confronter les joueurs. Le genre de situation qui plaît à un MJ tacticien consiste à mélanger des monstres, des pièges et des objectifs annexes dans un environnement très hostile. Les événements D&D Lair Assault [dont vous pouvez voir un exemple ici (NdT)] organisés dans les boutiques, ou bien les aventures Fourthcore écrites par mon ami Sersa Victory [organisateur de tournoi avec des donjons extrêmement difficiles (NdT)] sont très orientés vers ce type de jeu.

Spécialité

Fait jouer toujours le même type de campagne, de thèmes et d’histoires. Je mettrais également dans cette catégorie les MJ qui préfèrent les campagnes qui durent 2 ans et plus. Les thèmes récurrents comme le Bien contre le Mal, l’Ordre contre le Chaos, les Dieux contre les Démons, les Humains contre les Anciens, sont des thèmes que j’ai vu certains meneurs revisiter très souvent. Par exemple, Monte Cook a souvent eu des thèmes lovecraftiens dans bon nombre de ses campagnes (et univers/scénario commerciaux dérivés).

Jeu d’acteur

Certains MJ aiment transformer leur partie en exercice d’art dramatique. Ils incarnent toujours des PNJ uniques et hauts en couleur. Si cette tendance est poussée à l’extrême, vous pouvez vous retrouver à jouer une partie dans la pénombre, à la lumière de bougies, et parfois avec un PNJ qui dépasse les limites du bon goût pour empiéter sur le territoire de Marty Stu [personnage masculin idéal trop bon pour être vrai (NdT)]. Jouer avec un meneur qui fait dans la méthode Stanislavski n’est jamais ennuyeux… sauf si ce MJ s’oublie et commence à jouer tout seul.

Conteur

C’est la catégorie des créateurs d’univers et de grandes sagas épiques. Les MJ qui partagent cette motivation rêvent éveillés de dynasties, de guerres et d’empires corrompus (avec la bande originale qui va avec). D'après mon expérience, ces types de MJ les plus portés sur la narration sont également les plus enclins à dire que leurs joueurs ne font pas de roleplay. Et ça c'est un point fondamental, dont nous reparlerons. Mais pour le moment, laissez-moi juste dire que certains des MEILLEURS MJ que l’on peut trouver sont énormément axés sur ce style.

Observateur

Vous pensez que ce type de motivation ne convient pas à un MJ n’est-ce pas ? Je n’en suis pas si sûr. J’ai vu quelques meneurs de jeu plus intéressés par les soirées entre amis et se détente plutôt que de faire jouer la partie elle-même. Le jeu de rôle devient une excuse pour se retrouver, boire des bières, parler de tout et de rien. J’ai vu cela dans des groupes qui jouent depuis si longtemps ensemble que la partie roule quasiment toute seule. La campagne de D&D d’Ed Greenwood [bibliothécaire canadien, créateur des Royaumes Oubliés (NdT)] vient à l’esprit : ils ont cessé d’utiliser des règles depuis des années. Ce genre de meneur peut décevoir certains joueurs qui s’attendent à une expérience plus sérieuse et engagée.

Instigateur

Les MJ instigateurs aiment faire avancer les choses. Ils prennent des amorces d’aventures et les transforment en explosions narratives. Ils gardent un rythme de fou et tolèrent peu la réflexion qui essouffle le rythme. Ils pousseront leurs joueurs en dehors de leur zone de confort en jouant avec de thèmes potentiellement gênants comme la sexualité, la religion ou des choix moraux difficiles. À nouveau, poussé à l’extrême, cela peut mener la partie bien au-delà des limites personnelles ou intimes de certains joueurs.

Il est important de noter qu’aucun MJ n’est motivé que par un seul de ces traits. Chacun se retrouve dans toujours au moins deux de ces traits. Par exemple, quand je fais jouer une campagne de D&D, je suis plutôt en mode Instigateur, faisant avancer le jeu à un rythme rapide et enivrant. Je fonctionne aussi par Spécialité, car ma campagne fait souvent se confronter deux camps avec les joueurs comme pions/faiseurs de roi au milieu. Je suis également un tacticien car j’aime créer des rencontres complexes quand j’ai le temps de les concevoir. Je suis aussi un peu observateur car j’aime regarder le plaisir que prennent mes joueurs dans mes parties.

Donc, avec cette liste, je pense que vous pouvez mieux comprendre ce qui vous fait avancer en tant que MJ. La prochaine fois, nous verrons comment on peut comprendre les motivations des joueurs, expliquer comment les ignorer mène quasi systématiquement à l’échec, et comment les MJ peuvent réussir à marier leur style propre avec celui des joueurs.

Alors, où vous positionnez-vous en tant que meneur ? Que cherchez-vous quand vous menez une partie, ou bien qu’attendez-vous avec le plus d’impatience dans vos prochaines parties ?

(I) NdA : Au vu de la définition très étroite du “roleplay” pour un MJ. Cela mériterait un article à part entière une prochaine fois. [Retour]

Article original : Zen and the Art of Dungeon Mastering #2 : Know your DMing Style

vers la troisième partie


(1) NdT : voir une autre définition du style de jeu avec le MJ comme ennemi. [Retour]

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Commentaires

J'ai lu avec plaisir cet article sur la manière dont un MJ positionne sa motivation dans le jeu.
Je regardais les catégories qui composent, selon l'auteur, une majorité des maîtres de jeu, et m'y suis reconnu dans quelques-un avec un certain plaisir.

Depuis peu, depuis plusieurs séances en tant que maître. - enfin je suis assez jeune tout de même -, j'ai fait face à une situation qui ne m'était jamais arrivée auparavant.

En fait, je suis particulièrement motivé lors de la préparation de mes parties, particulièrement lorsque que je vois/imagine la suite que je voudrais donner aux évènements pour mes joueurs. Par contre, en pleine partie c'est le vide, je ne contrôle mon scénario qu'avec un détachement démotivé et ne tire aucun plaisir de ma maitrise, et ça s'en ressent évidemment chez les joueurs.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez vous-même, si vous en avez vous-même fait l'expérience, et peut-être si des pistes de réponses ou de solutions vous venaient à l'eprit.

Auteur : 
Victor G

Salut,

Il est assez difficile d'estimer pourquoi la motivation te lâche en pleine partie... sans être dans tes bottes :) Faudrait peut-être plus détailler...

Si tu prends plein de plaisir à t'imaginer ce qui va arriver, alors tu es peut-être plus orienté "écrivain" que "MJ" (voir postures LNS = Auteur). Avant la partie, tu as dû passer et repasser les évènements dans ta tête en te frottant les mains, et lorsque la partie commence, peut-être que l'excitation de la nouveauté est retombée, ou que la réalité est en-deça de tes espérances (joueurs fatigués, dispersés, peu créatifs... ou toi!). ça arrive souvent quand les parties sont très espacées dans le temps: le MJ a plein de délai pour se projeter dans la suivante, qui est moins bien que rêvée (alors que tu es en général agréablement surpris par les parties où tu te rends en traînant les pieds)

Ou alors tes joueurs sont contrariants, et rien ne se passe comme tu le voulais, du coup tu ne peux faire arriver tes supers coups de théâtre, ou bien les PJ ont tué un PNJ bien caractérisé et ça te décourage.

Ou enfin c'est peut-être l'inverse? Tes joueurs suivent bien gentiment les rails, mais sans motivation. Les évènements tombent à plat, et tu as une impression de déjà-vu.

En tous cas la solution est la même : tu dois moins préparer, ne noter que les grandes lignes. Par exemple dans un mode "bac-à-sable", tu connais la situation de départ, mais pas ce que les joueurs vont en faire. A ce moment tu es toi-même surpris par les développements, et tu dois "voir/imaginer la suite" - mais en cours de partie, d'où : excitation! :)

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