Poser des question orientées

Alors que je préparais l’aventure Hoard of the Dragon Queen grog (1) pour D&D5 la semaine dernière, j'ai remarqué qu'une des rencontres mettait en scène un dragon bleu adulte. Telle qu'elle est écrite, cette rencontre suppose que les personnages de niveau 1 vont l'attaquer. Le livre explique ensuite à quel point cela peut être mortel (2).

J'avais complètement oublié ceci jusqu'à ce que Dave m'interpelle vendredi dernier, en me demandant comment je comptais adapter l'aventure.  Cela m'a poussé à ouvrir le Manuel des Monstres grog pour consulter les statistiques du Dragon...

Je me suis pincé, fort.

Taille : Énorme

CA [Armure] : 19.

PV [Points de Vie] : plus de 200.

Attaque de souffle : inflige en moyenne 33 points de dégâts après un jet de sauvegarde réussi.

Dragon fondant sur une forteresse

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Pour une aventure de niveau 1 ?

Les vieux de la vieille vont peut-être hausser les épaules et dire « Ça leur servira de leçon pour revenir aux sources de D&D ! ».

Ce n'est plus mon style. Il fallait que je fasse quelque chose... mais je n'avais pas envie de passer du temps à faire du bricolage.

Plus tard dans la soirée, alors que tout le monde s'installait, j'ai eu une inspiration. J'ai décidé d'avoir une discussion, non pas avec les joueurs... mais directement avec les personnages.

C'est l'un des principes de MJ dans [les PBTA tels que] Apocalypse World grog et Dungeon World grog : « S'adresser aux personnages, pas aux joueurs ».

Moi : Hé Thinel (Paladin Elfe noir), que penses-tu de ce raid sur Verdure ?

Chantal/Thinel (prise au dépourvu) : Huh... Je pense que nous devons aider la ville autant que possible.

Moi : Sachant que vous ne survivrez sans doute pas à une confrontation directe avec le dragon, comment pensez-vous que le groupe devrait s'y prendre ?

Vous voyez ce que j'ai fait ?

J'ai fait le tour du reste du groupe en posant un mélange de questions ouvertes et de questions orientées, et tout le monde est rentré dans son personnage sans difficulté.

Ils n'ont jamais affronté le dragon, et en fait, plus le gouverneur de la ville criait pour que quelqu'un s'en occupe, plus les héros étaient intéressés par d'autres missions. Ce fut une séance formidable et je n'ai pas eu besoin de passer du temps à bricoler le scénario de l'aventure.

En réfléchissant à la session pendant le week-end suivant, j'ai réalisé que j'avais peut-être redécouvert certaines des meilleures astuces de MJ que j'avais lues dans des fanzines de JdR comme Dread. Le fait de poser une question orientée peut en effet orienter l'action d'un joueur.

Il est très courant de devoir restreindre les choix offerts aux joueurs, ce n'est pas un péché mortel. Il y a des limites à ce qu’on peut préparer et à ce qu'on peut faire en cours de partie. Le problème n'est pas tant d'imposer des limites à leurs choix que de savoir comment le faire.

De nombreux joueurs détestent se sentir menés par le bout du nez, ou pire encore, s'entendre dire qu'ils ne peuvent pas faire des choses que leurs personnages devraient pouvoir faire « juste parce que ».

Je propose donc ceci : ne soyez pas dirigiste avec les PJ, posez-leur plutôt des questions orientées basées sur leur historique, leurs croyances et leurs capacités.

MJ : Maintenant que tu as merdé et que tu es encerclé par des Orques du Carnage, comment comptes-tu faire pour éviter que le fils du chancelier ne soit blessé ?

MJ : OK, vous avez gagné votre pari et vous vous êtes faufilés jusqu'au Gardien Éternel, vous savez bien qu'il ne peut pas être tué ? Quel est votre plan génial maintenant ?

MJ : Félicitations, tu as volé les bijoux de la fille du duc, tu es maintenant le voleur le plus célèbre de Camoor. Aucun receleur n'y touchera. Comment comptes-tu t'en débarrasser en moins de 24 heures, petit malin ?

En cela, votre rôle se rapproche beaucoup plus de celui d'un réalisateur de film. Vous posez des questions orientées qui indiquent clairement votre intention de haut niveau pour l'aventure, mais vous laissez suffisamment d’agentivité ptgptb à vos joueurs pour leur permettre d'agir et d’influer sur l'histoire selon les croyances et les motivations de leur personnage.

C'est là que vous pouvez exploiter les nouveaux historiques, avantages et défauts de D&D [Idéaux et défauts dans la 5e édition (NdT)] (ou les traits uniques de 13e Age grog, ou les contraintes d’aspects de Fate, ou les Croyances de Burning Wheel grog et dérivés, tous les JdR en ont maintenant, on dirait...).

En fait, si vous exploitez ces éléments, vous tendez la main vers les joueurs pour qu'ils participent à la fiction que vous voulez créer. Vous prenez en compte les choix qu'ils ont faits à la création de leur personnage en les utilisant comme leviers pour faire avancer l'action dans une direction qui vous convient.

Cela peut aussi aider avec certains des PJ problématiques les plus stéréotypés. Par exemple, un Paladin devient beaucoup moins pénible lorsque vous interagissez avec son joueur en lui posant des questions orientées.

MJ : Es-tu prêt à sacrifier ta vie et celle de tes amis pour tenter de sauver ce village plutôt que d'enquêter sur la source du Mal afin de pouvoir lui couper la tête ?

Paladin Loyal Têtu : Vu comme ça, je crois que je préférerais m'attaquer au Grand Méchant.

MJ : Bien dit.

Offrez aux joueurs des choix significatifs dans les limites du monde que vous gérez. C’est l'une des leçons les plus fondamentales du JdR.

L'approche dont j'ai parlé aujourd'hui n'est qu'une façon parmi d'autres de le faire.

Quelle est votre approche pour gérer les limitations des choix des joueurs ?

Article original : Zen and the Art of Dungeon Mastering #7: Asking Loaded Questions

Sélection de commentaires

Dan

Plutôt que parler avec la voix du MJ, je préfère qu'un PNJ sympathique évoque ce genre de choses. Le PNJ peut mettre en évidence des choses qui seraient évidentes pour un habitant du monde de jeu mais qui ne sont pas forcément connues des joueurs. Il est pratiquement impossible de transmettre à un joueur tout ce qui est communément connu dans l’univers, donc ce n'est pas entièrement de leur faute et il faut parfois les laisser respirer.

Phil

J'ai découvert qu’ouvrir le dialogue avec les joueurs, en leur posant un mélange de questions, certaines orientées, d'autres ouvertes, facilite ce que de nombreux MJ recherchent dans le roleplay.

Oui, je pourrais passer par les PNJ ou simplement dire à mes joueurs, mais dans ce cas précis, j'ai écouté mon instinct et ça a payé.

(1) NdT : Hoard… est la première partie (sur 2) de la campagne Tyranny of Dragons - première campagne publiée par Wizards of the Coast pour D&D 5e édition, en 2014 [Retour]

(2) NdT : Justin Alexander prend l’exemple de cette intro pour tenter de soigner le dirigisme dans Comment fonctionne le dirigisme ptgptb [Retour]

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