Stanislavski contre Brecht

Un article de Look, Robot

Accrochez-vous, car ça risque d’être plutôt prétentieux. Je devrais aussi vous prévenir que ma connaissance de Brecht et de Stanislavski se base sur un cours d’étude théâtrale dont je ne me rappelle qu’à moitié, des conversations avec ma femme (qui est bien plus intelligente que moi) et un rapide survol de Wikipédia. Ne vous attendez donc pas à une brillante critique théâtrale… en fait ne vous attendez à rien de plus qu’une vague interprétation.

Quoi qu’il en soit ; Stanislavski et Brecht étaient deux metteurs en scène de théâtre plutôt importants et ils ont chacun abordé le principe de l’incarnation des personnages depuis un angle différent que je vais maintenant distiller pour vous avec inexactitude :

Dans le coin gauche

Stanislavski. Un visage qui hantera vos cauchemars

Le trip de Stanislavski c'était sa méthode d'interprétation du personnage ; selon cette dernière, les acteurs doivent essayer d’habiter leur personnage, de se fondre eux-mêmes dans le rôle imaginé et d’agir comme leur personnage agirait, quelle que soit la scène. La phrase clichée d’Hollywood : « Ouais, mais quelle est ma motivation ? » est typiquement stanislavskienne – elle met en avant le fait que le personnage est davantage que ce qui est montré sur scène, que le public n’aperçoit que la partie émergée de l’iceberg théâtral. Il encourageait les acteurs à se demander : « qu’est ce que je ferais si j’étais dans la situation du personnage ? », puis à essayer de canaliser cette émotion, cet instinct à travers leur interprétation. Émotion. Sentiment. Comprendre qu’il y a davantage dans un personnage que ce que l’on peut montrer. Que des trucs cools.

(Il a aussi fait des trucs très sympas pour jouer avec le corps des acteurs et pour donner réalité aux émotions à travers l’action, mais ça ne s’intègre pas vraiment avec ce dont je veux parler ici. C’est d’excellents trucs pour le jeu de rôle, cela dit, se rappeler que l’on peut se lever et se déplacer sur ses jambes, et genre, jouer un rôle !)

On peut tous comprendre ça, même si on ne peut pas l’incarner à son plein potentiel quand on fait du jeu de rôle. (Moi je peux pas.) C’est le genre de truc que les divers Guides et Manuels des Joueurs vous conseillent de faire systématiquement ; imaginer ce que votre gars (ou votre fille) ferait en réponse à n’importe quelle situation, et dites au MJ ce que vous faites pour le réaliser. On peut tous faire ça. C’est ce que nous faisons depuis que nous avons pris les dés en main pour la première fois, décidant que ce qui correspondait le mieux aux motivations de notre Guerrier, c’était d’aller enfoncer cette fichue grosse hache dans la face de ce gobelin.

Et encooooore plus à ma gauche

Berthold Brecht. J’aime quelqu’un qui apprécie un bon manteau de cuir, un bon cigare et une performance théâtrale vertigineuse d’étrangeté.

Et puis, de l’autre côté, on a Brecht. Brecht était bizarre wiki. Brecht était marxiste est il cherchait à intégrer dans son œuvre un sentiment d’outrage révolutionnaire. Brecht était un pionnier du Verfremdungseffekt wiki, un mot que j’ai dû copier-coller car je n’arriverai jamais à apprendre à l’orthographier correctement, et qui pourrait se traduire grosso-modo par « effet de distanciation ». Il ajoutait des éléments saisissants pour rappeler que ce qui se passait sur scène n’était pas réel, que c’était une pièce de théâtre ; les personnages s’adressaient au public, l’éclairage était éblouissant et irréel, on lisait à voix haute les didascalies [les instructions scéniques de l’auteur (NdT)]. Les personnages n’étaient rien de plus que des masques que les acteurs portaient tant qu’ils en avaient l’utilité ; ils les portaient bien, évidemment, ils les portaient magnifiquement, mais tout en réalisant qu’ils n’étaient rien d’autre que les composants d’une histoire.

L’objectif était de choquer le public et de le faire réfléchir ; de rechercher autre chose que de coller au réel ou de raconter des histoires traditionnelles, pour aller vers quelque chose de nouveau et de bouleversant qui inciterait les gens à l’action. Vos personnages n’ont pas de motivation. Vos personnages sont les personnages d’une histoire ; ils n’existent plus d’aucune manière quand le rideau retombe. Ils ne sont rien que des outils.

C’est étrange. (Par essence.) La plupart d’entre nous, y compris moi-même, ne comprennent pas vraiment ce dont parlait Brecht, au-delà du niveau le plus basique ; et lorsque l’on rencontre ce style, notre première réaction, comme il se doit, est d’être choqué et perturbé en le regardant de plus près. Mais je pense qu’en tant que rôlistes, il nous faut penser un peu moins comme Stanislavski et un peu plus comme Brecht. Pas dans l’aspect « bizarroïde », mais en se rappelant en permanence que nous sommes des joueurs assis à une table pour un jeu de rôle.

C’est comme Unwritten (1), la chanson de Natasha Bedingfield, vraiment.

La méthode de Stanislavski est incroyablement bonne si vous avez un script déjà écrit. Si vos arcs narratifs sont planifiés par un dramaturge qualifié et qu’un metteur en scène chapeaute votre comportement – très bien. En offrant une performance plus naturelle et plus profonde, vous pouvez laisser les personnages transparaître. Vous pouvez jouer pour le public. Rien ne va arrêter le spectacle, parce que vous ne pouvez pas dire : « En fait, je ne pense pas que mon personnage aimerait ça, donc il va arrêter de suivre l’intrigue de la pièce. » Les personnages sont emportés par les vents du destin et c’est aux acteurs de l’interpréter, de faire au mieux avec ce qu’ils ont.

Nos scripts ne sont pas écrits. Nous naviguons au doigt mouillé. Nous fonctionnons dans un pays étrange ; nous prenons les personnages détaillés que l’on pourrait trouver dans un roman ou un film et les mettons dans ce monde semi-aléatoire de l’improvisation, nous y évoluons pas après pas, ne préparant jamais ce que nous allons dire ou faire à plus d’une ou deux répliques d’avance. Parfois ces deux concepts ne vont pas de pair.

Nous pouvons jouer nos personnages jusqu’au bout, et par conséquent ils peuvent s’ignorer les uns les autres et ne rien faire. Nous pouvons avoir des disputes qui ne mènent nulle part. Nous pouvons nous disperser dans des directions différentes et atteindre nos propres objectifs, hors de vue des autres joueurs.

Et, pour moi, ça à l’air terrible. Bien sûr, c’est une situation extrême, mais ce n’est pas inimaginable. J’ai certainement participé à des parties où c’est arrivé.

Vous n’êtes pas votre fichu personnage

Bien jouer son rôle requiert de vous, en tant que joueur ou joueuse, d’être conscients que vous jouez à un jeu ; et pas seulement comme Debbie qui ne veut plus être Elfstar

Note du Traducteur : référence à Dark Dungeons en (1984), la BD anti-D&D du chrétien fondamentaliste Jack Chick.

Le PJ de la rôliste Marcie meurt; celle-ci se suicide et Debbie découvre le cadavre de son amie. Réalisant le danger de la sur-identification à son personnage, et malgré l’insistance de Miss Frost, sa Maitresse de Donjon/grande prêtresse païenne dans le civil, Debbie refuse de continuer à se laisser « posséder » par son perso Elfstar :

...Toutefois, entendant les paroles d'un prédicateur, Debbie retrouve le Salut dans la Foi chrétienne (ouf, elle a évité de se laisser entraîner dans une secte !) et brûle ses livres de D&D

Ce rejet du jeu de rôle est parodié dans la sous-culture rôliste par le slogan « I don’t want to be Debbie any more. » imprimé p.ex. sur des t-shirts. (Vous retrouverez l’histoire des mouvements anti D&D des années 1980 dans notre e-book n°15 Le JdR c’est le maaal)

Cela signifie que vous devez comprendre ce qui est meilleur pour l’intrigue dans son ensemble, parce que nous donnons tous un spectacle les uns pour les autres, que nous le voulions ou non. Ce n’est pas parce que notre public est restreint qu’il ne faut pas s’en occuper. C’est juste des trucs de base de théâtre d’impro que je repompe là. Dites « Oui, et ptgptb » ou « Oui, mais ptgptb  » et ne dites pas « Non ». Il y a des tas de guides qui peuvent vous aider à improviser des histoires plus satisfaisantes, et je vous suggère de les lire.

De nombreux Manuels des Joueurs parlent de séparer votre personnage de vous-même ; ils ne sont pas vous, et vice versa. Cela vient principalement lorsque l’on vous conseille de ne pas se fiche en rogne quand le MJ tabasse votre personnage avec un de ses PNJ, où quand un autre personnage est grossier envers le vôtre. Mais ça va plus loin : votre personnage est juste un masque ; c’est un élément d’une histoire, pas une personne avec des pensées, des sentiments et des émotions. Il ou elle est entièrement sous votre contrôle. C’est votre responsabilité d’utiliser ce contrôle non seulement sur ses pensées, ses sentiments et ses actions, mais aussi sur sa position dans l’histoire.

J’ai déjà donné ptgptb des conseils vous préconisant de céder le contrôle de votre personnage : des trucs comme suivre des intrigues même si votre personnage ne le souhaiterait pas, laisser d’autres personnages agir contre sa volonté, etc. Et il semble aussi y avoir de nombreux débats contre ce conseil. Ce que je vous encourage à faire ici, c’est du méta-jeu.

Clerc et Voleur, par dkuang sur Deviantart. Trouvé via Google, et c’est exactement ce que je voulais.

Le méta-jeu n’est pas un gros mot.

Par méta-jeu je ne parle pas de compulser frénétiquement le Manuel des Monstres pour découvrir les points faibles des gorgones, ou de faire agir votre personnage en utilisant des connaissances qu’il ne possède pas. Ce que je veux dire… et bien, je vais le dire avec un exemple.

Disons que votre Voleur a besoin de dérober quelque chose d’essentiel pour l’aventure où-il-faut-sauver-le-monde dans la maison d’un riche collectionneur. Il pourrait très bien le faire tout seul, mais vous remarquez que la joueuse de la Prêtresse n’a pas encore été très impliquée durant cette partie et reste sagement assise sur sa chaise pendant que les autres joueurs et joueuses planifient la suite. Votre personnage – une construction mentale qui n’existe pas, que vous avez fabriqué, qui n’a aucun sentiment – ne voudrait pour rien au monde que la Prêtresse se joigne à lui. Elle est bruyante. Voler la dérange. Et elle tape sur les nerfs de votre personnage.

Alors, quelle est la meilleure histoire ? Est-ce celle où votre Voleur est parti tout seul pour accomplir l’objectif rapidement et proprement ? Ou bien celle que vous avez racontée après avoir demandé à la joueuse de la Prêtresse si elle pouvait trouver une raison pour que vos deux PJ y aillent ensemble, et se sont retrouvés, mal-appariés, pour remplir la mission ? Peut être que la Prêtresse a insisté pour venir avec votre Voleur de façon à garder un œil sur ses doigts trop agiles. Peut être qu’elle voulait apprendre à devenir discrète. Ou bien elle voulait en apprendre davantage sur les motivations de ce collectionneur. Génial. Peu importe. Vous avez deux personnages ensemble, et pas complètement dans leurs éléments. Ça va faire des histoires.

Vous n’avez en rien diminué votre personnage en agissant ainsi. Tout ce que vous avez fait, c’est d’utiliser votre contrôle complet sur lui ou elle pour le ou la mettre dans une position plus intéressante.

Jouez votre PJ comme si c’était un PNJ

Si vous n’avez jamais incarné un PNJ dans la partie de quelqu’un d’autre, faites-le. Faites-le aussitôt que possible. Il n’y a pas de meilleur moyen de comprendre de quoi je parle.

En tant que PNJ, vous êtes libéré des considérations à long terme de vos actions. Vous êtes un élément de l’intrigue. Votre développement est subordonné à celui des PJ. Vous n’êtes pas simplement en train de penser comment vous réagiriez à la situation qui vient, mais vous essayez de faire briller les PJ. Vous les dirigez vers les ennuis, vers l’amusement, vers l’aventure. Vous n’avez pas à vous soucier des grandes motivations du MJ ; vous jouez ce personnage, à ce moment dans cette situation, vous l’utilisez comme un outil pour aider les autres à raconter l’histoire.

Je vous garantis que si vous commencez à considérer votre PJ de la même manière – en les séparant de vous, en les interprétant avec un œil sur le fun et l’histoire, et l’autre œil sur son utilisation comme outil de l’histoire – alors vous vous amuserez d’autant plus. Vous vous retrouverez dans des situations plus difficiles, à interagir avec des personnages avec lesquelles vous n’auriez pas interagi autrement. Vous repousserez les limites, à la fois de votre zone de confort, et de la zone de confort de vos persos. Ils triompheront de l’adversité, ou échoueront face à elle, et c’est ce que vous cherchez, pas vrai ?

Ne trahissez pas les motivations de votre personnage, mais cherchez leurs des ennuis

À travers cette démonstration, je ne veux pas encourager les gens à détruire le cœur de leur personnage. Je ne veux pas qu’ils deviennent des sacs à règles malléables, sans visage, sans motivations, qui se contentent de suivre mollement les caprices du MJ. Ce que je veux, c’est que les gens réalisent que ce qui est bien plus excitant que la méthode Stanislavski du jeu de rôle traditionnel, c’est de placer leur personnage dans des situations délicates et de les y incarner correctement (2). D’être conscient de leur existence à l’intérieur d’une partie de JdR, et de les contrôler comme il le sied.

Le point le plus contesté de mon précédent article sur le jeu de rôle – celui en 11 points ptgptb – était le 3e, où j’encourageais les joueurs et les joueuses à extrapoler plutôt qu’à nier, à construire sur les actions des autres PJ plutôt que de chercher à les bloquer. Ce n’est pas la panacée. Je ne peux même pas dire que je le fais tout le temps et peut être que je le présente mal. Mais :

Imaginons que votre Voleur a besoin, pour sauver le monde, de soutirer une information à un prisonnier et qu’il choisit de le torturer pour l’obtenir. Imaginons que la Prêtresse est contre. Si vous dites : « Va au diable avec tes réticences, je vais torturer le type. » La Prêtresse pourrait stopper le PJ voleur sur le champ, sa joueuse déclarant qu’elle soumet le voleur et le ligote à un poteau pour la nuit jusqu’à ce que les gardes viennent récupérer le prisonnier. Si elle réussit, personne n’obtient aucune information et vous n’avez pas l’occasion de jouer votre rôle.

Ou bien ! La joueuse de la Prêtresse trouve que c’est là une chose intéressante à jouer, que sa morale se mette en travers de l’enquête, si bien qu’elle s’arrange pour que son personnage arrive au beau milieu de la séance de torture, plutôt que de se pointer avant que ça ne commence. Peut-être qu’elle avait des trucs divins à gérer. Où que sa conscience ne cesse de la tirailler sur la question. Ou qu’elle essaye de se persuader que c’est pour le bien de l’univers, mais qu’elle n’y arrive tout simplement pas. Au moment où elle arrive, le type est dans un sale état ; mais le MJ voit que c’est une bonne occasion de faire du roleplay, donc le prisonnier vous lâche la moitié de ce que vous devez savoir. Est-ce que la Prêtresse va laisser le Voleur finir, maintenant qu’il a commencé ? Est-ce qu’elle va soigner la souffrance que votre perso a infligé ? Va-t-il seulement l’écouter ? Appelle-t-elle son Église ? Votre perso tente-t-il de s’éclipser avec le prisonnier ?

Voilà un conflit dans lequel je peux m’investir. Il n’a en rien affaibli les motivations de vos deux personnages, mais a transformé une négation en un conflit ouvert parce que Les Trucs Crades Ont Déjà Eu Lieu. Vos deux personnages ont eu ce qu’ils voulaient et ont suivi leurs codes moraux, mais les deux joueurs ont remarqué que c’étaient plus intéressant que les choses se déroulent ainsi après que la torture ait commencé. « Oui et, » et pas « Non » (3). (Tous mes remerciements à Eskidell de RPGnet pour avoir posé la question sur la torture dans ce fil de discussion.)

Imaginez les histoires

(image tirée du jeu Pathfinder)

Est-ce que vous vous rappelez la fois où vous vous êtes frayés un chemin jusqu’au fond du donjon, vous n’aviez presque plus de potions de soin et vous étiez tous blessés quand vous avez vu le dragon en face, reposant sur son trésor, les yeux scintillants dans les épaisses ténèbres ? Alors tous ensemble, malgré le fait que vos personnages étaient fatigués, défoncés et maltraités et qu’ils auraient pu facilement rentrer à la maison, lever une armée et revenir tuer la bête en ne prenant aucun risque, vous vous êtes dit : « Et merde, allons-y. Imagine les bonnes histoires que ça va faire. »

Battez-vous pour être comme ça tout le temps. Imaginez les histoires, grandes et petites et aidez-vous les uns les autres à les raconter.

Article original : Stanislavski vs Brecht in tabletop roleplaying

Sélection de commentaires

Blueluck

Ce sont des conseils formidables, qui je pense indigneront de nombreux joueurs.

Un sergent instructeur de ma section nous donna un excellent conseil pendant nos classes à l’armée : « si vous trichez pas, c’est qu’vous essayez pas ». Il ne voulait pas dire que nous devions tricher à nos tests ou enfreindre les règles (très strictes). Il disait que, pour réussir, tu devais vouloir enfreindre les règles que tu imaginais exister.

Par exemple, nous n’étions pas censés savoir quand certaines choses arriveraient, comme les inspections surprises. Mais nous avons récupéré les horaires dans son bureau et les avons recopiés. Le matin de l’inspection « surprise » suivante, nous avons réveillé tout le monde une heure plus tôt, avons tout préparé, et passé l’inspection les doigts dans le nez ! Quand le Sergent Parr apprit ce que nous avions fait, il était si fier que je pense qu’il aurait pu se mettre à pleurer. Il ne pleura pas. Je suis assez certain qu’il n’avait pas de glandes lacrymales, juste une paire de glandes à testostérone supplémentaires. [Comme punition], il nous ordonna de faire une pompe. Une seule.

Dans les JdR, tricher pour « gagner » n’est pas très sympa. Ne trichez pas à vos jets de dés, n’augmentez pas les caracs de vos persos en douce, etc. Toutefois, on devrait tous utiliser toutes les ressources à notre disposition pour créer une histoire formidable. Faites fuiter le Sombre Secret de votre perso, de façon à ce que ça lui amène des soucis, même si « il n’en parlerait à personne ». Prenez une mauvaise décision tactique, afin de permettre à quelqu’un d’autre de briller sous les projecteurs. Modifiez un peu votre PJ pour qu’il ou elle s’insère mieux dans l’intrigue [et dans] le groupe (4).

Faites du méta-jeu pour obtenir une meilleure partie

Si vous trichez pas, c’est qu’vous essayez pas.

pdunwin

Excellent. Mon professeur d’improvisation nous a parlé de “la marionnette et le marionnettiste”: nous jouons des personnages sur scène, et nous les jouons bien – ce sont les marionnettes – mais nous devons nous souvenir que la scène doit mener quelque part, doit soulever des questions intéressantes et peut-être y répondre – et ça, c’est le domaine du marionnettiste.

Tu parles d’oser placer son personnage dans des situations intéressantes, plutôt que dans des situations optimales mais stériles. C’est une notion très importante, mais la plupart des JdR ne récompensent que la deuxième catégorie. D&D est le coupable le plus connu, malgré le nombre de fois où les joueurs et les joueuses disent « Et merde, allons-y. Imagine les bonnes histoires que ça va faire. ». Les soi-disant « jeux d’histoires » comme Spirit of the Century grog [système FATE orienté partage de la narration (NdT)] et Fiasco réussitecritique [racontez l’échec retentissant des plans de votre perso (NdT)] reconnaissent ce problème et le gèrent avec des mécanismes incitant au choix le plus intéressant. Placer son perso dans des situations intéressantes devient alors une façon de jouer « optimale ».

Dans les JdR, je n’ai pas vu beaucoup d'efforts pour limiter la négation. Microscope helvete aborde le problème d’une façon intéressante, mais implique fondamentalement de cloisonner le moment où chaque participant peut proposer des choses, et ce jeu a un mécanisme de vote bizarre. Ce qui aide, je trouve, c’est quand le ou la MJ soutient les idées des joueurs.euses, dit « Oui, et… » quand tous les autres participants veulent intervenir en disant « Non. »

Parce que ce qui motive beaucoup les négations, c’est que les joueurs se sentent obligés de réduire toutes les conséquences négatives à l’avance, de façon à ne laisser au MJ rien qu’il puisse « utiliser contre nous ». Un.e MJ qui adopte l’approche de ne pas utiliser les idées des joueurs « contre » eux, fait le premier pas pour créer la confiance nécessaire qui permettra plus tard de leur dire : « bon, je pense que ce serait chouette si quelque chose ne se passait pas comme prévu. Que l’un.e de vous me dise ce qui arrive »

Shane (en réponse à pdunwin)

Une fois, on a fait jouer une partie de convention, où le destin des PJ était de tout perdre – c’était le but de la partie, c’était écrit dans la présentation et on l’a répété à tout le monde au début de la séance.

Ça impliquait que quand les PJ tentaient quelque chose, ça devait échouer, ou ne réussir que partiellement. Nous avons découvert que la meilleure manière d’y parvenir, et de loin, était de demander au joueur ou à la joueuse : « [ton idée] a l’air très bonne. Mais nous savons qu’elle ne va pas marcher. Alors dis-moi. Où est ce que ça déraille ? »

Cela a déstabilisé un temps certaines personnes, mais chaque joueuse a inventé un point d’achoppement intéressant, et elles mirent beaucoup d’enthousiasme à faire merder [leurs propres plans]. J’ai adoré cette partie.

Paul Unwin (en réponse à Shane)

Excellent exemple. Mes joueurs étaient impliqués dans le vol d’un objet nécessaire au scénario, et je leur ai dit que je ne voulais pas qu’ils l’aient tout de suite, mais qu’ils pourraient quand même obtenir une forme de réussite. Ils étaient d’accord ; mais une joueuse tenta aussitôt de mettre l’objet dans un Sac sans fond [le rendant très facile à transporter (NdT)] – exactement le genre de raccourci que D&D fournit en si grand nombre, et qui rendent ce type de scènes classiques [de cambriolages ratés (NdT)] difficile à réaliser. Nous lui avons rappelé que nous avions convenu que les Personnages-Joueurs allaient échouer, et elle a accepté.

Ang

Super article. Je pense que plus je joue, plus quelqu’un qui reste obstinément dans son personnage et qui fait dérailler une partie est devenu ma bête noire. Si l’amusement des autres participants à la table de jeu est gâché par les actions « obligatoires » de ton personnage, alors il est temps de prendre du recul.

J’ai vraiment apprécié cet article ainsi que 11 manières d'être un.e meilleur.e joueur.euse de jeu de rôle ptgptb. Tu as raison d’y remarquer qu’on trouve pleins de conseils pour les MJ sur le Net et ailleurs, mais si peu de conseils pour les joueurs et les joueuses.

Nick

Vraiment un bon article, Grant! Il me parle et me touche personnellement, surtout à cause des comparaisons entre Stanislavski et Brecht. Un peu de théorie théâtrale mène parfois loin !

Je pense que ce que tout le monde doit comprendre dans le fait de jouer à un JdR, c’est que, dès que tu t’assois à la table avec d’autres personnes, tu acceptes un contrat social tacite avec eux. Dans le fond, ce contrat déclare que vous allez travailler ensemble pour créer une histoire pleine d’imagination et divertissante, et que chacun fera un effort collaboratif (tant le ou la MJ que les joueurs) pour atteindre ce but. Je pense que ton astuce n°4 de 11 manières… le dit encore mieux :

« Ton personnage fait partie de l’histoire, ce n’est pas l’histoire de ton personnage. »

J’en parle encore davantage sur mon blog (en) – très inspiré de tes articles sur Look Robot, mais l’idée générale est que pour que le processus du jeu fonctionne correctement, chaque participant doit comprendre certaines choses. Tu l’as assurément dit avec bien plus d’éloquence que je ne pourrais le faire, donc merci de partager tes réflexions.

L’autre chose qui me paraît importante à noter, c’est que je trouve que certaines personnes qui ont lu 11 manières… prenaient les conseils un peu trop au premier degré. Dire « N’entravez pas, extrapolez ! » ne veut pas dire qu’on vous interdit totalement de vous opposer aux autres persos. Ça ne signifie pas qu’on interdit au Moine d’empêcher le Guerrier de tabasser un PNJ quelconque dans une taverne ; ça veut dire que le Moine devrait trouver un moyen de réagir après coup, afin de créer une scène plus intéressante. Appelons ça « la création d’histoires cumulative » : le Moine qui empêche toujours le Guerrier de cogner les péquins revient à la formule 1-1=0. Si le Guerrier frappe le client, et qu’ensuite le Moine intervient, on a changé l’équation pour 1+1=2. On continue à ajouter [des complications] à l’équation, en extrapolant, et en créant une histoire plus intéressante grâce à ça. Si l’équation donne 0, tout le processus accouche d’une tentative ratée, et on a créé [une scène] sans aucun intérêt, ce qui est de loin le plus grand Tueur de parties de JdR de l’univers.

Alors peut-être que le Moine décide de prendre le PNJ sous sa protection : ajoutez +1 à la scène. Ou peut-être que le couillon décide de coller son poing dans la face du Moine, en le prenant pour un autre ennemi ; ça créerait sans doute une situation +2, puisque le Moine et le Guerrier devront tous deux réagir à cette nouvelle menace.

Peut-être que quelqu’un qui assiste à la rixe court prévenir la garde de la ville, donc maintenant il y a un temps limite : +1. Peut-être que dans l’arrière-salle de la taverne il y a une bande de criminels qui ne souhaitent pas attirer l’attention de la garde, et là ils s'intéressent de près aux fauteurs de troubles au comptoir ; c’est au moins une situation à +2, encore qu’elle offre la possibilité de plus d’additions [de facteurs] au fur et à mesure. En fait, ça revient juste à « Oui, mais », ou « Oui, et » qui sont les pierres angulaires du théâtre d’improvisation : on veut toujours aller de l’avant, jamais en arrière.

Quoi qu’il en soit, je voulais te remercier pour tes réflexions ! Elles sont bien accueillies, tant par la population générale que dans mon propre groupe de jeu. Salut !

Kye

Pour ceux qu’un avis différent intéresserait…

À mon avis, transporter le paradigme du « dites oui » du théâtre d’improvisation au JdR sur table n’est pas très utile. C’est une règle d’impro élémentaire parce qu’on ne peut pas y faire de métajeu, revenir en arrière et modifier les choses. En impro il n’y a pas de règles pour déterminer qui a raison ou qui gagne quand quelqu’un dit non ; dire « non » casse la fiction et détruit le spectacle.

– Salut Dan mon frère ; je suis content de te revoir. Je reviens des obsèques de notre chère vieille mère et… 

– Non ce n’est pas vrai. Je ne vous ai jamais vu de toute ma vie ! (5)

[L’histoire] est démolie tout de suite. C’est bon pour [l’humour absurde des] Monty Python, mais ce n’est pas ce que vous voulez en impro.

Dans le Jeu de Rôles cependant, on peut utiliser les règles pour déterminer qui a raison (6). On peut aussi faire du méta-jeu, comme mentionné abondamment dans tes articles ; communiquer au niveau des joueurs et des joueuses ; revenir en arrière et réparer les erreurs : il n’y a pas de public (à part les participants eux-mêmes) nécessitant un déroulement sans interruption.

Les gens mélangent souvent « Dites oui » avec la maxime de Vincent Baker « Dites oui ou lancez les dés », ce qui à mon avis est bien plus pertinent pour (nombre de) JdR.

(Vous dites oui et continuez jusqu’à ce que l’enjeu soit important ; alors vous vous référez aux règles. Pour les MJ : avancez la partie et dites oui à tous les aspects sans importance ou sans intérêt, mais utilisez les mécanismes quand quelque chose d’intéressant ou d’important survient.)

En d’autres mots :

  • s’il n’y a pas de conflit ni d’enjeu, dites juste « Oui ».

  • S’il y en a, le « Oui, mais » rôliste devrait prendre la forme suivante : « Oui, mais seulement si tu réussis ce jet de dé/vaincs l’opposition/sacrifies cette ressource de ta feuille de perso ».

Ang (en réponse à Kye)

Je pense qu’ici, le conseil “Dites oui” s’adresse plus aux joueurs.euses qu’aux MJ. La plupart des bonnes MJ avec qui j’ai joué savent bien gérer la version du « Oui, mais » dont tu parles, où les MJ savent encourager les joueurs et joueuses, mais empêchent aussi la partie de partir en délire, grâce au système de règles.

Cependant, il y a encore de trop nombreux joueurs dans le milieu, qui s’ancrent tellement dans leur personnage qu’ils et elles ne font plus attention au caractère plus général de la partie en cours, et parfois ils gâchent la partie des autres.

Il y a quelques temps, j’ai essayé de mener une campagne où la moitié des joueurs étaient du genre « participants de matchs d’impro », et l’autre moitié étaient des« acteurs façon Stanislavski », fermement attachés à la mentalité et aux motivations de leur PJ. Nous avons joué quelques séances et la plupart se déroulèrent dans un seul lieu parce que les « stanislavskiens » campaient sur leurs positions et empêchaient que la trame avance, ou [que les PJ] fassent quoi que ce soit. Cela me rendait malheureuse en tant que MJ. Plutôt que de conter une histoire ensemble, qui implique tous les personnages, j’ai passé mon temps à siffler comme une arbitre ceux qui étaient plus dans l’idée de se la jouer obstinément perso. La campagne aurait été plus réussie et plus amusante pour tout le monde si ces adeptes de la méthode Stanislavski avaient fait attention à la partie dans son ensemble, et pas seulement à leurs propres histoires.

threespinedstickleback

Je joue actuellement dans deux groupes. L’un a toujours été très amusant depuis plus de 5 ans. L’autre est plus récent, et a bien marché pendant un an et demi ; mais depuis 2-3 mois, les parties sont devenues très frustrantes après l’arrivée d’un nouveau joueur. Je ne suis pas arrivé à mettre le doigt sur la cause du problème, car nous sommes tous des joueurs.euses expérimenté.es qui en théorie devraient vivre ensemble des aventures épatantes. Je devrais avoir la capacité de pouvoir m’adapter et à m’intéresser à certains aspects de la campagne, mais je me retrouve constamment dégoûté par ce qui se passe en partie, et avec le désir de plaquer le groupe.

Je vois maintenant que les joueurs de mon premier groupe comprennent tous l’importance du méta-jeu, et que dans le second groupe, les joueurs les plus impliqués (les deux autoritaires qui prennent les rênes de l’histoire et piétinent l’autre joueur et moi) ne le comprennent pas, ce qui bloque complètement l’histoire. Ils rejettent toujours les plans et idées de mon personnage. Celui-ci n’était pas apprécié par le PJ leader, et a été écarté des interactions, mêmes celles dont il est le spécialiste.

Le nouveau joueur n’aime pas le combat, et détourne les PJ des situations de combat, au point où la MJ a tenté de créer une règle maison pour diminuer les dégâts que les PNJ pourraient infliger, afin que les combats soient moins « effrayants ». Et ainsi de suite.

Le roleplay pour le roleplay est très amusant, mais il y a un degré où ça se transforme en masturbation ennuyeuse : quand le roleplay ne mène pas à des possibilités d’impliquer les autres PJ – quand il ne fait avancer ni les personnages ni l’intrigue. Je ne pensais pas qu’il existât une chose comme « trop de roleplay ». J’avais tort.

J’aimerais bien pouvoir les obliger à lire cet article, tant il met clairement en lumière les problèmes. Ces deux-là sont toutefois très fiers de leur compétence en roleplay.

Je vais sans doute juste abandonner le second groupe au lieu de démarrer une discussion ou une dispute improductive sur les techniques de roleplay ; mais c’est vraiment bien de voir clairement le problème. J’étais en train de remettre gravement en question plus de 15 ans d’expérience rôliste, en me demandant si le problème venait de moi. Merci.

Jason Packer

Grant, ce que tu décris dans l’article est le grand fossé qui s’est ouvert entre deux types de façons de jouer, quand les gens ont commencé à aller dans l’une ou l’autre des directions, axées soit vers davantage de narration, soit vers plus de simulation.

Nous convenons tous deux que l’histoire n’est pas écrite d’avance (ou au moins, ne devrait pas l’être), donc qu’il n’existe pas d’intrigue que nous devions suivre avec application. Mais là où tu nous verrais prendre des décisions principalement au service de cette intrigue, d’autres préfèrent œuvrer au service de leurs personnages, et permettent à l’intrigue d’émerger, organiquement, de nos actions en-personnage (7).

Nous faisons certainement du méta-jeu – surtout avant le début de la partie ; nous devons en particulier prendre soin de nous assurer que nous avons inclus un degré de cohésion de groupe qui facilitera le développement d’une histoire qui nous implique tous, plutôt que d’improviser façon match d’impro. C‘est pourquoi plein de parties de JdR « ouvertes » s’en tirent si mal du côté du roleplay – si vous n’investissez pas du temps avant la partie à établir des relations entre PJ et à partager des idées, vous aurez besoin de dirigisme pour vous assurer qu’il arrive quoi que ce soit d’intéressant.

Donc, la manière de jouer orientée vers les personnages est souvent plus difficile, et pour que ça se passe bien, elle requiert des joueurs et des joueuses plus mûr.es émotionnellement ; mais quand ça marche, c’est souvent bien plus satisfaisant.

Ret

Cet article a fait résonner une corde sensible en moi.

J’ai participé à une campagne qui se déroula chaque semaine pendant… oh, quatre années ? Ensuite je la quittai (du fait que je n’étais plus lycéen et que je devais gérer les horaires universitaires), et la campagne se poursuivit encore deux ans sans moi. Mais j’étais là au début. 

Mon perso, Accel, était du genre imprudent – absolument « Bon » et altruiste, mais il se décidait vite, et se trompait souvent parce qu’il n’avait pas assez réfléchi. Une fois, alors que nous allions libérer un PNJ allié capturé lors d’un conflit entre deux entités, j‘ai confondu les deux factions, et Accel déclara joyeusement au « mauvais » camp que le groupe était là pour libérer leur prisonnier. Nos persos finirent captifs, à côté du PNJ, et leurs tentatives d’évasion furent sans doute plus drôles que la mission de rescousse générique qui était prévue. Accel pouvait être un peu bête, et je l’aimais pour cela.

Pendant que je cherchais à m’assurer que les réactions de mon perso conviennent aux besoins de la campagne : trouver des raisons pour que tous les PJ soient amis, ne pas diviser le groupe, etc. – tout en restant « en personnage » dans des séances intenses en roleplay, une autre participante avait une approche différente, où l’interprétation était bien plus importante que tout le reste. Elle voulait raconter une histoire – et bien qu’assurément elle était douée pour ça – cela signifiait que le reste d’entre nous ne s’amusait pas, alors que notre objectif premier était de nous marrer.

Son perso, Faye, était au centre de l’intrigue principale de la campagne. Faye était moitié personne normale, moitié avatar du dieu majeur de ce monde ; et alors que nous trouvions tout ça sympa, son approche de la situation difficile de son perso fut « mes amis seront blessés. Je devrais les laisser à l’écart et le faire moi-même ».

Je répète : « je devrais fuir le groupe et éviter délibérément de les impliquer dans les aventures. »

Il y eut probablement 5 ou 6 incidents majeurs où Faye fila en douce, et soit nous échappa, soit tenta de le faire mais fut rattrapée par le reste du groupe. Pour nous, une seule fois suffisait, vu que c’était une campagne à forte composante roleplay. Nous comprenions de facto comment le personnage fonctionnait. Mais deux fois ? Trois fois ? Cinq ? À la fin cela devint très frustrant, mais le MJ ne nous autorisait pas à partir de notre côté pour faire autre chose, parce qu’il voulait qu’on parte à la recherche de Faye chaque fois.

Là où je veux en venir, c’est que lorsque nous, en tant que joueurs.euses, décidâmes d’en discuter avec elle (d’une manière polie, non-agressive, etc.), elle persista à dire que : « c’est ce que mon perso ferait. Je ne fais que l’interpréter ». Ça s’est passé après environ trois ans de campagne. Cette réponse reste toujours une grosse connerie, des années plus tard.

Je suis tout à fait dans le camp de Brecht ici. Bien que l’on puisse faire autant de roleplay que l’on veut, et j’ai bel et bien aimé le roleplay, il faut trouver la version de son perso qui fasse arriver les choses qui doivent arriver. Parce qu’il faut qu’elles arrivent. Le groupe doit rester ensemble – c’est comme ça.

La joueuse aurait pu trouver plein de solutions pour manipuler son perso comme un pantin (8), afin qu’il abandonne l’idée de « quitter-les-autres-pour-leur-propre-sécurité ». Mais elle ne l’a jamais fait.

Je crois que le problème des fugues a simplement cessé de survenir à la fin, sans vraie résolution. Mais si la joueuse avait réfléchi selon Brecht, cela aurait pu épargner beaucoup de frustrations àtout le monde à l’époque.

Morgenstern (en réponse à Ret)

“Faye fila en douce” – jamais je ne ferais cela à la table de jeu à moins que ce ne soit que pour quelques moments, comme une scène de quelques minutes – p.ex. quelques mots en privé entre un des autres membres du groupe et moi ; ou peut-être en étant éclaireur pour le groupe, vers qui je reviens avec des informations sur la situation immédiate, afin que nous puissions nous lancer dedans mieux préparés, et après avoir discuté ensemble de mes trouvailles.

J’ai joué une fois avec un MJ, ami proche, qui menait une campagne où nous finîmes par jouer des séances supplémentaires à l’occasion, rien que nous deux, juste parce qu’on se rendait visite de toute façon et que nous étions parfois d’humeur à roleplayer même si les autres n’avaient pas le temps. Donc mon personnage en quelque sorte « prenait la tangente » - entre les séances. Et il est toujours revenu avec des « bonus » ou des infos pour le groupe, faisant avancer la trame pour tout le monde.

Sur certains sujets, je ne voulais pas impliquer le groupe dans ces aventures ; p.ex.

  • Quand l’élue de son cœur s’est retrouvée dans les ennuis, mais pas au point où mon PJ ne pouvait l’en tirer seul

  • Ou la fois où un des amis de mon PJ – que les autres personnages-joueurs ne connaissaient que marginalement – lui a demandé de l’aide pour une dangereuse mission d’infiltration. Les autres persos n’étant pas discrets. Mais finalement tout est revenu vers le groupe – et ça n’a jamais retiré quoi que ce soit au groupe.

Ce que j’essaye de dire est sans doute ceci : on en revient à comment vous [le MJ] gérez ce genre de choses et quand. Si quelqu’un veut faire quelque chose dans son coin : très bien, faites une séance privée. Mais ne la jouez pas à la table; lors d’une séance en groupe, proposez une intrigue de groupe – et que tout le monde essaye de rester ensemble.

Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à ce que le/la MJ soit toujours l’unique coupable/responsable de [l’unité du groupe] si vous jouez le perso qui essaye de fuguer. Tous les MJ n’aiment pas le sentiment de devoir obliger les personnages-joueurs – et en fin de compte les joueurs – à suivre la trame. Les joueurs.euses ont besoin de PJ qui restent ensemble, font des trucs ensemble. Certains joueurs ne devraient pas laisser les autres rester assis pendant la majorité de la séance, à ne faire qu’écouter et se tourner les pouces. C’est l’autre moitié du contrat [social] du groupe.

Rickard Elimää

Il est possible de combiner les deux idées. Appliquez la méthode de Brecht si vous voulez plus de narration (storytelling), et celle de Stanislavski si vous cherchez l’immersion. Mais il est possible de combiner les deux, au moins dans les parties de JdR.

En lisant cet article, j’ai pensé à ce conseil aux joueurs dans Trail of Cthulhu grog (p.190-191) :

Oui, c’est un JdR d’Horreur ; (…) ceci dit, la manière la plus sûre d’échouer est d’adopter une attitude défensive et de ne rien faire. (…) Alors soyez audacieux et prenez l’initiative. Choisissez le type de risque terrifiant que vous êtes le plus à même d’affronter, et saisissez le taureau par les cornes.

(…) Ne vous attendez à trouver pas plus d’un seul indice majeur par scène

(…) une personne ordinaire pourrait être réticente à sortir et s’investir personnellement dans des enquêtes qui seraient mieux menées par des professionnels. (…) Acceptez votre bizarre nouveau rôle dans la vie et tirez-en le maximum.

Il me semble que c’est tout à fait brechtien – se rendre compte que c’est un rôle, et d’agir pour que des choses se passent. Toutefois, si vous voulez une partie d’Horreur qui fasse peur aux joueurs et aux joueuses, il vous faut aussi la méthode Stanislavski pour que l’Horreur transpire (bleed) ; c'est-à-dire quand les craintes du perso deviennent celle de son joueur.

Chaz

Tout ce truc de "laisser l’histoire se développer de manière organique", c’est ce qu’il essaye de te faire faire. Toutefois, en essayant d’avoir une telle histoire autonome, il faut se poser la question :

« comment est-ce que mon perso peut faire ce qui est dans sa nature, et en même temps faire avancer la partie ou l’histoire ? »

Par exemple, je joue un Gnome des roches, Rôdeur, bricoleur, hyper-curieux ; nous étions dans l’antre d’un gang de voleurs, essayant de racheter leur hostilité, et que fit mon perso ? Il se rendit à la table de roulette truquée, et utilisa ses talents de touche-à-tout pour la faire fonctionner à son profit. Donc, pendant que le groupe essaye de faire ami-ami avec les voleurs, mon gnome les dépouille…

C’était drôle ; ce que mon PJ allait faire était évident, et les autres PJ l’ont laissé faire ; ils ne lui sont pas tombés dessus pour le jeter dehors.

Fox

C’est un très bon article !

À un moment, quand mon groupe de jeu était encore assez récent, un de nos MJ se prit d’affection pour la règle maison « pas de fermiers », ce qui veut dire qu’on n’avait pas intérêt à lui filer un historique de PJ qui dirait en gros « je ne veux pas être le personnage principal ».

Ça m’a toujours embêté, donc quand j’ai commencé à mon tour à mener, j’ai écrit ce qui suit dans ma présentation de campagne : « Bien que les persos qui ne veulent pas être impliqués dans l’histoire ne me dérangent pas, leurs joueurs doivent vouloir coopérer avec moi pour déterminer comment le PJ se retrouve forcé à s’impliquer.» Cet article est une très bonne exploration en profondeur de ce principe.

J’irai même plus loin, et rappellerai aux joueurs et aux joueuses qu’iels ont aussi un peu de contrôle au-delà de leurs persos. Pas à l’échelle de modifier le monde, mais si tu dis que le déplacement de la serveuse croise celui de ton roublard juste au moment qui l’empêche de filer en douce avant que le Clerc ne s’aperçoive de son vol [autrement dit, si tu proposes de mettre ton perso dans les ennuis (NdT)], un.e MJ digne de ce nom n'empêchera probablement pas ta tentative de prendre le pouvoir sur l’univers de jeu. 

Quant aux puristes, qui ne peuvent jamais se résoudre à jeter des obstacles devant leurs propres persos, qui insistent pour jouer parfaitement en-personnage tout le temps, parce que sinon cela briserait l’expérience de jeu, laissez-moi vous rappeler que nous faisons tous des choses qui ne nous ressemblent pas à l’occasion. Nous tous, dans les moments de stress ou de chagrin ; par ivresse ou en compagnie particulière ; par égoïsme, saute d’humeur ou maladresse aléatoire – nous disons ou faisons des choses que nous ne considérerions pas conformes aux principes ou des caractères « normaux ». Si vous jouez votre perso généralement de manière cohérente, rien n’est brisé par un moment d’égarement - ou une décision atypique - qui sert l’histoire.

Je comprends que les gens ont différentes manières de jouer ; donc si tout le monde à votre table aime l’approche “chacun pour soi”, alors allez-y, faites-vous plaisir. Mais normalement, l’expérience qui définit un groupe de jeu de rôle, sur table ou par forum, est la coopération avec les autres. Si vous accordez plus d’importance à « l’action en tant que personnage » qu’à l’amélioration de l’expérience collaborative, alors vous vous estimez supérieur aux autres participants, ce qui est un moyen formidable d’être un connard à la plupart des tables de jeu.

Nick

D’abord, félicitations pour avoir écrit cet extraordinaire article ! Je suis MJ depuis 15 ans maintenant et je n’ai jamais lu d’article qui décrive d’une façon aussi concise tous les problèmes que j’ai jamais rencontrés avec les joueurs.euses.

Ce qui m’impressionne le plus, c’est la façon dont tu as amené Brecht et Stanislavski dans la réflexion. En tant que doctorant en Théâtre, je suis fasciné par l’idée. Mes amis théâtreux qui font du jeu de rôle (et j’en ai converti beaucoup à la cause) sont tous d’accord pour dire que le JdR est idéal pour les acteurs. Nous avons déjà tout appris sauf le type de dés de dégâts des Boules de feu selon les classes. C’est un formidable exercice d’improvisation.

Je voulais dire quelques mots sur Brecht et ses théories sur le théâtre épique wiki. Les non-spécialistes de Brecht traduisent en général Verfremsdungeffekt par « la distanciation », qui « rend étrange ce qui est familier ».

Comme Brecht était communiste, son idée était que l’immersion conduisait à l’apaisement du spectateur, ce qui le rendait complaisant, et que c’était donc mal. Une pièce qui ne vous fait pas réfléchir aux conséquences de vos actions sur le monde alentour est mauvaise. Si tout se finit nettement et toutes les actions qu’entreprennent les personnages aboutissent à une fin « heureuse », alors c’est une représentation exécrable.

La pièce est mauvaise et vous devriez vous sentir mal.

Dans une pièce de Brecht, les personnages font des choses qu’une personne saine d’esprit et rationnelle devrait trouver épouvantable. Et afin d’attirer l’attention sur cela, Brecht fit des choses qui brisaient l’immersion, comme des acteurs qui cessent de jouer et se lancent dans une chanson qui n’a pas de fin (bonne pioche de Jenny-des-corsaires, c’est un exemple parfait !). Idéalement, le public prendrait conscience du terrible monde qui les entoure, et quand les spectateurs quitteraient le théâtre, ils feraient quelque chose pour y remédier.

En tant que MJ, nous n’essayons pas d’inciter à faire la Révolution ; mais c’est bien que les joueurs et les joueuses prennent une minute pour sortir de leurs personnages, considèrent la situation, et décident alors de faire quelque chose qui continue de faire avancer l’univers de jeu. Je ne suis généralement pas un fan de Brecht, mais c’est une manière fascinante d’intégrer ces idées dans quelque chose dont je suis fan !

C.

Je voulais manifester mon appréciation pour cet article. Je suis un joueur débutant dans une campagne de JdR qui s’est effondrée il y a deux semaines, à cause d’un conflit entre joueurs au sujet d’un PJ. Je n’avais pas compris ma propre frustration alors, mais je la comprends maintenant. Nous avions un.e joueur.euse qui transformait l’aventure en son histoire personnelle ; refusait de transiger sur le roleplay pour favoriser le travail d’équipe ou l’histoire ; ne laissait pas les autres joueurs l’aider à améliorer les compétences sociales de son perso – qui étaient proches de zéro pour des raisons d’historique de perso (sans famille, il a grandi dans un orphelinat cruel)

Malheureusement cela a cassé le groupe ; mais je comprends enfin pourquoi c’est arrivé. Par chance, j’ai trouvé un nouveau groupe – je prévoyais déjà de partir – où tous les participants sont davantage conscients que le jeu de rôle est une activité collective.

Je vais enregistrer ce formidable texte, afin de l’envoyer à l’avenir à toute personne qui en aura besoin.

(1) NdT : Unwritten est souvent jouée aux États-Unis lors des cérémonies de remise des diplômes, car elle parle du champ ouvert des avenirs possibles. Le premier couplet pourrait s’appliquer aux personnages-joueurs :

Je suis non-écrit
(tu) ne peux lire mon esprit
je suis indéfini
je n’en suis qu’au début
le stylo en main
la fin imprévue
Contemplant la page blanche devant toi…

[Retour]

(2) NdT : ce conseil – de pousser son perso dans les ennuis – rappelle beaucoup les motivations narrativistes de créations d’histoires dramatiques, telles que développées dans la série Mener des jeux d’histoires [Retour]

(3) NdT : les conflits moraux et les dilemmes enrichissent les intrigues des aventures. Lisez nos articles sur la moralité, le bien, le Mal, pour vous en convaincre [Retour]

(4) NdT : ces conseils ressemblent beaucoup à un B A-BA du narrativisme, tel qu’expliqué par exemple dans la série fondatrice des « jeux d’histoires » de La Trousse à outils interactive ptgptb ou « l’Art du Conteur » de White Wolf. Mais trop chercher à dramatiser, à « créer des problèmes », « faites fuiter son Sombre Secret pour rendre l’histoire plus intéressante » aboutit parfois à l’affrontement entre PJ, ou qu’un perso soit obligé de quitter la campagne pour cause d’incompatibilité avec l’histoire ou le groupe. D’où l’importance du conseil suivant : « Modifiez un peu votre PJ pour qu’il ou elle s’insère mieux dans l’intrigue et dans le groupe » - le méta-jeu n’est pas strictement égal au narrativisme. [Retour]

(5) NdT : on dirait cet extrait de L’Improvisation au théâtre en tant que méthode, outil et déclaration politique ptgptb :

…ne dites pas « non ». Cela signifie que vous acceptez tout ce que les autres personnages de la scène vous lancent. Si quelqu’un dit « Est-ce ton éléphant ? », vous ne pouvez pas répondre « Il n’y a pas d’éléphant ».

Cet interdit mérite de s'appliquer aux rôlistes [Retour]

(6) NdT : déterminer quelle proposition « on est frères et notre mère est morte » ou « on ne se connaît pas » va l’emporter. En jargon de théorie rôliste, on se demanderait qui détient l’Autorité narrative. Généralement c’est la MJ mais alors les joueurs ne peuvent rien faire? … Lire Le Truc Impossible Avant Le Petit Déj’ ptgptb [Retour]

(7) NdT : à rapprocher des techniques de mener une partie sans préparation, p.ex. dans cet extrait d'article ptgptb :« Mon expérience est que si l’univers de campagne est assez riche, alors une direction générale finira par émerger de l’interaction entre les joueurs et le monde de jeu. ». [Retour]

(8) NdT : en théorie du Big Model, on parle de posture pour les différentes manières de considérer les réactions de son personnage : Acteur ≈ immersion et méthode Stanislavski ; Auteur/marionnettiste ≈ métajeu ; Metteur en scène ≈ narration partagée. Voir ici pour la théorie et pour une présentation plus amusante. [Retour]

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Pour aller plus loin…

Pour des meilleures parties pleines d’action, Osez être stupide ptgptb vous conseille de laisser la prudence dans votre loge…

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