Critique de : Destinées*

Note 1 : Cette critique est basée sur le « kit presse » (PDF) du jeu de rôles Destinées*. Nous ne savons donc pas s’il s’agit de la version définitive et ne pourrons pas non plus faire de commentaire quant à la qualité d’une éventuelle version papier.

Note 2 : Cette critique est établie sur une lecture attentive des règles et sur la création d’un personnage « typique », mais je n’ai pas joué à Destinées*. Il faut donc la prendre comme un ensemble d’impressions laissées auprès d’un vieux routard du jeu de rôle davantage que comme une critique après test.

La couverture

Couverture Destinées*

Avec Betty Boop et Popeye d’un côté, ainsi que des héros historiques (gladiateurs, pirates, soldats de la deuxième guerre mondiale) ou presque (Sherlock Holmes) de l’autre, la couverture de Destinées* indique clairement la volonté de généricité de ces règles, avec un clin d’œil appuyé du côté de la fiction, littéraire ou bédéesque.

Le PDF – forme

Le PDF est rédigé de manière très claire, en une seule colonne de texte, ce qui le rend agréable et fluide à lire sur un écran de tablette, beaucoup moins si on consulte une impression papier du PDF. Les illustrations sont plutôt rares et, dans l’ensemble, paraissent provenir du domaine public. En outre, et contrairement à ce que laissait présager la couverture, toutes les illustrations sont à thème « pirates ».

Le PDF – contenu

L’Introduction

Au lieu de ressasser des notions déjà connues ; l’introduction décrit plutôt ce qui distingue Destinées* d’autres jeux de rôles, à savoir son côté ludique (via la notion de bluff, cf. la dépense de PE expliquée plus bas) et l’intention des auteurs de le destiner à l’initiation (ce qui pour le coup est légèrement contradictoire avec le choix des rédacteurs de ne pas réexpliquer ce qu’est un jeu de rôle…). Destinées*est un JdR générique, qui devrait permettre de jouer dans n’importe quel univers.

Création des personnages et avancement.
Un personnage de Destinées* est défini par des mots-clés ouverts associés à des valeurs numériques. Le cadre des exemples étant le monde de la piraterie caribéenne au XVIIIe siècle, créons un PJ pirate pour illustrer ces règles.

Pablo Samper
Casse-cou (3)
Fin tireur (2)

On peut ajouter des mots-clés jusqu’à un total de 5 points de valeurs numériques, c’est pourquoi je n’en ai que deux.
En revanche des mots clés négatifs donneront des points supplémentaires. En introduisant un mot-clé négatif (piètre nageur) mon PJ peut ainsi devenir :

Pablo Samper
Casse-cou (3)
Fin tireur (2)
Piètre nageur (1)
Sixième sens (1)

On ajoute ensuite un historique au PJ sur le même modèle :

Pablo Samper
Fils de clerc de notaire (3)
Soldat déserteur (2)

Le PJ est également défini par des caractéristiques, comme dans les JdR les plus classiques, puisqu’il faut répartir 8 points dans six compétences ; trois compétences physiques (HABileté, AGIlité, FORce) et trois compétences psychiques (PERception, EMPathie, INTellect). Aucune compétence ne peut recevoir davantage que 4 points.

Pablo Samper
HAB 2
AGI 3
FOR 0
PER 2
EMP 0
INT 1

Ensuite on répartit 12 points de compétences parmi un nombre fini de compétences établies par le MJ selon le cadre de jeu que ce dernier aura choisi.

Pablo Samper
Acrobatie 4
Escalade 2
Esquive 1
Lancer 1
Langages 1
Mousquet 2
Survie 1

On équipe alors son perso, toujours via des valeurs numériques, pour un total de 3 points.

Pablo Samper
Coutelas 1
Solide corde 1
Trousse de soins 1

Enfin, le PJ reçoit 12 points d’énergie (PE) qui servent à augmenter les chances de réussite lors des tests.

Un chapitre sur les PNJ vient utilement compléter celui sur la création des personnages-joueurs, avec l’introduction de quelques petites différences entre PJ et PNJ, et un distinguo désormais classique entre « boss » et « figurants ».Le chapitre suivant détaille les règles d’acquisition d’expérience et de progression des PJ ; globalement de nouveaux mots-clés ou des augmentations dans ceux qui existent déjà. De manière relativement originale, les PJ peuvent également acquérir de l’expérience négative, comme par exemple « Recherchés par les Espagnols (1) », généralement de manière collective.

Système

Les mécanismes de base de Destinées* nous sont enfin présentés.

Comme dans tout jeu de rôle classique, le mécanisme principal est le jet de dés pour tenter de réussir une action. Ce test s’appelle une « épreuve » et consiste à dépasser un seuil de difficulté fixé par le MJ via une somme de caractéristiques, de compétences et de mots-clés du personnage.

L’originalité de Destinées* est que cette dernière valeur est fixe alors que la difficulté est variable – c’était l’inverse dans tous les JdR basés sur ce principe que j’ai pratiqué.

Exemple : je joue à Star Wars D6 et je veux sauter par-dessus un ravin pendant que des soldats impériaux me tirent dessus. Le MJ décrète que je dois utiliser la compétence Saut (dans laquelle j’ai 4D) et que la difficulté est de 10 (les stormtroopers tirent très mal…) ; je dois donc faire 10 ou plus en lançant 4 dés pour réussir l’action.

Le côté intéressant du système est que c’est moi, joueur, qui décide quelles caractéristiques/compétences/mots-clés utiliser lors de l’épreuve, le MJ étant juste là pour accepter ou pour me dire « non là tu exagères ».

Voyons la même chose avec Destinées* : Pablo doit sauter par-dessus un ravin pendant que des soldats espagnols lui tirent dessus.

Je décide d’utiliser Casse-cou (3), AGI 3, Acrobatie 4 et Solide corde 1 : je lance la corde qui s’enroule sur une branche de l’autre côté du ravin, ce qui m’aidera à la franchir.

Le MJ remarque que Pablo n’est pas (encore) Indiana Jones et me refuse la corde. Il me reste Casse-cou (3), AGI 3 et Acrobatie 4, pour un total de 10.

Le MJ décrète que l’action est « difficile », il lancera donc 3 dés.

  • Si le total est inférieur à 10, Pablo aura franchi le ravin ;
  • s’il est supérieur, Pablo se sera raté lamentablement,
  • et s’il est égal, la situation est indécise (peut-être Pablo se rattrape-t-il in extremis à cette fameuse branche d’arbre, mais les soldats auront le temps de lui tirer dessus avant qu’il ne prenne la fuite de l’autre côté du ravin).

N’ayant pas joué à Destinées*, je ne sais pas si ce retournement du paradigme habituel introduit davantage de suspense ou pas, mais je dois dire que c’est un trait assez original qui distingue Destinées* de la myriade de jeux basés sur le concept « lancer de dés vs difficulté ».

Vous vous rappelez que chaque joueur a un pool de Points d’Énergie (PE) qu’il peut utiliser pour augmenter ses chances de réussite au moment des épreuves. Contrairement aux points de chance, d’héroïsme, etc. de maints autres jeux, ces points doivent être investis avant que le MJ n’annonce le seuil de difficulté et ne lance les dés – d’où le côté « bluff » annoncé dans l’introduction du livre. Ce qui me fait tiquer, c’est que pour le coup le MJ apparaît comme une sorte d’adversaire des joueurs plutôt que comme un arbitre neutre.

Les chapitres qui succèdent à celui d’exposition des mécanismes se concentrent sur un certain nombre de conseils/astuces/etc. à destination du MJ, notamment au niveau de la maîtrise du temps et de l’espace, de la gestion de l’initiative et des poursuites ; bref, tout ce qui fait le sel du jeu en-dehors de ses mécanismes de base.

Comme dans tout bon jeu de rôle, un chapitre entier est dédié au seul combat. Les PJ perdent des PE avant de mourir, avec quelques « chromes » sympathiques ; comme par exemple

  • des objets qui peuvent servir à parer, perdant leur valeur (du même ordre que les caractéristiques ou les compétences) avant que ce ne soit le PJ qui encaisse, ou
  • des postures offensives ou défensives.

À 0 PE, un personnage perd connaissance. Si les PE sont négatifs, le personnage « n’est plus jouable » (dixit la règle) ; selon les contextes on pourra considérer qu'il est mort, complètement fou, ou a perdu tout goût à l'aventure... seulement jusqu’à la prochaine aventure (puisque les PJ acquièrent et/ou récupèrent des PE à la fin d’une aventure).

Magie

Le chapitre suivant est dédié à l’introduction de la Magie dans l’univers de jeu. Le chapitre liste divers types de magie (rituelle, divine, spirituelle…) ainsi que les compétences magiques que le MJ devra leur associer. Malgré ces diverses formes de magie, Destinées* fournit des mécanismes universels pour simuler la Magie. C’est au niveau de la facilité d’acquisition des compétences et du coût des effets magiques que le curseur se déplacera entre des extrémités low et high fantasy.

Conclusion

À l’issue de cette lecture, Destinées* apparaît comme une base solide pour un système de JdR générique. Il manque encore selon moi au moins un bestiaire classique avec ne serait-ce que des animaux (chevaux, chiens, bêtes féroces) utilisables dans tous les univers pour avoir une idée des stats minimales à préparer pour des créatures  ; juste un Classement Monstrueux (un seul nombre, à la Tunnels et Trolls), ou une description aussi précise que pour un PJ (comme dans RuneQuest ?). En effet, le cadre choisi pour les exemples (la piraterie) est trop classique et « terre à terre » (même si les exemples sont en mer !) pour que le MJ débutant puisse aisément se rendre compte de ce qu’il devra ajouter comme règles supplémentaires – et donc comme travail personnel – pour un univers high fantasy ou space opera. Je pense que cet effort ne sera pas négligeable pour un MJ débutant.

Il me reste un second doute quant à l’attractivité du système vis-à-vis de joueurs et de MJ néophytes : le système, malgré sa base ultra-classique à base de somme de compétences/caractéristiques comparée à un seuil de difficulté, reste relativement abstrait au niveau du combat (pas de points de vie) et de l’utilisation optimale des PE.

Au final, je pense que la cible idéale de Destinées* serait plutôt les vieux grognards fatigués de livres de règles sans fin, mais capables de s’adapter aisément à des règles abstraites et dépourvues de solutions prémâchées à tous les cas particuliers que l’on peut rencontrer au cours d’une aventure (noyade, étouffement, poison, maladie, etc.).

Destinées* est disponible en version papier chez, entre autres, Philibert (12 € + frais de port) et en .pdf chez DriveThruRPG (5€ )
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