Critique de Chosen Ones les Protecteurs du Rêve
Par Gianni Vacca (c) 2020 PTGPTB team
Laurent Ka (Illustration – Bannière)
Présentation
Chosen Ones, les Protecteurs du Rêve est un jeu de rôle français publié par l’éditeur associatif Posidonia JDR se présentent sous la forme d’un livre tout en couleurs de 512 pages, relié, mesurant 30,5 cm par 21,5 cm. La couverture épaisse est très solide, à dos arrondi, et le livre est agréable en main. Deux marque-pages en tissu complètent cette très belle première impression. Globalement, il s’agit là d’un ouvrage qui fait belle impression dans une bibliothèque de rôliste.
La première de couverture et le dos indiquent « Chosen Ones, les Protecteurs du Rêve » mais le texte du livre utilise toujours « Chosen ones ».
Le prix de 49 euros pour un jeu de rôle complet et agréablement présenté me semble justifié dans le contexte du marché francophone.
La table des matières relativement détaillée, ne masque toutefois pas l’oubli d’un index qui me paraît pourtant indispensable pour un jeu de rôle au background aussi développé.
Les pages sont bien remplies, avec des marges petites et un texte justifié sur deux colonnes un peu trop proches. Si la police de caractères - sans empattement - donne un côté « contemporain » en phase avec la thématique du jeu, elle m’a paru un choix malheureux au vu de la densité du texte.
Les illustrations intérieures ne sont pas nombreuses, mais toujours en relation avec le passage où elles apparaissent. Il manque cependant quelques illustrations d’ensemble qui me permettraient de m’immerger dans le monde des Chosen ones. En particulier au chapitre 9 : Univers.
Pour continuer dans la forme, deux éléments m’ont particulièrement chagriné. Le premier est l’absence évidente d’éditeur, au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire quelqu’un d’extérieur à l’auteur et qui a le courage de lui imposer des coupes là où le texte est trop long. Car il y a du verbiage… beaucoup de verbiage !
Exemple choisi dans l’introduction du chapitre 7 : Règles.
Il existe donc différentes sortes de tests à Chosen ones, comme à nombre d’autres jeux de rôles et pour la plupart des joueurs chevronnés il n’y aura là que très peu voire pas de surprise. Pour les nouveaux par contre, lisez attentivement.
Ces deux phrases auraient pu être remplacées par :
Il est conseillé aux joueurs novices de lire attentivement ce chapitre. Les joueurs chevronnés, en revanche, ne devraient pas être trop dépaysés.
Voire simplement par :
Il est conseillé aux joueurs novices de lire attentivement ce chapitre / Joueurs novices, lisez bien ce qui suit !
Le second problème est le nombre relativement élevé de petites fautes, coquilles et autres accords du participe passé. Le livre indique pourtant quatre relecteurs ! Relevons aussi un « cf. p.xxx » ainsi que de nombreuses fautes d’accord. Je ne cherche pas la petite bête à l’auteur ou l’éditeur. C’est juste que pour un ouvrage soigné, c’est vraiment très dommage.
L’univers
Chosen ones est un jeu de rôle difficilement classable car il emprunte à plusieurs genres bien établis comme :
- la fantasy,
- la science-fiction,
- les super-héros et
- le cyberpunk,
...avec une impression générale qui se dégage différemment selon les chapitres. L’excellente introduction de six pages avec les aventures de Sesskil met immédiatement dans le bain, dans une ambiance entre le cyberpunk et le space opera ; en revanche le début du premier chapitre, avec le Néant, le Rêve, les Avaloniens, le Graal… me plonge résolument dans la space fantasy. Loin d’être des matériaux juxtaposés, on se rend compte à la lecture du jeu que tous ces éléments sont savamment entremêlés. Cependant cette richesse constitue simultanément une difficulté pour l’appréhension de l’univers de Chosen ones, élément que je préciserai plus loin.
L’action de Chosen ones se déroule au 31e siècle. Entre colonisation de l’espace par les humains et contact avec des races extra-terrestres, tous les tropes du space opera sont présents. Cependant les joueurs peuvent également opter pour des personnages maniant la magie, pour des mutants/super-héros, ou pour des personnages avec des implants. Tout cela dans un multivers où plane la menace d’un empereur maléfique aux pouvoirs mystiques.
En gros le Capitaine Kirk, Stephen Strange, Wolverine, Gally, Motoko Kusanagi et un netrunner sont réunis pour se battre contre Palpatine…
Le tour de force de Chosen ones est d’avoir réussi, via son background très riche, à rendre crédible ce genre d’assemblage hétéroclite.
Dans la chronologie alternative de Chosen ones, c’est au cours de la Seconde Guerre mondiale qu’a lieu le premier contact entre Terriens et extra-terrestres. Au cours du 21e siècle, la Terre rejoint le Consortium, sorte d’union politique où les entreprises comptent davantage que les nations, puis le Consortium subit l’attaque du Ravageur, un monstre armé de l’Épée de Dysharmonie, qui est vaincu in extremis par l’alliance du Consortium avec son ancien adversaire, l’Imperium des Tekalonnians (qui ressemblent furieusement à la créature du film Predator…)
Une période faste de paix et de croissance s’ensuit qui dure jusqu’au 23e siècle, lorsque le Consortium connaît de nombreux soubresauts religieux ainsi que l’apparition des méta-humains. Au 25e siècle, le Ravageur refait son apparition accompagné de B’yst, un ancien politicien du Consortium disposant de pouvoirs psychiques. Une guerre longue et destructrice fait alors rage, et seule l’intervention inespérée de dragons et de magiciens permet au Consortium de l’emporter. Cependant les troubles sociaux vont croissant dans un monde où l’humanoïde moyen est concurrencé par des métas, des cyborgs ou des magiciens.
Nouvelle étape au 27e siècle avec la découverte d’une nouvelle forme de vie dans le monde des programmes informatiques, ces nouvelles formes de vie pouvant elles-mêmes s’incarner dans des corps physiques : les Cybermancers.
Au final, le cadre de jeu de Chosen ones apparaît comme un multivers composé de quatre univers : la Réalité (notre monde), l’Æther (le monde des idées), le Cyberespace (le monde des programmes) et le Diamonde (le monde de la magie), tous quatre menacés par le Néant.
Illustration de Nemo Rafikink
Les personnages-joueurs
Les Personnages des Joueurs sont les fameux « choisis » du titre de l’ouvrage : des personnes éveillées au fait qu’il existe plusieurs univers, qui sont capables de passer de l’un à l’autre via des portails, et qui surtout vont lutter contre le Néant – la faction à laquelle appartiennent les adversaires des PJ.
De manière classique (cf. ci-dessous), chaque PJ a une profession, une race, un niveau, des caractéristiques, des compétences… Rien de vraiment révolutionnaire. Cela dit, si elle permet un degré certain de customisation, la création du PJ m‘a paru assez longue et complexe, puisque le joueur va devoir définir :
- sa race – il y en a toute une palanquée, dans la plus pure tradition du space opera,
- sa profession – il y en a pour tous les goûts, du hacker au pilote en passant par le chamane et le cyborg,
- ses neuf caractéristiques : Constitution, Force, Dextérité, Rapidité, Charisme, Intelligence, Instinct, Perception et Volonté. Leurs scores sont déterminés par des points à répartir et sont modifiées par la race du PJ
- ses avantages et ses inconvénients (étape facultative),
- ses compétences (via un choix dépendant en grande partie de la profession),
- l’achat d’éventuels équipements de cybernétique ou de biomécanique,
- divers « bonus » achetés via un système de budget assez touffu.
Les règles
Les règles de Chosen ones se veulent « classiques ». Ceux qui me connaissent savent que j’aime les systèmes Old School, face notamment aux jeux de rôle plus récents laissant une trop grande place à l’arbitraire ou au méta-jeu ; mais là je constate que Chosen ones est peut-être… un peu trop old school. P. exemple, la création des persos fait très années 1990.
Certaines caractéristiques m’ont même rappelé des JdR plus anciens tes que Légendes :
Zone d’influence
Représente la zone sphérique (en mètres) dans laquelle vous vous battez au corps-à-corps, et qui détermine la portée de certains de vos pouvoirs.
Elle est égale à : 2 + (Bonus rapidité + Bonus constitution)
Tests de compétences ou de caractéristiques
Le cœur du système, lui, est d’un classicisme de bon aloi. Pour réussir une action, le joueur lance 2D10, y ajoute son score dans la compétence testée et compare au seuil de difficulté fixé par le MJ.
Exemple : Dchad’o, la voleuse darkling, a une compétence Esquive de 10. Elle ouvre un coffre-fort piégé qui envoie un dard empoisonné. Le MJ considère qu’elle ne s’y attendait pas et que la difficulté est donc de 20. Le joueur de Dchad’o doit faire plus que 20 sur un jet de 2D10+10.
Lorsqu’un personnage ne possède pas la compétence correspondant à l’action, il doit tester la caractéristique associée à la compétence – dans le cas de l’Esquive, c’est la Rapidité.
Cependant le calcul est différent… au lieu d’ajouter le score de la compétence, le joueur ajoute le bonus de la caractéristique, mais le seuil de difficulté est accru de +3 par D6 de bonus.
Exemple de Dchad’o sans la compétence Esquive : sa Rapidité est de 12 (bonus = 1D6) ; le joueur doit faire plus que 23 sur un jet de 2D10+1D6.
Sachant qu’un D6 donne en moyenne un résultat de 3,5, je ne vois pas un grand intérêt à avoir une formule différente par rapport au fait de faire tirer un test de compétence normal, mais sans le bonus du score de la compétence. Et on ferait l’économie d’une formule supplémentaire.
Pour reprendre l’exemple de Dchad’o, au lieu de tester 2D10+1D6 vs 23, je ferais tester 2D10 vs 20. Même formule, même fonctionnement, simplement en décrétant qu’une compétence absente vaut 0.
Ça parait peu de chances, mais un des deux d10 - le dé de Destin – « explose » sur un résultat de 10 à l’aide d'un point de Destin. L’autre d10 - dé de Fatalité – se relance sur un 1 en dépensant un point de Fatalité. Cela permet d’éviter un mauvais coup du sort… ou de provoquer un échec critique. Ceci étant, ce n’est pas si différent d’un mécanisme de Point de Chance / de Destin qui désormais est assez commun dans les jeux de rôles.
Combat
Le combat est également d’un classicisme à toute épreuve. Les combattants agissent par ordre de Rapidité décroissante, une action chacun ; le nombre d’actions possibles par round dépendant de la Rapidité et de l’Instinct, certains combattants vont avoir des actions en sus après que d’aucuns auront épuisé les leurs.
Les actions de combat au corps-à-corps sont des tests en opposition, la marge de réussite indiquant directement les dégâts infligés. Le combat à distance, lui, est effectué contre une difficulté fixe.
Hélas le combat est alourdi de règles de fatigue (années 90 here we come) que je supprimerais si je menais une partie de Chosen ones (avec le confinement, je n’ai pas pu faire jouer le petit scénar que j’avais préparé).
Il y a également plein de petites règles qui ajoutent du chrome bien à propos pour un jeu de cette ampleur : recul, visée, tir de barrage, possibilité de se mettre à couvert, dégâts structurels aux objets…
Le combat entre vaisseaux spatiaux est régi par les mêmes règles, sauf que la qualité relative des vaisseaux et de leurs pilotes entre en compte et – petit détail sympathique – les hackers à bord de chaque vaisseau peuvent essayer de déstabiliser celui de l’adversaire !
Cadre de jeu et aventures
Les Chosen ones étant censés voyager entre les quatre univers du jeu dans le cadre de leurs missions, deux gros chapitres sont consacrés à la description des quatre univers, à la façon de voyager de l’un à l’autre, à la manière dont les caracs des personnages sont modifiées lorsqu’ils ne sont pas dans leur monde natif, aux adversaires qu’ils vont y rencontrer…
Cependant les Persos ont bien d’autres horizons pour leurs aventures : ils peuvent également rester dans la Réalité mais voyager dans l’espace lointain, au-delà des territoires connus du Consortium et de l’Empire de B’yst, voire dans d’autres époques au moyen du voyage dans le temps.
Dernières remarques
Vocabulaire
L’auteur – Emmanuel Long – a su créer des mots à consonance française et a su (globalement) éviter le franglais pour les aspects les plus originaux de son background (exemple : le Diamonde) ; c’est dommage qu’il ait gardé des termes assez connotés années ‘90 (Mana, ki…) pour d’autres aspects du jeu.
Un jeu bien d’cheux nous !
Comme indiqué précédemment, c’est au cours de la Seconde Guerre mondiale qu’a lieu le premier contact entre Terriens et extra-terrestres, contact qui mènera à ce que la Terre intègre le Consortium. Eh bien figurez-vous que Pétain, De Gaulle, mais surtout Jean Moulin ont joué un rôle dans cette histoire. Ces éléments historiques ancrant le cadre de jeu dans notre culture sont bienvenus : pourquoi les extra-terrestres atterriraient-ils toujours aux États-Unis ?
Suppléments
Une des grandes richesses de ce jeu, c’est très certainement la latitude considérable laissée aux joueurs pour personnaliser leur Personnage. Plutôt que de publier, comme de nombreux autres éditeurs, un « Manuel des Joueurs », Posidonia JDR a publié des livrets très bon marché (2 € !) récapitulant les règles de magie et les sorts, les pouvoirs, le matériel… ainsi chacun pourra s’acheter le ou les livrets dont il a besoin pour jouer et pour développer son perso. Il y a aussi un écran (20 €) et même des dés (15 €)
Conclusion
Chosen ones est un jeu ambitieux, au cadre fort attachant, et faisant preuve d’une claire volonté de ne pas brider l’imagination des joueurs : dans Chosen ones, vous pourrez jouer vraiment n’importe quel personnage de fantasy et de space opera, voire d’autres genres (super-héros, cyberpunk, méchas) qui vous passe par l’esprit – les règles sont là !
Cependant, il manque également un certain nombre d’éléments qui paraissent indispensables, justement pour un jeu de cette ampleur. En premier lieu, un chapitre « bestiaire » digne de ce nom : celui du livre est expédié en une page et demie et présente des animaux tels que le cheval, le loup, le tigre, quelques oiseaux, et le requin. C’est tout. Je m’attendais à trouver au moins quelques bêtes de somme ou des prédateurs exotiques, voire des créatures magiques ou hantant le cyberespace. Peut-être dans un prochain supplément ?
Précision de l’éditeur : Nous sommes bien conscients de la petite taille du bestiaire présent dans le livres de base, mais le bestiaire sera développé dans les différents suppléments. Le bestiaire présent a pour but de fournir les caractéristiques générales des rencontres les plus communes.
Le second élément qui m’a manqué est une carte de la Réalité, avec le Consortium et ses Dominions, l’Empire de B’yst, l’espace de la Frange… certes une carte en 2D de l’univers n’a pas beaucoup de sens, mais quelque chose du type des cartes de Star Wars m’aurait comblé.
L’éditeur nous répond : plusieurs suppléments sont déjà entamés, dont la première extension (l'expansion du rêve, titre non définitif) est en cours de rédaction, ainsi que l'atlas galactique qui viendra après.
Last but not least, il est dommage qu’un jeu de rôle avec un univers aussi riche, avec autant d’éléments de background… ne comporte pas de campagne ou tout au moins un scénario d’introduction afin que les joueurs soient confrontés de manière croissante au background et puissent l’assimiler petit à petit.
Il n’y a même pas d’instantanés (mini-synopsis de scénarios), pour que le MJ développe lui-même. Pourtant l’univers de jeu est très vaste, et un MJ débutant en aurait bien besoin.
L’éditeur Posidonia : c'était un choix voulu concernant le livre de base, nous travaillons sur le premier scénario qui est un module autonome du fait de la nature du jeu.
Une autre possibilité fournie par la richesse du background serait celle de pouvoir jouer à différentes époques, et pas uniquement en 3025 (hors voyage dans le temps). Une campagne située juste après la Seconde Guerre mondiale, après le contact avec les extraterrestres mais avant qu’il ne soit rendu public, avec des tensions entre gaullistes et opposants et en pleine guerre froide, pourrait sans doute être très riche en rebondissements.
Posidonia : Nous sommes en étude de la faisabilité pratique de la réalisation d'une campagne, travail conséquent. Nous informerons d'ici quelques mois du développement.
En dehors de cela, nous sommes en train de développer notre site internet qui comportera du développement de background, et d'éléments du jeu.
Pour aller plus loin…
La gamme chez l’éditeur
Interview de Emmanuel Long (l’auteur) chez Roar Renegade (chez qui nous avons récupéré l'information des auteurs des illustrations ;))
Mention légale importante
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