Jouer en duo sans MJ
© 2017 Gnome Stew
Avez-vous déjà vécu cela ? On est vendredi soir et vous voulez jouer une partie de jeu de rôle. Mais votre groupe est éparpillé partout en ville et ça prendrait tellement de temps pour se rassembler, qu’ils devraient de toute façon partir à peine une demi-heure après le début de la partie. Vous regardez donc votre petit.e ami.e, et il ou elle voudrait jouer aussi mais vous ne pouvez pas non plus fermer les yeux sur la pile de vaisselle qui s’accumule et la poubelle qui déborde. À ce moment-là, vos enfants débarquent et vous n’avez aucune idée dans quoi ils se ont pu se rouler mais maintenant il y en a partout sur les murs.
Comme ma femme est à l’université, nous n’avons pratiquement plus le temps de jouer. C’est un gros bouleversement pour moi ; durant ces dix dernières années, je maîtrisais deux fois par semaine pour la boutique du coin. J’étais en sevrage, pour le dire simplement. Même le jeu en ligne demande de s’arranger avec tout le groupe, et l’université, un emploi à plein temps et un très jeune enfant rendent cela difficile. Nous avons aussi pensé à mener une campagne en solo, mais cela voulait dire une personne de chaque côté de l’écran. Nous voulions donc un jeu de rôle que nous pouvions jouer et maîtriser tous les deux et qui puisse se mettre en place et s’arrêter rapidement.
Ce que nous avons décidé de faire fut de choisir un jeu de rôle avec des règles simples et familières (Microlite 20 grog [Une version très allégée de D&D (NdT)]), et de le coupler à un système qui nous aiderait à mener la partie : un émulateur de MJ. Les émulateurs de MJ sont des trucs vraiment spéciaux formant leur propre et unique catégorie de jeu, mélangeant le jeu de rôle sur table, la narration (storytelling) et une bonne dose de chaos.
Qu’est ce qu’un émulateur de MJ ?
Les émulateurs de MJ cherchent à aider les joueurs en solo à répondre aux questions auxquelles le système de règles choisi ne peut pas répondre. Un ensemble de règles ou système comme Donjons & Dragons est efficace pour gérer les questions liées à la résolution de conflits. Est-ce que mon personnage est suffisamment doué pour ouvrir ce coffre à serrure ? Pour baratiner le maire afin qu’il me donne les clés de la ville ? Pour un combat de sumo avec la Tarasque ? L’émulateur de MJ vous permet de répondre à des questions au sujet de l’univers de jeu. Les règles ne sont pas capables, ou alors seulement d’une manière rudimentaire, de vous dire si les gardes de la ville sont préparés pour le raid orc, ou si la planète que votre équipage vient de découvrir abrite une vie consciente. Vous pouvez arbitrairement répondre à cette question, ou vous pouvez demander à l’émulateur de MJ de vous générer une réponse.
CRGE (Conjectural Roleplaying Gamemaster Emulator – Emulateur de Maître de Jeu Spéculatif) est un émulateur parmi bien d’autres disponibles sur le marché. Vous pouvez le trouver en payez-ce-que-vous-voulez sur DriveThruRPG.
Le cœur du système fonctionne ainsi : vous posez une question binaire (« Est-ce qu’il y a au moins une chouette boutique d’objets magiques dans cette cité ? »), vous lancez 1D100 et vous vous reportez à une table qui vous aidera à expliquer ce que vous avez trouvé.
La plupart des réponses seront simplement oui ou non. « Oui, il y a une boutique géniale d’objets magiques pas loin. » Mais quand vous vous approchez de 0 ou de 100, les résultats commencent à devenir des « oui/non mais », puis « oui/non et » pour finir sur « oui/non et contre toute attente ». Les résultats « mais » diminuent le résultat : « Oui, mais elle est fermé car une Robe d’Objets Pratiques aidedd sauvage a foutu le bordel. » Les résultats « et » augmentent la réponse. (« Oui et il y a une offre : « une bouteille vide de potion offerte pour une achetée ». »)
La Narration est entre vos mains
Une fois que vous connaissez le résultat de la table, c’est-à-vous de l’interpréter. En fonction de ce qui a du sens pour vous, de l’histoire que vous voulez raconter, de la vision du monde par vos personnages ou d’un quelconque autre facteur qui vous vient à l’esprit. Puis vous développez là-dessus. Le système fournit juste assez de structure pour faire avancer l’histoire. Il ne la définit pas mais il la guide. À vous le plaisir de rajouter les détails.
Cependant, tout cela peut devenir trop confortable, il y a donc des résultats « inattendus » pour vous réserver des surprises. Ces options se situent aux extrémités de la table et il y a une liste à part de choses inattendues pouvant se produire, telles que des personnages (bons ou mauvais) qui surgissent à l’improviste ou des changements de scène qui vous forcent à terminer la scène en cours plus vite que vous ne l’escomptiez. C’est efficace pour garder les joueurs sur le qui-vive, et peut s’avérer très amusant en vous forçant à faire travailler votre imagination. Comment expliquez-vous l’arrivée d’un nouveau personnage dans une pièce fermée ? Comment concluez-vous une scène où vous n’avez pas encore accompli ce que vous souhaitiez ?
Règles optionnelles et lacunes
Il y a quelques règles optionnelles qui peuvent aussi s’avérer utiles. Des compteurs de charge sont ajoutés chaque fois que vous obtenez un simple résultat oui/non et chaque marqueur ajoute +2 au prochain jet, pour ne disparaître que lorsque l’on obtient autre chose qu’un simple oui/non. Ce petit ajout simple pousse le système à continuer à produire des résultats intéressants, vous évitant ainsi de vous retrouver avec des réponses banales pendant trop longtemps.
Une autre règle optionnelle est celle des trames narratives. Ces trames représentent des éléments narratifs sur lesquels vous voudriez que l’histoire se concentre. Il est important de tenir à jour une liste des trames actives car certains résultats « inattendus » vous demandent de passer d’une trame à l’autre. En fonction de vos personnages et de ce que vous pensez être la fin des [arcs des] histoires les concernant, vous pouvez ouvrir ou clore ces trames comme vous le souhaitez.
CRGE propose aussi trois tables de probabilités différentes en fonction du moment de la trame où vous pensez être, que ce soit celui de la découverte, du conflit ou de la résolution. Chaque table vous amène de plus en plus vers la conclusion (moins de réponses « et », davantage de réponses « mais »). Les trames narratives sont une super façon de garder à l’esprit les intrigues majeures quand vous tentez de tisser votre histoire. Faites un jet sur la table et un autre pour donner le contexte ? Choisissez une trame qui reste logique et liez les choses les unes aux autres.
En pratique, toutes les questions de l’univers n’ont pas besoin d’être résolues avec l’émulateur. Une bonne règle est de ne lancez un dé que pour aider à faire avancer la narration. Si vous décidez que quelque chose est naturel, ou très probable, un jet n’est pas nécessaire. Inutile de vérifier ce qu’il y a dans chaque pièce où vous entrez, ou dans chaque village que vous pillez. Si vous avez une réponse intéressante, suivez là plutôt que de vous défausser sur un lancer de dé. L’émulateur n’est là que pour fournir un cadre quand vous ne pouvez raisonnablement pas répondre à une question, mais il devrait être laissé de côté au profit d’une bonne histoire.
Si tout ça paraît compliqué, le pdf entier de CRGE ne fait pourtant que 32 pages et est principalement rempli d’exemples et de sources. Gardez à l’esprit que la complexité peut être ajustée comme vous le souhaitez pour votre partie. Ma femme et moi avons trouvé qu’après un ou deux lancés, il était plutôt facile de gérer tout le système pendant notre partie. Les règles optionnelles aident beaucoup à guider l’histoire, mais les joueurs qui se sentent à l’aise pour conter peuvent les trouver trop contraignantes. CRGE recommande aussi de garder une trace des trames, des développements de l’histoire et des compteurs de charge à l’aide de fiches. Ça permet aussi de débarrasser la table en un éclair. Pas besoin de prendre des notes : gardez juste vos fiches de côté pour la prochaine partie. Ça marche particulièrement bien quand notre enfant de deux ans décide de se réveiller de sa sieste au milieu d’une de nos séances de jeu.
Quand nous sentons que nous ne pouvons pas introduire un élément de l’histoire ou que nous avons besoin d’aide pour générer des personnages, des lieux ou des détails, nous nous tournons vers un générateur de donjon en ligne (en anglais). Si vous n’avez pas joué avec la pléthore d’outils disponibles sur ce site, vous devriez y jeter un coup d’œil.
Quel système choisir avec un émulateur de MJ ?
Nous avons choisi Microlite20 comme système car nous sommes des habitués des systèmes D20 et qu’il nous était donc plus facile de créer du contenu à la volée, ou d’utiliser les innombrables ressources que nous avons sur nos étagères. Avec Microlite, nous pouvons facilement conserver le livre de règles plus le livret de CRGE, les fiches et les dés, dansun endroit pratique sur nos étagères, ce qui signife que nous pouvons rapidement lancer une nouvelle partie.
Comme l’émulateur de MJ peut vous aider à répondre à des questions sur l’univers de jeu, nous avons volontairement laissé notre cadre ouvert, afin de l’enrichir au cours des séances. Nous avons fait un certain nombre de choix au départ sur ce que nous voulions dans la partie : par exemple nous voulions que les races non-humaines soient très particulières et avons décidé qu’il n’était pour l’instant pas possible de jouer des personnages non-humains. Avec quelques hypothèses simples, nous avons posé quelques questions à l’émulateur alors que nous jouions pour remplir les trous, utilisant parfois un générateur en ligne pour compléter des noms de places et de lieux.
Que retenir
Notre impression est que CRGE semble très bien fonctionner pour nous jusqu’à maintenant mais il y a des avantages et des inconvénients à utiliser un émulateur de MJ. J’adore le combat tactique, mais le CRGE ne fonctionne pas bien pour gérer la richesse des situations tactiques. Vous vous retrouveriez avec beaucoup trop de questions à poser avant d’avoir des réponses raisonnables si vous voulez gérer des trucs comme le mouvement des troupes ou le choix des cibles. Il y a, cependant, des systèmes alternatifs pour ce genre de cas (j’aime The Solo Wargaming Guide de William Silvester).
Il faut également décider comment gérer les résultats bizarres comme « oui/mais » ou « contre toute attente ». Il y a des moments où il semble que la situation ne réclame pas plus qu’une réponse binaire. Quand le système est pris en défaut ou porte à confusion, oubliez-le, prenez une décision et continuez à faire avancer la partie.
Une dernière remarque : ça ne ressemblera pas exactement à votre expérience de jeu habituelle avec un groupe complet. C’est vraiment différent, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Si vous cherchez à avoir une plus grande influence sur la narration, utilisez un émulateur de MJ vous libère des conventions et vous donne de nouveaux horizons à explorer.
Quelles autres solutions avez-vous utilisé pour mener de petites tables sans MJ ? Quel autre système pourriez-vous recommander à la place ?
Article original : Running a Solo Game GM-less
Cet article est tiré du blog de Gnome Stew, le Blog des MJ, et est reproduit et traduit avec la permission. Vous pouvez trouver les livres de Gnome Stew sur le site de Engine Publishing.
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Commentaires
Berzerk (non vérifié)
dim, 07/10/2018 - 12:51
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Émulateur de MJ
Merci pour la traduction de cet excellent article.
Pour ma part, j'utilise les cartes de Muses & Oracles - qui est en français - pour jouer en solo ou en Coop quand le jeu n'a pas de système dédié. CRGE est très bien aussi mais offre moins de possibilités d'inspiration que Muses & Oracles, à mon avis.
Nyrmun (non vérifié)
ven, 14/12/2018 - 10:41
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Ironsworn : un JDR avec émulateur de MJ intégré
J'ai découvert Ironsworn site officiel (https://www.ironswornrpg.com/), traduction fr http://ironsworn.pbta.fr/, intrigué par l'annonce que le jeu était jouable en mode "guidé" (avec MJ), "solo" ou "coop" (en groupe sans MJ).
Le jeu contient en fait toute une section "Oracles" permettant de générer des thèmes ou des situations, ou plus simplement de répondre à des questions binaires.
L'élégance du système est que cette section est plutôt utile pour un MJ en panne d'inspiration (ou cherchant à produire un peu d'imprévu), et vraiment confortable pour un jeu coop ou solo. Personnellement j'y ai surtout joué en coop (groupe de 2 personnages).
Petit plus : les tables (appelées "Oracles") collent plus à l'univers de jeu qu'un générateur "générique". Les PNJ et événements sont générés pour coller à l'ambiance voulu par l'auteur Shawn Tomkin, une sorte de fantasy à tendance gritty, (éloignée des stéréotypes de classes et races façon D&D) teintée d'éléments de survival (peuples non-humains distants et mystérieux, terre rude et peu colonisée, gestion de ressources lors des voyages etc.). Il n'y a donc pas d'effort à fournir pour adapter un résultat d'une table qui pourrait à la fois indiquer "paladin" et "vaisseau spatial" par exemple.
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