Le Manifeste de Turku

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Cet article est extrait du livre en ligne As LARP Grows Up - Le livre de Knudepunkt 2003 ("Tandis que le GN grandit"), compilation de conférences du festival de GN Knudepunkt 2003 au Danemark. Ce festival annuel se tient depuis 1997 dans les pays scandinaves sous divers noms (Knutepunkt, Knutpunkt; Solmukohta). Knudepunkt, et ce livre, ont pour but de favoriser la créativité, l'innovation et l'échange d'idées. Rien n'est plus pratique qu'une théorie - telle est l'idée de base de cet ouvrage. Dans ses pages, vous trouverez des idées, des conseils et des solutions pratiques à vos questions sur le GN.


Groupons-nous et demain, l’eläytyminen sera le genre rôliste!

Avant-propos

“Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter.”
 - George Santayana, La vie de Raison - la raison dans le sens commun

Le Manifeste de Turku a été publié pour la première fois à Solmukotha, il y a environ trois ans [2000 (NdT)]. Il a été mis en ligne un an après. Cette troisième édition est pratiquement identique à la deuxième, celle qui est en ligne, mais par souci de clarté et de pédanterie, nous l’appelons la troisième.

L’École de Turku s’est manifestée pour la première fois à la fin du 20ème siècle sur la mailing-list de l’Association des Joueurs de Grandeur Nature de Finlande, où l’école a soutenu l’importance de l’eläytyminen et de la simulation de préférence au narrativisme et au ludisme.

NdT : Eläytyminen = l’immersion dans un personnage. Voir Terminologie à la fin. Les auteurs ont choisi de garder en finlandais ce terme pourtant traduisible, par snobisme et pour le jeu de mot eläytyjiste - élitiste. Toutefois, comme il est repris sous cette forme dans de nombreux débats, nous le laissons ainsi.

Dans le chapitre VI (un plagiat éhonté du Manifeste du Parti Communiste (1), soit dit en passant), nous appelons à une révolution turkuiste : “L’École de Turku appuie en tout lieu tout mouvement révolutionnaire de rôlistes dirigés contre l’ordre ludiste et narrativiste existant.” Une manière exotique de dire que nous voulons que vous vous concentriez sur l’eläytyminen du personnage et la simulation d’une société.

Depuis ses premiers pas sur la scène finlandaise quelques cinq années plus tôt, l’École de Turku a atteint presque tous les objectifs qu’elle s’était fixée. Cela ne signifie pas que tous les rôlistes se considèrent turkuistes, mais que les idées de l’École sont en grande partie acceptées, ou du moins sont prises en compte avant d’être rejetées. Le jeu de rôle est perçu comme un art ; l’importance de l’eläytyminen est mieux comprise. Bien sûr, nous avons encore du pain sur la planche, mais la Révolution est en marche. Et tout le mérite n’en revient pas à la seule École de Turku, mais aussi à tous les manifestes et les dogmes rôlistes (2).

Nous n’avons pas lutté seuls. Il y a ceux qui nous ont soutenus nous et nos idéaux depuis le tout début, et ceux qui nous ont rejoint après des débats houleux. (Ces même débats houleux que notre style provocateur vise à susciter). Il en est même qui parviennent à combiner nos idées avec le ludisme et le narrativisme. En vérité, avec toute cette activité, la division initiale en quatre volets [ludisme, narrativisme, simulationnisme, eläytyjisme (NdT)] perd très rapidement de sa substance, du moins parmi les rôlistes d’avant-garde. Les conceptions narrativistes les plus intéressantes ont suivi une évolution comparable aux conceptions eläytyjistes et simulationnistes. Au point qu’elles se transcendent toutes en quelque chose de bien plus grand.

Il est difficile de deviner quelle sera la prochaine étape. Peut-être nous efforcerons-nous de refaire du jeu de rôle un média populaire, maintenant que nous sommes à peu près d’accord sur la nature de ce média. Et sur le fait que ce soit un média. Ou peut-être le jeu de rôle continuera-t-il d’évoluer pendant longtemps. Incertain est l’avenir. Pourtant, il apparaît clairement que “l’Âge des Manifestes” (1999-2002) y a contribué. Voici l’un des textes de référence de cette période, peut-être publié pour la dernière fois : le Manifeste de Turku.

Mike Pohjola
Le 19 Janvier 2003, Turku

Le Manifeste de l’École de Turku

La très critiquée et très crainte, très acclamée et très admirée École de Turku a pour but d’expliquer à la face du monde ce qu’est le jeu de rôle, comment et pourquoi il doit être pratiqué, et pourquoi tous les autres ont tort. L’École de Turku a été nommée d’après la ville natale de ses provocateurs en chef, mais vivre à Turku n’est pas un gage de mérite - de même que vivre ailleurs ne veut pas dire que vous ne pouvez pas comprendre ni supporter le Manifeste.

I - les Jeux de Rôles et l’interprétation (« roleplaying »).

L’interprétation rôliste est l’immersion (« eläytyminen ») dans une conscience étrangère (« le personnage ») et l’interaction avec son environnement.

La plupart des médias traditionnels sont soit actifs (côté créateur : écrire, chanter, interpréter, etc.) ou passifs (côté public : lire, écouter, regarder). Le jeu de rôle, quand à lui, est réellement un média interactif, et le meilleur et le plus utile d’entre eux, parce que créateur et public ne sont plus des personnes séparées.

L’expérience d’un jeu de rôle naît de la participation. Personne ne peut prédire à l’avance les événements d’une session, ni les recréer après coup. De plus, la partie a lieu essentiellement dans la tête des participants, grâce au processus d’eläytyminen, ce qui fait des jeux de rôles (JdR) une forme d’art des plus subjectives.

Interaction et subjectivité sont parties intégrantes des JdR, mais presque tout le reste peut varier énormément d’une partie à l’autre. Dans certaines parties, toute action est décrite oralement et les événements se déroulent dans l’imagination des joueurs, tandis que dans d’autres le but est de tout représenter aussi concrètement que possible. Dans certaines parties les joueurs se concentrent sur l’histoire et sur l’action, et dans d’autres ils cherchent à simuler un monde aussi détaillé que possible.

Il y a un nombre infini de façons de jouer un rôle, mais l’une des classifications les plus répandues consiste à différencier d’un côté les jeux de rôles grandeur nature (GN), et de l’autre les JdR traditionnels sur table. Bien qu’il soit impossible de tracer une démarcation exacte, un GN typique est une partie où vous essayez de tout faire aussi concrétement que possible, et où vous essayez le plus possible de ne pas faire appel à des ressources étrangères à l’univers du jeu (des ressources “extra-diégètiques” ou “hors-jeu”). Dans un JdR sur table typique, le maître de jeu (MJ) est l’intermédiaire entre les joueurs et l’univers de jeu, presque tout est décrit et ne se déroule que dans l’imagination des joueurs.

Une autre classification possible consiste à regrouper les manières de jouer en styles ludistes, narrativistes, simulationnistes et eläytyjistes. Les joueurs ludistes (les “gros-bills”) cherchent en quelque sorte à gagner la partie en rendant leur personnage aussi puissant que possible, ce qui transforme le jeu de rôle en jeu de stratégie. Les narrativistes ne comprennent pas réellement la notion d’interactivité, puisqu’ils croient que l’objectif de la partie est que le maître de jeu raconte une histoire en utilisant les joueurs comme acteurs, mais sans aucun public à qui la raconter ! Les simulationnistes essayent de recréer une société fonctionnelle ou même un univers simulé au travers de l’interprétation. Les eläytyjistes ont pour objectif de devenir leur personnage, et d’expérimenter toute chose à travers lui.

Alors que la distinction entre GN et jeux sur table ne fournit aucune différence en qualité, la seconde méthode le fait assurément : tous les styles cités ci-dessus n’ont pas été aussi bien pensés que les autres. Comme le savent la plupart des rôlistes, les styles narrativistes et ludistes sont inférieurs aux styles simulationnistes et eläytyjistes. Mais par souci d’objectivité, ils seront toutefois tous présentés ici.

II - les styles : les bons et les mauvais

Les jeux de stratégie sont souvent amusants et éducatifs. Ils peuvent mettre à l’épreuve votre intelligence, vos talents de stratège et votre capacité à faire le meilleur usage possible des ressources à votre disposition. C’est marrant d’essayer de gagner la guerre aux échecs. C’est chouette de diriger une nation à Civilization. C’est marrant de commander un détachement d’armée à Necromunda. Ça doit donc être amusant d’essayer de gagner avec une seule personne dont vous guidez les actions, non ?

Et bien non ! A moins que cette personne ne soit un robot avec des ordres stricts et aucune personnalité. Les vrais gens n’essayent pas de gagner au “jeu de la vie” ; de fait, ce jeu n’existe pas ! Les vrais gens cherchent à profiter de leur vie et poursuivent des buts personnels, mais ils ont aussi toutes sortes de doutes et de faiblesses, qui viennent contrarier leurs envies. J’allais me présenter aux élections législatives, parce que je voulais rendre le monde meilleur, mais j’ai croisé des vieux potes et on est sorti prendre un verre à la place.» Voilà pourquoi le style ludiste ne fonctionne pas. Les histoires sont amusantes et intéressantes, et peuvent avoir un impact considérable sur l’humanité. Les films sont souvent distrayants, et un bon livre peut réellement vous plonger dans un abîme de réflexion. Et si vous voulez raconter vos propres histoires, personne ne vous empêche d’écrire une nouvelle, une tragédie ou un film. Personne ne vous empêche de composer une chanson, de mettre en scène une pièce de théâtre ou de chorégraphier une danse. Mais notez bien que dans ce cas vous êtes l’auteur, le créateur. Et une fois votre œuvre terminée, le public sera invité à la voir. Les JdR ne fonctionnent pas comme ça. Si vous voulez racontez une histoire (comme font les narrativistes), les joueurs doivent être soit le public, soit les créateurs, soit les deux.

Si les joueurs sont le public, vous devez les empêcher d’une façon ou d’une autre d’interférer avec l’histoire. Ils deviendront passifs, et vous obtiendrez une forme de théâtre ou de conte.

Si les joueurs sont les auteurs, alors vous ne pouvez pas raconter d’histoire. S’ils sont les deux, comme c’est en effet le cas dans les jeux de rôles, alors l’histoire est racontée par les joueurs, et non par le maître de jeu.

Car il y a une infinité de petites histoires qui se passent dans la tête des joueurs. Vous n’aurez aucun moyen de savoir à l’avance ce qui se passera, et aucun moyen de recréer l’expérience après-coup. (Ce constat fait également partie de la définition même du jeu de rôle.)

Il est dit que l’homme est un animal social. C’est vrai, puisque la plupart des gens se définissent eux-mêmes d’après des liens sociaux (leur travail, leur école, leur passe-temps, leur classe sociale, leur religion, etc.). Comme toute société existante est imparfaite, cela pose un problème : les gens ne se connaissent pas eux-mêmes. Ils ont défini leur image d’eux-mêmes très tôt dans leur vie, et ne voient pas comment elle pourrait être différente. Ce serait tellement mieux s’ils pouvaient essayer de vivre dans un monde différent, ou une société différente, pendant un moment, puis essayer de se regarder sous un autre jour après cette expérience. Et bien, c’est possible ! Grâce au jeu de rôle simulationniste, qui est - ou pourrait être - de la philosophie sociale et de la psychologie comportementale mise en pratique. Cela peut avoir de nombreux effets positifs sur les joueurs, et c’est également l’un des deux styles promus par l’École de Turku.

Ce qui dicte le plus le comportement d’une personne après la société, c’est sa personnalité (qui est en partie un produit de la société). Il est facile de penser bien se connaître lorsqu’on mène une vie bien protégée sans jamais avoir de raison de quitter sa chambre ou, - Dieu nous garde !- de remettre en question sa manière de penser. Mais pour trouver votre vrai moi, ou pour vérifier si c’est bien ce que vous voulez être, vous avez besoin d’une vision extérieure de vous-même, ou de la vision intérieure de quelqu’un d’autre. Vivre la vie d’une autre personnalité, d’un autre personnage, est tout simplement le moyen de tenter l’expérience.

Un autre nom possible pour cette pratique est le style eläytyjiste en Grandeur Nature, et c’est l’autre style de jeu promu par l’Ecole de Turku. Vous, lecteur, avez probablement déjà votre idée sur quels styles sont acceptables et lesquels ne le sont pas. Maintenant, continuez à lire, nous allons élaborer plus en détail les idéaux de l’École de Turku.

III - Le jeu de rôle en tant qu’art

L’art peut grossièrement être défini comme l’utilisation d’un média avec précision et individualité (qui est une combinaison de créativité et de personnalité). Il est donc possible de créer de l’art à partir de jeux de rôles, tout autant que d’en faire un divertissement sans but. Lorsque vous créez une partie, il est important de savoir ce que vous voulez exprimer grâce à elle, et en quoi elle diffère des autres parties. Si vous avez du mal à trouver la réponse, vous devriez vous demander si vous devriez vraiment faire cette partie tout court.

Si vous avez une histoire à raconter, n’essayez pas de le faire sous forme de jeu de rôle (et surtout pas en GN). Pensez plutôt à d’autres médias faciles d’accès, comme l’écriture de nouvelles. L’art est une chose délicate, et toutes les parties de jeu de rôle sont loin de mériter ce titre. Toutes n’y prétendent même pas !

La plupart des arts sont de nos jours une forme de narration ou l’autre. Cependant, la plupart du temps l’art ne réside pas dans l’histoire elle-même, mais dans la manière dont elle est racontée. Et bien que les JdR n’aient pas de véritable intrigue, les expériences qu’en retirent les différents participants dépendent, d’une certaine façon, du MJ. De fait, bien que le contenu de la partie ne puisse pas être prédéterminé, sa forme peut l’être. Et comme la forme affecte le contenu (de la même manière que le contenu affecte la forme dans des médias actifs), cela donne au maître de jeu un moyen de diriger le ressenti des joueurs. Voilà en quoi consiste l’art des MJ.

Le jeu de rôle eläytyjiste est la meilleure méthode existante à ce jour pour susciter des expériences et des émotions, et pour vous permettre de ressentir les choses d’un point de vue réellement personnel. Bien que, comme la télévision, il soit souvent utilisé comme un substitut de la vie réelle ou pour permettre à certaines personnes d’éprouver une émotion quelconque, il peut être bien plus.

Il peut offrir de précieux aperçus subjectifs de sujets délicats, et vous permettre de voir les choses depuis des points de vue différents. En ce sens, le jeu de rôle peut être qualifié d’art. D’un autre côté, le jeu de rôle simulationniste est la meilleure méthode pour simuler le comportement d’une petite société dans diverses situations.

Cela peut, par exemple, servir comme outils d’expérimentation pour différents modèles sociaux. J’espère moi-même créer une Utopie fonctionnelle, la tester en GN et corriger les problèmes. En ce sens, le jeu de rôle peut être qualifié de science, ou de méthode scientifique.

IV - La cause

De nos jours, des jeux de rôle de tous types sont organisés et joués pour les raisons les plus obscures. Beaucoup de gens veulent sacrifier le travail du MJ sur l’autel impie des relations sociales, et ne jouer que lorsque cela coïncide avec les regroupements d’amis. De la même manière, des gens écrivent leurs scénarios pour les même raisons, sans jamais se demander pourquoi ils le font.

De bonnes raisons pour vous exprimer sont : raconter une histoire (ou dans le cas des jeux de rôle, de créer un point de départ et un univers intéressants pour des histoires potentielles), faire passer un message et développer le média au travers duquel vous voulez vous exprimer. En ce sens, les JdR sont un aussi bon moyen de vous exprimer qu’un autre. Raconter des histoires a toujours été important pour l’humanité. Quand vous avez une idée pour une belle histoire, vous devriez réfléchir au média qui la supportera le mieux - p.ex. l’histoire du développement d’une fourmilière de sa création à sa destruction pourrait ne pas fonctionner en tant que GN, mais plutôt en tant que roman, jeu vidéo ou film d’animation [le chapitre ci-dessus a été écrit avant le film Fourmiz (NdE)]

Si l’histoire a quelques personnages principaux évidents, mais que vous n’en connaissez que le début (et que le milieu et la fin sont, pour l’instant, ouverts) alors elle pourrait fonctionner comme JdR sur table.

Si le milieu et la fin de l’histoire sont ouverts mais que vous savez qu’elle ne traite que d’un petit groupe de personnes, et que la fenêtre de temps dans laquelle elle se déroule est relativement courte et pleine de rebondissement, alors vous pourriez même utiliser le GN comme média. Notez cependant que les deux dernières méthodes ne relèvent pas vraiment d’une histoire dite au travers d’un JdR, mais plutôt d’un monde et d’un point de départ donnés aux joueurs pour voir ce qui en ressort. Il n’est PAS POSSIBLE de raconter des histoires prédéterminées au travers du JdR

Lorsque vous voulez faire passer un message, vous devez vous souvenir de la même chose que lorsque vous racontez une histoire. La différence est que cette fois le point de départ devra être votre message, pas l’idée d’histoire. Faire passer un message au travers du JdR demande du savoir-faire, mais lorsque vous y parvenez - grâce à la subjectivité du JdR - vous obtenez un aperçu plus empirique et plus précis que tout autre média. Il y a eu relativement peu d’expériences en ce domaine, mais les GN sont particulièrement bien adaptés pour les critiques sociales, et les JdR sur table pour les commentaires sur le comportement et la psychologie de l’individu.

Développer un média n’est jamais inutile ; même les pires échecs peuvent souvent nous apprendre beaucoup sur la structure interne du média. Il est fréquemment déconseillé de commencer à penser au type de partie que vous voulez organiser, mais dans cette situation vous devez le faire. Quand vous voulez organiser quelque chose de bizarre - par exemple un GN où la causalité ne fonctionne pas, ou encore un JdR sur table où les joueurs essayeront de communiquer télépathiquement entre eux- vous devez penser au type de jeu qui en bénéficierait le plus, et créer la situation et le monde autour de cette expérimentation. (Tant mieux si une situation ou un message particulier demande cette approche, bien sûr, mais il n’est pas condamnable de le faire aussi par pure curiosité non plus)

V - La règle absolue du maître de jeu

La partie de jeu de rôles est la création du maître de jeu, dans laquelle il laisse les joueurs entrer. L’univers où se déroule la partie est celui du maître de jeu, le scénario aussi, les personnages (en tant que participants du monde où se déroule la partie) aussi. Le rôle des joueurs est de rentrer dans la tête de leur personnage qui sont dans les situations où la partie commence et, par eläytyminen de simuler ses actions. Le but du joueur devrait être d’obéir à tout désir du maître de jeu concernant le style de la partie.

Cela ne veut pas dire que le maître de jeu doive dire aux joueurs ce que leurs personnages doivent faire. Mais quand on en vient aux choses qui ont à faire avec la partie, le maître de jeu a le dernier mot. Pas l’intérêt de la session de jeu, pas les téléphones portables, pas la faim, rien. Des fois il pourrait être drôle de faire quelque chose qui n’est pas strictement en accord avec son personnage, mais - à moins que le MJ ne l’ait spécifiquement demandé - C’EST INTERDIT. La position du joueur dans une partie de JdR est détaillée ci-dessous dans le Vœu de Chasteté du Joueur.

VI - Les relations entre les turkuistes et les écoles opposées.

Après ce qui a été dit ci-dessus, la relation entre l’Ecole de Turku et n’importe quelle autre école de pensée est évidente - c'est-à-dire, la relation entre les turkuistes, les ludistes et les narrativistes.

L’École de Turku se bat pour les buts à court et long terme des joueurs eläytyjistes et simulationnistes, mais aujourd’hui elle prétend aussi représenter le futur de tout le jeu de rôle. En Norvège les narrativistes essayent de réinventer le théâtre, mais la parole de l’École de Turku entretient encore l’espoir des simulationnistes opprimés. Aux États-Unis les ludistes essayent de tirer le jeu de rôle en arrière vers l’utilisation de petits morceaux de plastique que l’on déplace sur un plateau, mais même dans ce monde de ténèbres, l’École de Turku apporte la lumière au mouvement eläytyjiste. Les membres et amis de l’École de Turku répandent leurs vues radicales du manifeste dans le monde entier - incluant dernièrement Stockholm, le New Jersey, Helsinki, Istanbul, Vienne, Oslo et Paris. A Londres la boutique locale de jeu de rôle a refusé de vendre le Manifeste car il ne contenait aucune image. Cependant, en dépit de ces avancées internationales, même dans son propre berceau de Turku, l’École doit affronter les conservateurs à courte-vue, et par-dessus tout les écoles ludistes et narrativistes.

L’École de Turku a maintenant ses yeux fixés principalement sur les pays nordiques, car ils vivent l’aube de la révolution rôliste. Comparés aux pays nordiques des années 90, cette révolution est caractérisée par les communautés plus avancées de rôlistes et plus particulièrement par le nombre croissant de débutants. Ainsi la révolution rôliste de l’Europe du nord ne peut qu’être un prélude à la révolution turkuiste.

Pour résumer, l’École de Turku soutient tous les mouvements révolutionnaires de rôlistes qui s’opposent aux environnements ludistes et narrativistes actuels. Dans tous ces mouvements, les turkuistes accordent la plus grande importance à la question de l’eläytyminen du personnage et de la simulation de la société.

L’Ecole de Turku pense qu’il est méprisable de cacher ses opinions et ses intentions. Les turkuistes admettent ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteint qu’en renversant de force le système actuel du jeu de rôle. Que les classes ludistes et narrativistes tremblent devant la révolution turkuiste. Les simulationnistes et les eläytyjistes n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Mais ils ont le monde à gagner. RÔLISTES TURKUISTES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS!

 

Le Vœu de chasteté du joueur, Turku 1999

NdT: Cette fois, le voeu de chasteté parodie Dogme 95, le mouvement cinématographique de Lars von Trier en réaction aux superproductions anglo-saxonnes.

En tant que rôliste je fais vœu de suivre les règles suivantes, incluses dans le Manifeste de l’École de Turku

1. Quand je joue un personnage et que je m’y immerge, mon but premier sera de simuler ce qui se passe dans l’esprit de ce personnage, et la manière dont cela affecte son comportement. Je laisse les imitations vides aux acteurs.

2. Je n’utiliserai pas de méthodes non diégétiques (sortant du monde du jeu) (3), telles que de la musique d’ambiance ou des commentaires hors-jeu et hors-sujet, pendant que je joue, s’il y a quelque autre manière de jouer la situation.

Par exemple, à moins que les règles de la partie ne le spécifient autrement, quand le personnage frappe, je frappe. Si je vois de telles choses arriver pendant une partie, je les supposerai être des méthodes diégétiques et que mon personnage les perçoit comme je les perçois moi-même, à moins d’instructions contraires du maître de jeu. (Il reste cependant au maître de jeu le devoir de s’assurer que je sais à quel degré de sécurité physique et mental et à quel degré d’illusion théâtrale se joue la partie)

3. J’apprendrai et comprendrai l’image que se fait mon personnage de lui-même, sa personnalité, sa vision du monde et les autres choses qui font de lui un individu, en partant de son subconscient vers l’extérieur (c’est à dire, pas par des maniérismes ou autre). J’attends des autres qu’ils fassent de même.

4. Quand j’essaierai de ressembler et d’agir comme le personnage, j’éviterai d’utiliser un jeu de scène. Je suis conscient que moi et mon personnage pouvons avoir un parlé, des manières et d’autres attributs perceptibles différents, sans qu’ils m’obligent à m’agiter en tous sens ou à parler bizarrement.

5. Je m’immergerai dans la partie en supposant que si un personnage ou un autre élément de la partie semble décalé par rapport au monde ou à la partie - s’il est comique, surjoué ou mal joué - il fait tout de même partie du monde, et n’est pas une idée stupide que le joueur aura eue.

6. Si je suis obligé d’improviser ou d’approfondir mon personnage en cours de partie, mon but premier et le plus important, sera de le faire en pensant à la globalité du cadre de la partie et des personnages, pas en essayant de rajouter des éléments dramatiques sans épaisseur ou des méthodes théâtrales.

Pendant que je jouerai, je me concentrerai sur le fait de m’immerger dans mon personnage, pas d’essayer d’améliorer le vécu de la partie des autres joueurs. J’essayerai d’être fidèle à mon personnage sans penser que je vois un fil d’intrigue que je devrais suivre. J’accepte le fait qu’en tant que joueur mon rôle est de ne voir qu’une partie de l’ensemble.

7. Je supposerai que le maître de jeu m’a dit tout ce que j’ai besoin de savoir sur le monde où se déroule la partie, et ce qu’il veut que ses joueurs sachent sur le GN.

Pendant les parties je n’essayerai pas d’utiliser d’autre conventions générales de GN que celles qui m’ont été données par le maître de jeu : si par exemple le signe de hors-jeu a été défini d’une manière donnée, je n’essayerai pas de lui substituer un autre signe.

8. Quand je participerai à une partie, je ne la considèrerai pas comme faisant partie d’un genre particulier ni ne verrai ses évènements comme faisant partie d’un scénario de GN ayant un dénouement particulier. A moins que le MJ ne m’en informe autrement, je verrai chaque partie comme une œuvre d’art unique, qui devra être traitée comme telle.

9. Je ne laisserai en aucune manière un facteur non-essentiel extérieur à la partie (comme le fait de distraire les autres joueurs, faire avancer l’histoire, aider les débutants, le hors-jeu, etc) altérer mon jeu. Durant la partie ces choses n’existent pas pour moi.

10. En tant que joueur je ne poursuivrai ni gloire ni renommée, mais jouerai mon personnage aussi bien que possible en suivant les indications que le maître de jeu m’a donné. Même si cela signifie que je doive passer toute la partie enfermé dans un placard sans que personne ne s’en aperçoive.

De plus, en tant que rôliste, je fais vœu de me retenir de tout style personnel de jeu ! Je n’essayerai pas de jouer, mais de me glisser dans le moule des vœux du maître de jeu. Je n’essayerai pas de créer pour moi-même une parfaite session de jeu de rôle ou de donner aux autres un plaisir éphémère, car je considère la partie comme un tout bien plus important que l’expérience de n’importe quel joueur.

Mon plus noble but sera de réaliser la vision du maître de jeu en me forçant à m’immerger dans le personnage de façon aussi fidèle et réaliste que possible. Je jure de faire cela de toutes les manières qui me seront possibles, sans considération pour tout concept de bon goût ou de commodité pour les autres joueurs.

Terminologie

une partie : une session de jeu de rôle, et non une partie dans le sens ou quelqu’un essaye de gagner

le maître de jeu: l’organisateur et/ou l’auteur de la partie, et dans le cas des jeux de rôle sur table, il est aussi le moyen par lequel les joueurs interagissent avec l’univers de jeu.

eläytyä (verbe) : s’immerger dans un personnage, pour penser, expérimenter et ressentir au travers de lui

eläytyminen (nom) : immersion dans le personnage, voir eläytyä

MJ: le maître de jeu

GN: Grandeur Nature. Un jeu de rôle ou la plupart des actions sont jouées, pas décrites.

GNer : participer à un GN

JdR: Jeu de rôle

Jeu de rôle sur table: un Jeu de Rôle ou la plupart des actions sont décrites, pas jouées.

Turku: une ville du sud-ouest de la Finlande.

Commentaires

  • Morten Gade

Le ton, l'élitisme, le ton. Mike Pohjola a sans doute mis des gens dans sa poche avec son ton et son point de vue provocateur. Mais il en a sans doute perdu beaucoup plus en chemin. Alors que Dogme 99ptgptb a sorti la théorie du GN de son placard, le manifeste de Turku a crié son message au monde entier. Et le monde a répondu. En chemin Turku a gagné beaucoup de fidèles, mais s'est fait beaucoup plus de détracteurs. Par exemple au Danemark, où 'Turku' est presque une malédiction et être appelé un organisateur ou un joueur turkuiste n'est pas une bonne chose...

On peut porter la faute de cette réputation sur deux choses. La première est le ton terriblement normatif du manifeste de Turku. L'autre est la manière générale dont les gens se forgent une impression après n'avoir lu qu'une moitié de texte, et où des phrases comme "Je n'essaye pas de jouer, mais de me glisser dans le moule des vœux du maître de jeu" ont fait une mauvaise impression. Et c'est vraiment dommage. Parce que Turku est bien plus que la célébration d'un type de GN et quelques mots Finlandais exotiques.

A l'inverse de Dogma, Turku donne le sentiment d'être une théorie complète du GN - ou du moins d'être plus qu'un simple cadre de travail. Cependant, beaucoup de ses bonnes idées, pensées et concepts sont noyés dans la rhétorique. Comme vous pouvez le lire dans l'introduction à cette édition du manifeste de Turku, Mike Pohjola est aussi arrivé à cette conclusion. Et c'est probablement une bonne chose, car la meilleure partie de Turku n'est pas cette fameuse pose. Ce sont les fondations théoriques. Et elles méritent d'être développées.

Alors mon avis de moi à vous, le lecteur, est de relire le manifeste de Turku. Mais cette fois, ignorez le ton et l'élitisme. Et découvrez de véritables éclairs de génie.

Morten Gade vit à Copenhague, au Danemark. Il pratique le GN depuis 1996 et en a organisé de différents types depuis 1998. Il est aussi l'éditeur de www.liveforum.dk , un portail danois sur le GN. Il est un des organisateurs de Knudepunkt.

  • Line Thorup

C'est une bouffée d’air frais de lire quelque chose où l'auteur a le courage d'affirmer qu'il a raison (et que tout les autres ont tort, bien sûr). Le langage utilisé dans le Manifeste de Turku me rappelle les théoriciens anticonformistes dans mon domaine académique [l'archéologie, NdT], que soit les gens aiment parce qu'ils pointent l'hypocondrie dans les « pratiques courantes », ou détestent pour les mêmes raisons.

Et Dieu sait que l'Ecole de Turku n'a pas honte d’affirmer que tout les autres ont tort. L'aspect principal est l'abandon des styles narrativistes et ludistes (voyez Le modèle tripartiteptgptb) dans l'organisation et le déroulement du GN, en faveur de la voie de l'eläytyjist.

Les auteurs nous disent que le GN n'est pas un média pour raconter une histoire, et honnêtement: J'Y CROIS. Le manifeste de Turku n'est pas une proposition ; c'est une demande de révolution totale de la manière commune de penser. J'ai vu beaucoup de personnes prendre leurs distances avec le manifeste, soit parce qu'ils ne le comprennent pas, soit parce qu'ils trouvent son ton trop élitiste et dur. La tendance principale en GN a toujours été "il y a de la place pour tout le monde". Ca ne cadre pas avec la pensée de Turku. Soit vous voyez la lumière ou vous restez à l'écart.

L'école de Turku a depuis sa création été la cible de moqueries. J'ai souvent entendu parler des GN « Turku » comme étant ceux où chaque joueur est à part dans son placard et où il ne parle ni n'a de contact avec personne pendant toute la durée du GN, mais est immergé à fond dans son rôle! Quand je lis le vœu de chasteté du joueur je vois d’où ça vient. La 10e règle est :

En tant que joueur je ne poursuivrai ni gloire ni renommée, mais jouerai mon personnage aussi bien que possible en suivant les indications que le maître de jeu m’a donné. Même si cela signifie que je doive passer toute la partie enfermé dans un placard sans que personne personne ne s’en aperçoive.

Je ne suis pas sûr que j’aimerais être dans un placard pendant toute une partie, mais ici encore ce n'est pas le fond de la règle. Le manifeste de Turku a souvent été l’objet de nombreuses incompréhensions et je suppose que c'est le fait de personnes qui ne peuvent pas voir au delà du langage très élaboré et provocateur. En lisant le manifeste de Turku en prenant de la distance, on voit qu'il contient de nombreux points et idées bien pensés, dont même des non-croyants peuvent faire bon usage. Mais maintenant il n'y a plus qu'une chose à dire:

Que les classes ludistes et narrativistes tremblent devant la révolution turkuiste. Les simulationnistes et les eläytyjistes n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Mais ils ont le monde à gagner. 

Que la révolution advienne!!

Line Thorup est archéologue. Elle est impliquée dans le milieu du GN et en a co-organisé un certain nombre, ainsi que des festivals Knudepunkt, tout en éditant les livres compilant ses conférences.


Aller plus loin

(1) NdT : Le manifeste du parti communiste, Karl Marx, 1847, pour les plus révolutionnaires d’entre vous [Retour]

(2) NdT : allusion au Dogme 99ptgptb, un manifeste pour la séparation du GN du JdR sur table [Retour]

(3) NdT : lisez sur PTGPTB un article définissant la diégèse [Retour]

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