Le roleplay : ce qui compte vraiment

De temps en temps, il arrive qu’une partie révèle à quel point le roleplay [l’interprétation de personnage] peut être vraiment fun.

Pour moi, cela s’est produit il y a quelques années. Nous étions en pleine campagne Harlequin’s Back, qui, si vous ne l’avez jamais lue, implique pas mal de trucs assez dingues. Elle donne aussi aux personnages une chance d’apprendre des choses sur eux-mêmes comme sur leurs coéquipiers.

En fait, notre équipe était profondément touchée par ce qui s’était déroulé dans cette aventure. En réalité, trois des quatre personnages ont changé de personnalité de façon permanente suite à ce qui leur était arrivé. (De petits changements, certes, mais malgré tout des changements. Curieusement, Winterhawk [mon personnage] était le seul membre de l’équipe qui n’avait pas changé de personnalité, même si tout ça l’a amené à réfléchir en changeant de perspective, donc je suppose que cela compte aussi.)

La séance dont je vous parle s’est en fait déroulée juste après la fin du module. Nous avions passé toutes les épreuves, étions sortis victorieux, et étions rentrés chez nous afin de repenser à tout ce qui s’était passé. Le joueur de Joe rentrait chez lui, et nous rassemblions les figurines, le plan quadrillé, et les livres, puisque nous étions prêts à ranger pour la nuit.

C’est à ce moment-là que Steve, le joueur de ShadoWraith, m’a dit que “Wraith interpellait Winterhawk alors que tout le monde quittait son appartement après l’aventure, demandant s’ils pouvaient discuter de la situation plus longuement”. Il invita Winterhawk dans un café ouvert non-stop au coin de la rue.

Ce qui suivit fut la plus incroyable session de roleplay du point de vue personnage que j’aie jamais connu dans une partie. Steve a été Wraith, j’ai été Hawk, et nous étions simplement assis là à discuter pendant plus d’une heure. Dan, le MJ, était avec nous, mais il a simplement regardé. Il n’avait pas besoin de faire quoi que ce soit, alors il écoutait.

Hawk et Wraith ont parlé du sens de la vie, de Fate, de Desire (Wraith, qui n’avait pas eu... euh... un rendez-vous galant depuis plus de vingt ans, si vous voyez ce que je veux dire, avait dansé avec elle – en fait, Desire lui avait couru après, et il se demandait pourquoi), d’Harlequin, des métaplans [d’existence], des totems chamaniques, de l’équipe, et un certain nombre d’autres sujets dont je ne me souviens même plus.

Les sujets n’étaient pas importants – ce qui comptait était la fluidité du roleplay. Je ne peux pas parler au nom de Steve, bien sûr, mais je sais que, pendant cette conversation, je n’étais pas une rédactrice technique de San Jose. J’étais un mage de combat de Londres, qui venait de traverser l’un des plus étranges événements de sa vie, et qui prenait du bon (et cathartique) temps à discuter ledit événement avec l’un de ses amis les plus dignes de confiance.

Cette session est la parfaite explication qui explique pourquoi je fais du jeu de rôle depuis le milieu des années 1980, et pourquoi j’ai autant accroché avec Shadowrun (et au même personnage) depuis 1990. Je ne suis pas là pour les flingues, ou l’excitation que procure la création du personnage le plus fort et le plus efficace, ou l’accumulation de plus en plus de puissance pour mon personnage et le groupe. Bien sûr, tout ça est amusant. Ils font aussi partie du lot. Mais le meilleur de tout ça pour moi, c’est la chance d’avoir de vraies conversations sur des événements imaginaires, tout en prétendant être un personnage imaginaire. C’est ce flow[1. NdT : Le flow, en psychologie,  est l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement immergée dans ce qu’elle fait, dans un état maximal de concentration.], l’essence même du jeu, ce qui le rend si passionnant à jouer.

Cela s’est produit de nouveau, assez récemment, cette fois avec les quatre joueurs. Nous jouions la campagne Super Tuesday, et nous venions de répondre à un appel à l’aide d’une de nos amis PNJ de longue date qui s’était mis dans un beau pétrin. Val tirait son nom et le fait qu’elle soit Rigger [Le Rigger possède des implants qui lui permettent de contrôler des véhicules et des drones, NdT] de la campagne Dreamchipper, et rien de plus. Toutefois Dan lui avait donné une personnalité bien plus intéressante que dans le scénario ; Val nous avait sorti d’un nombre incalculable de problèmes depuis que Vrool (notre ancien équipier Rigger) nous avait quittés. Elle était toujours là avec ses véhicules et ses drones pour donner un coup de main (c’était payant, bien sûr, mais toujours juste). Quoi qu’il en soit, Val était en difficulté, alors bien sûr nous avons tout laissé tomber pour foncer tête baissée l’aider.

Lorsque nous l’avons trouvée, elle était en train de mourir. On ne pouvait rien y faire. Hawk a lancé ses meilleurs sorts de guérison, et les autres ont essayé leurs différentes collections de pansements “dernière chance” ou leurs techniques de premiers soins, mais elle était déjà beaucoup trop loin. Après avoir essuyé une embuscade (l’embuscade était presque au second plan – nous avons perdu, mais avions réussi à les chasser), nous avons porté Val dans notre camion et foncé chez un autre ami, un chaman Chien spécialisé dans la guérison. Val est morte en route. Hawk était à l’arrière du camion avec elle, toujours en essayant vainement de la guérir, même s’il savait que cela ne servait à rien. Quand nous sommes arrivés à la demeure du chaman, il a insisté (malgré ses 2 en Force) pour la porter dans la maison (et bon sang, il y est arrivé). Joe le troll a bien essayé d’obtenir la permission du magicien de la porter, mais ce dernier lui grogna de le laisser seul. Joe lui a dit de ne pas être si salaud – Val était aussi son amie, après tout. Mais Hawk n’y entendait rien. Les nerfs des personnages étaient un peu à bout à ce moment du jeu.

Tout cela a tellement bien marché que même les joueurs étaient abattus. Une déprime est tombée sur la partie. Joe et Wraith se sont assis dans la maison du chaman, chacun dans leur coin, en pleine introspection. Hawk est sorti pour être seul. Ocelot est parti faire un tour. Finalement, ils ont tous gravité les uns vers les autres. Je ne me souviens plus s’ils sont partis ensemble, mais je sais qu’aucun d’entre eux n’a été le même bien longtemps après ça. Même le fait de creuser les causes du décès de Val ne les a pas aidés à se sentir mieux. Ni nous. Même la perte d’un PNJ peut entraîner un vide parfois.

Nous avons eu des dizaines de petits moments comme ça dans nos parties. La plupart sont de bien plus faible envergure que ceux-ci ; juste quelques minutes où on est plongé dans l’ambiance (groove) avant que quelqu’un sorte de son personnage ou que quelque chose nous distraie ou casse l’atmosphère (mood). Mais pour moi, ces petits moments c’est ça ce qui compte vraiment en jeu de rôle.

article original : roleplaying : what it is all about


 

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