Mes années avec ce même PJ

Pour moi, les personnages sont comme des relations, et le genre de personnage que vous choisissez de passer du temps à incarner en dit long sur vous, à la manière de vos choix de fréquentations amicales et romantiques.

Je n’ai jamais compris les gens qui aiment jouer à un JdR en passant régulièrement d’un personnage à un autre pour explorer une nouvelle personnalité (ou bien un nouveau panel de compétences / équipements / augmentations cybernétiques) à chaque fois. J’en connais des comme ça, et pour autant que je sache, iels semblent s’amuser en échangeant leur decker troll avec une mage nain, en passant par le samurai demi-dragon - autant que je m’amuse en incarnant le même personnage depuis quasiment le début de nos parties de Shadowrun grog.

Je joue mon personnage Winterhawk depuis 1990. On joue à peu près une fois par mois (notre groupe s’est un peu dispersé géographiquement récemment, ce qui rend impossible de se réunir pour une bière et une partie toutes les semaines) pour des sessions s’étendant jusqu’à douze heures de jeu.

Comme vous devez vous en douter, notre campagne est plus cinématographique que mortelle [En effet, Shadowrun, dans sa difficulté « classique », donne difficilement l’occasion de jouer des personnages survivant à plusieurs dizaines de sessions de jeu (NdT)]. Nous utilisons des « Règles de basse mortalité », donc la mort d’un PJ est aussi rare que celle d’un protagoniste dans une série télé. Dans les faits, seul un PJ est « mort » dans notre campagne, et encore, seulement parce que MJ et joueuse s’étaient mis d’accord pour simuler sa disparition. Nous avons également perdu un PNJ important, et je peux vous assurer que cela a secoué toute l’équipe pendant plusieurs semaines.

Les personnages importants de l’histoire ne meurent jamais dans nos parties sans une très bonne raison. C’est une sorte de contrat tacite : nous faisons de notre mieux pour accomplir le travail en respectant nos personnages et en ne tentant rien de totalement absurde, et en échange, notre MJ retient un peu ses coups. Jusque-là, personne n’a voulu mettre cette hypothèse à l’épreuve, mais je suspecte que la bienveillance dont nous bénéficions disparaîtrait très vite si cela arrivait.

À l’origine, Winterhawk était un personnage que j’avais créé pour jouer avec Dan dans la campagne de l’ami d’un collègue commun. J’avais surtout exploré l’archétype du Mage de Combat, car l’idée m’intriguait. J’avais toujours voulu incarner un personnage britannique, donc sa personnalité était déjà assez fixée. Je ne savais pas combien de temps la campagne allait durer, alors je n’avais pas passé beaucoup de temps à fignoler les détails. Dan, pendant ce temps, créait Ocelot.

La campagne a périclité plutôt rapidement. On a joué deux ou trois sessions, puis Dan et moi avons eu quelques différends, philosophiques et autres, avec la campagne (trop de gens, trop de redondance dans les personnages, ainsi que l’idée – acceptée par le reste du groupe – que d’autres joueuses pouvaient utiliser votre personnage à votre place si vous étiez absente) (1). Nous l’avons donc quittée, mais peu après j’ai réussi à convaincre Dan de commencer sa propre campagne. C’est alors que Winterhawk est devenu consistant dans mon esprit.

jolie jeune femme devant un miroir ; son reflet est celui d'une personne âgée

(Image ajoutée par PTGPTB / Gerd Altmann - 2019)

En passant : les personnages sont rarement « réels » pour moi. De toute ma vie de rôliste, il n’y a que dix personnages auxquels j’ai été assez attachée pour rentrer vraiment dans leur tête. Moins de dix, en fait. J’ai incarné des dizaines de personnages dans à peu près autant de jeux de rôles différents. La plupart ont servi pendant un temps avant de passer totalement à autre chose (généralement parce que le MJ arrêtait, et parfois parce que je me lassais de la campagne). Les rares auxquels j’ai « accroché » avaient ce petit plus qui les rendait intrigants.

Alors, qu’est-ce qui rend Winterhawk « réel » là où d’autres personnages m’indiffèrent ? Je peux donner une réponse personnelle, mais c’est tout. Ce genre de raison varie du tout au tout selon les personnes. Pour moi, il y a quelques indispensables pour qu’un personnage me parle :

  • Il y a d’abord l’intelligence. Je ne peux pas jouer un personnage qui n’en ait pas.

  • Ensuite, le charisme. Pas nécessairement une beauté physique (ceci étant, j’aime jouer des personnages attirants), mais un truc qui le fait se distinguer dans une foule.

  • Enfin, une véritable efficacité dans un domaine. Je ne peux pas jouer un « support » qui reste en arrière pour soutenir les membres plus actifs du groupe qui vont faire ce qui doit être fait. Je ne suis pas satisfaite si je ne joue pas un personnage qui ne possède une véritable expertise quelque part.

Winterhawk peut être assez incompétent par moments (son manque de capacités physiques est moqué par ses camarades sous stéroïdes), mais c’est lui qu’on envoie lorsqu’il s’agit d’envahir les psychés ou de torturer les esprits. Il n’est clairement pas du genre à rester caché en arrière pour maintenir un sort d’invisibilité sur le groupe.

Au fil des ans, il a développé toute une série de petites bizarreries et excentricités qui l’ont rendu plus consistant en jeu : sa peur de se tacher avec la terre ou la boue, sa capacité à être témoin d’un carnage absolu sans broncher, ses piques sarcastiques, son penchant pour les plaisirs les plus raffinés de la vie, son attitude de « puriste de la magie », son amour pour le rock’n roll britannique de la seconde moitié du 20e siècle, ses journées de mauvaise humeur non dissimulée, son mépris pour la bêtise, sa hantise des enfants (qui s’est mitigée à la suite d’événements récents dans la campagne).

Tous ces petits trucs font que sa personnalité me vient plus facilement en jeu. Je sais parfaitement comment il réagirait à telle ou telle situation. Parfois, je dis pour rigoler que je ne joue pas Winterhawk pendant mes parties, mais qu’il s’exprime à travers moi (2) [I'm channelling him - procédé de communication entre un être humain et une entité appartenant à une autre dimension wiki (NdT)].

Okay, maintenant vous devez vous dire qu’il faut que je me trouve une vraie vie, pas vrai ? Sauf que là où c’est marrant, c’est que j’en ai déjà une. Shadowrun en fait partie. En tant qu’écrivaine, je trouve parfois que mes personnages sont aussi proches de moi que mes amis de la « vraie vie ». Parfois plus. Je suis juste heureuse de pouvoir m’amuser autant en me glissant dans la peau d’un personnage fictif.

Hé, au moins ça ne m’attire pas d’ennuis.

Article original : My years with Winterhawk


(1) NdT : Cela ressemble fortement à une campagne en table ouverte ptgptb : plein de joueureuses potentiel-les qui peuvent s’absenter avec une certaine liberté. Quant à savoir si les PJ des absent-es sont jouables, ça dépend du groupe. [Retour]

(2) NdT : Ce phénomène pourrait correspondre au bleed-out ptgptb, quand le PJ transmet les émotions ressenties en jeu à sa ou son joueureuse. Lire aussi, de la même autrice, le Roleplay, ce qui compte vraiment ptgptb, ou comment les joueurs continuent à discuter entre personnages alors que la partie est finie... [Retour]

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