Lettre ouverte d’un rôliste privilégié à d’autres rôlistes privilégiés

Il y a des jours où l’on se dit que l’on défendra ses positions coûte que coûte. Qu’on ne se repliera pas. On choisit une raison de se battre jusqu’à la fin. Ces jours peuvent être aussi dramatiques qu’importants.

Mais il y a d’autres jours où il est tout aussi vital de regarder derrière soi et de comprendre comment on en est venu à se battre, et pourquoi il faut poursuivre le combat.

Lorsqu’on se sent bien quelque part, il est trop facile d’ignorer le danger auquel d’autres font face. Nombre d’entre nous, dans le milieu du JdR, sommes à l’aise depuis bien longtemps, et cela signifie que nous avons permis que d’autres soient confronté-es à des risques qu’iels n’auraient jamais dû affronter.

Beaucoup d’entre nous avons entendu parler de membres de la communauté qui causent des problèmes. Ils ont des comportements injurieux et destructeurs. Ils traitent affreusement celles et ceux qu’ils n’aiment pas et répandent la terreur en ligne pour leur faire peur. Ils font du milieu du JdR un endroit qui, pour leurs victimes, ne contient plus que des regrets. Quand ces persécuteurs sont des membres proéminents de la communauté, ils peuvent également briser des carrières et des rêves. Ils tirent des ficelles pour s’assurer que le petit monde du JdR considère ces personnes comme « instables » ou « perturbatrices ».

Le Cycle

Les harceleurs sont affreux. Mais nombre d’entre nous avons vu ces tactiques utilisées dans le milieu du JdR. Nombre d’entre nous connaissons les personnes qui les utilisent. Mais quand cela ne nous implique pas directement, alors le problème s’en va de lui-même. Si nous ne sommes pas la cible de ces attaques, nous pouvons retourner tranquillement dans notre coin et continuer à vivre notre vie.

Une vue panoramique sur une plaine au milieu de laquelle coule une rivière, avec à l'horizon un soleil couchant. Une énorme roue de chariot occupe la moitié gauche de l'image, semblant faire plusieurs centaines de mètres de diamètre. Sur la rive droite, une sorte de pagode sembe minuscule en comparaison.

D’autres redoutent chaque interaction sur Internet. Iels s’inquiètent de savoir d’où viendra le prochain coup. Quelqu’un va-t-il les faire virer d’un projet ? Est-ce que des centaines de personnes vont leur envoyer des menaces de blessures physiques ou de mort ? Et cette personne étrange de l’autre côté de la rue, aurait-elle retrouvé son adresse ? Est-ce quelqu’un qui a décidé que le harcèlement en ligne ne suffisait plus ?

On ne peut restreindre les dégâts causés par ces persécutions à un seul incident dramatique. Le plus souvent, c’est une longue suite d’agressions qui ne s’atténue pas. C’est de la souffrance qui est renouvelée à chaque fois que la victime repense à ce qu’elle aimait. Au-delà de la peur des coups et de la mort, il s’agit du vol d’un morceau de leur être, quelque chose qu’ils ne peuvent plus jamais retrouver comme iels le souhaitent.

Pour celles et ceux d’entre nous qui se sont toujours sentis à l’aise, il est très facile de pointer du doigt les persécuteurs lorsqu’on les remarque et de dire « n’est-ce pas affreux », avant de continuer comme si de rien n’était. Il est bien plus ardu de se regarder dans un miroir et de se dire « j’ai laissé ceci se produire ». Quand les preuves des actions des persécuteurs ne sont pas sous notre nez, on oublie les victimes et leur combat quotidien contre les effets de ces persécutions. Nous pouvons tourner le dos quand elleux ne le peuvent pas. Nous sommes complices.

Ça a l’air héroïque, de choisir une cause pour laquelle lutter toute sa vie. C’est un geste grandiose. C’est le final épique. Mais un seul héros ne fait pas bouger les choses. Ce dont nous avons besoin, c’est de construire une communauté sûre, qui ne laisse pas quelqu’un se battre seul. Ce qu’il nous faut, c’est une communauté qui veille sur les siens, pour qu’aucune meute de prédateurs ne vienne s’en prendre à l’un des nôtres. Nous avons besoin de communautés, et non de martyrs, pour nous rappeler les dangers qui nous entourent.

Se regarder dans un miroir

Nous devons nous assurer que les entreprises que nous soutenons engagent des personnes issues de communautés marginalisées à des postes à responsabilités, afin qu’elles comprennent leur point de vue. Nous devons écouter ces personnes marginalisées et nous devons les croire. Nous devons abandonner notre réflexe de demander des preuves accablantes avant d’arrêter de présupposer que tout va bien. Pour nous qui sommes dans une situation de confort, nous devons cesser de croire que nous, les bien-aisés, savons déterminer ce qui constitue un véritable danger pour celles et ceux qui sont ciblé-es.

Le privilège, c’est pouvoir observer le combat de loin et décider si l’on veut y participer. C’est s’avancer pour se battre et s’attendre à prendre le commandement. Le progrès, en revanche, c’est savoir que tous ces combats sont les nôtres, et qu’il nous faut soutenir les autres quand ils et elles veulent le diriger.

Trop souvent, nous les bien-aisés descendons de notre perchoir pour nous impliquer dans un problème bien particulier, puis passons des mois à nous auto-congratuler, tandis que, juste derrière, d’autres personnes sont encore victimes de violence et de marginalisation. Il faut que cela cesse. On ne mérite pas des félicitations pour avoir fait son devoir. Simplement, on mérite d’être sanctionné lorsque l’on abdique ses responsabilités.

Notre milieu est un microcosme du monde dans lequel nous vivons. Il est bien trop facile d’ignorer la détresse des personnes marginalisées parce qu’elle ne touche pas directement les privilégié-es. Nous ne pouvons pas aller nous cacher dans les jeux : le monde et ses cycles de violences systémiques nous accompagnent. Ces violences font partie de nous. Les jeux peuvent nous aider à faire face. Ils peuvent nous aider à lâcher du stress. Cependant, ils ne sont pas indépendants du monde qui les a vu naître, et ils portent en eux les mêmes germes que porte tout objet créé par la société.

Je crois depuis longtemps que l’un des plus beaux aspects du jeu de rôle, c’est la capacité qu’ils ont à nous apprendre l’empathie. Partie après partie, nous nous mettons dans la peau de personnes que nous ne sommes pas, dans des endroits où nous ne sommes pas. Si nous ne parvenons pas à user de cette compétence fondamentale pour rendre nos espaces ludiques plus inclusifs et plus sûrs, alors nous perdons l’un des plus précieux cadeaux que ce loisir puisse nous offrir.

Article original : A Letter from a Gamer with Privilege, to Other Gamers with Privilege

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