Non-critique de “Night of the Crusades”
© 2013 Steve Darlington
Je ne fais plus de critiques. En partie parce que ça ne rapporte plus rien (si vous pouvez revendre les exemplaires physiques des ouvrages après les avoir critiqués, en revanche vous ne pouvez pas revendre les pdf), en partie parce que j’étais écœuré de lire autant de choses médiocres et atroces tout en étant obligé d’aller au bout de ma lecture, et enfin parce que j’avais fait tout ce que je voulais faire dans ce domaine.
Le deuxième point est important : je n’apprécie pas la plupart des jeux, et j’ai vu beaucoup de merdes. De plus je lis lentement. Du coup, quand un type sympa m’a envoyé un courriel pour me demander mon avis sur son jeu de rôle, j’ai tiqué. Quand bien même il aurait été bon, j’aurais été peu enclin à le lire, et je déteste essayer de dire ça poliment.
Mais soudain, miracle des miracles, il était bon. Et intéressant. Mais je suis toujours trop fatigué et trop occupé pour écrire une critique en bonne et due forme. Ceci est donc une non-critique de Nights of the Crusades, parce qu’il mérite votre fichue attention. De plus, et ceci est le détail qui tue, il est gratuit. Vous ne risquez rien. Pour un pdf de 120 pages : un jeu de rôle prêt pour une campagne, et il y a même des suppléments.
Night of the Crusades (1) n’est pas sans rappeler Ars Magica ; un JdR de fantasy, mais fortement centré sur l’Histoire réelle ; ici, celle des croisades. Il se déroule entièrement dans cette période et au Moyen-Orient. L’univers s’étend de Byzance au Caire. Il y a des éléments de fantasy, mais ils sont peu nombreux et clairsemés, bien moins nombreux que dans Ars Magica. C’est aussi un monde plus sombre, plus brutal que l’Europe mythique d’Ars Magica, beaucoup plus semblable à celui de Warhammer… mais sans l’humour noir (2). C’est aussi un jeu où les passions et les loyautés importent beaucoup, comme dans Pendragon, mais là où Pendragon puise son inspiration dans le monde mythologique, Night of the Crusades le fait dans le monde réel.
Et ça fait une différence énorme. C’est une chose que d’obtenir un bonus pour toucher des orques ou des Saxons parce que votre sang bouillonne de haine contre eux. C’en est une autre que d’obtenir le même bonus contre des musulmans ou des chrétiens.
Ne croyez cependant pas que le jeu soit centré sur le génocide religieux. Non, loin s’en faut. Il traite de ce qui se passe entre [ces événements]. Lorsque les massacres religieux des croisades laissent une importante population étrangère au milieu de peuples indigènes, et que chacun doit trouver sa place. Un jour, on peut combattre les Maures et être heureux d’avoir son bonus de Haine ; mais le lendemain, en tentant de négocier un contrat avec eux, ce sera une fichue pénalité. Mais il vous faudra ce personnage qui déteste vraiment tel ou tel groupe dans votre équipe parce que – comme dans la vraie vie – haïr quelqu’un rend vraiment plus aisé d’essayer de le tuer.
Et Night of the Crusades rend cela difficile. Avec les compétences de combats et les caractéristiques, le système inclut aussi la difficulté psychologique qu’il y a à tenter de blesser un être humain, et le traumatisme provoqué par l’acte. Comme la folie et les blessures critiques de Warhammer, le monde de Night of the Crusades est de ceux où les personnages-joueurs finiront avec de sérieux troubles psychologiques s’ils combattent trop souvent.
Tout ceci est géré par un système toujours simple et, parfois, d’une élégance à couper le souffle. Il y a cinq caractéristiques : Communication, Connaissance, Mêlée, Tir et Vigueur (J’aime beaucoup cela, car ça me conforte dans ma récente liste de carac’ : Communication, Connaissance, Combat et Endurance, mais je digresse) et les valeurs vont de 0 à 10. La partie vraiment élégante est que votre niveau de caractéristique est égal au nombre de talents que vous possédez, et qui lui sont associés. Donc vous sélectionnez juste quelques talents et voilà, les caractéristiques sont prêtes. Et chaque fois que vous obtenez un nouveau talent, votre caractéristique augmente de un. Cela vous donne deux informations d’un seul coup, la définition même de l’élégance.
Le système de résolution est le suivant : comparez votre caractéristique au niveau de difficulté et ajoutez 1d10 à la différence en essayant d’obtenir 5 ou mieux. Il est identique pour tous les tests d’attribut, vous pouvez donc l’utiliser pour n’importe quoi. Mais si vous rajoutez tous les talents (qui ont des noms magnifiques et évocateurs comme Coeur de Hyène et Temple du Corps) les joueurs auront un tas de jouets avec lesquels s’amuser, et il y a aussi des mini-systèmes superbement divertissants, pas seulement pour les combats mais aussi pour les négociations ou même pour conter des histoires. Ce dernier autorise votre personnage à gagner des bonus s’il raconte une bonne histoire, et amène à l’ensemble une ambiance rappelant les Mille et Une Nuits… Cela contraste avec l’aspect historique, tout en ajoutant une profondeur et une justesse aux deux éléments. C’est comme si Warhammer avait une règle pour permettre à vos personnages de jouer à D&D, afin de ressentir la différence entre les deux. C’est vraiment astucieux.
Il y a aussi un excellent système de gestion des ressources, vous pouvez donc y jouer dans le style bac-à-sable de Traveller (3) (ou le style de vie mois–par-mois de Pendragon (4)), achetant et vendant au gré de vos périples en terres étrangères.
Une part des règles et informations se concentre aussi sur les sociétés et les organisations : le jeu est moins une course aux points d’expérience que la recherche d’une communauté et le fait de réussir à en gravir les échelons tout en se construisant un foyer dans un monde où tout le monde est un étranger. C’est un autre exemple où ce qui semble être juste un ajout de règle simple et amusant est en fait aussi un moyen subtil d’empiler différents thèmes. Parfois les règles ne sont pas tout à fait claires ou solides, mais elles sont toujours astucieuses.
Je suis fortement impressionné par ce jeu. Vraiment, la meilleure comparaison est Pendragon : Night of the Crusades le vaut par l’érudition sur le sujet, il lui correspond avec le subtil mélange évocateur de mythe et d’histoire, avec le fait que vos sentiments comptent autant que vos capacités. Il est comparable en élargissant l’idée classique de campagne de D&D à long terme, où l’on joue l’histoire d’une vie de hauts et de bas, où l’argent va et vient, où les batailles laissent des cicatrices, où l'on passe par des périodes de folie et où le triomphe est payé dans le sang, la sueur et les larmes.
Tout cela est rassemblé dans un système presque aussi simple et élégant que celui de Pendragon lui-même. Mais n’allez pas croire que ce n’en soit qu’une quelconque copie, Night of the Crusades a vraiment son propre style. Il mérite définitivement d’être aussi connu que Pendragon, et si vous avez un quelconque intérêt pour les croisades ou Les Mille et une Nuits, vous y trouverez un terreau fertile.
Complément du 23 octobre 2013
Night of the Crusades a été – à juste titre – nominé à la fois pour les Ennies Awards et les Origin Awards, et a sorti un supplément : The City of 10 Rings, le guide d’une ville comme aucune autre.
Non seulement c’est l’équilibre parfait entre le surnaturel et la logique : une ville construite dans un cratère de météore, avec une architecture onirique et concentrique, mais divisée par l’évolution naturelle en quartiers vraisemblables. Mais elle est aussi pleine du même genre d’images qui vous hantent que le jeu de base, et le supplément est construit avant tout sur les rencontres aléatoires. Dix anneaux dans la ville, dix endroits et dix événements dans chaque anneau, soit 200 entrées au total, 1000 si vous les combinez. Certaines rencontres sont un peu légères, mais toutes sont évocatrices et astucieuses, en développant le quartier en question et l’atmosphère de la ville dans son ensemble.
“Ce jeu tente, et assez efficacement, de refléter les vraies conséquences d’une bataille sur la mentalité d’une personne. Cet aspect du combat est rarement traité en jeu de rôle. Ainsi, un JdR qui traite vraiment des répercussions psychiques de se battre et de tuer d’autres êtres humains est tout à fait unique.”
Article original : Night of the Crusade et Friend of the New
(1) NdT : Possible jeu de mot entre knight, le chevalier – des croisades, donc le croisé, et night, la nuit, une période de ténèbres. [Retour]
(2) NdT : Non seulement après avoir pris Jérusalem en 1099, les croisés ont massacré les habitants, mais un an auparavant, ils les auraient mangés. De quoi noircir l’image d’Épinal… [Retour]
(3) NdT : Les PJ de Traveller sont généralement l’équipage bien endetté d’un petit vaisseau, et ils ont toute la galaxie pour faire du cabotage de planète en planète. [Retour]
(4) NdT : C’est plutôt un style “année-par-année” car après chaque aventure, un an passe et il y a une phase de gestion de famille et de fortune. [Retour]
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Commentaires
Lame (non vérifié)
jeu, 06/04/2023 - 13:41
Permalien
Un univers pas à la hauteur du système
J'ai relu récemment un sujet de CasusNo sur les univers de jeu bonnards qui seraient ruinés par de mauvais systèmes de jeu; je pense à Chateau Falkenstein.
C'est peut-être le moment de parler des systèmes de jeu ruinés par leur univers; je pense à 1984. Ce qui est remarquable dans Night of the crusades, c'est bien la façon dont le jeu est motorisé et l'on peut regretter que ce système de jeu ne soit pas greffé sur un univers plus propices à l'aventure.
Si l'on veut rester sur le thème des croisades, pourquoi ne pas introduire une dimension "umbrale" dans le cadre de jeu. L'idée est que les actions des humains ont des conséquences sur le plan psychique avec des répercuations surnaturelles sur les populations. Les personnages des joueurs - étant informés des phénomènes occultes - doivent s'efforcer d'en limiter les effets sans finir sur le bucher.
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