Poser les bases d’une campagne réussie

Un des éléments les plus importants et les moins discutés d'une campagne réussie est un ensemble partagé de préconceptions sur la manière de jouer et pourquoi on y joue. Mais de nombreux groupes préfèrent passer directement à "la part amusante" sans s'assurer que tout le monde partage la même définition "d'amusant" (ou la même définition de "la part"). Passer quelques minutes, ou même quelques heures, pour s'assurer que tous autour de la table acceptent (ou soit au moins à l’aise avec) les préconceptions des autres participants évitera des désastres potentiels bien plus tard.

Nous, les rôlistes, nous passons plus de temps à discuter (comprendre : à contester) les règles du jeu que n’importe quel fan enragé de sport. Cela peut sembler étrange pour un observateur extérieur : pour un jeu qui repose grandement sur l’imagination, ces joueurs.euses se focalisent beaucoup sur les règles. Mais nous savons que cela a un sens, que les règles sont l’armature sur laquelle nos rêves reposent et elles sont Importantes avec un « I » majuscule.

Une divergence sur un point de règles peut être résolue par décision du MJ, votée, éclaircie par des recherches, portée à l’attention du créateur du jeu, etc. Mais lorsqu’une de mes préconceptions implicites (et qui n’a souvent pas été considérée) s’oppose à celles des autres participant.tes autour de la table, il n’existe pas d’instance supérieure qui puisse juger l’affaire ; on ne peut que se demander pourquoi l’autre imbécile n’arrive pas à voir ce qui nous semble limpide. Et vous pouvez parier votre chapeau qu’il ou elle a exactement la même réaction à votre égard.

On a versé beaucoup d’encre et de pixels sur la discussion du “Contrat Social” dans le milieu ludique. À titre personnel, je n’apprécie pas cette expression, on l’utilise déjà dans au moins deux autres disciplines (1) et elle amène avec elle des connotations qui n’ont pas leur place dans le milieu du jeu. Je ne prétends pas avoir une meilleure alternative, « règles de bases » est trop vague, « convention ludique » ressemble au nom d’un évènement autour du jeu.

Mais quel que soit le nom qu’il prend, qu’il soit écrit ou oral, on devrait discuter et s’accorder sur le contrat social avant le premier jet de dés.

Les rôlistes dans leur ensemble ne sont pas connus pour leur sens relationnel, mais on doit tous garder l’esprit ouvert lors de cette discussion. Beaucoup de sujets abordés sont très subjectifs et une partie peut être personnelle.

Un groupe n’a pas besoin de passer des heures dessus. Quelle que soit la situation sociale, un groupe restreint établira au fil du temps des principes de bases qui lui sont propres, en fonction des différentes situations auxquels le groupe est confronté, et la façon dont il les résout. Ce n’est que dans des environnements particuliers, comme une table de JdR, que cela devient plus problématique. En effet, au début d’une campagne, les joueurs.euses vont passer des heures à planifier l’évolution de leur personnage et sa progression, son historique, ses motivations, etc., et le MJ fera de même avec les arcs narratifs, les PNJ, les actions prévisibles des joueurs.euses etc. Lorsqu’il devient évident que ces « préconceptions partagées » ne sont pas partagées (et parfois ne sont même pas des préconceptions), on aura déjà gâché beaucoup de temps et d’effort et essayer de trouver un terrain d’entente peut être frustrant.

Ok, donc on a besoin de discuter de la partie avant qu’elle ne commence. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Certains points évidents et parallèles au déroulement de la partie incluent :

  • la question de la nourriture,

  • si on accepte ou non la consommation d’alcool (et quelle quantité),

  • de même pour la consommation de tabac (et d’autres...euh... produits),

  • le respect de la famille et de la demeure de l’hôte ou de l’hôtesse,

  • le respect des autres joueurs.euses et de leurs opinions,

  • comment gère-t-on les absences, etc.

Certains de ces sujets sont banals et presque triviaux, mais tu peux parier que la loi de l’emmerdement maximum s’appliquera, et trouvera l’unique sujet qui n’a pas été débattu.

Parmi les sujets les plus faciles à aborder et qui concernent plus directement la partie, on trouve les attentes concernant :

  • la place du secret entre les joueurs.euses,

  • la création de personnage,

  • la manière dont on gère les combats,

  • qui tranche les différents sur les règles (et en combien de temps)

  • qu’est-ce que le MJ attend des joueurs.euses (est-ce qu’ils ou elles doivent garder une trace écrite des aventures, etc.).

La plupart des groupes s’accordent assez rapidement sur ces matières, trouvent un consensus ou s’en occupent quand l’occasion se présente en jeu.

Les problèmes les plus importants que j’ai rencontrés sont les questions plus complexes et subtiles des préconceptions de narration ; et c’est à mon avis ce sujet qui devrait prendre la part du lion de la discussion. Elle inclut des sujets comme :

  • définir le genre de la campagne,

  • le comportement approprié des Personnages[-Joueurs (2)]

  • et ce que les joueur.euses et les MJ souhaitent retirer de la campagne (3).

Définir le genre est important car “heroic-fantasy” peut avoir un sens complètement différent d’un joueur à l’autre. Échangez sur la signification du terme et utilisez des exemples précis. Conan le Barbare wiki et Final Fantasy: Advent Children wiki sont tous les deux des films médiévaux-fantastiques, mais il y aura de la casse si vous essayez de mélanger les deux.

Chaque groupe devra généralement faire des compromis et c’est précisément le moment pour ça.

C’est aussi le moment pour définir l’ambiance et le ton de la campagne ; encore une fois, utilisez des exemples précis. Est-ce qu’un univers « sombre et dur » signifie que la magie est difficile d’accès ou bien que vous devriez créer une douzaine de PJ de secours pour la première session ? Quelque part entre les deux ? Mettez-vous d’accord.

Enfin, les MJ devraient garder à l’esprit qu’ils ou elles doivent soumettre leurs idées à leurs joueurs avant de les mettre en place. J’aurais aimé recevoir un centime pour chaque MJ qui a voulu organiser une campagne « sombre et sans concessions » mais dont les joueurs.euses souhaitaient incarner des héros célèbres et puissants. Trouvez un terrain d’entente, ou faites au moins connaître vos préférences.

Un comportement approprié des PJ est en relation direct avec le genre ; une campagne de Final Fantasy ne serait pas digne de ce nom sans dispute internes. Certains rôlistes pensent que cette tension intra-groupe est le meilleur aspect de notre loisir ; d’autres la trouvent délétère pour l’équipe bien disciplinée dont ils veulent faire partie. La plupart d’entre nous se situent quelque part au milieu, mais il est rare de trouver plusieurs personnes qui s’accordent complètement. Les MJ devraient s’entretenir avec, et écouter, leur groupe pour déterminer quel genre de comportement est approprié pour les personnages. Les joueurs devraient être honnêtes sur ce qu’ils ou elles jugent appropriés.

Ce qui nous mène à « Qu’est-ce que vous attendez de la campagne ? ». Le jeu de rôle couvre beaucoup de domaines en allant du théâtre d’improvisation aux combats tactiques avec des figurines, à des débats métaphysiques et philosophiques en passant par un examen profond de la moralité et une soupape pour les auteurs frustrés. Certaines [préférences] sont tout à fait compatibles entre elles, mais d’autres peuvent mettre certaines personnes mal à l’aise. On cherche tous des choses différentes, alors avant que les dés ne commencent à rouler, prenez quelques minutes pour en discuter et trouver un arrangement avant que le groupe ne se retourne contre lui-même et que la partie ne rencontre une interruption brutale.

Article original : Laying the gound rules « Are you thinking what I’m thinking? »

Sélection de commentaires

MoonHunter

Qu’on ait recours à l’expression haïe ou non, tous les groupes qui restent ensemble ont un Contrat Social. Certains ont évolué au fil du temps, mais la plupart sont le résultat d’une discussion lors des débuts de la campagne (ou lorsque la troupe s’est formée).

Tout le monde doit être sur la même longueur d’onde. Chaque crise/point de friction/raison de mécontentement que vous éclaircissez avant le début de la partie est une raison de moins qui ne mettra pas votre campagne en péril plus tard. On peut avoir un mauvais scénario, des rencontres passables, des PNJ bidimensionnels, et obtenir des parties satisfaisantes et divertissantes. À l’inverse, on peut préparer un scénario épique, des rencontres géniales, des PNJ vivants et tout ce qu’il faut pour que votre oeuvre soit à ça d’être un roman récompensé par un prix littéraire ; pourtant tout s’effondrera autour de vous et tout le monde détestera cette campagne si un problème social assez conséquent surgit. C’est important de réunir le groupe pour y réfléchir.

Aller plus loin que les règles en vigueur autour de la table et échanger sur ce que les gens attendent et veulent de la campagne vaut son pesant d’or. Dans Débuter une campagne à la façon de MoonHunter (en) (4), j’y détaille les étapes que je traverse pour commencer une campagne. Son succès repose sur le recueil des avis de mes joueurs.euses.

Soumettez à vos joueurs.euses le genre d’idées que vous souhaitez faire jouer et attendez leurs retours. Demandez-leur ce qu’ils veulent jouer et incorporez ça à votre préparation. Impliquez-les dans votre campagne en leur demandant de réfléchir à des choses qu’ils veulent voir se réaliser. Tout cela sert à s’assurer que votre groupe de joueurs s’investit.

Alors travaillez avec votre groupe et débrouillez-vous pour qu’il travaille pour vous sur chaque aspect de la campagne. Elle n’en sera que meilleure pour tous.

Immolate

Je ne peux pas vous dire ce qu’il faut pour réunir/pour former un groupe génial puisque je suis membre du même groupe depuis les début de carrière de rôliste, mais je peux vous donner un truc ou deux pour l’aider à ce qu’il le reste.

Premièrement, si vous êtes ensemble depuis un certain temps, que vous jugez que votre groupe est super et qu’il vaut la peine d’être préservé, soyez prêt à faire des efforts extraordinaires pour le préserver. Il est évident que tôt ou tard, il perde un joueur.euse. La vie est ainsi, pleine d’imprévus. On va offrir une opportunité professionnelle à quelqu’un.une qui l’éloigne du groupe, ses priorités se voient chamboulées par un mariage ou des enfants, il ou elle décède, ou perd tout simplement son amour pour le jeu. Il y a des impératifs qu’on ne peut pas arranger. Quand cela arrive, si vous décidez collectivement qu’il est nécessaire ou bénéfique de recruter un nouveau talent, vous devriez faire attention. Si vous n’approchez pas la situation en gardant à l’esprit que les joueurs.euses faisant déjà partie de votre troupe sont d’une importance capitale, vous risquez d’aliéner un ou plusieurs joueurs.euses, et de causer encore plus de dommage à un groupe déjà fragilisé par la perte d’une partie de lui-même. Votre groupe est le plus vulnérable lorsqu’il doit retrouver son équilibre.

Qu’est-ce que cela signifie au juste ? Que chaque nouvelle personne que vous intégrez devrait être considérée en période d’essai. Si leur participation crée des tensions avec l’un de vos joueurs.euses vétérans, le comportement le plus sage est de faire comprendre avec tact au nouveau-venu que ça ne marche pas. C’est d’autant plus difficile lorsque le nouveau joueur ou la nouvelle joueuse est un ami proche, ou un membre de la famille d’un.e des ancien.nes du groupe.

Ma suggestion dans ces conditions, est que ce soit le joueur « parrain » du nouveau-venu qui lui annonce la mauvaise nouvelle. Non seulement ce sera plus facile pour le joueur exclu de faire face au rejet s’il vient de son sponsor, mais cela donne à ce dernier l’occasion de cerner les raisons de l’échec et de se les approprier. En tant que parrain, vous devez avoir les épaules assez solides pour présenter quelqu’un au groupe en sachant que leur intégration n’est pas garantie.

Nous avons adopté un contrat informel entre nous au fil des ans en apprenant de nos erreurs. Une fois qu’on a donné sa chance au nouvel arrivant, toute personne du groupe peut exercer son droit de veto et refuser son inclusion ; les autres respecteront sa décision. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas en discuter ou que le réfractaire ne peut pas être convaincu, mais cela signifie que tous les membres du groupe peuvent être rassurés que leur avis a plus de poids que celui de quelqu’un d’extérieur. Dés le moment où ce sentiment n’est plus partagé par l’un des vétérans, le lien qui unit le groupe se fragilise et les fissures commencent à apparaître.

Évidemment, ce genre d’arrangement ne marchera pas si les membres du groupe ne sont pas bien intentionnés et réceptifs à un certain degré de changement. Vous ne trouverez jamais une copie-carbone de votre compagnon de jeu pour s’asseoir dans le fauteuil du partant, mais vous seriez surpris de vous rendre compte du nombre de personnes qui trouveront leur place dans votre groupe très uni. Vous augmentez les chances en sélectionnant des personnes intelligentes, polies et honnêtes. Plus leur personnalité est extrême, plus il y a de chances qu’un ou plusieurs membres actuels du groupe réagiront de manière négative.

Un dernier conseil et je la ferme : il est préférable que la personne au volant change de temps en temps. Mener parties sur parties pendant des années conduit au surmenage. Cela promeut aussi des dynamiques de groupes avec un ordre hiérarchique établi, du genre « le groupe de Jim » – où Jim est le chef –, ce qui lui donne la grosse tête et réduit les probabilités de compromis. Même si certains joueurs.euses n’endossent jamais le rôle de meneur, et qu’il est tout à fait probable qu’ils ne le feront jamais, observez un roulement de la position de celui qui tient les rênes afin de conserver la nature démocratique du groupe. Les bénéfices sont évidents et je ne m’étendrai pas plus sur le sujet.

Il est proverbial qu’il est bien plus simple de préserver un super-groupe que d’en réunir un. J’espère que mes réflexions et expériences seront utiles à quelqu’un.

(1) NdT : L’auteur peut faire référence à l’une des disciplines suivantes :

- la philosophie : une notion amenée par Rousseau en 1792 dans son ouvrage Du contrat social ou principe du droit politique. Elle décrit un accord implicite entre le peuple et les forces au pouvoir qui définit les limites, les droits et les devoirs de chaque partie.
- la médecine : un accord implicite entre le patient et son médecin où le premier échange sa confiance en son praticien contre un traitement efficace et rapide de ses maux.
- le droit : un accord entre plusieurs nations ou États sur des sujets où ils partagent un intérêt commun [Retour]

(2) NdT : dans l’article original, l’auteur ne précise pas s’il s’agit des Personnages des Joueurs ou des Personnages Non-Joueurs… Mais dans la pratique, les joueurs critiquent rarement le comportement des PNJ. Les joueurs supposent un tas de bonnes raisons pour ces comportements, comme : la jouabilité, une nécessité scénaristique, l’Autorité du MJ, ou « bon, ce PNJ est le grand-méchant ». Il n’y a que dans les jeux à narration (donc Autorité) partagée, et dans les jeux narratifs, que les joueurs peuvent se mettre à contredire le « roleplay » des PNJ ; « mais voyons, ce PNJ n’agirait pas comme cela » [Retour]

(3) NdT : dans le Big Model de Ron Edwards/The Forge, l’ensemble de ces sujets à convenir s’appelle la Proposition Créative. [Retour]

(4) NdT : Sa méthode est la suivante :

  1. Créer et distribuer des textes de présentation courts pour différentes idées de campagne lorsque la campagne en cours touche à sa fin.

  2. Demander à chaque joueur de lui donner plusieurs éléments (PNJ, ambiance, élément de background, type d’aventure…).

  3. Créer grossièrement plusieurs cadres pour la campagne en utilisant les éléments fournis par les joueurs.

  4. Choix du cadre de jeu par les joueurs et seconde collecte d’éléments pour le MJ, cette fois centrée sur le cadre final.

  5. Créer un monde détaillé ainsi que les arcs narratifs de la campagne.

  6. Création du matériel pour représenter le monde ainsi que les règles spéciales qui reflètent le cadre de jeu.

  7. Réunir les joueurs pour créer le groupe et s’assurer que l’historique de chaque membre soit mêlée au reste de la bande.

  8. Dernière collecte d’informations, cette fois centrée sur les personnages.

  9. Polissage du cadre de jeu pour supporter les personnages et leurs conceptions, création des adversaires, les arcs narratifs sont rédigés de manière plus détaillée.

  10. Début de la partie. [Retour]

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Commentaires

J'approuve à 100% : on devrait discuter et s’accorder sur le contrat social avant le premier jet de dés.

Mais je désaprouve la méthode, je vois le contrat social comme une solution à un problème, pas un préalable au jeu. Tant qu'il n'y a pas de problème la conversation sur le contrat social est un perte de temps, cela consiste à régler un problème qui n'existe pas et dont personne ne voit clairement le sujet.

Avoir l'outil et les explications pour résoudre une situation de crise, me paraît plus propice à l'apprentissage de tous.

 

Auteur : 
Anonyme

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