Tout le monde veut être le maître du monde – 2e partie
© 2006 Robert Griffin
Signs & Portents, le magazine de Mongoose Publishing
présente :
Motivations : alors pourquoi voulez-vous conquérir le monde ?
Une fois que le maître de jeu a choisi l’objectif global, l’étape suivante consiste à déterminer pourquoi le grand méchant est poussé à le poursuivre.
Il faut bien se souvenir que la majorité des grands méchants se considèrent rarement malfaisants ou mauvais, même selon les critères moraux en noir et blanc de la fantasy.
Ils sont simplement à la poursuite d’un but qu’ils sont les seuls à comprendre et croient souvent être les héros de l’histoire. Ils sont les seules personnes au monde capables de percevoir les vrais problèmes et donc d’influer dessus. Cela peut provenir d’un sens déformé de la justice, d’un désir de revanche, d’une foi en leur propre supériorité naturelle ou d’un tas d’autres raisons. La bonne motivation peut même changer la perception que l’on a du grand méchant le plus méprisable et apparemment le plus irrécupérable, selon les circonstances. Il revient au maître de jeu, non seulement de décider des raisons pour lesquelles le grand méchant poursuit ses objectifs, mais aussi si les joueurs les comprennent ou pas.
Cette décision est une des plus importantes et aura un impact considérable sur la campagne. Cette dernière peut complètement changer de ton : du concept simple “Le méchant est maléfique et il faut l’arrêter”, elle peut évoluer vers une ambiance du genre “Nous respectons le méchant malgré nous, mais nous ne pouvons pas le laisser faire”. Cela affectera toutes les interactions des PJ avec le grand méchant, mais aussi avec ses hommes de main, ses créatures et ses alliés, pour le reste de la campagne.
Les bonnes motivations
Si le grand méchant est un héros déchu, ou s’il poursuit un noble objectif en employant des méthodes peu recommandables, il peut poser un sérieux dilemme aux joueurs.
Voilà quelle est l’idée derrière le choix d’un grand méchant avec une motivation que l’on peut comprendre : le maître de jeu cherche à ce que les joueurs compatissent avec le grand méchant et comprennent pourquoi il fait ce qu’il fait, de sorte à instaurer une morale en nuances de gris dans la partie. Un guerrier élevé dans la pauvreté, dégoûté et révolté par les extravagances des nobles peut décider de prendre les armes, de lever une armée et de partir à la conquête du royaume avec le désir de s’assurer que plus personne ne souffrira comme lui.
À première vue son but est raisonnable, presque noble. Quand ce même guerrier, afin de réaliser son rêve, fait mettre en rang les nobles et fait exécuter hommes, femmes et enfants, y compris les roturiers qui ont servi dans les armées de la noblesse, il cesse d’être honorable.
Les grands méchants de ce genre sont intrinsèquement tragiques. Plus que la plupart des méchants, ils ne se voient vraiment pas comme maléfiques. Ils penchent vers le côté dur de la justice, et leurs efforts pour réaliser leur vision finissent par les conduire aux pires extrémités.
Les grands méchants avec de bonnes motivations tendent à avoir des buts de destruction et de conquête. En général, ils cherchent à détruire quelque chose ou quelqu’un qui leur a causé du tort par le passé, à eux ou à d’autres. Ou alors ils croient que, par la conquête, ils peuvent rendre le monde meilleur en renversant totalement l’ordre établi et en se plaçant à la tête d’une nouvelle société plus juste.
On peut même être bien disposé envers la conquête du pouvoir si l’intention du grand méchant est de s’en emparer pour mieux empêcher d’autres d’en abuser.
À l’image du héros poussé par la vengeance, il est facile pour ce type de grand méchant de dépasser les limites et de commencer à faire du mal à ceux qu’il cherche à protéger.
L’accumulation de richesses est également un objectif possible pour ce type de grand méchant. Un monarque déterminé à ce que sa nation devienne la plus riche de toutes, qui commence à envahir ses voisins pour réaliser ce rêve, est loin d’être un grand méchant aux yeux de son peuple. Les personnages pourraient faire face à une réaction très différente de celle à laquelle ils s’attendent s’ils essaient de libérer la population de son “despote tyrannique”.
Un grand méchant sympathique n’est pas le plus approprié pour toutes les campagnes, puisque les critères moraux de la fantasy penchent plutôt vers une vision très étroite du bien et du mal. Toutefois, jouer le rôle d’un méchant plus avenant et presque admirable peut prendre les joueurs à revers et créer des situations de roleplay uniques.
Les mauvaises motivations
Si le grand méchant aux motivations honorables est un héros souillé et présente de nombreuses opportunités de roleplay pour le maître de jeu et ses joueurs, le grand méchant antipathique est un pur défoulement cathartique pour le MJ.
Il ne dispose pas de la moindre qualité pour le racheter. Là où le grand méchant sympathique peut se sentir obligé de commettre ses actes pour des raisons nobles et compréhensibles, son homologue n’en a strictement aucune. Il le fait pour lui.
Il commet ses méfaits par avidité, par envie de violence, ou simplement parce qu’il est amoral par nature. Cela peut procurer un sentiment de soulagement aux joueurs comme au maître de jeu. Pour les joueurs car le grand méchant est clairement étiqueté comme tel, et pour le MJ car il peut rendre le grand méchant aussi totalement mauvais, vil et diabolique qu’il le souhaite, sans autre motivation que “Il en a envie”.
Il n’est pas destiné à poser un dilemme moral aux joueurs. Il est un panneau placé en évidence à leur intention, avec “Méchant !” écrit en grandes lettres fluorescentes pour quiconque capable de les lire. Personne n’aura de remords à liquider un tel scélérat incapable de se repentir, et le plus souvent, ce grand méchant ne voudra pas que l’on essaye. Comme son homologue, il peut poursuivre une large gamme d’objectifs et est tout autant à l’aise avec chacun d’eux.
L’acquisition de la richesse est toujours un bon objectif pour un criminel invétéré avec un tempérament cupide. En fait, il est même possible de le rendre avide sans en faire quelqu’un de complètement méprisable. Le gentleman-cambrioleur classique, bien coiffé et débonnaire, doublant constamment les personnages-joueurs en s’enfuyant avec leurs posessions quelques instants avant eux en est un parfait exemple. Il pourrait décider de les affronter s’il y est contraint, mais serait peu disposé à les éliminer purement et simplement, préférant les laisser en vie de sorte qu’ils puissent à nouveau se mesurer à lui à l’avenir.
Il est un peu plus difficile de rendre sympathique les Destructeurs ou les Conquérants. Ils sont disposés à être mauvais de façon plus classique : d’atroces grands méchants au-delà de tout pardon. Ils détruisent parce qu’ils en ont le pouvoir, et personne ne possède un pouvoir équivalent pour les arrêter.
Parmi eux, les Conquérants veulent dominer par désir de contrôler tout et tout le monde autour d’eux. Ils fondent des régimes dictatoriaux, anonymes, soutenus par des troupes de choc et une police secrète dans l’ombre qui escamote les dissidents au milieu de la nuit, sans laisser de traces. Les Démiurges se présentent également comme de parfaits exemples de grands méchants antipathiques. Écrasant brutalement quiconque se touve sur leur chemin pendant qu’ils recherchent les secrets du pouvoir ultime, ces grands méchants peuvent être encore plus impénétrables et étranges puisqu’il est difficile de discerner la moindre raison qui les pousse, tandis qu’ils quêtent les secrets anciens et mystérieux remontant à la nuit des temps.
Ces genres de grands méchants sont appropriés pour toute campagne car ils sont un élément de base du genre fantasy. Certains des plus grands noms de la vilenie fantasy sont tirés de leurs rangs. De fait, c’est un véritable “Who’s Who du Mal en fantasy” qui rassemble leur auguste fraternité : une liste de méchants, grands comme petits ; leurs motivations inconnues de leurs ennemis au-delà de leur soif de domination, de pouvoir ultime ou de destruction totale.
Il y a peu à savoir mis à part la certitude qu’ils doivent être arrêtés à tout prix !
Un dernier mot sur la motivation
Peu importe qu’elles soient honorables ou condamnables, leurs motivations doivent être connues et avoir un sens pour les grands méchants eux-mêmes.
Comme on l’a dit, même le plus vindicatif des ennemis au cœur noir croit rarement être réellement diabolique. Aux yeux des grands méchants, leurs raisons sont pertinentes, raisonnables et compréhensibles. Dans la plupart des cas, ils croient tout simplement que leurs ennemis les combattent par aveuglement, stupidité ou naïveté. Afin d’en faire plus qu’une caricature de méchant de dessin animé, le maître de jeu doit au moins avoir une petite idée de ce qui pousse le grand méchant à commettre ses actions.
Cela permet de maintenir un certain niveau de cohérence dans ses actes. Un grand méchant partant à la conquête du monde parce qu’il est convaincu que les détenteurs actuels du pouvoir sont indignes de commander comparé à lui, pourrait annihiler complètement ses ennemis et écraser ses potentats rivaux. Il ne sera vraisemblablement pas intéressé seulement par la conquête, mais aussi par la conversion. Si l’opportunité de convertir d’autres à sa façon de penser “plus éclairée” se présente, il cherchera à la saisir avec la même vigueur. Il pourra même se montrer troublé et indigné par l’incapacité des héros à comprendre son point de vue plus éclairé.
Cela ne signifie pas que le maître de jeu doit avoir une liste détaillée de tout ce qui pousse et inspire son grand méchant ; mais rien qu’une idée basique de ses motivations peut aider à apporter de l’ampleur et de la profondeur à sa création malfaisante et lui donner l’indispensable étincelle de vie qu’il mérite.
Méthodes : comment voulez-vous conquérir le monde ?
Les méthodes auxquelles le grand méchant recourt en disent long sur sa personnalité, sa manière de penser, ses buts, et plus important encore, elles montrent aussi aux joueurs ce qu’il ne fera pas. On délaisse souvent cet aspect important du nouveau grand méchant. Cela permet d’établir ses limites. Certains grands méchants n’en ont pas, mais décider de donner ou non des limites à son nouveau méchant suprême est un élément de construction vital pour déterminer comment il gèrera les inévitables perturbations de ses plans par les personnages-joueurs.
Deux genres de méthodes malfaisantes
Il y a vraiment deux genres de méthodes pour les grands méchants de fantasy : ceux qui ont un sens de l’honneur, aussi déformé soit-il, et ceux qui ne s’arrêteront devant rien pour atteindre leurs fins.
Décider du type de méthodes du grand méchant qu’il est en train de créer est l’une des décisions les plus importantes que prendra le maître de jeu, car cela déterminera à quel point le grand méchant est vraiment diabolique. Un grand méchant qui affronte ses opposants de manière honorable permet de faire face à un ennemi plus concret qu’une fripouille complètement dégénérée qui ne crachera pas sur la torture, la mutilation ou le génocide absolu afin de remporter la victoire.
Tandis qu’il évalue les méthodes que le nouveau grand méchant utilisera, le maître de jeu doit considérer le ton global de sa campagne pour l’aider à prendre sa décision. Un grand méchant d’un monde sombre, post-apocalytique sera vraisemblablement plus infâme et plus que disposé à utiliser des méthodes condamnables que son homologue de high fantasy.
Plus sombre sera le ton de la partie, plus vils seront les grands méchants, particulièrement si les héros eux-mêmes sont plus sombres et plus cyniques.
Peu importe que le grand méchant soit sympathique ou haïssable, les méthodes qu’il utilise influenceront les opinions des joueurs à son égard.
Par exemple, un despote impitoyable qui massacre son propre peuple, torture ses ennemis et dévaste les campagnes, sera poursuivi sans relâche par les personnages-joueurs. La décision du maître de jeu de voir son grand méchant utiliser les méthodes les plus draconiennes a précisé son image dans l’esprit de ses joueurs. Il est évident qu’il est un adversaire diabolique et dangereux qui ne mérite aucune pitié. Alors qu’un grand méchant conquérant les terres voisines, mais épargnant les troupes qui décident de se rendre, amènera les personnages à être plus enclins à enquêter à son sujet avant de simplement agir contre lui.
Le style des méthodes du grand méchant va de pair avec la malignité évidente que le MJ veut lui donner. Une politique de terre brûlée est considérablement plus remarquable que des manœuvres et des intrigues politiques. La première est la plus à même d’attirer l’attention d’un groupe d’aventuriers, que les menées machiavéliques d’un maître politicard. Cela ne signifie pas que l’une est meilleure que l’autre : les deux ont le potentiel de semer le chaos au niveau de l’ensemble des royaumes. La question est seulement d’évaluer le niveau d’attention que chacune d’elles attire.
Une fois que le maître de jeu a décidé du style de méthodes du grand méchant, il doit établir les détails des rouages nécessaires à la poursuite de ses objectifs. Est-il un manipulateur politique, un comploteur social, un seigneur de guerre en croisade ou un chef barbare déchaîné ? La décision du MJ sera facilitée en s’appuyant sur les objectifs du grand méchant.
Si le maître de jeu se représente son grand méchant comme un conquérant du genre Jules César, dont le but est d’unifier les différentes factions en un grand empire s’étendant aux quatre coins du continent, alors la conquête militaire lui paraîtra être une marche naturelle à suivre.
La plupart des méthodes peuvent être réparties en quatre catégories de base : l’utilisation de l’économie, de la force brute, de la tromperie et de l’intimidation. Chacune dispose de ses propres forces et faiblesses et peut se combiner avec les autres.
La méthode économique
La perturbation du commerce, la destruction des sources de richesse, la manipulation de l’économie, et le vol pur et simple sont les manières d’agir les plus courantes du grand méchant matérialiste. Il agira pour conquérir une nation en bouleversant son économie, ou détruira les infrastructures marchandes, prendra possession des mines et des ressources naturelles, et cherchera à priver ses ennemis des ressources dont ils ont besoin pour le combattre.
Ce type de grand méchant a tendance à être moins voyant que ses homologues plus grandiloquents, mais ça ne le rend en rien moins dangereux.
Les dommages qu’il cause sont en revanche moins évidents du point de vue des PJ, étant donné que ces méchants-là n’ont pas tendance à ressortir autant que, disons, un seigneur de guerre dévastateur.
Ses méfaits économiques commencent vraisemblablement à affecter en premier lieu les roturiers d’un royaume, augmentant le nombre de pauvres et de personnes en situation précaire. Ses vraies cibles, d’habitude ceux qui règnent, seront les derniers à ressentir le plein effet de ses attaques. Les personnages-joueurs, en revanche, existent dans une strate sociale unique dans la majorité des campagnes. Ni vraiment roturiers ni vraiment nobles, se trouvant dans une classe intermédiaire, ils peuvent plus ou moins faire la navette d’un côté à l’autre.
Cela devrait permettre aux personnages de se rendre compte de ce qui se passe plus vite que ceux qui règnent. En fait, quand ils font face à un grand méchant économique, il y aura probablement une période pendant laquelle il sera difficile de l’identifier. Les autorités locales ne seront pas vraiment enclines à prêter attention à un prédateur dont les attaques ciblent ceux qui sont en dessous de leur classe sociale, ce qui va amener nos joueurs à supposer que le méchant en fait partie. Tout ça ouvre des possibilités de tensions et de conflits non seulement avec le grand méchant mais aussi avec ses cibles, en fonction des actions que les personnages-joueurs entreprennent pour dénicher le méchant.
De plus dans un jeu de fantasy, les PJ ont tendance à avoir de gros revenus, à plus forte raison à haut niveau, ce qui en fait des cibles potentielles pour le grand méchant économique. Une fois qu’ils ont attiré son attention, il peut choisir de s’occuper des personnages en tentant de les déposséder de leur fortune par une manipulation des impôts, gabelles, dîmes… tout autant qu’en augmentant le prix des objets dont les personnages ont besoin.
Un maître du combat mercantile peut se révéler extrêmement dangereux pour un groupe qui n’est pas équipé pour lui faire face, tandis qu’il draine lentement leurs ressources et les prive de la possibilité d’en créer de nouvelles.
La méthode de la force brute
La force brute est la méthode favorite des plus fameux grands méchants du genre. Peu de choses crient autant “vilenie pure” que l’image d’un cavalier noir au devant d’une horde invincible qui se prépare à fondre sur un royaume local, massacrant et pillant tout ce qui ose se trouver sur son passage.
De tous les types de méthodes, c’est la plus simple à utiliser pour les MJ, la plus attendue par les joueurs, et celle à laquelle ils sont le plus à même de répondre. Le combattant héroïque, le sorcier, le paladin et le clerc sont tous prêts à prendre les armes pour défendre la veuve et l’orphelin contre leurs antagonistes. Les outils du méchant “brutal” sont la guerre, l’assassinat, la destruction de biens et le meurtre.
C’est une des méthodes les moins discrètes que le méchant puisse choisir, car les joueurs sont presque immédiatement conscients que quelque chose se trame, même s’ils n’en connaissent pas la source. Alors que le mécanisme est évident en soi, un méchant rusé peut utiliser plusieurs couches de subterfuges pour égarer les personnages, créant la confusion quant à la cause de l’emploi de la force même.
Presque tous les méchants utilisent la force brute, à divers degrés ; même le conseiller du roi à la parole mielleuse qui manipule le trône s’appuiera sur la force pour s’occuper d’un rival à la cour qui a commencé à voir clair dans son jeu. Cela aura pour conséquence un accident opportun, un empoisonnement, ou carrément un assassinat qui réduira le rival au silence, permettant au conseiller de retourner à sa méthode préférée – la ruse – loin des yeux inquisiteurs.
La méthode rusée
Si la force est la ressource la plus en vogue parmi les grands méchants, la ruse est de peu seconde. Le manipulateur machiavélique qui orchestre un coup d’État ou le traître suprême qui livre un royaume à ses ennemis, sont des clichés de la littérature fantasy. Les sorciers, bardes et autres classes qui penchent vers l’intellectuel ou le social ont tendance à aller vers cette méthode, utilisant leurs mental supérieur et leur seul charisme pour changer la face du royaume.
Ces grands méchants ont pour armes les sous-entendus ; les rumeurs ; la paranoïa et la peur ; et les bonnes intentions. Peu nombreux sont ceux qui peuvent croiser le fer avec eux.
La subtilité est le maître-mot de ce type de grand méchant. Il aime frapper de l’intérieur, affaiblir la résolution et jouer sur les peurs de ses victimes, en s’assurant qu’elles aient besoin de lui. Il s’immisce jusqu’à des positions de pouvoir, mais sera rarement vu sur le devant de la scène, préférant plutôt agir en coulisses, afin d’être sûr de ne pas être remarqué. De cette manière, le couteau d’un assassin rencontrera le pantin du grand méchant avant de le toucher directement.
Un grand méchant rusé peut être un ennemi coriace à combattre, même pour un groupe de haut niveau, étant donné qu’il est incroyablement difficile d’arriver à le confronter directement, ou de répondre par la violence aux menaces qu’il crée. Il manipulera la populace contre les personnages-joueurs, rendra les rois et autorités locales sourds à leurs plaidoiries, et travaillera à faire des héros des hors-la-loi malgré eux.
Ses champs de bataille sont la cour et l’arène sociale, un front sur lequel peu de classes, mis à part le barde, sont vraiment prêtes à l’affronter.
Tandis que le grand méchant économique peut prendre leurs ressources aux joueurs, le rusé les dépouille de leurs amis et alliés. Il monte les gens contre les personnages-joueurs, détruit leur réputation, et s’assure ainsi que peu de gens prendront le risque de s’associer avec eux.
La méthode de l’intimidation
Avant le recours à la force, il y a souvent la menace de violences, et quelques-uns des plus intelligents méchants peuvent se rendre compte qu’un royaume peut autant tomber par l’épée que par la peur que l’épée soit utilisée contre lui. Ce sont des grands méchants qui veulent garder intactes leurs conquêtes. Ils manquent de ressources pour utiliser la force ou la trouvent peu ragoûtante. Ce peut être la signature du dirigeant d’une guilde des voleurs locale qui utilise le chantage et l’extorsion de fonds ; ou d’un opulent et raffiné noble seigneur de guerre, selon les besoins du MJ, besoins qui dessineront le grand méchant ainsi créé.
Là où ça se complique, c’est que l’usage de l’intimidation n’est quasiment jamais qu’une menace psychologique. Mais il y a toujours la possibilité que le grand méchant qui bluffe possède réellement les moyens de donner corps à ses menaces. Plus d’un personnage-joueur, convaincu que le méchant bluffait et qu’il ne tuerait pas un otage, a appris à ses dépens que lorsqu’on les accule, la plupart des grands méchants mettent leurs menaces à exécution. En fait, s’il ne le faisait pas, cela rendrait caduque toute menace potentielle que représente le méchant.
Cela ne signifie pas que le grand méchant ne peut pas bluffer et ensuite ne pas exécuter sa menace à cause d’une conviction personnelle quelconque. Ça semble envisageable, et c’est un assez bon exemple de l’existence d’une limite que le grand méchant ne franchira pas. Si le grand méchant devait survivre à la rencontre, il ferait mieux de rendre réelle la prochaine menace qu’il exercera, ou alors les héros risquent de le voir comme un farceur plus que comme un réel fléau.
Dans la plupart des cas, l’intimidation va de pair avec une des autres méthodes qui sont les véritables manières de mener à bien les menaces proférées. Le MJ devrait détailler les méthodes que le grand méchant est prêt à employer – ou non – pour mettre ses ultimatums à exécution.
Mélange
La plupart des vrais grands méchants feront un mélange de ces diverses méthodes, passant de l’une à l’autre selon les situations. Même le plus habile des intrigants se rend compte que parfois, les sous-entendus et les menaces échouent. Le grand méchant doit soutenir ses paroles par la force ou fuir. Même le plus brutal des seigneurs de guerre comprend que, de temps en temps, sa seule réputation fera que les rois eux-mêmes se prosterneront devant lui afin que leurs sujets soient épargnés.
Un méchant équilibré utilisera ce dont il a besoin et se débarrassera de l’inutile, s’avérant un vrai danger pour des aventuriers même vétérans. Cela donne au maître de jeu les outils dont il a besoin pour s’occuper de quatre à six personnages disparates, voulant chacun mener ses propres plans et intrigues.
Enfin les méthodes, motivations et buts du grand méchant sont tous atténués par sa personnalité. Sa personnalité déterminera l’intensité avec laquelle il poursuit ses objectifs, la virulence de ses méthodes et la profondeur de ses motivations.
Sa personnalité : ce qui fait de moi un bon dictateur, c’est…
Arrivé à ce point, le MJ a probablement une assez bonne idée de ce à quoi son grand méchant potentiel ressemble. Maintenant, il doit déterminer qui le méchant est. Qu’est-ce qu’il aime ? N’aime pas ? Est-il rageur et violent, ou un intrigant au cœur de pierre? En général, je trouve préférable de prendre les objectifs, méthodes et motivations que j’ai prévues pour ce méchant potentiel et de me demander ensuite “Pourquoi ?” et “Comment ?”. La plupart de ces questions trouvent leurs réponses d’elles-mêmes. Voici une liste non exhaustive de questions d’interview possibles qu’un MJ devrait se poser en préparant son grand méchant :
- Qu’est ce qui est le plus important : le pouvoir ou la connaissance ? Pourquoi ?
- Jusqu’où irez-vous pour atteindre vos objectifs ? Qu’est-ce que vous ne feriez pas pour atteindre vos objectifs ?
- Quelle est votre définition de l’héroïsme ? Quelle est votre définition des méchants ?
- Que pensez-vous de la religion et de la spiritualité ?
- Comment définissez-vous la Justice ?
- Vaut-il mieux être craint ou respecté ? Pourquoi ?
- Quand vous étiez jeune, vous vouliez être…
- Quel est votre point de vue sur l’honneur ?
- Est-il plus facile d’attaquer un ennemi de l’intérieur ou de l’extérieur ? Pourquoi ?
- Finissez cette phrase : “Mes ennemis méritent…”
- Vous vous considéreriez comme un héros ou un méchant ? Pourquoi ?
- Finissez cette phrase : “C’est la responsabilité du fort de…”
- Comment vous détendez-vous ? Qu’est-ce qui vous met en colère ?
- Qu’aimez-vous ?
- À votre mort, quel sera votre héritage ?
- Pour quoi vous sacrifieriez-vous ?
- Qu’est-ce qui mérite votre confiance ?
Ces questions sont censées être assez neutres et peuvent être posées à un héros ou un méchant. Les maîtres de jeu pourront recevoir des réponses pertinentes des deux parties. Leur but est d’aider à créer un aperçu des croyances, convictions et idéologies du grand méchant. Cela aidera le maître de jeu à déterminer comment son grand méchant réagit face aux échecs ou aux succès, et quelle est sa personnalité intime. Un grand méchant vraiment réussi n’est typiquement que le reflet sombre de son ennemi juré.
En fait, un MJ pourrait même donner la même liste de questions à ses joueurs et voir comment leurs personnages y répondent. En prenant les réponses des joueurs et en les déformant, le MJ peut obtenir une bonne idée du type de grand méchant qui captivera l’imagination de ses joueurs et pourra les inciter à croiser le fer avec lui. Si le grand méchant aime ce que les joueurs détestent et vice versa, il est plus facile de mener les deux parties à un conflit direct.
Le maître de jeu armé de cette liste devrait pouvoir glaner quelques informations de ces données et créer un adversaire bien campé. Il ne reste qu’à compléter avec des traits de personnalité, des croyances bien enracinées et une personnalité ; ces réponses peuvent être utilisées pour rajouter de la chair au squelette déjà établi par les objectifs du grand méchant, ses motivations et ses méthodes.
Article original : Everybody Wants to Rule the World part II (p. 26 de Signs & Portents n°30)
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