Comment je veux que vous me parliez de votre univers

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NdT : tous les liens sauf le premier ont été rajoutés par notre équipe

Depuis que j’ai commencé le-truc-que-j’écris-et-dont-je-parle-à-qui-veut-bien-m’entendre-mais-dont-je n’ai-pas-envie-de-faire-de-la-pub-ici, des gens l’ont appelé un “univers” [setting en VO. Synonymes : monde, décor, cadre (NdT)]. Ce qui est vrai : c’en est un, mais je n’y ai simplement jamais pensé en tant que “univers” ; c’était seulement “le coin où je mets mes idées pour D&D pour que [ma compagne et joueuse] Kimberly puisse les exploser”.

Bref, Sir Larkin va prochainement relire et commenter [l’univers de campagne pour AD&D] Les Royaumes Oubliés grog [1re édition – 1987] et je suis impatient de lire son compte rendu, parce qu’il sait écrire de manière abordable et que je n’ai jamais réussi à finir un bouquin de supplément de contexte sans y être forcé (Bon, peut-être pas “jamais” : j’ai fini Carcosa grog, et quelques trucs de Palladium grog quand j’avais genre 12 ans parce que je n’avais rien de mieux à faire). Pourtant, j’ai la compétence Langue (Anglais) à genre 98 % : alors, où est le problème ?

Le problème, c’est que la plupart des suppléments de contexte sont remplis de descriptions interminables, en prose, d’un monde de jeu de rôle. Qui peut être :

A. directement adapté d’une œuvre littéraire, cinématographique, télévisuelle, etc. ; ou

B. une création techniquement originale.

Si c’est le A., alors ce monde est mieux décrit ailleurs : dans le livre ou le film dont il est tiré (1). Peut-être que j’ignore combien de kilomètres séparent la Comté du Mont Venteux, mais j’aurai déjà lu la plupart des informations contenues dans un supplément pour Newhon dans un roman de Newhon écrit de manière bien plus divertissante, et que j’ai visiblement tant aimé que j’en ai acheté la version JdR.

Si c’est le B., alors le problème est différent.

L’univers de jeu doit être décrit ; or, l’auteur de JdR qui écrit sur cet univers (que celui-ci soit génial ou pas) est, presque par définition, plus mauvais à cet exercice qu’un auteur qui gagne sa vie en écrivant uniquement des histoires — ou au moins des choses que j’ai envie de lire.

Il n’y a peut-être que 0,001 % des œuvres de fiction jamais écrites par des écrivains professionnels réputés que j’ai envie de lire. Partant du principe que je n’ai pareillement envie de lire que 0,001 % des œuvres de fiction jamais écrites sous la forme de suppléments par un écrivain de JdR, cela ne représente sans doute que 2,1 personnes dans toute l’Histoire de notre loisir.

En d’autres termes : le supplément de contexte est plein d’écrits originaux, rédigés par un auteur dont le style n’est pas vraiment le point fort.

Et si vous lisez — pour votre loisir — quelque chose que vous n’avez pas envie de lire, vous n’en retiendrez rien. Donc si, en tant que MJ, j’ai besoin de retenir que Gémirvana est la capitale du Mouettegosier, je suis foutu.

Un problème connexe est que l’univers est presque toujours plein de détails concrets qui ne sont que des versions remaquillées et réarrangées de faits ou d’idées tirées du monde réel ou d’autres œuvres de fiction. Le Saint Graal devient la Sphère du Sorcier, il y a une pseudo-Angleterre, une pseudo-Allemagne, une forêt “tolkienesque”, etc. Tout cela est fait à dessein, et pour des raisons que je peux comprendre, mais les auteurs doivent du coup produire beaucoup de bla-bla pour expliquer les Grands Cataclysmes et les pénuries de carburant au lieu de simplement dire quelque chose comme “Ok, t’as vu Mad Max, j’imagine ? Eh bien, Les Mutants des Antipodes c’est pareil, mais avec des kangourous mutants armés de Uzis, ok ?”. Ou alors les auteurs comparent les densités de population d’Ilthbone et d’Harnmarr, ou racontent que la guerre entre les Skorcs et les Guelfes a duré 1300 ans.

C’est là que je commence à piquer du nez. Oui, Oerth est certainement un endroit fabuleux, mais ce n’est pas parce que “la Mikar prend sa source dans les vastes marais à l’est de la forêt de Haute-futaie”, ou parce que “les Lorridges se situent à l’extrémité nord du massif de Lortmil”. C’est parce qu’il y a des tyranœils qui y vivent.

Tyranoeil

Alors, comment doit-on faire ? Je pense que si vous voulez créer un univers pour votre jeu, ne nous le racontez pas : montrez-le-nous. Les auteurs de JdR savent écrire des règles — des règles qui simulent des genres — alors présentez votre univers sous forme de règles (et de monstres, d’objets, etc.) et de rien d’autre.

Plutôt que de décrire en quoi les Landes claniques sont différentes des Marches de Skarrblown, créez simplement une table de rencontres aléatoires comme suit :

Landes Claniques

1-2 Chiens sauvages

3-4 Fantômes de pierre

5-6 Marchands du clan de la Griffe

7-8 Moine

9-10 Pèlerin

Marches de Skarrblown

1-3 Chiens sauvages (affamés, ½ PV)

4-5 Charrette de marchandise du clan de la Griffe, abandonnée

6 Aucune rencontre

7 Bruissement inquiétant

8 Vautour d’os

9 Pèlerin

10 Chien sauvage mort

Vous voulez de l’histoire ? De l’ambiance ? Rien dans tout le monde de Greyhawk ne bat cette phrase :

Relique : Œil de Vecna

Le nom de Vecna est rarement prononcé, ou alors à mi-voix, et jamais à portée d’oreille des étrangers, car les légendes racontent que le spectre de cette liche autrefois toute-puissante erre encore sur ce monde… (et maintenant, quelques règles concernant cet Œil).

En clair, plutôt que de vous embêter à en décrire chaque lieu, avant d’expliquer des règles qui répètent ce que vous venez de décrire sous la forme d’articles encyclopédiques, bâtissez votre monde fictif à partir des outils que vous nous donnez pour y faire jouer.

Carcosa

C’est comme cela que Carcosa le fait : des classes de personnage, de nouveaux objets, sorts et monstres, pas des pavés d’information sur l’univers. Ce qui se rapproche le plus du traditionnel guide de voyage, ce sont de courtes descriptions, hexagone par hexagone, des sujets intéressants — mais même ces derniers prennent la forme d’informations utilisables en jeu. Vous devez tout assembler vous-même ; mais malgré cela, vous ne pouvez pas dire que l’univers n’est pas décrit.

NdT : extrait de la critique de Carcosa par Batranoban chez le Grog

Des descriptifs très sanglants et très gore de centaines de rituels à base de tortures diverses et variées, des dieux lovecraftiens et pervers, et surtout une titanesque carte et un listing de centaines de rencontres sur ce continent.

Alors en général c'est bref : on a de une à trois phrases qui nous disent “Tiens, vous voyez une ruine avec 1d8 hommes rouges qui luttent contre 1d4 homme-serpents”, et paf débrouillez-vous avec ça ! Comme le propose l'auteur, il s'agit plus d'un réservoir à idées que d'un vrai univers à jouer. Mais bon, on peut y jouer, pour de vrai, entre deux DVD de Starcrash et de Conan, mais faudra que le meneur développe largement des intrigues et événements en rapport avec les (trop) brèves rencontres.

Pendant une partie, un MJ emploie tout son art à faire vivre ses idées, et à faire en sorte que les règles complètent et développent ces idées, pas à réciter des textes sur des généralités interchangeables. Pourquoi les descriptions d’univers ne font-elles pas de même ?

Ce que tout le monde veut savoir de votre univers, c’est :

  • En quoi est-il différent de tous les autres univers du même genre ?
  • Quelles règles avez-vous imaginées pour le faire vivre ?

Si vous créez un jeu de rôle que vous souhaitez vendre, alors oui, vous pouvez écrire une introduction, pour les nouveaux. Sinon, donnez-nous une carte, une image ou deux, et expliquez le reste de l’univers avec les règles. Faites-nous confiance, nous lirons les règles, c’est pour cela que nous avons acheté ce bouquin.

Sélection de commentaires

ckutalik

C’est amusant de voir que personne ne réagit à ta diatribe, alors que je la trouve si pertinente qu’elle devrait être diffusée comme un message d’intérêt public dans tous les milieux rôlistes.

Personnellement, non seulement j’en ai appris davantage sur Tékumel wiki dans les petits paragraphes placés autour des tables et des règles de l’édition originale d’Empire of the Petal Throne que dans les divers suppléments officiels de contexte qui sont parus depuis, mais j’ai mieux apprécié l’univers grâce à eux.

Donc oui oui, taisez-vous et jouez.

mordicai

Je dois dire que j’aime les manuels de JdR pour eux-mêmes, dans leur intégralité, avec des trucs sur l’univers étendu et même — vous allez rire — les nouvelles. Enfin, pas toujours, mais ça ne me gêne pas de leur donner leur chance. Bien sûr il y a de mauvaises surprises, mais je demande à un bouquin de JdR d’être suffisamment intéressant pour me distraire pendant ma visite matinale aux toilettes.

mordicai

Il y a une courte nouvelle dans un livre de Wraith où l’esprit maléfique de Cleitus le Noir se plaint qu’Alexandre le Grand ne l’ait jamais aimé — j’en garde de bons souvenirs. J’apprécie toujours ces petits textes apocryphes [des extraits de livres imaginaires à l’intérieur du livre de règles]. Je sais qu’ils ont des défauts, mais ça ne me dérange pas.

Néanmoins, le cœur de ton article – un univers n’est jamais mieux décrit que par les règles – est valide. Par exemple, un trait régional accordant aux habitants du Boomerangistan un bonus à l’utilisation de boomerangs est un moyen aussi bon qu’un autre de mettre ce principe en œuvre. Même si, personnellement, j’aime bien avoir aussi l’explication des raisons anthropologiques sous-jacentes qui expliquent cela.

Article original : How I Want To Hear About Your Setting

(1) NdT : C’est discutable. Si le JdR est inspiré d’une série littéraire de 35 tomes, ou télévisuelle de 5 saisons de 24 épisodes, ou même simplement de 6 films de 2h30 chacun, un livre peut bien en présenter l’univers de façon bien plus compréhensible et utilisable. De plus, on peut aimer un monde via une adaptation en film ou jeu, sans devoir se farcir une littérature pas toujours top qui en parle. [Retour]

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Pour aller plus loin… hydre

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