La Sagesse dans les jeux de rôles

présente

Interpréter quelqu’un de plus sage que vous

C’est un sujet qui revient souvent dans les discussions sur les jeux de rôles ; c’est à coup sûr un problème, de quelque façon qu’il soit abordé. Il est lié au fait que nous essayons de modéliser des personnages différents de nous, joueurs. Nous définissons alors des règles et des valeurs pour représenter leurs capacités et certaines d’entre elles expriment fortement comment nous voyons leurs personnalités. Par exemple, si un personnage-joueur (PJ) est censé avoir un certain charisme mais que le joueur lui-même a des talents bien différents, comment interpréter le personnage, et comment gère-t-on les interactions entre PJ durant le jeu ? C’est le même problème lorsqu’un joueur d’intelligence moyenne se met d’un coup à jouer un génie. Quoique l’inverse existe aussi : des joueurs particulièrement charismatiques ou intelligents trouveront parfois difficile de jouer des personnages ternes ou bêtes, plus peut-être que des joueurs moins doués qui voudront prétendre à l’éclat et au génie.

Je suppose que je devrais y revenir ; je pense déjà avoir parlé des problèmes liés à l’intelligence et peut-être aussi de ceux liés au charisme. Cette fois, par contre, je pose la question de comment jouer un personnage sage. Aucun de nous n’est aussi sage qu’il voudrait l’être, et peu d’entre nous sont aussi sages qu’ils disent l’être. Quand nous prétendons être quelqu’un de plus sage que nous ne le sommes réellement, comment le jouer d’une façon crédible ?

J’ai joué un bon nombre de personnages qui ont été considérés sages par les autres joueurs ; ce n’est pas vraiment facile, mais il y a sûrement des approches qui peuvent vous aider.

En ce moment, j’ai sur l’étagère de mes toilettes un recueil de traits d’esprit et d’aphorismes. Ça ne doit pas être un très bon livre. Quand il arrive que je laisse traîner un bon livre aux toilettes, ma femme commence à le lire et l’emporte, et je me retrouve sans rien à lire. Seuls ce livre de sentences, un exemplaire de la Poétique d’Aristote et une copie de Sorcerer de Ron Edwards ont survécu à son intérêt ces derniers temps. Je suis donc certain qu’il existe de meilleurs recueils de citations et je ne vous embêterai pas avec le nom de celui-ci. Toutefois, ce livre m’a rappelé qu’un jour j’ai essayé de jouer un personnage sage en accumulant de telles perles de sagesse et en les utilisant en jeu.

Ça n’a pas du tout marché. J’aimerais vous dire que c’était une idée qui n’accusait que quelques petits ratés, mais en réalité, ces problèmes semblaient insurmontables.

Le premier problème était simplement de trouver les bonnes citations à mettre de côté pour les utiliser si besoin. Une bonne citation devait dire quelque chose d’intéressant, et devait être dite d’une manière qui semblait un minimum intelligente ; en même temps, elle ne devait pas être connue de tous. Personne n’aurait trouvé mon personnage particulièrement sage s’il débitait ces proverbes bien connus de l’almanach Vermot (1) ou ces dictons que tout le monde connaît, même s’ils sont concis ou à propos. Débiter des proverbes familiers comme “Regardez où vous mettez les pieds” ou “Deux valent mieux qu’un” semblera très vite banal.

Donc j’étais un peu comme à la chasse au trésor pour trouver autant de perles de sagesse que personne ne connaissait et qu’il me serait possible de répéter comme je le voulais. C’était un vrai défi, parce que si elles valaient la peine d’être rabâchées, elles l’avaient sûrement été un bon nombre de fois et elles auraient ainsi paru familières. Par conséquent, trouver ces citations était un obstacle de taille.

Cependant, il était encore plus difficile de les utiliser. Il fallait donc que je trouve une manière d’organiser celles qui étaient appropriées à n’importe quelle situation que je pouvais vivre, et réciter l’un de ces merveilleux mots de sagesse qui aidait les personnages à faire de meilleurs choix. Je n’y suis jamais arrivé. Comme Le Mouron rouge (2), je découvris que je souffrais d’une sorte de lenteur d’esprit : il disait que chaque fois qu’il était insulté en public, il trouvait toujours la réplique dévastatrice... dans sa voiture, sur le chemin du retour. Les situations survenaient et prenaient fin avant que je n’aie la moindre chance de penser à “quoi dire”. Les citations intelligentes dont je me rappelais ne correspondaient jamais à ce qui nous arrivait.

Pour utiliser les aphorismes comme substitut de sagesse, il faudrait être si érudit qu’ils viendraient naturellement à l’esprit au moment où la situation se présente. Franchement, il y a de bien meilleures choses à apprendre par cœur et je vous parle d’expérience. En société, vous aurez bien plus de chances de citer Raymond Queneau, les traits d’esprit de Lewis Carroll et, j’ose le dire, les blagues de Coluche, que de sages proverbes. À moins que vous n’ayez l’habitude des aphorismes, c’est beaucoup d’effort pour un retour minime sur investissement – et si vous connaissez déjà ces perles de sagesse, le groupe avec lequel vous jouez les connaît probablement toutes à présent (par vous, n’est-ce pas ?) et ne va pas penser grand-chose de votre personnage s’il les répète.

Donc, ça semble être une manière de ne pas représenter le sage. Je pense que vous pouvez essayer le Yi King ou les billets que l’on trouve dans les biscuits des restaurants chinois, pour rassembler pléthore de phrases courtes vaguement ésotériques, et en choisir une à dire au hasard à chaque opportunité qui se présente. Cela vous donnera une image de prophète, mais ça aura très peu de chances de créer l’impression que vous êtes un sage, car rien de ce que vous direz ne sera particulièrement pertinent par rapport à ce qui se passe dans la partie. Je connaissais quelqu’un au collège qui abordait parfois les gens en leur disant quelque chose de complètement incompréhensible ; je ne savais pas d’où il tirait tout ça, mais j’ai récemment entendu Alan Arkin utiliser le même chapelet d’absurdités dans un film :

Arkin : “Dans mon pays, nous avons un vieux proverbe qui dit : Iskidividi, Ishkidivirn.

Autre personnage : Oh. Et ça veut dire quoi ?

Arkin : Personne ne le sait, c’est un très vieux dicton.”

C’est comme ça que les aphorismes au pif tournent, la plupart du temps. Si quelqu’un a trouvé un moyen d’utiliser les mots de sagesse comme technique pour faire paraître sage un personnage, j’aimerais qu’il m’en parle !

Bien sûr, en tant que MJ, la chose qui me permettait de donner à mes personnages l’aspect de la sagesse, est que je savais des choses inconnues des joueurs. Donc une fois qu’ils avaient pigé qu’un personnage en particulier était censé être sage, ils se rendent également compte que ses paroles montraient plus souvent la bonne direction que la mauvaise. Je ne leur disais pas ce qui allait arriver, bien sûr ; je préférais plutôt les prévenir de possibilités, et ils prenaient ce conseil au sérieux.

Même si cette approche particulière repose sur un certain savoir de la part des joueurs, il y a quelques manières de l’appliquer en jeu.

Un truc qui aide dans la création d’une impression de sagesse est la capacité de poser des questions importantes. Cela demande un peu de pratique, peut-être même un peu de sagacité personnelle, mais si vous, en tant que joueur, pouvez regarder la situation, les plans et propositions de vos compagnons, et soulever des questions, ça paraîtra en tant que tel, sage.

Socrate est souvent présenté comme un professeur qui ne faisait presque aucune affirmation, mais posait toujours des questions en laissant ses étudiants trouver les réponses (3). C’est assez courant dans les facs de droit. Un jour, mon prof de droit de la propriété posa une question et prit la réponse d’un des élèves qui leva la main immédiatement. Plusieurs mains se levèrent après cette réponse, et il prit une autre réponse, et encore une autre ! La cloche sonna. Le professeur prit trois réponses de plus, et dit “Une de ces réponses est juste” et conclut ainsi le cours. Je ne sais pas s’il connaissait la réponse, mais il eut l’air assez sage de nous laisser nous battre avec les questions.

Par ailleurs, les gens sages préconisent la prudence. Il y a certainement de merveilleux proverbes dans la même famille que “Battez le fer tant qu’il est chaud” ou “Celui qui hésite déjà échoue”, nous appelant à l’action, et même à la hâte. Mais neuf fois sur dix la sagesse dit qu’il faut s’arrêter, observer, et écouter avant de s’engager quelque part. Le personnage qui prône la prudence et la préméditation de l’action semble sage.

J’ai vu quelque part un panneau sympa qui disait “Attention : assurez-vous du fonctionnement de votre cerveau avant d’actionner vos cordes vocales.” Une des meilleures manières de préserver l’impression de sagesse est de se taire lorsqu’on n'a rien de perspicace à dire.

Mon personnage, Thuliar, utilisait cette technique avec un franc succès. Ce demi-elfe rôdeur/clerc était presque toujours accompagné de son compagnon Guljor, un gnome guerrier/illusioniste. Guljor parlait incessamment, passant du coq à l’âne et débitant cent quatre-vingts mots par minute. Thuliar, de son côté, parlait lentement, posément, délibérément et rarement. Une nuit, quand je pris la voix de Thuliar, le joueur qui faisait office de chef du groupe dit soudain aux autres de se taire ; il ne voulait pas rater quoi que ce soit d’important dit par Thuliar, et il s’était rendu compte que Thuliar ne disait rien à moins que ce soit important.

Il y a d’autres traits qui semblent connectés à la sagesse. Les sages ont tendance à être observateurs, à un niveau ou à un autre. Certains remarquent les actes insignifiants, d’autres comprennent les motivations humaines, et d’autres voient les choses dans leur ensemble.

C’est plus dur à simuler, vous devez presque avoir cette capacité vous-même pour la rendre viable en jeu. En revanche, si vous n’êtes pas le MJ, vous pouvez passer un accord avec lui pour mettre au point votre sagesse particulière, qui inclut un de ces aspects. Donc si vous avez le don de comprendre les gens, dites-lui que votre sagesse vous autorise à connaître quelque chose à propos de ce que telle ou telle personne est susceptible de faire ; si vous pouvez voir les tendances de fond, demandez-lui comment votre personnage perçoit les événements présents en fonction de tout ce qui s’est passé d’autre.

Un personnage peut parfois porter un bien plus grand poids que le joueur à cause de son score de Force. Pourquoi un joueur ne devrait-il pas avoir l’avantage de voir les choses plus clairement parce que la sagesse de son personnage est élevée ? Cela peut demander de s’éloigner du personnage, mais êtes-vous vraiment dans le personnage si vous ne pouvez pas voir ce qu’il pourrait voir, ou comprendre ce qu’il comprendrait ?

Bien sûr, parfois être le sage se limite simplement à ne pas faire n’importe quoi. Un des aphorismes anonymes de mon livre dit “L’expérience est ce qui vous permet de reconnaître une erreur lorsque vous la reproduisez.”. La plupart d’entre nous ont conscience d’être bêtes quand nous agissons bêtement, mais nous agissons quand même. Apprenez au moins à refréner votre personnage quand vous voulez lui faire faire des âneries, et tout d’un coup il apparaîtra à tous comme un grand penseur. Si vous voulez faire plein de bêtises, faites-vous un second personnage, un guerrier fanfaron ou un filou porté sur la machination, et utilisez votre personnage sage pour lui adresser des remontrances sur son imbécillité et pour exprimer son exaspération face à ses lubies. Un faire-valoir tel que celui-ci dans le groupe vous rendra bien service, même si vous jouez les deux côtés.

Article original : Wisdom

(1) NdT : Poor Richard’s Almanach dans le texte : recueil de sagesse populaire publié par Benjamin Franklin. [Retour]

(2) NdT : Personnage masqué du roman éponyme (wiki), qui inspira Zorro. [Retour]

(3) NdT : L’auteur fait aussi référence à la maïeutique (wiki). [Retour]

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