Les Rencontres avec combat
© 2011 Uri Kurlianchik
Dans le précédent article [en VO, NdT], nous avons parlé de la création de personnage. Nous allons maintenant aborder un sujet beaucoup plus amusant : les rencontres avec combat !
Mener des rencontres avec combat avec des enfants devrait être une expérience très vivante, plus proche d’une histoire interactive que d’un wargame. Les chiffres et les calculs intéressent bien moins votre public que des cascades cools et des manifestations de pouvoirs impressionnantes. Ils jouent pour des descriptions savoureuses, des enjeux de vie et de mort, des retournements de situation imprévisibles, et – bien évidemment – les récompenses !
Cet article donne des astuces et des idées pour les MJ désireux de mener des rencontres fluides et amusantes avec de jeunes joueurs. Comme toujours, gardez à l’esprit que les conseils présentés ci-dessous ne sont que ce qu’ils sont : des conseils. Ils sont prévus pour des joueurs “moyens” – mais le joueur “moyen” n’existe pas. Rien de ce qui est indiqué ici n’est universel. Rien. Donc, encore plus qu’avec des rôlistes adultes, votre commandement primordial est :
D&D et la religion
En gardant en vue la dimension religieuse de ce mois je souhaiterais aborder un sujet à la fois sensible et effrayant : la religion. Elle peut enrichir votre partie, ou vous valoir des pluies de dés à la figure. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Je pense que oui.
Prenez par exemple un sorcier avec son Pacte infernal. On pourrait décrire ses pouvoirs comme provenant d’un monde souterrain culturellement neutre ou peut-être du dieu grec Hadès (je n’ai pas encore rencontré d’enfants païens hypersensibles…). Cependant, cela enlèverait quelque chose à la noirceur et à l’ambiguïté de la classe. C’est pourquoi je n’ai pas peur de dire “Tes pouvoirs viennent de l’Enfer. Partout où tu marches, le souffle des démons t’accompagne”. Un sort mal lancé suite à un échec critique pourrait entraîner une audience fort déplaisante présidée par Graz’zt (1) et la Démogorgone (2) (assurément un défi de compétence mémorable).
D’après mon expérience de partie, le problème est bien moins explosif que celui auquel on pense communément. L’une des écoles où je travaille est très religieuse. Ni les élèves ni les professeurs n’ont eu de problèmes quand j’ai introduit le polythéisme ou Asmodée (3) et le Béhémoth (4) – qui sont tous deux des personnages diaboliques dans notre folklore. Certains enfants jouent des clercs “païens” ou des paladins, tandis que d’autres jouent des sorciers et personne n’a semblé s’en offusquer. Un enfant a même déclaré : “Mon personnage mange l’ours mort” et, quand tout le monde l’a regardé avec horreur, il a ajouté “Quoi ? Vous ne pouvez pas attendre d’un barbare orque qu’il se comporte comme un juif casher”.
1. Connais tes joueurs !
Avant de poursuivre dans le détail, il y a deux points sur lesquels je voudrais insister. Le premier peut paraître banal mais il est de la plus haute importance donc, s’il vous plaît, merci de votre attention :
2. Connais les règles du jeu !
Un personnage de faible niveau à D&D n’a pas accès à une grande variété de pouvoirs. Vous n’avez aucune excuse pour être surpris par ce que les enfants (ou les PNJ) veulent faire. Rien n’est plus destructeur d’ambiance qu’un MJ tournant frénétiquement les pages du Manuel des joueurs. Un coup d’œil occasionnel dans un manuel – à plus forte raison si les joueurs n’y ont pas accès – augmente la curiosité des enfants envers leurs ennemis et accroît votre aura de mystère et d’autorité. Mais une longue consultation des règles ruine tous ces efforts.
Si vous êtes pris au dépourvu’– eh bien inventez des trucs ! Il vaut mieux infliger quelques points de dégâts supplémentaires à un héros ou un monstre, que d’avoir même une seule minute ennuyeuse durant un combat. C’est du D&D, ce n’est pas compliqué ; l’amusement est votre priorité numéro un, le respect des règles est purement secondaire !
Le second problème concerne les enfants qui perdent pied avec la réalité. Loin d’être aussi effrayant que les gens de l’espèce de Patricia Pulling (5) qui tentèrent de décrire ce problème, il s’agit néanmoins de quelque chose dont vous devez avoir conscience. Donc :
3. Tu ne laisseras personne fuir la réalité !
Les enfants les plus jeunes (7-8 ans) s’impliquent souvent beaucoup dans les parties trépidantes et excitantes. C’est une bonne chose, mais il est important de s’assurer qu’ils ne s’emballent pas et ne perdent pas de vue la réalité. J’ai récemment rejoint le club respectable de ceux qui ont reçu une chaussure dans la figure. Je n’étais pas, stricto sensu, la vraie cible. Il s’agissait plutôt d’un magicien maléfique qui raillait l’un des héros. Cependant, ce ne fut pas lui, mais moi, qui eus une empreinte pourpre de chaussure sur le visage. Par conséquent, faites attention – soyez toujours vigilant envers les enfants qui s’excitent trop, et faites en sorte de réfréner leur enthousiasme.
Vous devriez également surveiller les tensions entre enfants à la table de jeu et en dehors. Les désaccords dans la partie peuvent entraîner des mésententes dans le monde réel. La rancune est à l’origine de disputes, qui mènent parfois à la violence physique. Tuez ce démon dans l’œuf en douchant froidement les jeunes esprits qui s’échauffent trop.
4. Tu maintiendras la paix autour de la table !
Enfant : Si je crie “SPARTAAA !” avant chaque attaque, est-ce que j’aurai un bonus à mes jets d’attaque ?
MJ : Non mais on va se moquer de toi. Moi en l’occurrence.
Quelques conseils rapides :
- Insistez sur une distribution équitable des trésors (voir ci-dessous) (6)
- Interdisez aux personnages de s’attaquer entre eux
- Si un joueur commence à jouer contre le groupe, essayez de lui faire entendre raison avant que les autres ne se liguent contre lui
- Si un héros en frappe un autre par mégarde au combat, insistez sur le fait qu’il s’agit d’un accident. Les enfants pensent souvent que les attaques des autres personnages sont liées à des disputes (en réalité sans rapport) qu’ils ont eues dans la vraie vie. Expliquez-leur que, même si les joueurs peuvent avoir des raisons de se quereller, leurs personnages sont les meilleurs potes qui soient et qu’ils se sont chacun sauvé la vie de nombreuses fois. Ils n’ont pas le moins du monde de raisons de se battre et, si on y réfléchit bien, les enfants n’en ont aucune raison non plus.
© Dave Hedric
Bien. Maintenant que nous avons précisé ces règles fondamentales, abordons quelques commandements plus subtils.
5. Tu seras vif et débridé !
Donjons & Dragons est un jeu majoritairement oral donc personne ne sera surpris d’apprendre que les mots et le langage corporel ont des effets importants. Cependant, peu d’enfants ont la patience d’écouter des descriptions longues et fleuries de créatures étranges ou de lieux exotiques.
Les enfants adorent voir des images de créatures fantastiques et certains MJ arrivent à leurs parties équipés d’un classeur rempli de belles illustrations en couleurs. Personnellement, je suis farouchement opposé à cela. Vous trouvez ça surprenant ? Laissez-moi vous expliquer pourquoi : D&D est un jeu d’imagination et se contenter de montrer des images prive les enfants de la chance de se représenter ces monstres dans leur esprit.
Pour transmettre plus d’informations en un temps record, pimentez vos descriptions en joignant généreusement le geste à la parole. Montrez-leur comment le zombie traîne son corps pourrissant vers eux. Ne soyez pas timide ; grognez et gémissez, tirez la langue, traînez votre pied – ne décrivez pas bêtement le zombie, soyez-le ! Faites que vos gobelins ricanent et frottent leurs mains comme les misérables petits pleurnichards qu’ils sont. Sortez de votre coquille de professeur ennuyeux, soyez un narrateur débridé ! Vous saurez que vous êtes sur la bonne route quand ils sauteront de leurs sièges pour décrire les actions de leurs héros, mettant en scène chaque coup de taille brutal avec leurs stylos et leurs feuilles de personnage enroulées sur elles-mêmes.
Les mots et la gestuelle sont d’une importance cruciale – donc choisissez-les avec soin ! Si vous décrivez un ennemi comme terrifiant et puissant, les PJ pourraient choisir de s’enfuir, même s’ils sont à 10 contre 1 contre lui et n’ont rien à craindre. Une fois, mon groupe de dix héros de niveau 4 a détalé devant un forgeron ivre parce que j’avais décrit avec trop d’enthousiasme ses muscles saillants, ses tatouages de prison et sa rage animale à l’état pur. J’ai vociféré, juré, frappé du poing sur la table et… je suppose que j’ai trop bien joué mon rôle. Le malfrat n’était pas un danger pour les héros ; mais un adulte en colère représente une menace pour des enfants. Ils ont réagi, assez naturellement, en fuyant – non devant le forgeron, mais devant le MJ.
Décrire un ennemi comme totalement à l’aise, ou riant sardoniquement face au danger, a également un effet très démoralisant sur les enfants les plus jeunes (“Pourquoi n’est-il pas effrayé ? Peut-être que c’est nous qui devrions l’être…”). J’ai l’habitude de réserver cette attitude aux grands méchants ou aux rencontres pleines de défis.
D’un autre côté, si vous décrivez un magicien célèbre, ou même une divinité, comme “un homme petit et gros, le doigt toujours fourré dans son nez” et mettez en scène son comportement capricieux, ne vous étonnez pas si les enfants y voient une absence totale de danger. Parler d’une voix hystérique et haut perchée ou qualifier une créature d’efféminée (plutôt que dire qu’elle a une voix douce) est également propice à diminuer l’aspect menaçant, même si le second déroutera souvent les plus vieux joueurs (9-12 ans).
Vous pouvez utiliser contre les enfants l’importance considérable (certains la qualifieraient même de lamentable) qu’ils portent à l’apparence extérieure. Chaque race a déjà ses stéréotypes basés sur son apparence et les expériences passées du groupe. Par exemple, une idée répandue veut que les drakéides [des dragons humanoïdes pouvant être pris comme race de départ, NdT] sont grands et puissants, alors que les gobelins sont petits et pathétiques. En réalité, les deux races sont de la même puissance ; les drakéides sont légèrement plus forts alors que les gobelins sont légèrement plus agiles, mais c’est tout. Cependant, dans l’esprit des enfants, les drakéides sont presque des dragons, tandis que les gobelins valent à peine mieux que de la vermine. Une rencontre avec un gobelin barbare de niveau 10 – dont les bras peuvent abattre des arbres et sont aussi épais que les cuisses des héros – les prendra certainement au dépourvu, et leur donnera un sujet de conversation dans les jours à venir. Du moins, si leurs personnages survivent.
Bon, nous avons vu comment mettre les monstres en scène. Maintenant, voyons comment les en faire sortir. En bref, la réponse est :
6. Tu seras sanglant, dingue et amusant !
Le gore dans les jeux pour enfants est un sujet controversé, sur lequel j’ai un avis controversé.
Les enfants adorent le gore. Ils aiment entendre comment leurs marteaux écrasent les crânes de leurs ennemis, envoyant voler des morceaux d’os et de cerveaux dans toutes les directions. Ils aiment savoir que les flammes de Phlegethos [un sort de sorcier de faible niveau invoquant du feu liquide, NdT] ont réduit leur victime à l’état de kebab carbonisé à l’odeur de viande cuite à point. Et ils aiment entendre comment le destin du gobelin qu’ils viennent de pousser de la falaise n’est pas différent de celui d’une pastèque frappée par un marteau, tandis que ses restes ressemblent à ceux laissés par une pizza tombée au sol côté fromage. (En d’autres termes, soyez créatif !)
Une description trop anatomique pourrait causer des cauchemars à certains enfants. Donc, la solution la plus universelle que j’ai trouvée est de rendre cette violence extrême mais très métaphorique – le sang jaillit comme s’il venait d’un arroseur d’incendie, les ennemis sont brûlés comme des chips ou réduits en petits morceaux comme les confettis du Nouvel An. Cela satisfera le besoin des enfants de se sentir puissants et destructeurs, tout en réduisant la violence à une caricature dépourvue de danger.
Si vous pouvez faire des descriptions cool ou drôles avec des bons mots ou des métaphores grotesques – c’est encore mieux ! Par exemple, “Le paysan plante sa fourche dans le ventre du gobelin et triture ses intestins comme quand on mange des spaghettis” est à la fois horrible et drôle.
Faites particulièrement attention à la manière de décrire les actions des héros, en particulier si ces actions impliquent les héros d’autres enfants. Si vous décrivez un personnage qui, alors qu’il tire dans la mêlée, touche accidentellement un allié en faisant “Am Stram Gram, Pique et pique et colegram, qui je shoote avec mon arme ?”, ne vous étonnez pas si le héros qui a une flèche dans les fesses décide de rendre la pareille – et ce, alors que c’est vous et non le joueur qui vous êtes moqué de la situation.
Savoir comment parler et agir est important, mais savoir écouter ne l’est pas moins. Je ne vous parle pas ici de sensiblerie compatissante type “Libère ce que tu as sur le cœur” mais du retors “Je vais utiliser tes pires peurs contre toi”. Vous ne vous attendiez pas à ça, hein ?
7. Tu écouteras tes joueurs !
De nombreux enfants ont une imagination débordante et leurs actions peuvent compliquer une rencontre d’une manière à laquelle vous n’auriez jamais songé. Ils verront les pièges les plus horribles dans des lieux pétris d’innocence, la trahison chez le tenancier le mieux disposé, et attribueront des pouvoirs qui feraient mourir d’envie un dragon au kobold le plus négligeable. Vous n’avez aucune raison de ne pas retourner ces soupçons paranoïaques contre eux. Si vous entendez une idée particulièrement bonne (j’entends bien sûr par “bonne” une idée “horrifique”), notez-la discrètement pour plus tard.
Parfois, vous pouvez même l’utiliser de suite. Oui, c’est une sorte de triche mais tous les coups sont permis, en amour comme à la guerre – et D&D est un mélange des deux. Par exemple, j’ai mené une aventure où les héros devaient récupérer une série de clés de couleur pour accéder à un laboratoire où une sorcière peu prévoyante s’était retrouvée congelée lors de la création d’un élémentaire mortel. En dehors de la difficulté de trouver les clés cachées, de les utiliser dans le bon ordre et de vaincre l’élémentaire, je n’avais aucun défi particulier à l’esprit pour l’aventure. Mais un des enfants débordait d’idées. “Je parie qu’il y a une bombe de glace sous l’oreiller ! Je parie que les livres sont vivants et mangeront quiconque entre dans la bibliothèque ! Je parie que l’ennemi utilisera à la fois des pouvoirs du printemps et de l’hiver contre nous !” Devinez quoi ? Leur mission devint d’un coup nettement plus intéressante !
Écouter les joueurs ne se fait pas toujours avec des intentions mauvaises. Les enfants discutent souvent de ce qu’ils aimeraient trouver et de qui ils voudraient rencontrer. Ils parleront même de vous (quand ils pensent que vous n’écoutez pas), de vos forces et de vos faiblesses. Gardez vos oreilles aux aguets et la préparation de rencontres adaptées deviendra largement plus facile.
Bien, on a assez parlé de communication. Parlons maintenant d’action.
8. Tu utiliseras l’Initiative !
Savoir qui agit le premier est primordial pour les enfants. La plupart entrent férocement en compétition pour ce problème apparemment insignifiant. Choisir arbitrairement un enfant ou désigner simplement le plus proche de vous créera souvent un scandale sans fin. En ce qui concerne les joueurs, ils préfèrent passer dix minutes à se disputer pour savoir qui agit en premier que d’attendre leur tour cinq minutes.
Mon conseil est par conséquent de toujours faire tirer l’initiative – au-delà même de son rôle initial. Lancez l’initiative pour celui qui agit le premier en combat, celui qui récupère l’objet du monstre vaincu, celui qui se réveille le premier le matin… Notez que, dans certains cas, vous devrez oublier le bonus de Dextérité de rigueur pour éviter les doléances de quelques-uns pour qui “ce n’est pas juste, c’est toujours lui qui récupère le butin”.
Les enfants avanceront quand même des raisons diverses et variées pour expliquer pourquoi leur personnage devrait agir le premier. Pire, certains tenteront de vous corrompre ou de vous enjôler (voire de vous apitoyer) pour que vous leur octroyiez le privilège convoité d’agir en premier. Cependant, vous pourrez rejeter la faute sur les dés pour l’ordre de l’action. De plus, vous pourrez leur offrir la consolation qu’à n’importe quel moment, la chance pourrait tourner et que ce serait à eux d’agir les premiers.
Dans tous les cas, l’initiative est juste une excuse supplémentaire pour lancer les dés, ce qui, comme tout rôliste le sait, constitue la moitié du plaisir.
© Dave Hedric
9. Tu prendras en compte l’âge et l’expérience de tes joueurs !
MJ : Ton attaque sournoise à 21 points de dégâts égratigne à peine le sombre sorcier. “Pour cette audace, dit-il froidement en se levant de son trône, vous recevrez la couronne de folie !”
Enfant 1 : Génial ! Je récupère un objet magique !
Enfant 2 : Si recevoir une flèche +5 dans le cou, c’est obtenir un objet magique, alors oui, tu en obtiens un.
Les joueurs débutants sont farouchement individualistes, cupides au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, et totalement égocentriques. Cela rend les jeunes groupes très vulnérables au combat, en particulier pour leurs toutes premières rencontres. Même un joueur expérimenté décidera souvent que voir un de ses compagnons se dissoudre dans l’acide serait nettement plus “génial” que de le sauver. Quand vous préparez vos rencontres, gardez cet aspect des jeunes joueurs à l’esprit. Je l’appelle “grandes épées, capacités d’attention limitées” (GÉCAL).
Les débutants se dispersent facilement. Au milieu d’un âpre combat, ils peuvent ignorer les vampires meurtriers pour inspecter une porte qui leur semble curieuse, sans s’inquiéter que cela implique une demi-douzaine d’attaques d’opportunité sur eux [les attaques gratuites auxquelles a droit un personnage lorsque quelqu’un arrive à, ou quitte, son contact, NdT] ou que le simple fait d’ouvrir la porte risque de ramener plus de monstres dans cette rencontre déjà délicate. À moins que vous ne les encouragiez à se battre, ils agiront comme un groupe de hamsters lâchés dans la cage d’un python, errant au hasard en attendant de se faire manger.
Les débutants n’agissent pas en équipe. Même s’ils décident de se battre, ils font ce qu’ils désirent sur le moment, le travail d’équipe sonnant comme une reddition. Les magiciens chargeront en brandissant des haches qu’ils ne maîtrisent pas, les guerriers se cacheront derrière des comptoirs et tireront à l’arbalète, les roublards essayeront de grimper au plafond et de couper le chandelier pour le simple plaisir de le faire tomber sur quelqu’un. Pire, certains enfants ne se gênent même pas pour changer leurs plans suite à une embuscade imprévue. Leurs personnages peuvent facilement ignorer la flèche qui vient de transpercer leur poumon gauche et continuer à se déplacer comme si de rien n’était. Après tout, vous leur avez dit que, s’ils récupèrent l’étendard de la légion, ils auront 300 XP – pourquoi s’inquiéter de ces étranges personnes vertes qui leur tirent des flèches depuis les buissons ?
Les débutants ne savent pas s’avouer vaincus. Peut-être sont-ils habitués à des adultes qui les préservent de tout ennui sérieux dans le monde réel ? Toujours est-il que les jeunes joueurs ne se rendent jamais ni ne battent en retraite une fois qu’ils ont décidé de se battre. Peu importe comment tourne la bataille – même si tous les héros sont à terre et que le dernier personnage debout doit combattre avec ses dents car ses deux mains ont été mangées depuis longtemps – ils n’envisageront même pas d’abandonner. Ils aboieront un rapide “Et voici Sparte !” (7) et retourneront dans la mêlée… remportant le même type de victoire que l’auteur original de cette phrase.
Pour éviter les ennuis ou le TPK [Total Party Kill, tous les PJ sont tués, NdT], je vous recommande d’avoir sous le coude un scénario en cas de défaite. Des choix typiques seraient de vendre les PJ comme gladiateurs (les enfants les plus âgés adorent cette possibilité !), les emprisonner ou les laisser pour morts, avant que des étrangers bienveillants ne les sauvent car ils ont besoin de l’aide des héros.
À cause des GÉCAL, considérez les premières rencontres avec combat comme un entraînement à la tactique et au travail d’équipe. Guidez vos joueurs ; ne partez pas du principe que le sens stratégique naîtra naturellement chez des enfants élevés par des séries où un seul homme tue des centaines d’orques juste en agitant son épée dans tous les sens. Vous pouvez conclure le premier combat par des héros capturés et emprisonnés par un ennemi qui leur est pourtant inférieur. Pendant la captivité des héros, faites-leur une conférence sur le travail d’équipe et donnez-leur une chance de le mettre en pratique. En travaillant ensemble, ils échapperont à leur captivité et se vengeront des ennemis qui les ont vaincus.
Les outils du métier
De belles dalles de combat et une boîte remplie de figurines seront extrêmement bien accueillies. Cependant, si vous êtes attaché à vos petits amis en plastique, ne les utilisez pas régulièrement en jeu. Les enfants ont tendance à se jeter les figurines à la tête au bout d’un certain temps, froissent les dalles sans même y penser, et peuvent même échouer à un jet de Sagesse en mettant les figurines dans leur poche.
À la place, je vous recommande de vous tourner vers notre bon vieil ami le tableau blanc. Comme peu de classes sont équipées de tableaux quadrillés, je suggère d’utiliser une règle graduée à la place, et de remplacer les carrés par des incréments de 5 cm. Utilisez des marqueurs de couleur pour rapidement esquisser les éléments importants du champ de bataille. Utilisez une couleur pour les héros et les alliés, et une autre pour les adversaires. Certains MJ aiment écrire les points de vie/dommages à côté des symboles des combattants mais je préfère les tables de dommage car elles sont plus faciles à lire.
Voici un exemple de ce à quoi ressemblerait une bataille moyenne. Ce n’est pas très joli mais c’est efficace et très fonctionnel.
Un groupe de héros affronte de mystérieux pilleurs zombies dans les ruines d’un temple sans nom.
Bien que cet article traite de la gestion des rencontres plutôt que de leur préparation, il y a un point que je voudrais mentionner. Bien évidemment, ce sera avec la voix du commandement :
10. Tu ne négligeras pas les classiques !
Vous avez sans doute joué des douzaines d’aventures, tué des milliers de monstres, survécu à des centaines de pièges, utilisé chaque pouvoir du manuel, acheté et vendu tous les objets magiques du jeu et pouvez prédire la fin d’une aventure avant le premier paragraphe de la première rencontre. Cependant, les enfants jouent pour la toute première fois de leur vie ; ne ruinez donc pas cela par un cynisme blasé. Ne les privez pas du plaisir d’être pétrifiés par un tyranœil ou fracassés par un piège à assommoir pour la première fois. Souvenez-vous : les orques et les gobelins sont cools et il n’y a rien de mal à une quête qui consiste à récupérer la vache préférée d’un fermier que des bandits gobelins ont volée. Ou de sauver la fille du maire avant qu’elle soit sacrifiée à Gruumsh. C’est héroïque, c’est fantastique et c’est l’étoffe dont sont faites les légendes !
Pour plaire à votre public, vous n’avez pas besoin de convertir des créatures tirées de livres obscurs des années 1970 ou d’écrire des intrigues shakespeariennes. Plonger dans les égouts pour affronter des rats mutants contrôlés par un sorcier dérangé peut vous sembler banal. Mais pour de jeunes aventuriers, c’est nouveau et excitant. Vous serez surpris de constater à quel point ils prendront cette mission au sérieux !
Et une bataille avec un tyranœil ou un dragon est un événement dont les enfants se souviendront pendant des mois. Ils ont regardé ces créatures dans le Bestiaire fantastique quand vous ne faisiez pas attention, ils ont entendu des rumeurs de leurs frères et sœurs aînés, ils en ont parlé dans des murmures fiévreux après l’école… Faites-moi confiance, le seul fait de prononcer le mot “tyranœil” suffit à provoquer une réponse de groupe dont vos oreilles se souviendront pendant une heure.
C’est la même chose pour votre décor. Ne commencez pas votre campagne avec une planète gazeuse géante, magique, pleine d’îles flottantes conscientes et de divinités débiles baragouinant ; la seule chose que vous obtiendrez sera de briser l’illusion théâtrale et de dérouter vos joueurs. Un village pittoresque avec un forgeron nain bougon, un patron de bar halfelin jovial et une mystérieuse sorcière eladrin, constitue un bien meilleur lieu d’aventures. De nombreux MJ commettent l’erreur de commencer avec de l’épique – mauvaise idée ! Les héros de premier niveau devraient protéger les caravanes de bandits du désert, sauver des demoiselles en détresse des griffes des kobolds, ou mettre à jour des cultistes maléfiques d’Orcus (8). Ils ne décident pas du destin de l’univers ni ne massacrent les dieux avec des super armes.
Également, les thri-kreen (9) semblent particulièrement populaires pour certaines raisons. Juste histoire de vous prévenir.
Et maintenant, un avertissement supplémentaire :
11. Tu ne traiteras pas les cités à la légère !
Enfant : Y a-t-il des elfes femmes dans leur groupe ? Je voudrais en inviter une à sortir avec moi.
MJ : Désolé, ce sont tous des zombies.
Enfant : Je ferai des efforts pour le succès de notre relation.
MJ : Elle va manger ton cerveau !
Enfant : L’amour exige des sacrifices.
Une cité offre tellement d’opportunités. Les personnages peuvent essayer de recruter de nouveaux PNJ pour leur groupe, enquêter, obtenir de nouvelles quêtes, acheter de nouveaux objets, développer leurs compétences, chercher les ennuis, rejoindre les bas-fonds ou la police, dénicher un boulot, se trouver une épouse, initier un soulèvement populaire, se faire des ennemis et/ou des amis, chasser les primes, ou éclater de rire suite à un tour pendable…
Mais les cités sont également sources de graves maux de tête. Elles vous proposent une multitude de problèmes dont vous devriez être conscient avant de suivre ce chemin pavé de bonnes intentions. Un de mes collègues voulait simplement permettre à ses joueurs de renouveler leur équipement dans une ville standard. Cela s’est conclu par des centaines de morts et la garde royale qui patrouillait les rues en ruine à la recherche des instigateurs du grabuge (devinez qui était derrière tout ça…). Était-ce drôle ? Bien entendu. A-t-il dû en conséquence réécrire toute sa campagne depuis le début ? Yep !
Donc pourquoi les villes sont-elles si problématiques ? Avant tout, elles sont horriblement chronophages. Les enfants aiment acheter de l’équipement, même s’ils n’en ont pas besoin (un adulte ne ferait jamais cela, n’est-ce pas ?) et la ville est une excuse parfaite pour chercher les objets de tous les manuels existants – sans oublier les objets qu’ils viennent d’inventer – et voir s’ils y sont en vente. Et n’espérez pas qu’ils feront leurs courses pendant le tour des autres joueurs. Ils attendront que ce soit leur tour pour commencer à feuilleter les manuels. Faire sortir les enfants d’une ville est presque aussi ardu que de leur faire manger des épinards.
Un autre problème des cités est qu’elles sont pleines de gens et de lieux. Vous ne pouvez tous les prendre en compte, à moins que vous ne vous soyez minutieusement préparé. Vous devrez improviser et l’improvisation mène souvent à des conséquences dramatiques inattendues, comme un allié (ou un ennemi) surpuissant, ou une arrestation et une visite des cachots. Mais le pire est la création de noms et de lieux au pied levé, dont la moitié seront oubliés avant la prochaine séance. Il n’y a rien de plus embarrassant qu’un MJ demandant à ses joueurs des informations sur son propre monde… à l’exception peut-être d’un MJ dont les villes et les PNJ changent parce qu’il n’a pas pris de notes.
Et voici un bon moyen de conclure l’article de ce trimestre : parler du problème épineux (souvent au sens propre) de la mort du personnage :
12. Tu tueras les Héros avec discernement !
Un héros reçoit une vilaine morsure au talon alors que le groupe fuit des centaines de zombies. Il progresse désormais moins vite.
Enfant : “Laissez-moi. Je ne ferai que vous ralentir. Mon histoire s’achève… Oh, avant de partir… Laissez-moi cette grosse bombe que nous avons découverte le mois dernier.”
BOOOM ! Ainsi finirent un véritable héros et deux douzaines de zombies.
La mort d’un personnage est un problème délicat. Certains héros peuvent mourir juste parce que l’enfant veut s’amuser. D’autres enfants essaient de faire rester leur PJ en vie mais mourraient pour une cause légitime et ne feraient pas trop d’histoires si une flèche perdue les élimine. D’autres déchiquetteront leur feuille de perso à la moindre égratignure, et vous maudiront vous et votre mère, avant de sortir de la pièce telle une furie.
Avec des joueurs de 9 ans ou moins, je préconise d’éviter autant que possible les morts définitives. Les héros dont les points de vie sont négatifs sont juste rendus inconscients. La mort de tous les PJ se traduit simplement par un réveil au cœur d’un donjon humide, privés de leur or et de leur équipement. Dans ce cas, soit les gardes sont opportunément laxistes, permettant aux aventuriers intrépides de s’enfuir et de récupérer leurs affaires, soit on leur propose une quête en échange de leur liberté.
Évidemment, un joueur peut toujours faire faire quelque chose d’incroyablement stupide à son personnage, comme essayer de tirer les sous-vêtements d’Orcus pour les lui coincer entre les fesses (authentique). Mais, à l’autre extrémité du spectre, vous aurez des joueurs qui sacrifieront noblement leur héros pour prolonger l’aventure ou sauver un ami. La première attitude devrait impliquer la mort et des pénalités (nous ne pouvons avoir des joueurs qui changent de personnage comme de chaussette, n’est-ce pas ?), la seconde devrait accorder une récompense pour leurs prochains personnages.
Pour les joueurs les plus âgés, je préconise de rendre les combats mortels, car ils ajoutent de l’excitation à l’action. Cependant, les joueurs trop sensibles demeurent un problème. La solution la plus efficace que j’ai trouvée est de permettre à un héros mort de revenir comme fantôme ou esprit (voir ci-dessous) jusqu’à ce que le personnage soit ressuscité ou que le joueur en crée un nouveau (au choix du joueur). Jouer un être surnaturel est vraiment cool pour la plupart des enfants et atténue un peu le mordant de la mort.
Les fantômes
Les fantômes-PJ sont des esprits sans corps qui traînent avec le groupe, l’aidant ou interagissant jusqu’à ce que leurs corps soient ressuscités. Ils ne sont pas les fantômes malveillants du Bestiaire fantastique, ni de mignons Casper mais un moyen pour les joueurs de transmettre leur volonté sans leur héros. Pour cette raison, et à moins que votre campagne ne dispose d’un monde spirituel avec lequel le héros mort peut interagir, les fantômes sont simplement définis par leurs pouvoirs.
Télékinésie (à volonté * Action standard) : Vous pouvez faire bouger lentement un objet pesant jusqu’à 2,5 kg, d’une case dans n’importe quelle direction.
Possession (Rencontre * Action standard * Charisme vs. Volonté) : Si le fantôme réussit son jet, la cible, soit effectue une attaque de mêlée basique contre un de ses alliés adjacents (au choix du MJ) ; soit prononce une courte phrase de votre choix ; soit est étourdie (sauvegarde, annule).
Murmure (quotidien * Action standard) : Vous pouvez parler à une seule créature pendant 5 minutes. Elle entend un murmure dans sa tête. Cela peut effrayer les créatures non préparées, et les hébéter (Charisme vs. Volonté, sauvegarde annule)
Vue spirituelle (à volonté * Action mineure) : Vous voyez les autres fantômes et esprits. Cela ne révèle pas les choses invisibles et autres créatures cachées. Lorsque vous interagissez avec des créatures spirituelles, utilisez les caractéristiques que vous aviez de votre vivant. À l’exception de la Vue spirituelle, les pouvoirs de fantômes ne peuvent pas être utilisés sur les créatures spirituelles.
Règle optionnelle : Dernière chance
L’âme du héros ne restera plus que quelques heures dans ce monde avant qu’elle ne rejoigne l’au-delà. Une ambiance d’hystérie gagne la partie tandis que les héros survivants cherchent frénétiquement quelqu’un à même de relever leur ami défunt, avant qu’il ne parte à jamais.
Alternativement, cela peut être un moyen de faire partir des héros aimés d’une manière plus mémorable, en utilisant les quelques heures qui leur restent pour laisser une trace dans le monde, ce qui leur permettra de vivre dans le souvenir des gens. Utilisez cette option pour les joueurs sérieux et imaginatifs ou vous ne récolterez qu’une succession de blagues de plus en plus destructrices.
Enfin, bien que ce sujet soit abordé dans les grandes largeurs dans Récompenses et Punitions ptgptb, quelques mots sur les récompenses :
© Dave Hedric
13. Tu seras généreux avec les XP !
Le temps avance beaucoup plus lentement pour les enfants que pour les adultes. Ne les faites pas attendre des mois avant de progresser de leur premier niveau. Donnez-leur au moins cinq fois plus de XP que dans une campagne classique. Ne soyez pas pingre en XP en transformant votre campagne en un grand et inutile broyeur à monstres – laissez plutôt les enfants goûter l’ascension fulgurante de leurs héros vers la gloire et le pouvoir !
Article original : Encounters
(1) NdT : seigneur démon des Abysses, considéré comme un des adversaires les plus puissants de D&D [Retour]
(2) NdT : prince démon également considéré comme un des adversaires les plus puissants de D&D [Retour]
(3) NdT : démon qui apparaît dans la Bible [Retour]
(4) NdT : créature gigantesque apparaissant dans le Livre de Job [Retour]
(5) NdT : Fondatrice de l’association Bothered Against Dungeons and Dragons (BADD), qui accusa le JdR de rendre fou. Le Rapport Pulling ptgptb ou Le jeu de rôle et la droite chrétienne aux États-Unis ptgptb racontent son histoire [Retour]
(6) NdT : L’article Récompenses et punitions ptgptb aborde ces notions de manière plus approfondie [Retour]
(7) NdT : 300 semble avoir beaucoup d’influence… à moins que ce ne soient tous ces films d’action ptgptb où le héros s’en sort spectaculairement et sans mal, contre toutes probabilités. [Retour]
(8) NdT : Orcus est prince-démon des Abysses, dans les Royaumes Oubliés et Greyhawk notamment. [Retour]
(9) NdT : Des créatures guerrières aux allures de mante religieuse [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article fait partie de l'e-book n°3, une compilation de traductions organisée autour du thème de la transmission de la flamme du rôlisme. Y sont rassemblées des réflexions sur la découverte du JdR.
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