Une rôliste dans la foule

Interview de notre 500e abonnée à notre page Facebook

Notre équipe a choisi de mettre en valeur et d’interviewer la 500e personne à aimer notre page Facebook – un rôliste au hasard dans la foule, voir ce qu’il ou elle avait à raconter. Et notre 500e abonné•e est une rôliste, Sabine, qui se révèle aussi traductrice !

 

PTGPTB : Sabine, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Peux-tu te présenter un chouïa ?

Sabine : Alors… Sabine, very seasoned character (je ne dirai pas mon âge, vous pouvez courir !). Rôliste depuis près de 30 ans. Je travaille en freelance dans le domaine de la traduction de jeu de rôle depuis une dizaine d’années, et je bosse actuellement avec deux éditeurs : Black Book Éditions et Arkhane Asylum. J’ai également collaboré avec Edge. En ce moment, je suis chargée de la traduction de la gamme Deadlands pour BBE, et je suis sur celle de Vampire Dark Ages et de Mage pour Arkhane.

 

Ptg : Quand et comment as-tu connu le JdR ?

S : J’ai commencé le jeu de rôle comme beaucoup, avec des copains autour d’une table. Ma première campagne s’appelait… Le Temple du Mal Élémentaire ! Et mon premier personnage est mort tué par une tique géante… La lose ultime.

Un barde, le pauvre… Un copain avait passé du temps à en faire un gros bourrin alors que je voulais un PJ un peu plus cérébral. Je pense qu’il est mort [le barde, pas le joueur (NdlR)] du côté du niveau 2, j’avoue que je ne l’ai pas beaucoup regretté.

J’étais à l’époque la seule fille du groupe et c’était plutôt rigolo.

Femme rôliste

Ptg : Abordons donc le sujet femme et JdR… As-tu lu quelques-uns de nos articles sur ce sujet ?

S : J’ai lu tous les articles que tu m’as signalés (1). En tant que femme, j’ai débuté mon expérience du JdR à une époque où, je pense, l’ambiance à une table était un peu différente. Déjà, contrairement à un certain nombre de ces autrices, je n’ai pas commencé avec un groupe de parfaits inconnus. C’était des copains avec qui je m’entendais très bien, qui faisaient de la musique et avec qui j’avais beaucoup de points communs (au niveau musical).

 

Ptg : Quel âge avais-tu ? Quelle musique aimiez-vous ?

S : J’avais une vingtaine d’années, je matais le rugby et j’écoutais du hard rock. Ça les a pas mal changés des filles qu’ils connaissaient et en plus, j’amenais la bière et les bonbons pour les matchs, et je leur faisais à manger des trucs bons pour le soir. Pas parce que j’étais une fille, mais parce que ça me faisait plaisir. Je préparais la bouffe avant, pas de temps à perdre pendant la partie !

Ça se passait chez les uns ou les autres ; ils habitaient dans un village au-dessus d’Aubagne (près de Marseille). Leurs parents étaient cool et ça les changeait un peu de voir une fille avec la bande de geeks.

Donc le JdR m’intéressait parce que j’avais lu beaucoup de fantasy et de SF, je connaissais l’œuvre de Tolkien, Moorcock, Eddings, Herbert… Quand on a mentionné “jeu de rôle”, j’ai répondu “comme JRTM ?”. Il en était fait mention dans mon édition du Seigneur des anneaux et j’avais cherché ce que c’était, ce fameux “Jeu de Rôle des Terres du Milieu”…

Je n’avais jamais joué avant (pas l’occasion, mieux à faire l’été et pendant les vacances). J’ai demandé à assister à quelques parties. Après j’ai essayé “pour voir” : je me suis lancée en tant que joueuse sur le temple du mal élémentaire… et j’ai jamais arrêté.

 

Ptg : Pourquoi demander à assister d’abord ? N’était-ce pas ennuyeux de rester ainsi à côté ?

S : Non, je voulais savoir si ça pouvait m’intéresser. Je n’avais pas envie de leur faire perdre du temps (et de perdre le mien) pour un truc qui allait me saouler au bout de 2 h, mais j’ai bien accroché… et j’ai chopé le virus au bout de pas longtemps… peut-être 5 ou 6 séances, histoire de comprendre les tenants et les aboutissants du roleplay, un peu les règles, un peu la création de personnage.

Ptg : 5-6 séances, ça paraît beaucoup…

S : Pas pour moi ; ça me paraissait assez complexe au premier abord. C’était AD&D 2e édition. Mon problème, ça a toujours été les chiffres (quand il y a trop de chiffres, mon cerveau fait un blocage ^^), j’avais un peu peur que ça me prenne la tête.

Ptg : Seule fille, cinq mecs ?

S : Au moins 5, parfois 6 ou 7. C’était une grande table.

Ptg : Est-ce qu’il y avait du favoritisme ? Parce que l’article 11 manières d’être un meilleur joueur de JdR insiste sur le fait qu’une joueuse doit refuser le favoritisme…

S : Non, pas de favoritisme, je faisais autant de conneries que les autres et j’en subissais les conséquences. ;) Même plus tard, quand mes jules étaient MJ, il n’y a pas eu de favoritisme.

Ptg : Tes jules ?

S : Ouais, j’ai eu plusieurs jules rôlistes et j’en ai épousé un.

Ptg : Les rôlistes hommes semblent rester plus célibataires que la moyenne, parce qu’ils font du JdR dans un loisir essentiellement masculin au lieu de sortir et de rencontrer des femmes. Ce n’est pas une statistique, c’est une constatation personnelle.

S : Bon, on va faire simple : les rôlistes restent entre eux, donc s’il n’y a que des hommes célibataires autour de soi et qu’on ne sort pas, bah statistiquement on reste tout seul. Mais à un moment, le rôliste est obligé de sortir de chez lui pour bosser donc il fait des connaissances, il élargit le champ de ses loisirs.

Ptg : Dans ton expérience perso, tu as eu plusieurs jules parce que tu partageais d’autres loisirs avec eux, “malgré” le JdR, plutôt que grâce au JdR ?

S : Non, ça s’est fait parce que j’avais des atomes crochus autres que le JdR avec eux. Si ça se limite à ça, on en a vite fait le tour ^^. Une partie de JdR se passe dans des conditions limitées : autour d’une table, on vient pour jouer… Ensuite, les relations rôlistes deviennent ou non amicales, les participants sortent boire un coup… Je suis sortie avec des rôlistes comme je suis sortie avec des non-rôlistes.

Ptg : OK, donc les jeux de rôles mènent aux rencontres, à condition de ne pas faire que cela.

S : Exactement. Les amis, c’est une denrée rare, je n’en ai pratiquement pas parmi les rôlistes. J’ai de bons copains, mais je connais mes amis depuis des dizaines d’années.

Ce qui est sûr, c’est que les filles ne viennent pas jouer en club pour se faire draguer, ça les agace même un poil.

 

Ptg : Est-ce qu’il y avait du sexisme, même inconscient ? On a des histoires de joueuses qui récupèrent les persos prétirés Dame de compagnie ou prêtresse de la déesse des prostituées rituelles, et l’objet magique châle qui fait de l’eau chaude

S : Non, pas de sexisme du genre bouilloire magique. Par contre, il y avait des blagues à la con (qui n’en a pas fait ?), mais comme j’ai tendance à répondre du tac au tac et de façon assez cinglante, ça s’arrêtait vite.

Ptg : Y a un témoignage dans l’excellente série Itinéraire d’une rôliste nouvellement née où les gars s’esclaffent parce qu’elle ne sait pas quel dé lancer (heureusement, elle ne s’en offusque pas).

S : Je ne suis pas du genre à laisser un mec rigoler parce que je ne sais pas quel dé lancer. ^^ Je suis plus du genre à le lui faire bouffer ;) Mais les gars ont été super, ils m’ont bien épaulée, je ne me suis jamais sentie mise de côté.

Ptg : Que peux-tu dire d’autre au sujet des femmes rôlistes ?

S : C’est un sujet un peu vaste pour répondre brièvement et pour ne pas passer pour une vieille conne… mais je dirais que les femmes qui jouent ne sont pas nombreuses ; elles sont parfois traitées avec paternalisme et/ou condescendance et/ou mépris. Si la communauté des rôlistes veut que ça change, c’est une question d’éducation.

J’ai vu les relations changer au fil des années dans les groupes, les clubs, les conventions… Ça correspond à peu près au développement des jeux en ligne et à la démocratisation d’Internet.

Les relations entre individus des deux sexes ont changé en mal. Maintenant, il y a du mépris, du sexisme, des paroles déplacées (un truc que je n’avais jamais vu sur mes tables). Les garçons revendiquent le loisir comme étant le leur alors qu’objectivement… une partie de Vampire avec une fille en MJ, ça a une autre saveur ; p.ex. ce sera probablement moins bourrin, moins orienté combat (sans vouloir être sexiste, hein ^^). Et les joueurs font moins de blagues grasses.

Mais la dégradation des relations entre les deux sexes dans le JdR, ça n’est pas un phénomène nouveau ; les gens s’en étonnent depuis peu, mais ça fait des années que c’est comme ça.

Souvent hélas, la mixité des tables, des groupes, des clubs en pâtit. En fait, les filles n’arrêtent pas de jouer, elles arrêtent juste de jouer avec les connards.

 

Ptg : Que penses-tu de notre sélection d’articles sur les joueuses et le phénomène du harcèlement ?

S : Au sujet de vos articles, traduire des publications, c’est top ; inclure des articles traitant du harcèlement subi par d’autres communautés (LGBT, victimes de racisme etc), c’est un complément parfait [p.ex. L’Écriteau sur la porte (NdlR)].

Ptg : Lequel de nos articles sur le sujet recommanderais-tu de lire en priorité ?

S : La Marche manquante, je pense. C’est celui qui résume parfaitement ce qui se passe : tout le monde le sait, tout le monde l’évite, mais en fait, personne ne fait grand-chose.

Ptg : À ton avis, en faisons-nous trop en traduisant des articles sur le harcèlement ? Vu que c’est de la trad, le sexisme paraît loin de la communauté francophone, être propre à la communauté anglo-saxonne, et davantager concerner les joueurs de jeux vidéo (gamergate) que les rôlistes...

S : Le harcèlement est un sujet sérieux et c’est une bonne chose que la parole se libère. Il existe autant en France qu’aux USA, il ne s’agit ni d’un épiphénomène, ni d’une lubie des féministes. Le problème du sexisme n’est pas qu’une question de milieu (videogamers, rôlistes, GNistes), c’est une question de société. Les harceleurs appartiennent à une communauté plus large ; nous n’avons pas l’exclusivité des abrutis.

On parle de harcèlement envers les femmes, mais on ne parle pas assez de harcèlement homophobe ou de racisme. Tout ce qui entoure les agressions, les viols, les attouchements, ça reste encore “un peu” tabou.

Je vois depuis quelque temps circuler des règlements intérieurs, des consignes, des avertissements en préambule à des conventions et des GN ; on y parle harcèlement, agression sexuelle, on essaie de faire de la prévention, d’établir des safe spaces… C’est un bon début, mais je pense qu’on prend le problème un peu à l’envers : les consignes doivent d’abord être diffusées à la base, dans les clubs, auprès des MJC où se déroulent des parties ; c’est à ce niveau, auprès des jeunes et des moins jeunes, que ça doit commencer parce que les joueurs vont en convention ou en GN plus tardivement.

C’est à la communauté des jeux de rôle ou des jeux vidéo de faire le ménage. Si nous ne nous en chargeons pas, ça ne cessera pas. Mais quand je vois certains forums du genre “18-25”, sur lesquels des propos inacceptables sont tenus, et des forums type Discussions de rôlistes, et l’inaction des modos/admins de FB, de Twitter qui ne punissent pas l’attitude agressive de membres minoritaires mais très véhéments, bah je me dis que les harceleurs ont encore de beaux jours devant eux.

Ptg : As-tu assisté à des excès ?

S : Le harcèlement peut prendre bien des formes. Plusieurs joueuses dans un club où j’allais ont dû faire face à des dragueurs lourds. En général, ça se passe comme ça :

- Un joueur ou une joueuse amène une copine avec lui ou elle, qui cherche un endroit et un groupe pour jouer

- La nouvelle est jeune (18-20 ans), sympa, cool, rôliste

- Un petit groupe de gars, pas spécialement méchants. Ils entreprennent une sorte de danse de séduction, offrant nourriture comme à une déesse, leur propre chaise quand il y a plein de chaises libres…, les regards insistants, des “compliments”… plus ou moins mal tournés (jamais en robe, les filles, jamais), leur PJ chevalier protégeant la damoiselle en détresse (laquelle damoiselle est biclassée barbare ou assassin)

Vous n’avez jamais été dans cette situation, mais les filles savent de quoi je parle.

- Là, ou les, filles refusent poliment ; elles sont timides, peu assurées, débutantes, pas encore rodées à faire face à ce genre de comportement.

- Ça, c’est avant ou après la partie. Pendant, c’est “Je me mets à côté de toi”, “Je joue aux tables où tu joues”, “J’insiste pour que tu viennes jouer quand je maîtrise”. Et si le mec est un peu rancunier, tous tes PJ meurent !

Oh, la grosse pierre lancée par le troll, elle me tombe pile dessus, dis donc…

Ça c’est les lourdauds en général. Mais j’ai vécu pire une fois. Voici l’anecdote.

Comme ci-dessus, mais le gars revient à la charge parce que “non”, foncièrement il ne comprend pas. Il l’appelle chez elle, il l’attend au club, à l’arrêt de bus, il propose de venir la chercher ou de la raccompagner, il s’impose chaque fois qu’elle se pointe au club. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la pression et du malaise que ça génère. Un mec que vous connaissez à peine, que vous avez gentiment refoulé. Non, il insiste.

- Je recadre le gars en lui disant “Non, mais je t’assure, c’est pas la peine d’insister, elle veut pas”. Quand ça passe ce stade, tu fais de la protection rapprochée : “Non, elle joue à ma table ; non, je la raccompagne ; non, son PJ est pas obligé de suivre le tien.”

- Après, la(es) victime(s) viennent te voir, elles te parlent, elles parlent aux plus vieux, et là, tu interviens.

Dans ce genre de situation, quand tu vois une fille se faire coincer physiquement dans un angle et que tu sais que ça va déborder, c’est aux plus âgés d’intervenir, et de préférence de manière péremptoire, immédiate et forte. Dans mon cas, je me suis mise au milieu, j’ai repoussé le lourdaud et lui ai dit d’arrêter ça tout de suite, sinon j’allais me charger de le jeter dehors.

À un moment, il faut physiquement s’interposer parce que parler, ça ne sert à rien et surtout – vieux truc de négociation – ça détourne l’attention du harceleur de sa victime. Il se retrouve devant un obstacle qu’il va devoir gérer autrement, parce que l’obstacle en question n’a pas l’intention de se laisser faire.

Je lui ai “bien dit” que c’était un comportement intolérable dans un club, qu’il était hors de question qu’il se permette d’insister de la sorte et que s’il ne changeait pas d’attitude sur-le-champ, ça allait mal se passer. C’est comme ça et pas autrement.

J’étais une membre active parmi les plus âgés et j’avais pas mal d’influence. J’ai aussi rappelé au CA qu’ils étaient légalement responsables de leurs membres et que c’était à eux de faire un peu la police (là, je te raconte la version soft).

Ptg : On comprend que tu les as engueulés. Que s’est-il passé ensuite ? La Marche Manquante dénonce la mauvaise réaction des orgas quand une fille signale un harceleur ; ils se contentent de sermonner le gars, mais ne le trouvent pas dangereux, ne l’excluent pas formellement…

S : Le type s’est fait sévèrement remonter les bretelles et on l’a prié de ne pas revenir avant quelques semaines, histoire de méditer. Mais il a fallu que je gueule, merde ! Le gars est recadré, il insiste, il est re-recadré, il re-insiste, on en vient presque aux mains, quoi, et là, tu dois péter un câble en direct devant trente personnes pour qu’il y ait réaction.

Le gars est revenu après quelques semaines et s’est excusé, moi je l’ai envoyé bouler, sans déconner y a pas de pardon pour me lever la main dessus, même (et surtout) sur le coup de la colère. C’était pas moi à qui il avait pourri la vie pendant plusieurs semaines. L’année suivante, il n’est pas revenu au club. Ce n’était pas une grande perte.

Ptg : Et voilà comment les joueuses ne reviennent pas…

S : Parfois elles restent, parce qu’en dehors du gros lourd, elles passent un bon moment. Et le harceleur ne se rend pas insupportable d’entrée. La fille est restée au club sans plus être enquiquinée.

L’autre anecdote, c’est en convention. Quand tu choisis pas les joueurs autour de la table, ça arrive que tu tombes sur des connards…

J’étais joueuse avec un perso masculin, il se prenait pour un surhomme et puis à un moment, j’en ai eu marre de la fermer “pour la bonne ambiance de la partie”. Je l’ai remis à sa place en jeu. Ça lui a pas plu et il a sorti un truc genre “De toute façon, t’es qu’une fille et les filles, ça devrait pas sortir de la cuisine”.

J’ai demandé au MJ si ça le dérangeait pas, ce qui venait d’être dit à sa table ; comme ça avait l’air de le gêner, mais pas de le déranger, je me suis cassée. Je suis allée voir les orgas, histoire de les prévenir et de leur conseiller de garder un œil sur le “trublion” – mon meilleur conseil : toujours aller voir les orgas.

Je me suis fait prendre à partie en fin d’après-midi ; le gars est devenu agressif, puis très agressif. Du coup, j’ai effectué un “repli stratégique” (comprendre aller aux toilettes pour filles). Ça ne l’a pas arrêté – il est allé m’enquiquiner là aussi. Comme le ton montait vraiment beaucoup, beaucoup, et que j’ai un vrai problème avec les gens violents – quand je suis face à la violence, soit je m’effondre, soit je pète un câble – j’ai dû appeler des copains. J’ai préféré laisser des mecs gérer un autre mec ; le gars a été éjecté et on m’a escortée les deux soirs de la convention (ce qui est proprement inacceptable dans n’importe quelle situation), pour éviter un éventuel “accident”.

Mais je reconnais bien volontiers que, pendant des décénies, il ne s’agit que de deux des rares occurrences dont j’ai été témoin, et Dieu merci, elles sont restées des exceptions.

 

Ptg : Notre traducteur Alex se retrouve dans la situation suivante : “J’ai deux filles novices en JdR à intégrer dans un groupe de gars, dont elles sont les épouses. À quoi dois-je faire attention ?”

S : La toute première chose : ne pas les traiter différemment.

La deuxième : bien cerner quel type de personnage elles aimeraient jouer, et les créer en fonction de leurs envies à elles, et pas des besoins du groupe ^^.

La troisième : les laisser appréhender le monde et poser toutes les questions qu’elles veulent.

Le mieux, ce serait de faire une petite séance d’introduction au jeu pendant laquelle le MJ pourra démonter les mécanismes, expliquer les combats, les interactions sociales, etc.

Rôliste et traductrice

Ptg : Essayons de cerner tes prédispositions. Comment en étais-tu venue à lire “beaucoup de fantasy et de SF” ?

S : J’ai toujours énormément lu, et des bouquins sur tout et n’importe quoi. J’ai vu La Guerre des étoiles (Star Wars IV) à sa sortie en salle, et ça a été une grosse claque. Franck Herbert était, est et sera toujours mon dieu de la SF.

J’ai un esprit curieux, et comme certains rôlistes, on va dire que mon physique et mon caractère me prédisposaient plus à la lecture qu’à sortir en boîte, et j’avais un énorme avantage quand j’ai commencé le jeu de rôle : mon anglais des termes médiévaux était vachement meilleur que celui des autres. ;)

Ptg : Tu lisais les aventures du moine médiéval-enquêteur Frère Cadfael wiki dans le texte ?

S : J’ai lu Shakespeare, Poe, Orwell, Conan Doyle, Stoker, dans le texte. Bradbury et Huxley aussi. Tout ça, c’est le genre de littérature que tu avales avant le bac.

Sans me jeter des fleurs, je suis douée pour les langues étrangères ; je parle anglais et italien, je me démerdouille en allemand et en espagnol ; j’ai de petites bases en japonais.

Donc quand tu fais fac d’Histoire, que tu as des recherches à faire, et que la seule source à la bibliothèque est en anglais, ben tu prends un bon dico, un bloc et ton après-midi (j’ai fait mes études quand Internet, c’était du cyberpunk). À l’époque, j’avais une très bonne mémoire, ce qui me permettait d’absorber le vocabulaire comme une éponge.

 

Ptg : Idée reçue : “Le JdR mène à l’intérêt pour l’Histoire et aux progrès en anglais”. Qu’en dis-tu d’après ton expérience ?

S : C’est une affirmation qui valait pour moi. À l’époque où j’ai commencé le JdR, la plupart des jeux et des suppléments étaient en anglais et si tu voulais avoir des infos, il fallait aller à la source.

Il y avait aussi beaucoup de JdR med-fan ; du coup l’architecture médiévale, les contes et légendes, les civilisations préchrétiennes, les religions, l’Histoire… Fallait lire, lire, lire !

Mais ça se vérifie aussi parmi la jeune génération : quand tu dois préparer un scénario ou une campagne, quand tu décides de te lancer dans un jeu greffé sur une trame historique comme Vampire Dark Ages par exemple, tu dois être curieux, te documenter hors des suppléments ou des JdR pour être crédible, et avec des ressources qui tiennent la route. Et comme beaucoup de ces ressources en ligne sont en anglais, ben… tu t’y mets. ;)

Je me sers beaucoup de ces outils (genre Wikipedia en anglais) pour mes traductions et j’ai la chance de maîtriser l’italien, ce qui me permet de fouiller aussi le net dans cette langue.

Je suis la traductrice de Deadlands, et je peux te dire que je galère parfois à trouver des sources.

Ptg : Ah ah, en traduisant des articles tout cuits, PTGPTB va à l’encontre des progrès en langues étrangères !

S : Non, vous rendez accessibles des ressources en anglais pour un public non-anglophone et ça, c’est très bien.

Ptg : Quelle est l’influence du JdR dans ton choix de faire fac d’Histoire ?

S : Aucune influence, j’ai commencé le JdR après.

J’ai toujours aimé l’Histoire, mais la fac a failli m’en dégoûter. J’ai laissé tomber, j’ai fait un BTS assurances, spécialisation assurance transport. De là, j’ai pris la tangente, Master de commerce international, et après j’en ai eu marre de bosser pour des gens.

L’anglais m’a toujours été utile professionnellement : j’ai habité à Londres un moment, j’ai bossé dans tout un tas d’endroits chelous (lire pubs ^^)

Pour me sortir de chez moi, je vends du thé sur des marchés de terroir :D et j’ai beaucoup de Britanniques dans ma clientèle. Ayant beaucoup bossé dans l’agroalimentaire, je sers d’interprète à des anglophones qui veulent ouvrir des bars et des restos, et qui doivent suivre des formations.

 

Ptg : Comment devient-on traductrice ou traducteur de JdR ? On connaît une méthode, qui est de commencer par traduire des articles chez PTGPTB, pour faire augmenter la compétence… ;) Nous nous sommes amusés à nous surnommer “l’école de la trad de JdR” parce que 3-4 traducteurs de Pétège sont passés traducteurs “pros”. Une fois, on a même un éditeur qui nous a envoyé une traductrice pour gagner assez d’XP ! (on était incroyablement contents/fiers, tu imagines !) Existe-t-il d’autres méthodes ?

S : Oui, tu envoies ta candidature à un éditeur et il te fait faire un bout d’essai. Si tu conviens, il te teste sur 2-3 suppléments et si tu fais l’affaire, tu en vis.

Ptg : “Tu en vis”, ce n’est pas ce qu’on lit ici et là… Les éditeurs de JdR ne sont pas riches (du moins ne l’étaient-ils pas jusqu’aux kickstarters). L’association des traducteurs littéraires de France indique : 20€ le feuillet de 1500 signes (espaces compris) mais c’est un minimum. En freelancing débutant sur plusieurs types de postes (web, graphisme, mise en page et autre), il est déconseillé de taper en dessous de 300 balles la journée de taf (ce qui donne en fait dans ta poche 240 euros).

S : Pour en vivre, comme avec d’autres activités, il faut s’y consacrer à temps plein. 300 € la journée de taf, j’ai envie de dire que ça dépend de ce que tu es en train de traduire.

Ptg : Vu l’activisme de la scène “fanzine de JdR”, on a le sentiment qu’il y a plus de traducteurs amateurs prêts à traduire quelque chose de fun (du jeu de rôle) que d’éditeurs. Et que, du coup, l’éditeur peut faire jouer la concurrence pour moduler les tarifs…

S : Je bosse avec deux éditeurs et ça me suffit, la traduction étant extrêmement chronophage. Normalement, quand un éditeur de JdR te fait bosser, il te donne un tarif au signet, relu ou pas, avec ou sans espace (sans espace, c’est l’arnaque).

Ptg : Tu as cité BBE, Arkhane, Edge… Ce sont des boîtes importantes à l’échelle de notre marché de niche. Elles doivent bien payer, mais elles doivent aussi avoir le choix parmi les traducteurs…

S : Déjà, ces éditeurs, ils paient tout court. Je connais pas mal de traducteurs dans le milieu qui courent après le paiement de leurs factures, mais c’est un peu le cas dans tout le milieu de l’édition, non ? Les gros éditeurs qui ne paient pas en temps et en heure, il y en a beaucoup plus que tu ne le crois. Ensuite, le tarif que tu me donnes s’applique sans doute à un traducteur professionnel diplômé ; ce n’est clairement pas les prix qui se pratiquent dans le milieu du JdR.

C’est certain que les éditeurs ont du choix parmi les traducteurs, mais tout le monde ne traduit pas du JdR, et tout le monde ne le traduit pas bien ; il faut une certaine tournure d’esprit, le vocabulaire qui va avec le sujet, des connaissances sur les jeux. Il faut un très bon niveau de français. C’est comme le boulot de relecteur, tout le monde n’est pas capable de le faire.

 

Ptg : Chez nous, un traducteur choisit son article parmi la sélection, donc c’est qu’il l’apprécie, mais est-ce qu’un traducteur “pro” pourra traduire un JdR qu’il n’aime pas trop ?

S : Un traducteur “pro” n’a pas à aimer le JdR sur lequel il bosse, mais il est payé pour faire du bon boulot. Il y a des jeux que j’aime beaucoup plus que d’autres et quand je travaille dessus, ça se voit ; mais j’essaie de faire en sorte que ceux que j’apprécie moins ne pâtissent pas de mon manque d’atomes crochus avec eux.

Il y a aussi des jeux que je m’éclate à traduire, mais auxquels je ne jouerai jamais. Par exemple Deadlands. Pourtant j’ai testé le jeu avec son créateur (Shane Hensley, un type adorable), on peut difficilement faire mieux. Je pense que c’est parce que je connais tous les secrets du monde. Y a plus de surprises !

Les JdR

Ptg : Quel est ton JdR préféré/détesté et pourquoi ?

S : Mon JdR préféré est L5A 1re édition (je l’adore, vraiment). C’est une ambiance particulière, les règles sont fluides, le système est simple. Un bon jeu pour commencer dans les univers asiatiques, même si l’on peut avoir peur de la complexité du contexte culturel.

Celui que je déteste le plus : Cthulhu, sans hésiter. Mais c’est parce que je meurs tout le temps, en fait…

Ptg : Le JdR pour des personnes souhaitant débuter ?

S : Star Wars d6 (je suis en train :D)

Ptg : Le meilleur JdR pour initier des tout-petits ?

S : Toon, c’est monstrueux. J’ai vu une crotte de 3 ans s’éclater avec son Mickey. C’était juste énorme dans le bon et dans le mauvais sens ; parfois, tu as de bonnes idées… et parfois pas… et là… et là, c’est le drame…

Ptg : Le JdR le plus féministe ?

S : Macho Women with Guns… Nan, je déconne. Pour où être une femme n’est pas un handicap. Du JdR professionnel féministe au sens propre du terme, je n’en vois pas… mais j’en vois un en JdRA : Imperium, basé sur l’univers de Dune - Bene Gesserit rules !

Lectrice de PTGPTB

Ptg : Comment as-tu connu PTGPTB ?

S : J’ai reçu une invitation à liker votre page FB. J’ai regardé, j’ai liké (je like pas n’importe quoi ;P). Par contre mon mari suit PTGPTB sur Google +.

C’est un bon site de découverte, on y parle de choses qu’on ne croise pas forcément sur les sites de rôlistes francophones. Les articles de fond sont intéressants et les sujets variés (genre vous n’êtes pas des monomaniaques d’un seul jeu). Vous avez traduit pas mal d’articles au sujet du harcèlement.

Ptg : Peu en proportion, 2-3 articles sur 566. Un peu plus avec les articles sur les joueuses.

S : En proportion de ce qu’on trouve en français, c’est beaucoup.

Ptg : On voulait te demander pourquoi tu ne rejoignais pas PTG, mais nous faisons de la trad pour notre loisir, pas pour vivre… ;)

S : Si le volume n’est pas trop important, je peux faire pigiste bénévole. Á côté de mon travail, je fais des tas de choses que j’aime.

Ptg : Tu as dit que nous “[faisons] un boulot monstrueux”. En quoi ?

S : Déjà, le travail de sélection que ça demande : s’abonner à des fils, lire, faire le tri entre ce qui est intéressant et ce qui l’est moins, choisir les articles. Puis les traduire, les relire, les mettre au format web, les publier. Ouais, c’est un boulot monstrueux.

Ptg : On est plusieurs…
Ne faisais-tu pas référence aux recherches contextuelles ?

S : Quand on publie un article sur un jeu ou sur un phénomène de la communauté, il faut trouver des sources, recouper les infos, vérifier, croiser. Se documenter, c’est croiser les infos et vérifier ses sources ; il y a beaucoup de conneries sur le Net, donc les vérifications sont essentielles et il faut plusieurs points de vue sur un même sujet pour se faire une idée objective.

 

PTGPTG : Merci Sabine de t’être soumise à “l’interview de notre 500e like” ! Bien que nous soyons tombés sur toi par hasard, nous avons vraiment aimé t’écouter partager ton avis et tes expériences. Une conclusion ?

S : Oui ; le jeu de rôle, c’est un jeu et le but, c’est que tout le monde s’amuse. Ça implique qu’on s’amuse ensemble et pas aux dépens de quelqu’un. Pour cela, il faut avoir une bonne dose de tolérance envers les autres, donc il faut garder l’esprit ouvert.

Je n’irai pas jusqu’à dire “Aimez-vous les uns les autres, bordel de merde !”, mais j’aimerais quand même qu’on revienne à de meilleurs sentiments : c’est un loisir que nous partageons, qui doit nous rassembler et pas nous diviser. Donc si des filles veulent jouer, maîtriser, faire du GN, écrire des jeux de rôles, inventer des mondes, incarner un barbare avec un slip en fourrure, eh ben amen.


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Commentaires

En parlant de sexisme sur internet, je suis tombé sur un article intéressant propre à nourrir le débat (en anglais malheureusement) : Don’t feed the trolls, and other hideous lies !
Ce que je retiens, c'est qu'il est utile de compléter le premier mantra d'internet : 1/ on ne nourrit pas le troll, 2/ on reporte aux autorités adaptées !

Pour faire bref, si en convention/club j'observe qu'un type se comporte comme un connard à la table :
1- je lui fais remarquer que son comportement me dérange,
s'il continue ;
2- je demande au MJ de le virer ou je me barre de la table
3- et surtout je le signale aux responsables de la convention..

Cela dit, pour avoir quand même fait un certain nombre de conventions et de clubs variés, j'ai jamais rien vu qui m'ait dérangé. Mais je n'étais peut être pas aussi sensibilisé à la question à cette époque.

Auteur : 
Anonyme

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