À la recherche d’une définition

Comment s’y prendre avec ces silences inconfortables dans la conversation, et pourquoi les JdR sont mieux que les femmes.

logo de PTGPTB.org Lorsqu'il vous arrive de mentionner les jeux de rôles dans une conversation, vous obtenez généralement une de ces trois réactions : le hochement de tête approbateur de ceux qui les connaissent bien, le haussement d’épaules de ceux qui en ont entendu parler et le regard vide de ceux qui pensent que vous êtes complètement fou. La troisième réponse est difficile à traiter pour un joueur, non parce que nous n'aimons pas devoir expliquer ce que nous faisons, mais parce que c’est si foutrement difficile à expliquer. Nous finissons en général par mal résumer et donc par donner une impression mauvaise ou embrouillée de notre formidable loisir. Ce qui n’aide pas vraiment vous, ni votre auditeur, ni la conversation.

Alors pourquoi le JdR est-il si dur à expliquer ? Voici quelques idées : premièrement, c’est dû à la nature introvertie du jeu – les gens dans le milieu du JdR ont tendance à reculer à l’idée d’enseigner ses mystères à « d’autres ». Cela nous fait nous sentir spéciaux si nous connaissons quelque chose qu’ils ignorent.

Deuxièmement, le jeu de rôles est extrêmement hétérogène – il signifie diverses choses pour différentes personnes, et a beaucoup d’interprétations divergentes.

Troisièmement, il y a le problème de l’image. Beaucoup de gens associent le JdR avec le suicide ou les cultes sataniques. D’autres l’associent avec le fait d’être un « taré »; ou un « zarbi ». Ces préjugés chez l’auditeur – ou le joueur – sont difficiles à combattre, et gênent la communication.

Mais l’une des raisons les plus importantes pour laquelle nos jeux sont difficiles à expliquer à d’autres est que nous ne pouvons pas vraiment les expliquer à nous-mêmes. Il n’y a pas de définition simple de ce qu’ils sont, il n’y a pas de résumé en 5 mots que nous pouvons apprendre. Dans la plupart des JdR , la section qui explique ce que sont les JdR est expédiée en deux pages. La nature éphémère et étrange de ce loisir empêche d’une certaine façon ceux qui sont dedans d’avoir une idée claire de ce que c’est, et même de pourquoi ils jouent. Si c’est le cas, comment pouvons nous jamais espérer l’expliquer à un non-pratiquant ?

 

Nombre de gens ont essayé de le formuler succinctement. Gary Fine (1) l’a décrit comme une combinaison de jeu de stratégie et de participation à une rêverie collective. Cela a aussi été appelé « conte coopératif » et « pièce de théâtre, mais où vous inventez les répliques ». Cela a été lié au théâtre d’improvisation, la régression thérapeutique, la réalité virtuelle, les petits soldats de plombs, la folie illusoire, les fantasmes sexuels et « l’antique tradition de création de mythes de l’âge de pierre ».

Il y a un millier de définitions, ayant chacune des degrés de précision variés, mais ayant chacune exactement le même problème sous-jacent – elles tournent autour du sujet, utilisant des mots fantaisistes et du bla-bla psychologique, avec comme résultat un loisir qui apparaît d’une complexité impressionnante, mais sans rendre plus clair ce que c’est vraiment.

La seule façon de résoudre ce problème est de simplifier le jeu à ses éléments de base, au point où il peut être résumé d’une façon qui soit acceptable à la fois par ceux qui sont dans et hors du milieu du JdR. Ce qui signifie que ceux qui sont dedans doivent être prêts à sacrifier toute la sophistication, l’embellissement et la culture associée au JdR. Nous devons rabaisser notre fierté et dépouiller le JdR de ses oripeaux. Nous devons faire l’équivalent de décrire le base-ball comme « un jeu où vous frappez une balle avec une batte ».

Alors, si nous rabaissons notre fierté, quelle est la réponse à la question ? Qu’est-ce que le jeu de rôles ? Réponse :

C’est une version adulte des « jeux imaginaires » que nous jouions enfants, parfois appelés « et si on était… » ou « faisons comme si »

C’est l’essence de tous les jeux de rôles – faire semblant d’être des mages, des vampires ou des Tortues Ninja (2) exactement comme vous faisiez semblant d’être des  «cow-boys et indiens », ou  «papa et maman », ou même, euh, des tortues ninja. Peu importe la quantité de sophistication ou de structures complexes que vous y ajoutez, au fond il y a le même vieux processus qui fait d’un doigt que l’on pointe un pistolet, et d’un tissu rouge la cape de Superman. Il n’est pas surprenant que la plupart des rôlistes aiment spécialement Calvin et Hobbes [dans cette BD de Bill Waterson  wiki un enfant et son tigre en peluche mêlent imaginaire et réalité, NdT].

couverture de la BD Calvin & Hobbes Original, 1987

Couverture de la BD Calvin & Hobbes – Original, 1987

Et voilà : une définition courte, simple et qui va droit au but. Il y a juste un problème : cela ne semble pas très bien. En fait, si vous demandiez à la plupart des gens, il diraient probablement que cela paraît assez dingue. Un sage a dit un jour : « pourquoi est-ce que, quand un homme a l’esprit d’un enfant, nous l’enfermons, mais que les enfants sont autorisés à rôder librement dans les rues ? ». Voilà le problème. Pour une raison quelconque, la société a un problème avec le franchissement de la limite entre l’enfance et l’état adulte. L’enfance est vénérée dans la société, et les enfants sont élevés au niveau de dieux car ils possèdent des choses comme l’imagination, l’enjouement, et l’ouverture d’esprit (3). Mais si ces qualités sont observées chez un adulte, eh bien c’est pratiquement un délit passible de la peine de mort.

Le jeu de rôle brise ce tabou. Il prend quelque chose que la plupart des gens associent fermement à l’enfance et le transpose dans un contexte adulte. Ce qui, étant donné combien beaucoup s’amusaient à jouer à « et si on était… », semble une bonne idée. Mais cette juxtaposition est très difficile à accepter pour de nombreuses personnes, et ainsi nous sommes forcés de recouvrir notre définition sous de longues phrases sophistiquées, pour le faire apparaître plus sensé, plus « adulte » (quoi que cela signifie), plus compatible avec les standards de la société « normale ».

Ainsi notre définition simple est vaincue par sa propre simplicité. Le concept de base au cœur du jeu de rôles est trop étrange pour être ramené à une ou deux phrases. Les gens peuvent comprendre « frapper une balle avec une batte », mais pas ceci, cette intersection de mondes, et ceci est le problème inhérent à la définition du JdR. C’est juste une idée trop carrée, quelque chose que la plupart des gens ne peuvent pas facilement accepter telle quelle. Ceci explique peut-être pourquoi personne n’a été capable de le résumer – aucune quantité de circonlocutions ou de jargon pseudo-psychologique ne peut prendre cette idée et la faire sembler autrement que totalement aberrante.

Il semble qu’il n’y ait pas de solution. Il n’y a aucun moyen de résumer nos jeux en un mot ou une définition basique que tout le monde puisse comprendre. Peut être, alors, devrions nous cesser d’essayer. S’il n’y aucun moyen pour que nous arrivions jamais à être capable d’expliquer notre passion succinctement et précisément, devons-nous continuer à donner aux gens une fausse image du JdR avec nos tentatives médiocres ? Cela économiserait probablement plein de temps et d’énergie – et pourrait être plus utile au JdR – si simplement nous abandonnions.

Bien sûr, nous nous retrouvons toujours avec le problème de quoi faire quand quelqu’un nous gratifie de ce regard ahuri et dit : « Pardon ? Qu’est-ce c’est, le jeu de rôles ? ». Je crois que nous devrons juste revenir à la vieille méthode du soupir, et de dire « eh bien, cela serait trop long à expliquer ». Ça semble pompeux, mais au moins c’est honnête, et ne vous fait pas démolir votre loisir favori dans une tentative d’exprimer en 5 mots ou moins combien il est merveilleux.

L’autre bon aspect de cette méthode est que parfois, si vous êtes chanceux, la personne à qui vous parlez dira « oh j’ai le temps, cela m’intéresse ». Auquel cas vous pouvez vous asseoir et décrire exactement ce qu’ils sont, comment ils marchent et pourquoi ils sont si fantastiquement jouissifs. Avec de la chance, après une demi-heure, vous aurez un converti sur les bras.

Ou, plus probablement, après cinq minutes, ils s’en iront, morts d’ennui. Ah bah, aucune importance. Vous n’aviez pas besoin de cette femme non-joueuse de toute façon. Elle aurait seulement  essayé, [n'aurait pas aimé] et vous aurait fait abandonner le JdR pour que vous puissiez passer plus de temps avec elle à acheter des chaussures.

Les JdR, d’un autre côté, vous emmènent très rarement acheter des chaussures avec eux.

Article original : The Search for a Definition

(1) NdT : Gary Fine est un sociologue américain qui a beaucoup écrit sur le jeu de rôles et sa nature sociale. [Retour]

(2) NdT : Un dessin animé mais aussi un jeu de rôles grog. [Retour]

(3) NdT : Andrew Rilstone a aussi écrit un article brillant sur cette idée de canonisation de l’enfance. Vous pouvez le trouver ici (en). [Retour]

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