Ghostbusters RPG, le JdR pour débuter
© 1999 Steve Darlington
Il y a deux semaines, dans sa critique de Basic D&D [une version revisitée et simplifiée de Dungeons & Dragons (D&D), NdT], Brant a lancé un défi : [celui de ] “nommer un JdR, autre que D&D, qui soit plus centré sur, dédié aux, ou encore orienté idéalement vers, les débutants.”
Le gant ainsi jeté, j’ai pensé qu’il me fallait relever le défi. Et pour Brant, je n’aurai que deux mots : “Ghost” et “Busters”.
Bon, d’accord, c’est un seul mot. Mais ça ne change rien au fait que c’est un des meilleurs jeux de rôles jamais écrits – en particulier pour les débutants.
Ghostbusters – un jeu de rôle affreusement joyeux.
La boîte est couverte d’images tirées du film S.O.S. Fantômes [1984], donc n’importe quel fan du film (et qui ne l’est pas ?) sera immédiatement enthousiaste. C’est, clairement, un jeu basé sur un grand film, donc c’est un bon début. Sans parler du fait que le dos de la boîte mentionne quelque chose comme devenir pour de vrai des Ghostbusters [de l’argot (buster, de burst – exploser) : “éclateurs” ou “exploseurs” de fantômes (NdT)], ce qui semble assez marrant.
Quand on ouvre la boîte, deux fascicules en tombent, ainsi que cinq dés et un bon paquet de cartes. On dirait presque un jeu de plateau : rien là de bien menaçant. Un des dés (le wild dice) arbore le mignon petit fantôme qui sert de logo au film : carrément sympa. Quelques cartes semblent contenir les caractéristiques des personnages du film. Il est donc plutôt évident qu’il n’y a qu’à en choisir un pour commencer à jouer. Un des fascicules a un encart bien aéré format A4 qui explique les règles. Apparemment, on jette une poignée de dés à six faces quand le Ghostmaster (Maître des Fantômes) le demande et si le score est assez élevé, on réussit ce que le personnage était en train de faire. Tomber sur le petit fantôme, c’est pas bon. Le reste des cartes représente de l’équipement, dont vous pouvez prendre trois pièces. Et maintenant, vous voilà fin prêts pour aller casser du fantôme.
Je suis sérieux : les règles ne sont pas plus compliquées que ça. Chaque personnage a quatre caractéristiques : Muscle, Jugeote (Brains), Déplacement (Move) et Sang-Froid (Cool), qui vont de 2 à 6. Ce chiffre représente le nombre de d6 que vous lancerez pour dépasser un seuil de difficulté. Pour chaque lancer, il faut aussi lancer le dé avec le fantôme dessus. Un échec, en ayant obtenu un fantôme sur le dé, devient critique ; et une réussite avec un résultat “fantôme”, voit quelque chose de légèrement nuisible ternir votre succès.
Pour chaque caractéristique, vous n’avez qu’une seule compétence, qui vous permet de rajouter trois dés quand un lancer implique cette caractéristique. La compétence peut être ce que vous voulez, du très important S’empiffrer de Bouffe (Muscles) à l’indispensable Comprendre les Séries à l’eau de rose (Jugeote) en passant par l’amusant Se pavaner (Déplacement) et, utile en toutes circonstances, Élever des enfants (Sang-Froid).
Les personnages ont aussi des Bons Points (Brownie Points), qui sont un mélange ingénieux entre les points d’expérience et les points d’attaque (j’y reviendrai plus tard), ainsi qu’un But pour donner chair à leur personnalité. Les Buts comprennent Servir l’Humanité, Science sans Conscience et (le favori de Venkman :) le Sexe. Les personnages gagnent des Bons Points en suivant leurs Buts et en massacrant du fantôme de passage. Puisque le jeu recommande d’utiliser les prétirés inspirés du film, cela fait de Ghostbusters le seul JdR de l’Histoire où non seulement vous pouvez coucher avec Sigourney Weaver, mais c’est même une des règles du jeu. Vous commencez à comprendre pourquoi je suis tombé amoureux de ce JdR ?
Une fois que vous avez un but, vous choisissez trois pièces d’équipement (toutes présentées sur de jolies cartes) et c’est fini. Il ne reste plus qu’à jouer. Construire un personnage prend environ une minute mais, si on utilise les prétirés, vous pouvez passer cette minute à expliquer les règles. Ça ne peut littéralement pas prendre plus de temps que ça, à moins que vos joueurs soient lents d’esprit ou qu’ils n’aient jamais vu de d6 auparavant.
Donc, chaque joueur a son perso. Une minute de préparation et les joueurs peuvent commencer. “Mais quid du MJ ?”, vous entends-je déjà dire, “Il doit encore se taper des heures de préparation ! Donc c’est quand même bien un jeu difficile pour les MJ novices, non ?”
Faux ! Faux, faux et archifaux.
Il existe un bon paquet de JdR qui permettent aux joueurs de jouer en moins de cinq minutes. Ghostbusters est le seul à ma connaissance qui permette de maîtriser dans ce même laps de temps.
Je n’exagère pas. Ça vous prendra moins d’une minute pour lire les règles, comme pour vos joueurs. Alors, vous ouvrez le manuel du MJ, qui vous emmène directement dans l’aventure. C’est une petite histoire bien marrante de deux pages à propos d’un taxi possédé par le fantôme d’un chien géant. C’est une aventure parfaitement construite du début à la fin avec des situations génialement drôles, un casting de PNJ spectaculaires, une superbe petite énigme à résoudre et des tonnes de machins à dézinguer avec votre Proton Pack. C’est peut-être un peu trop simpliste pour les vétérans mais c’est imparable pour mener les joueurs et le MJ dans l’aventure.
Un MJ néophyte a seulement besoin de parcourir les pages pour être d’attaque. Des notes en marge donnent également quelques trucs pour bien maîtriser (et même les vétérans les reconnaîtront comme d’excellents conseils) et vous voilà partis ! Il y aura sans doute quelques accrocs les premières fois mais tout est tellement simple que ça ne pourra pas tourner au fiasco.
Ghostbusters pourrait être considéré comme un manuel du MJ débutant. Après la première aventure, une ou deux pages vous expliquent ce que vous venez de faire et comment le faire par vous-même : comment tester des caractéristiques, improviser quand les joueurs partent dans des directions bizarres, les mettre au défi, leur foutre la trouille et, simplement, leur faire faire ce que vous voulez qu’ils fassent sans qu’il n’y paraisse rien.
Puis, vous voilà partis pour une autre aventure, une trame amusante sur un fantôme fanatique de vieilles sitcoms des années 1950. Là encore, cette aventure fournit un tas de super conseils pour mener des parties et se termine par une page d’explications plus détaillées. Et puis ça repart pour un tour.
Ce qui en fait (à ma connaissance) le seul JdR qui enseigne comment devenir MJ par la pratique (1). Oh, bien entendu, d’autres JdR proposent une aventure dès le début et expliquent quelques petites choses au fur et à mesure, mais pas de façon aussi exhaustive et brillante que Ghostbusters. Et ces JdR vous disent généralement QUOI faire, et non pas pourquoi ni comment. Ni ne continuent au-delà de la première aventure : “Oh non ! Maintenant c’est le grand saut vers les conseils au MJ” à la fin du livre. Mais pas avec GB : le MJ novice est pris par la main tout au long du chemin. Je maîtrise des JdR depuis dix ans et j’ai le sentiment d’avoir plus appris avec leur tutoriel que dans toute mon expérience [de MJ]. Dès que quelque chose ne va pas dans mes parties, je ressors ce jeu de sous la pile, et je relis ces pages pour me rappeler comment mener la séance de mon mieux. C’est véritablement un travail d’orfèvre.
Cela signifie que non seulement votre MJ peut commencer à maîtriser en cinq minutes, mais qu’il peut devenir, après quelques parties, un maître en la matière. Les joueurs vivront donc des aventures toujours meilleures et plus divertissantes à mesure que le MJ gagnera en expérience avec eux. Et tout en continuant à jouer, le MJ ne manquera jamais d’idées. Parce qu’après le tutoriel et quelques pages de règles plus détaillées, le reste du manuel du MJ est rempli d’amorces d’intrigues, comprenant une bonne cinquantaine de PNJ, une sacrée poignée de routines et de blagues à-insérer-en-cas-de-besoin, et deux synopsis de campagne complets. Si vous vouliez tout utiliser, vous en auriez pour des mois et des mois de jeu. Ce qui est plutôt donné, au prix où sont les JdR. Ou plutôt “ce qui était [plutôt donné]” car Ghostbusters [paru en 1986, NdT] est, hélas, épuisé depuis longtemps.
Donc écumez les magasins d’occasions et les cartons de vieilleries bradées pour le trouver, parce que c’est vraiment un grand classique du JdR. Ce qui ne veut pas dire, malgré tout, qu’il n’a pas quelques défauts. Le problème majeur étant aussi sa plus grande qualité : sa simplicité.
Ghostbusters recrée admirablement le style des films dont il est inspiré. Le jeu est endiablé et très très drôle. Il encourage une façon de jouer au second degré, chaotique, comme au cinéma, et même cartoonesque. Par-dessus le marché, les débutants s’y amusent avec une facilité déconcertante. Tout cela signifie que le système est très simple, et par conséquent pas très solide.
Pour ceux qui le connaissent, Ghostbusters utilise ce qui allait devenir le système d6, donc il en reprend le côté boiteux. En tant que premier jet, il lui manque aussi cette patine qui vient avec le développement et il contient de nombreux trous béants. Les caractéristiques, par exemple, sont trop rudimentaires et bien trop déséquilibrées, de sorte que les personnages avec un 2 en quelque chose ne pourront jamais réussir certaines actions, alors que ceux avec un 6 réussiront presque toujours, même contre des niveaux de difficultés incroyablement élevés. Les compétences sont trop limitées (si vous possédez une compétence de combat, vous ne pouvez pas en avoir une autre pour le Déplacement), définies sommairement et grossièrement surpuissantes. Le système de combat se résume à une inventive résolution de tâches, et au-delà de ça, il n’y a pas grand-chose de plus dans le livre. En bref, c’est plutôt flou.
Votre MJ peut devenir, après quelques séances de jeu, un maître en la matière.
Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose puisque les règles n’ont pas besoin d’être précises [ici]. Dans les faits, le jeu est une sorte de JdR “libre” (free-form). Mais je préfère les systèmes de règles complets qui couvrent toutes les possibilités. Tel qu’il est, les joueurs et le MJ devront réaliser pas mal d’estimations et il y a de quoi bien se jouer du système. Les combats auront besoin d’arbitrage et les MJ trouveront qu’il est très difficile de proposer des défis adaptés à leurs PJ quasi-surhumains. Tout cela ne causerait pas de problème dans une session unique genre “arène”, mais sur le long terme les choses risquent d’êtres plus tendues et difficiles pour tous.
L’autre problème avec la simplicité des règles se retrouve dans le décor. Bien que plaisant, il ne peut pas retenir votre intérêt bien longtemps. Ghostbusters est prisonnier de sa propre formule : vous ne pouvez bâtir des scénarios qu’autour de la réception d’un appel à l’aide pour ensuite aller éclater du fantôme. Là encore, no problemo pour quelques scénarios, mais ça lasse rapidement. On pourra me faire remarquer que des JdR comme L’Appel de Cthulhu parviennent à échapper à leur propre formule (2) mais je ferai alors remarquer que nombre d’auteurs ont commis nouvelles, romans et même des films à partir du Mythe de Cthulhu, alors que [les producteurs] Ackroyd et Ramis n’ont produit que deux films en tout et pour tout. Et encore ! Le deuxième épisode ressemblait un peu trop au premier.
Donc, le jeu manque un peu de profondeur, et du même coup d’intérêt sur le long terme. Mais Ghostbusters ne prétend pas avoir ces qualités. Il revendique d’être un JdR simpliste, superficiel et léger, parce que c’est ce qui permet d’être cinématique, marrant et par-dessus tout, un très très bon jeu pour les débutants. Oui, ils finiront par en avoir ras le bol, mais c’est aussi le but d’un jeu de rôle pour débutants. Vous leur faites une place dans le cercle, leur donnez goût au JdR de la façon la moins douloureuse possible, les rendez accros, et quand ils sont prêts, les faites passer à des choses plus importantes et plus sérieuses. Un jeu de rôle ne pourrait pas être aussi parfait pour les novices, et à la fois être un jeu dans lequel vous vous engagez pour la vie : il vous faut être l’un ou l’autre, et Ghostbusters est absolument imbattable sur son terrain. Il est aussi extrêmement fidèle à son sujet et, pour de l’amusement tordant, pur et fondamental, vous ne trouverez pas meilleur JdR. Certes, ça ne va pas plus loin, mais qui s’en plaindrait ?
Et pourtant… la couche de bière et de bretzels abrite son lot de pépites. Il y a là d’incroyables éclairs de génie, des idées créatives à en tomber par terre d’émerveillement tant elles sont brillantes d’intelligence et, avec le recul, révolutionnaires pour leur époque. Ce n’est pas tellement surprenant étant donné que ce JdR a été créé par cinq des plus grands cerveaux de l’Histoire du JdR : Sandy Petersen et Lynn Willis (L’Appel de Cthluhu), Greg Stafford (RuneQuest, Pendragon), Ken Rolston (Paranoïa) et Greg Costikyan (3) (Star Wars, Toon, Paranoia).
Des exemples dudit génie ? La présentation et l’écriture, d’abord. Comme suggéré plus haut, c’est un des rares JdR qui se présente dans le bon ordre. De sorte que si vous le lisez du début à la fin, vous apprenez, étape par étape, comment mener une partie, chaque nouvelle leçon ou règle vous amenant logiquement à la suivante. Et tout est parfaitement rationalisé pour être joué, avec des indications claires et des astuces présentées juste au bon endroit. Et chaque caractéristique, règle et astuce est conçue pour favoriser un bon jeu spectaculaire. On ne s’embête pas à vous dire combien de points de combat a tel fantôôôôme. Au lieu de ça, on vous explique comment le jeter sur les personnages de la façon la plus opportune, comment ils pourraient essayer de le tuer, et comment faire que les joueurs y parviennent sans que cela soit trop facile.
Les règles contiennent de l’or en barres, comme les Bons Points. Plutôt que de perdre des points de vie pour des dégâts reçus, utiliser vos Bons Points (que d’autres JdR appelleront plus tard Points de Destin ou Points de Force) peut vous sortir de bien mauvaises passes par pure chance (4). Ou vous pouvez aussi les dépenser pour modifier vos lancers de dés afin de vous garantir la réussite. OK, tout le monde le fait maintenant, mais en 1986, personne encore ! Le wild dice avec fantôme était aussi une nouveauté, tout comme l’idée fantastique d’inclure un aspect roleplay comme partie centrale de la feuille de personnage en précisant un But (5).
Au final, c’est un des livres de règles les plus cocasses de notre loisir. L’exemple de résolution de tâches commence par : “Disons que vous voulez manger un téléphone”. Les cartes d’équipement incluent le “Kit de plage” qui “triple votre amusement à la plage !” mais n’a rien à voir avec le massacre de fantômes. Les PNJ ont des capacités telles que “Attraper l’héroïne d’une manière cavalière”. Et il y a des tas et des tas de blagues drôles qui se moquent gentiment du jeu de rôle en général, et en particulier des prétentions et des clichés d’autres JdR ou de manuels. Seul le livre de règles de Paranoia le dépasse en drôlerie, c’est dire.
Donc même si mes joueurs et moi-même ressortons rarement notre vieux Ghostbusters, il occupe une place d’honneur sur mes rayons et je le redescends souvent pour m’y replonger. Parce que, non seulement il regorge d’idées et de règles géniales, non seulement il est plein comme un œuf des meilleurs conseils au MJ jamais imprimés, non seulement il déborde d’idées, de techniques et de scénarios pour rendre vos parties meilleures, non seulement il constitue à la fois l’apogée du JdR “apéritif” et des JdR inspirés par des films, mais cette véritable légende dans l’Histoire du JdR est aussi tout simplement tordante à se pisser dessus et à s’en taper le cul par terre.
Et à part tout ça, si je devais croiser un jour quelqu’un qui ait besoin d’être initié au JdR, c’est bien d’avoir exactement ce qu’il faut. Pas de quasi-wargame pseudo-tolkiennesque confus et aux règles lourdes ; juste un JdR absolument et éternellement suprême dans l’art de rendre accros les nouveaux joueurs. Le seul, l’unique : Ghostbusters.
Forme : 4/5 (bien réalisé et classe)
Fond : 5/5 (Excellent !)
Auteurs : Sandy Petersen, Lynn Willis, Greg Stafford
Éditeur : West End Games
Gamme : Ghostbusters
Nombre de pages : 88
ISBN : 0-87431-043-1
Genres : Science-fiction, Horreur, Comédie
Article original : Review:Ghostbusters
(1) NdT : Idée similaire, le livre de Post Mortem (2003) n’est qu’un gros scénario qui explique les règles à tous au fur et à mesure. [Retour]
(2) NdT : Car les scénars de L’Appel c’est un peu toujours la même chose ptgptb. [Retour]
(3) NdT : Retrouvez des articles de Greg Costykian ptgptb. [Retour]
(4) NdT : Extrait de la fiche du Grog : “Brownie Points, un mélange de points de vie/points de ressources (au nombre de vingt à la création)” … “ils peuvent être utilisés lors des jets de dés. […] Cependant, ils servent aussi à amortir les chocs : par exemple, se faire engluer, comme Venkman, par un ectoplasme, peut coûter quelques points en fonction du résultat d’un jet de Cool et de l’état de son brushing avant engluage.” [Retour]
(5) NdT : L’importance de la composition de la feuille de personnage n’a pas échappé à Steve Darlington ptgptb. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article fait partie de l'e-book n°3, une compilation de traductions organisée autour du thème de la transmission de la flamme du rôlisme. Y sont rassemblées des réflexions sur la découverte du JdR.
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