Mouseburning
© 2011 The Chatty DM
présente
Bidouiller un système de compétences, façon jeu indie
NdT : mouseburning : mixer Mouse Guard [Les Légendes de la Garde] et Burning Wheel.
Après environ un an à pratiquer divers JdR de petites maisons d’édition comme Les Légendes de la Garde (grog), Burning Wheel (grog), Apocalypse World (grog) et Leverage (grog), j’en suis arrivé à une approche standardisée de résolution des actions qui leur doit beaucoup. Bien que je l’aie utilisée avec D&D, je pense qu’elle s’applique aux JdR les plus classiques basés sur les mécanismes “réussite sur un jet au moins supérieur à la cible”, ce qui inclut toutes les variantes du système d20.
En voici les éléments principaux et comment ils s’articulent.
Incertitude
L’issue d’une action doit être incertaine. Si elle peut être résolue par plusieurs tentatives hors-champ, je ne touche pas aux dés. Tous ces tests de perception ou de fouille ? Je les laisse tomber, sauf si je crée une scène structurée qui en exploite les issues multiples et les possibilités de conflits.
“Où est ce foutu diadème ? Je jure que j’ai vu le voleur le glisser dans sa poche ! Avoue, demi-homme ou subis une fouille au corps sur-le-champ !”
Enjeux significatifs
Si les issues d’une action sont incertaines, je me pose la question “Les enjeux sous-jacents sont-ils suffisants pour construire une scène dramatique autour ? Un loupé ou un échec importeront-ils aux joueurs ?” Si non, j’accède à la requête du joueur et je continue (1).
Par exemple, un joueur cherchant une figure amicale dans un village pourra le trouver automatiquement si le MJ n’a pas d’inspiration particulière se traduisant par un enjeu significatif. Mais s’il existe une possibilité pour que les personnages fassent mauvaise impression – avec des conséquences claires qui peuvent affecter les aventures futures –, alors les enjeux sont visibles et jeter les dés devient utile.
Économie de scènes
Vous savez combien j’apprécie le temps que je passe autour d’une table avec mes amis. Cela signifie que je ne suis plus enclin à demander des jets de dés pour ouvrir toutes les portes et éviter/combattre tous les mooks [PNJ désagréables et empêcheurs d'explorer tranquillement les donjons (NdT)] de la zone. C’est pourquoi je suis un partisan de “l’économie de scènes”, un terme auto-explicatif qui, je crois, a été officiellement inventé dans le JdR Burning Empires (grog), et dont le concept s’est solidement ancré dans la conception des scénarios des Légendes de la Garde.
Dans Les Légendes de la Garde, chaque scénario contient seulement deux scènes construites autour d’un (ou de quelques) test(s) de compétences. Chaque scène présente un obstacle principal, et une issue probable en cas d’échec.
Dans cette optique, lorsqu’un joueur réagit à un obstacle que j’ai placé sur son chemin en expliquant ce que son personnage veut faire, je prends soin de découper l’intention des joueurs en une série d’actions, afn de créer une scène. Une fois que j’ai cette liste informelle d’actions, j’écarte rapidement celles qui ne répondent à mes principes d’incertitude et d’importance.
Chatty DM : “Bien, vous avez réussi jusqu’ici, mais c’est là que ça devient intéressant…”
Ensuite, je cherche les actions principales/tests de compétences qui sont centraux à la scène. Cela se résume souvent à un seul test, parfois un ou deux de plus.
Par exemple, dans ma campagne D&D 4e Primal/Within, un joueur voulait que son roublard trouve une échoppe vendant un objet magique précis dans une ville hostile. Comme ils s’étaient déjà faufilés en ville plus tôt dans l’aventure, j’ai écarté tous les autres tests de discrétion de la suite de tâches constituant la scène (comme avec la règle Let it Ride (2) de Burning Wheel et j’ai réduit toute l’action à sa quintessence : un test de Connaissance de la rue.
Un leader, plusieurs assistants
Dans les choses qui m’énervent le plus concernant les tests de compétences dans les JdR, celle qui m’agace prodigieusement est de forcer/encourager tout les PJ dans un groupe à faire le même test, indépendamment de la compétence réelle. L’exemple le plus flagrant est le test de Furtivité, où tout le monde est pénalisé par le maillon le plus faible, en général l’idiot qui porte une armure de plaques. À l’inverse, on voit souvent l’effet “moi aussi” quand un obstacle est conçu pour un seul perso/joueur, et que tout le monde dans le groupe décide de s’y attaquer, espérant “faire un 20”, détournant au passage les projecteurs du perso compétent..
En empruntant encore à Légendes de la Garde/Burning Wheel, j’ai résolu ceci en demandant quel personnage va prendre les choses en main en résolvant l’action que le groupe a décidé d’entreprendre. Une fois choisi, j’exige du joueur qu’il décrive comment son personnage va s’y prendre.
Aparté
Cette description est essentielle car c'est ici que réside la majeure partie du roleplaying dans presque tous les JdR auxquels j’ai joué. Autant la description d’un coup d’épée peut être efficace, autant décrire comment un PJ tente de surmonter un obstacle relève d'un art perdu et ignoré de beaucoup de joueurs. C’est là que le MJ doit absolument pousser, inspirer et encourager tout le monde à créer de chouettes descriptions. Permettez aux joueurs de s’inspirer les uns des autres et de se reposer sur ces descriptions.
Une fois cela fait, j’invite les autres joueurs à proposer et à décrire comment ils vont aider. Dans mon adaptation des règles de D&D 4, chaque intervenant utilise les règles standards de soutien. Cependant j’autorise un large éventail de compétences/capacités/pouvoirs, tant que la description de la façon dont le joueur apporte son aide est divertissante.
Mon meilleur exemple provient d’un de mes [comptes rendus de parties sur mon site] Dungeon Reality Show :
Entre les deux premières scènes de combat, les PJ se tenaient près d’une statue brisée du dieu de Maïwenn. L'une d'elles songea, genre, qu’elle devrait absolument faire quelque chose pour ça. Donc nous en avons discuté un peu.
Nous avons convenu que ce serait un test difficile de Religion pour canaliser à nouveau l’énergie divine dans la statue. Les autres apporteraient leur aide, Saendithas grimperait sur la statue (Voleur), Franck lui passerait les morceaux (Athlétisme) pour les remettre en place et Todd les fusionnerait avec ses Missiles magiques (Arcanes).
Cartes sur table
Avant que les joueurs ne prennent les dés, j’adopte habituellement l’une des deux approches suivantes, selon la situation.
- Dans les scènes à haut risque, je révèle la difficulté et j’expose les conséquences probables du test de compétence, les bonnes comme les mauvaises. J’ai piqué cette technique à Apocalypse World (grog) de Vincent Baker, où on dit aux joueurs (mais pas dans les détails) ce qui est susceptible de se produire s’ils échouent. Cela leur laisse la possibilité de se raviser et de repenser leur stratégie s’ils estiment trop élevés les risques ou le coût probable de l’échec.
- Sinon, dans les situations moins risquées/intenses, j’attends de voir le résultat et je propose un marché en cas d’échec. Je laisse le choix au leader de la scène : accepter un échec normal, ou réussir en échange d’un rebondissement mineur.
Dans l’exemple précédent “Trouver un objet magique dans une ville hostile”, mon joueur a échoué, donc je lui ai laissé le choix. Je lui ai dit qu’il pouvait, soit ne pas trouver son objet, soit en acheter un qui soit maudit. Je ne lui ai cependant pas révélé la nature de la malédiction avant qu’il ne fasse son choix.
Il a choisi l’objet maudit… Hé hé hé…
Impressionnants échecs épiques
Un autre de mes gros problèmes avec les compétences dans les JdR classiques est leur résultat binaire. Soit vous réussissez, soit vous échouez, et c’est tout. Cela rend souvent les jets de tests de compétences assez peu intéressants. Je trouve que le problème réside essentiellement dans le caractère définitif d’un test échoué. Vous ne réussissez pas votre action, et maintenant ? (4)
Cependant, durant la dernière décennie, des JdR ont été conçus en abordant spécifiquement la question de l’échec, et la façon de l’utiliser pour construire des histoires au lieu de les stopper. Burning Wheel, je pense, a été un pionnier avec la règle Let it Ride pour éviter les impasses dues à un échec. D&D 4 a essayé, à mon avis sans succès avec les défis de compétences. Mais il a bien rattrapé le coup dans le Guide du Maître 2.
Néanmoins j’ai découvert le véritable potentiel des “échecs amusants” dans des jeux comme Les Légendes de la Garde, Leverage et Apocalyse World.
Par exemple, dans Les Légendes de la Garde, on attend du MJ qu’il introduise un rebondissement ou une complication à chaque fois qu’un personnage rate un test de compétence. Dans l’une des missions des exemples, les PJ-gardes doivent apporter du courrier à une ville lointaine pendant le dégel du printemps. Si les personnages échouent dans leur tentative d’arriver à destination en toute sécurité, ils trouvent refuge pour la nuit dans un arbre creux… habité par un corbeau qui essaie de voler le sac de courrier, conduisant ainsi à un conflit.
Dans Leverage, chaque fois que les personnages obtiennent “1” sur leurs dés, le MJ gagne des “complications” qu’il peut transformer en petits avantages que les PNJ antagonistes peuvent utiliser chaque fois que l’histoire l’impose ; contre les joueurs dans l’opposition en cours, ou plus tard. C’est une excellente pratique pour la création de rebondissements et de complications mineures dans le feu de l’action.
Dans Apocalypse World, à moins d’être très réussis, les jets de résolution d’actions entraînent des complications sous la forme “Vous avez ce que vous voulez mais…” qui ouvre la voie au MJ pour partir dans toutes sortes de directions intéressantes… au grand dam des joueurs. (3)
Alors comment faire pour rendre l’échec amusant dans un jeu classique comme D&D ou Pathfinder ? C’est simple (et ça devient plus facile avec le temps). À chaque échec, le MJ apporte une complication à l’intrigue, donne une tournure imprévue à l’histoire/scène/aventure. Ce peut être soit planifié (la rubrique “rebondissements possibles” des notes du scénar), soit complètement improvisé sur la base de ce qui fait le plus sens pour le MJ à ce moment.
L’échec peut conduire à…
- des alliés se révélant être des traîtres,
- des PJ blessés dans un accident,
- un déclenchement de pièges,
- l’alerte de patrouilles proches,
- des nobles se sentant insultés,
- des jeunes filles qui tombent amoureuses des PJ au pire moment possible, etc.
Il suffit de regarder les séries TV récentes où les personnages vont de Charybde en Scylla (The Walking Dead vient à l’esprit) et vous avez de bons exemples du type d’échec que vous pouvez faire subir aux PJ.
Cela semble… compliqué
Cela ne l’est pas vraiment une fois que vous avez essayé à plusieurs reprises.
- Confrontez les joueurs à un obstacle
- Identifiez la(es) tâche(s) significative(s) et incertaine(s) à surmonter.
- Identifiez le leader de la scène
- Identifiez les aides
- Laissez les joueurs raconter ce qu’ils font
- Jouez cartes sur table et exposez la difficulté et les conséquences probables
- Laissez les joueurs adapter la stratégie si besoin et répétez les étapes précédentes si nécessaire
- Lancez les dés
- Décrivez la réussite ou ajoutez un rebondissement à la situation
Si, à ce moment de l’histoire, l’obstacle est toujours là et que les joueurs se retrouvent en plus grande difficulté qu’auparavant, ne paniquez pas. Il suffit d’appliquer la formule secrète que Vincent Baker évoquait précisément pour cela :
Regardez-les calmement, souriez et demandez-leur :
“Que faites-vous maintenant ?”
J’appelle ce système “Mouseburning it”. Essayez-le et faites-moi savoir comment il fonctionne pour vous.
Merci à tous de m’avoir lu. Remerciements particuliers à Luke Crane (Burning Wheel, Les Légendes de la Garde), Vincent Baker (Apocalypse World), Rob Donoghue, Fred Hicks et Cam Banks (Leverage) et James Wyatt, Robin Laws (Guide du Maitre 2 pour D&D 4e).
Article original : Mouseburning it
(1) NdT : Robin D. Laws développe une vision similaire dans Faites un don (ptgptb), où il s'intéresse à la pertinence des conséquences de l'échec. [Retour]
(2) NdT : Rendre chaque test de compétence important. On ne relance pas, sauf si l’intention ou le but changent. Ceci favorise à la fois le joueur (le MJ ne peut faire répéter le test jusqu’à ce qu’il rate) et le rythme de la partie (Extrait du wiki de Burning Wheel (en)). [Retour]
(3) NdT : Là encore, Robin Laws explore cet aspect en détail avec le principe d'improvisation théâtrale Oui, mais… (ptgptb). [Retour]
(4) NdT : Dans un registre similaire, Apprenez à expliquer les échecs (ptgptb) développe l'idée que les joueurs veulent d'abord occuper le devant de la scène. Il ne faut donc surtout pas traiter l'échec comme un événement anodin. [Retour]
Pour aller plus loin…
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