Le Système EST important
© 1998 Adept Press
Tous les systèmes ne sont pas égaux
Depuis près de 20 ans, j’entends la même idée sur les JdR. La voici : “Le système utilisé n’est pas vraiment important. Un jeu de rôle ne vaut que par ce que ses joueurs y apportent, et n’importe quel système fait l’affaire avec le MJ et les joueurs adéquats.” Ma position ? Désaccord complet.
“Hé !” Vous pourriez dire “Vince mon MJ peut faire jouer n’importe quoi. Même si le jeu est merdique, il vire ce qu’il n’aime pas et c’est parti.”. OK, super. Vince est doué. Imaginez maintenant combien il serait bon s’il ne devait pas passer tout ce temps à faire son choix dans le système de jeu (souvenez-vous que je ne parle ici que du système et non des ressources scénaristiques ou des suppléments sur l’univers). Je soutiens qu’un système est meilleur, dans la mesure où, entre autres, il ne gaspille pas le temps de Vince.
“Ah, OK”, pourriez-vous répondre “Mais c’est toujours une question d’opinion quand on dit qu’un jeu est bon. Personne ne peut vraiment dire avec certitude quel JdR est meilleur qu’un autre, c’est une question de goût”. Là encore, désaccord complet.
Quelques définitions s’imposent. Premièrement, je parle ici du jeu de rôle traditionnel, dans lequel le MJ est un humain et les joueurs sont physiquement présents durant la partie. Deuxièmement, j’entends par “système” une méthode de résolution de ce qui se produit pendant la partie (1).
Il doit fonctionner à deux niveaux : en ce qui concerne les vraies personnes qui y jouent et en ce qui concerne les personnages qui vivent des événements fictifs.
Conception de système : première partie
(Ce qui suit se fonde sur les idées présentées sur le modèle à trois volets ptgptb, mais j’étends assez largement leur champ d’application).
On a suggéré que les joueurs avaient trois visées ou perspectives distinctes, en ce sens qu’un joueur donné envisagera une situation de JdR suivant l’une ou l’autre de ces perspectives (2). Et si des mélanges sont possibles, ils restent limités.
- Le ludiste. Ce joueur est satisfait si le système implique un conflit qu’il a une chance de remporter. Habituellement, il opposera le personnage et un PNJ, mais le ludiste peut aussi être un Exploiteur de règles ou un rôliste du genre dominateur. Rifts et Shadowrun sont des JdR particulièrement adaptés aux ludistes (3).
- Le narrativiste. Ce joueur est satisfait si une séance de JdR donne une bonne histoire [avec des conflits dramatiques et des choix moraux NdT)]. Over the Edge, Prince Valiant, The Whispering Vault et Everway (4) sont des JdR pour narrativistes.
- Le simulationniste. Ce joueur est satisfait si le système “crée” un univers de poche sans insuffisances. Une des sous-catégories bien connue du simulationniste est le Réaliste. GURPS et Pendragon (5) sont de bons jeux pour simulationnistes.
Je soutiens ici que la conception d’un système de JdR ne peut répondre à la fois à ces trois attentes (6). Par exemple, combien de temps réel faut-il pour résoudre une action de jeu ? Le simulationniste accepte que cela prenne du temps si la précision s’en trouve améliorée, le narrativiste déteste les longues résolutions, le ludiste n’accepte que cela prenne du temps ou qu’une méthode complexe soit utilisée que si le joueur peut l’exploiter.
Où encore, qu’est-ce qui constitue un succès ? Le narrativiste veut une résolution dramatiquement intéressante, mais le ludiste veut surtout savoir qui s’en est le mieux sorti [et le simulationniste veut que le résultat soit crédible et cohérent avec le genre (NdT)].
Ou bien, comment doit-on équilibrer l’efficacité des personnages-joueurs ? Le narrativiste s’en fiche, le simulationniste veut que cela reflète le système social de l’univers de jeu, et le ludiste demande simplement que les règles soient les mêmes pour tous.
Un des plus gros problèmes que j’ai observés dans les systèmes de JdR survient lorsqu’ils essayent de satisfaire ces trois approches à la fois. Malheureusement, on peut alors être sûr que presque tous les joueurs seront irrités à un moment ou un autre de la partie par un aspect du système. Le temps du MJ sera alors consacré, comme dans l’exemple de Vince, à éliminer les différents aspects qui ne s’accordent pas avec un groupe donné. Un “bon” MJ est alors défini comme celui qui est capable de faire cette opération de tri. Pourquoi ne pas éliminer cette étape laborieuse et permettre (par exemple) à un MJ ludiste, d’utiliser un JdR ludiste et de ne pas perdre de temps ? Je soutiens que la première priorité lors de la conception d’un JdR est de construire un système en accord exprès avec une de ces trois perspectives.
(Remarquez alors que je peux applaudir un système donné car il correspond superbement à l’une de ces perspectives, même si je ne partage pas celle-ci et que je pourrais bien détester jouer à ce jeu. C’est un point important car il me donne un critère pour juger, au lieu de simplement aboyer sur “ce que j’aime”).
Conception de système : deuxième partie
Maintenant qu’un système a une perspective ou une visée à l’aune de laquelle on peut le juger, il est temps de disséquer cette méthode de résolution dans le détail. Je vais suivre ici la suggestion de Jonathan Tweet (qui se trouve dans le livre des règles de l’excellent JdR Everway). Pour lui, il y aurait trois modes de résolution en jeu de rôle.
- L’aléatoire, ce qui signifie que plusieurs résultats sont possibles pour chaque cas (j’ai tiré 10 sur 3 dés, c’est moins que ma compétence qui est à 12 : je touche !). La plupart des systèmes de JdR sont d’abord de ce type, pour des raisons historiques. Les méthodes comprennent les dés, les cartes et un tas d’autres trucs.
- Le karma, où il s’agit de comparer deux valeurs fixes (j’ai 7 en escrime, tu as 4 : je gagne). Ambre est un des rares jeux à utiliser principalement le karma.
- La dramaturgie : où le MJ (ou, plus rarement, le joueur) décide du dénouement en disant ce qu’il se passe (“Tu l’embroches !” dit le MJ sans jeter de dés ni consulter de chiffres)
Un système donné peut certainement mêler et harmoniser ces méthodes et de fait Everway permet effectivement au MJ de concocter son propre mélange onctueux. Ambre, par exemple, pondère son système de karma par de la dramaturgie, Extreme Vengeance sa méthode dramaturgique par de l’aléatoire, et Sorcerer l’aléatoire avec de la dramaturgie. Certains systèmes utilisent des méthodes différentes pour des activités différentes : AD&D utilise le karma pour la magie et l’aléatoire pour le combat.
Prenons comme exemple les méthodes aléatoires, celles auxquelles nous sommes le plus habitués. La question devient alors de savoir si un système fondé principalement par exemple sur l’aléatoire fonctionne effectivement bien durant la partie. Deux choses doivent être observées attentivement (cette terminologie provient de l’écologie, entre autres) :
- Le temps de recherche, c’est-à-dire le temps nécessaire pour savoir ce que vous obtenez. Cela comprend combien de dés il faut jeter, le calcul des modificateurs, le décompte des résultats, etc.
- Le temps de manipulation, c’est-à-dire répondre à la question “Alors, qu’est-ce qu’il se passe ?” Cela comprend la comparaison avec le résultat d’un autre jet de dé ou avec un tableau, passer à l’étape suivante s’il y en a une, cocher les points de vie, vérifier l’étourdissement éventuel et ainsi de suite.
Je ne peux pas pour autant dire ce qui est trop ou pas assez – mais je soutiens que si ces deux temps ne sont pas adaptés aux perspectives des joueurs envers le jeu (ludiste, narrativiste, simulationniste), les joueurs vont se plaindre, à raison, que le système “rame” (narrativiste), est “déséquilibré” (ludiste), ou n’est pas “réaliste” ou “précis” (simulationniste). Un bon système de résolution doit faire son boulot en ne prenant que le temps nécessaire. De quel boulot il s’agit, et quel est le temps approprié pour le faire, dépend de la perspective adoptée. Un nouveau système de JdR n’a aucune excuse pour se reposer sur le vieux paradigme enchaînant (1) jet d’initiative, (2) jet d’attaque, (3) jet de défense, (4) jet de dommage, (5) vérifier l’étourdissement etc. C’est un reliquat du wargame et correspond à une perspective strictement simulationniste + ludiste. Le JdR qui vous convient pourrait être très, très différent. Dans Zéro (grog), par exemple, l’ordre des actions, le succès de chacune, le degré de succès pour chacune d’entre elles (y compris les dommages) et tous les autres aspects de la résolution sont déterminés par UN SEUL jet de dé par joueur et UN SEUL jet par le MJ, et ce dans tout les cas, même pour des combats impliquant de nombreux participants. Ce système de jeu ouvre vraiment les yeux aux joueurs habitués aux méthodes plus vieilles.
(Je le répète, il se trouve que je suis un narrativiste pur et dur, qui apprécie surtout les systèmes fondés sur le karma avec un léger saupoudrage d’aléatoire. Mais d’après les principes énoncés ci-dessus, je peux maintenant juger un système en fonction de ces priorités, plutôt que de m’en tenir à “ce que j’aime”.)
Une autre question intéressante à propos des méthodes de résolution : qu’est-ce qui est effectivement résolu en termes de système avec plein de chiffres ? Il faut considérer trois dimensions : l’événement lui-même (“Est-ce que je touche ?”), l’énergie que cela prend de le faire (“Réduis de 4 ton endurance”) et la récompense (“Tu fais 18 de dommages, ça fait 18 PX, marque-les”). Pensez-y : peut-être qu’un JdR n’a besoin que de l’une de ces dimensions, deux au plus et peut abandonner la troisième – et peu importe laquelle. Je réfléchis toujours à cette question, et pour le moment c’est juste une piste et pas une conclusion.
En conclusion
Pour résumer, je soutiens qu’un bon système est un système qui connaît sa perspective et n’alourdit pas inutilement ses mécanismes avec les deux autres. Sa méthode de résolution est adaptée à cette perspective, elle a un temps de recherche et de manipulation qui fonctionne pour celle-ci, à la fois en ce qui concerne ce que les joueurs doivent faire et ce qui arrive aux personnages (7).
Peut-être que le débat en cours entre “systèmes légers” et “systèmes lourds” est une perte de temps. Un système n’est pas forcément meilleur selon sa plus ou moins grande complexité. Le degré de complexité acceptable vient de la perspective du jeu et doit être jugé sur ce seul critère. Un jeu simulationniste fondé sur de l’aléatoire se doit d’être complexe mais un jeu narrativiste fondé sur le karma est plus satisfaisant avec un système plus simple.
Merci de prendre le temps de comparer vous-mêmes quelques systèmes avant de réagir trop vivement à cet essai. Je respecte votre opinion, mais il est logique de prendre en compte le nombre de JdR auxquels vous avez vraiment joué. C’est-à-dire avec de véritables histoires et des séances avec des personnages que les joueurs avaient créés et auxquels ils tenaient, pas des démos dans une convention ou bien le fait d’avoir fait tourner vite fait un combat. Je soutiens que ceux d’entre nous qui ont joué à plus de cinq ou dix JdR à fond seront d’accord pour dire que “le système n’est pas important”, c’est une légende.
Article original : System does matter
(1) NdT : Un glossaire datant de 2004 précise : “Le Système (comprenant, mais pas limité aux “règles” [dans le sens traditionnel]) est défini comme étant le moyen par lequel les joueurs [y.c. le MJ] se mettent d’accord sur les événements imaginés au cours de la partie.” Cet article n’illustre donc qu’une facette du Système. Des réflexions similaires peuvent être faites quant aux autres composants du Système. Par exemple, le pouvoir décisionnel du MJ, l’importance du background, etc. doivent eux aussi concorder avec ce que va décrire cet article, à savoir les objectifs de jeu. [Retour]
(2) NdT : C’est-à-dire des priorités d’ordre “esthétique” ou des éléments auxquels on accorde de l’importance dans le jeu de rôle. Le but est donc ici le désir l’exploration de ces priorités, que le système est ensuite censé faciliter. [Retour]
(3) NdT : Ou encore Savage Worlds, INS/MV 4, Deadlands et COPS. [Retour]
(4) NdT : Des JdR presque sans règles, aussi : Dying Earth, Hero Wars… [Retour]
(5) NdT : Polaris, Rêve de Dragon, Rolemaster [Retour]
(6) NdT : Il est bien entendu possible de changer de point de vue, si l’on change de jeu par exemple, mais il vaut mieux reconnaître les distinctions et bâtir un système selon elles, afin de créer un jeu cohérent, que de faire un amalgame insipide. Les systèmes hybrides ne sont actuellement pas exclus, mais cela dépasse la portée de cet article. [Retour]
(7) NdT : Certains suggèrent même que la méthode doit aussi être adaptée au thème du jeu, comme les billes [jeu de mots avec to lose one’s marble (perdre ses billes) = perdre la tête] dans Asylum [où l’on joue des fous] et les cartes dans Castle Falkenstein (grog). L’idée est séduisante mais ce n’est pas absolument nécessaire. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article est regroupé avec d'autres autour du système de jeu des JdR dans l'ebook n°14 : Le système, cet important.
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Commentaires
chrys.benedictus (non vérifié)
jeu, 14/06/2018 - 23:55
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J'en ai 4 à mon actif
Merci encore pour cet article, comme toujours des remarques pertinentes et intéressantes.
Pour ma part, j'ai des jeux de rôles qui attendent d'être lus et "exploités" - jusqu'ici je n'ai "que" 4 jdr à mon actif, 4 jeux auxquels j'ai consacré du temps, de la lecture, de la documentation / recherche, de la création avec des ami-e-s puis, enfin, le "test" avec un, voire des dizaines de parties.
Et je confirme que le système est très important pour un JdR. Même si on trouve, par exemple que les races sont originales ou que le monde / l'univers est chouette, si on n'aime PAS le système de jeu, ce jeu ne nous plaira pas et puis c'est tout !
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