L’Art d’arbitrer 3

chapitre 3 : le cycle fiction-règles

Vers le chapitre 2

pochoir de Banksy : l'Amérique, la Chine et la Russie jouent à un jeu de plateau mondial

NdT : choix de traduction des termes
  • « d'abord mécanique » (mechanical-first) : une approche orientée par les règles, par les mécanismes de jeu, comme parcourir la liste des compétences avant de choisir son action
  • « d'abord fictionnelle » (fiction-first) : approche orientée par la description de l'action, traduite ensuite en terme de règles, de système et/ou de mécanismes de jeu pour la résoudre.

En ce qui concerne les déclarations d’intentions, il faut prendre en compte la différence entre une déclaration d’abord mécanique et une déclaration d’abord fictionnelle.

Une déclaration d’abord fictionnelle décrit l’intention dans des termes internes à l’univers de jeu. Une fois cette déclaration exprimée, une décision sera prise - probablement par la ou le MJ - sur la modélisation de cette déclaration en terme de règles. Par exemple :

MJ : La cour grouille de gardes.
PJ : Je peux faire le tour de la cour discrètement ? En restant caché dans les ombres ?
MJ : Oui. Fais-moi un test de Discrétion.

Une déclaration d’abord mécanique, par contre, pose le mécanisme de jeu que le joueur.euse veut utiliser. Par exemple :

MJ : La cour grouille de gardes.
PJ : Je peux faire un test de Discrétion pour les contourner ?
MJ : Oui. (après le jet) Tu fais le tour de la cour discrètement en restant dans les ombres.

De par mon expérience, une déclaration d’abord mécanique a généralement comme résultat que c'est la ou le MJ qui fournit la description dans la fiction (d’habitude dans la narration du résultat, après la résolution du test), mais ce n’est pas toujours le cas. On peut aussi bien voir :

MJ : La cour grouille de gardes.
PJ : Je peux faire un test de Discrétion pour les contourner ? Peut-être en faisant le tour de la cour discrètement ?
MJ : Oui. Il y a beaucoup d’ombres. Fais ton jet.

Si la distinction que j’ébauche ici n'est pas encore claire, imaginez un.e joueur.euse qui ne connaîtrait pas les règles qui régissent les actions de son personnage : elle ou il dit seulement à la MJ ou au MJ ce qu’iel veut que son personnage fasse, et ensuite la MJ décide quel règle utiliser. Cette déclaration sera par nécessité une déclaration d’abord fictionnelle.

Inversement, imaginez quelqu’un qui utilise un mécanisme dissocié (1). Par exemple la dépense d’un point de Chance pour relancer un dé. Le personnage ne sait pas ce que c’est qu’un point de Chance ; du coup la décision d’utiliser un point de Chance est purement mécanique, par nécessité. Toute déclaration d’utiliser un point de Chance est automatiquement une déclaration d’abord mécanique.

Un des inconvénients majeurs des mécanismes dissociés est qu’ils empêchent ou gênent les déclarations d’abord fictionnelles. Et leurs déclarations d’abord mécaniques ne sont pas du roleplay.

Ces distinctions sont très claires, mais la différence entre les déclarations d’abord fictionnelles et d’abord mécaniques peuvent devenir plus floues en pratique. En général, moins un mécanisme est abstrait, et plus la différence devient floue. Par exemple, quand on dit « Je l’attaque avec mon épée ! », dans la plupart des systèmes c’est une affirmation simultanément mécanique et fictionnelle.

Ça peut aussi être flou quand le joueur ou la joueueuse fait sa propre description fictionnelle d’une déclaration d’abord mécanique, mais inverse sémantiquement l’expression verbale de son processus de décision. Par exemple, ceci…

PJ : Je vais discrètement faire le tour de la cour et faire un jet de Discrétion pour contourner les gardes.

… ressemble superficiellement à une déclaration d’abord fictionnelle parce que le « bout de fiction » vient en premier dans la phrase. Mais fonctionnellement, c’est identique à :

PJ : Je vais faire un jet de Discrétion pour les contourner en faisant sournoisement le tour de la cour.

Cette joueuse fait un choix basé sur les règles, et déclare son intention d’utiliser un mécanisme précis. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’une joueuse ne peut jamais faire une déclaration d’abord fictionnelle et ensuite être la personne qui suggère le mécanisme approprié pour modéliser cette action. C’est pour ça que la distinction peut être assez floue.

La seule bonne façon de jouer

Alors laquelle de ces deux approches est la « mauvaise » ?

Ni l’une ni l’autre.

Parfois on tombe sur des puristes qui pensent qu’une des deux est la seule bonne façon de jouer aux jeux de rôles : les puristes des déclarations d’abord fictionnelles affirmeront qu’elles sont plus immersives, ou qu’une approche d’abord mécanique n’est « pas du vrai jeu de rôle ». Les puristes des déclarations d’abord mécaniques diront qu’une déclaration mécanique simple est concise et plus claire, ou se plaindront que les puristes de la fiction ont « oublié que dans jeu de rôle, il y a jeu ».

Mais même si les goûts personnels (à la fois du groupe et de chacun de ses membres) auront évidemment un impact sur la façon dont les intentions sont déclarées à leur table, ce qui se passe concrètement est que quasiment toute partie jouée dans le monde réel verra un mélange de déclarations d’abord fictionnelles ou d’abord mécaniques. C’est gonflant de passer chaque round à essayer de comprendre si la description d’un coup d’épée [à D&D3 p.ex (NdT)] est une attaque à outrance, une action standard, ou une posture défensive. Et un jeu de rôle qui ne serait fait que d’interactions purement mécaniques serait super fadasse.

À celles et ceux qui pensent que les déclarations d’abord mécaniques ne seraient pas du « vrai » jeu de rôle, laissez tomber : à l’exception de l’occasionnel mécanisme dissocié comme les points de chance ou les intrusions du MJ (2), les décisions mécaniques dans un JdR sont des décisions de roleplay alex (en). Et si par « roleplay » vous voulez juste dire « parler en immersion ou via son personnage », alors notons bien que les approches d’abord mécaniques sont aussi un prérequis pour les techniques de résolution « fortune au début » [terme expliqué dans les commentaires (NdT)], qu'on emploie souvent pour créer des opportunités de jeu d’acteur riches et pleines de défi. (On y reviendra).

Un dernier point : la plupart des problèmes que je vois associés à des déclarations d’abord mécaniques sont en fait le résultat d’une absence de méthode art d'arbitrer 2 : si quelqu’un dit « Je veux utiliser la compétence Diplomatie pour parler à Dame Veronica », le problème n’est pas que cette personne a employé le nom d’une compétence précise ; c’est qu’elle a négligé d’expliquer comment elle l’utilisait. De même, si quelqu’un dit « Je veux attaquer l’orque », la réponse correcte est « Avec quoi tu l’attaques ? ».

L'approche purement mécanique

Les termes « d’abord mécanique » et « d’abord fictionnelle » impliquent intrinsèquement, tous les deux, que la seconde partie de l’équation arrive sur les traces de la première : on fait d’abord la mécanique, puis la fiction. On fait d’abord la fiction, puis la mécanique. On prend le modèle "systémique" du monde de jeu, et on décrit ce que ce modèle dit qu’il arrive dans cet univers. Ou on décrit ce qui arrive dans le monde du jeu puis on le modélise en terme de règles. C’est un cycle composé de maillons.

Parce qu’elle fait partie de ce cycle, l’approche d’abord mécanique ne doit pas être confondue avec un autre style de jeu que je vais appeler purement mécanique (mechanics-only). Dans l’approche purement mécanique, le lien entre les mécanismes et la description du monde de jeu est brisé, et le déroulement du jeu n’est plus déterminé que par ses mécanismes.

En lisant cette description, vous pensez peut-être à quelque chose comme ça :

PJ : J’attaque l’orque. 22 au Toucher.
MJ: Tu touches.
PJ : 18 points de dégâts.
MJ : L’orque te balance un coup. Fais-moi un jet de Défense.
PJ : 12.
MJ : L’orque rate.

Mais bien que ceci pourrait être un exemple de jeu purement mécanique, ce n’en est pas nécessairement, et ce n’est pas de ça que je parle. Je trouve assez difficile d'expliquer clairement l’approche purement mécanique en étant bien compris, parce que superficiellement ça a l’air très similaire à des formes de jeu qui sont en fait très, très différentes. C’est particulièrement vrai parce que le jeu purement mécanique contiendra souvent des descriptions riches et détaillées de ce qui se passe dans le monde du jeu… sauf que ces descriptions ne sont pas connectées aux mécanismes de jeu.

D'ailleurs il est intriguant de remarquer que les gens qui ont l’air d’avoir particulièrement du mal à comprendre cette distinction sont les gens qui pratiquent en fait le style de jeu purement mécanique, en grande partie parce que ces gens ne semblent pas se rendre compte que ce qu’ils font est différent de ce que font tous les autres.

Ce serait peut-être plus clair si je signale que les déclarations purement mécaniques apparaissent souvent dans les jeux de plateau. Quand on joue à des jeux comme Horreur à Arkham trictrac ou Assaut sur l’Empire trictrac, on va souvent donner des détails narratifs, voire faire l’effort de parler comme son personnage.

Mais rien de tout ça n’est inclu dans les mécanismes du jeu ; c’est seulement une couche d’improvisation qui est séparée du jeu comme l’huile est séparée de l’eau.

Par exemple, prenons une partie de Risk trictrac. Vous avez une armée à Iakoutsk et vous envahissez la Sibérie. Vous faites un discours enflammé à vos troupes, puis décrivez comment vous divisez votre armée en un brillant mouvement en tenaille. Puis vous jetez les dés… et rien de tout ça n’a le moindre impact sur le résultat.

Ce n’est pas seulement que Risk n’a pas de règles de moral, ou que ses mécanismes de combat sont tellement abstraits qu'il ne modèlise pas des mouvements de troupes précis : c’est que l’improvisation (bien qu'assurément amusante) est fondamentalement coupée du gameplay lui-même. Les deux se passent au même endroit, mais il n’y a pas de relation (ou au mieux, il y a une connexion unidirectionnelle) [du mécanisme vers l'impro; vos armées sont défaites en Sibérie, et vous racontez cette défaite (NdT)].

Le revers de la médaille, c’est qu’en jouant purement selon les règles, on verra des actions mécaniques être autorisées même quand les circonstances dans la fiction devraient les interdire.

Par exemple, prenons un jeu de rôle qui aurait une manœuvre de combat appelée « croche-patte » : elle est spécifiquement et explicitement conçue pour modéliser que vous fauchez les jambes de quelqu’un. Mais imaginez qu’on combatte un Colosse rampant : il n’a pas de jambes, mais pour des joueurs purement mécaniques, ça n’a pas d’importance. Rien dans les règles ne dit qu’on ne peut pas employer la manœuvre de croche-patte sur le Colosse rampant, donc on peut le faire.

Vous pensez peut-être que ce n’est qu’un exemple de MJ qui décide qu’un mécanisme particulier (le croche-patte) est assez proche de l’effet que la ou le PJ cherche à avoir sur le Colosse rampant (le ralentir le temps d’une action mineure ou un truc comme ça) pour que les persos puissent l’employer comme base pour attribuer l’action. Mais ce n’est pas ce qui se passe dans une partie purement mécanique.

Imaginez un sort qui fasse s’arrêter de battre le cœur de la cible et la tue. À moins que les règles explicites de ce sort limitent sa liste de cibles potentielles, une rôliste orientée vers les règles pures permettrait qu’on le lance sur un vampire, même si son cœur ne battait déjà pas auparavant. Elle permettrait même qu’on le lance sur un squelette animé, alors que le squelette n’a même pas de cœur à arrêter.

Généralement, j’essaie d’éviter d’affirmer qu’il y a une seule bonne façon de jouer aux JdR. Le jeu de rôle - en tant que média - est plutôt flexible et, d’un point de vue historique, les meilleurs JdR, et les plus couronnés de succès, furent ceux qui permettaient à de multiples styles de jeu de se retrouver à la même table - ce qui est une preuve de la richesse des expériences que peuvent apporter les JdR. Mais quand on en arrive au jeu purement mécanique, là je n'ai aucun problème pour dire que vous vous y prenez mal.

L’effet final de la manière de jouer purement mécanique, quand elle s'applique à un jeu de rôle, est de transformer sans raison des mécanismes associés en mécanismes dissociés. Comme je l’ai remarqué par le passé, je n’ai pas d’objection de principe à l’existence de mécanismes dissociés dans un JdR, mais ces mécanismes devraient apporter un bénéfice distinct qu’on ne pourrait pas atteindre autrement. L’approche purement mécanique n’a pas de bénéfice visible. Ce n’est pas vraiment que vous jetez le bébé avec l’eau du bain, là vous jetez juste le bébé.

C’est dur de déterminer exactement quelle est la prévalence du style de jeu purement mécanique. Je ne l’ai pas beaucoup rencontré « à l’état sauvage », pour ainsi dire, mais les discussions en ligne sur les mécanismes dissociés attirent souvent ces rôlistes, car comme ils transforment les mécanismes associés en mécanismes dissociés, ils ne peuvent pas vraiment comprendre comment d’autres gens peuvent faire une distinction.

J’ai le sentiment que le jeu purement mécanique peut apparaître plus souvent dans les scènes de combats, même chez des joueurs qui ne le pratiquent pas ailleurs. C’est peut-être même une contribution significative à la croyance courante qu’il y a une sorte de division entre le « combat » et l’« interprétation », ce que j’ai toujours eu du mal à concevoir, parce que des enjeux mortels devraient être un levier du développement de personnage. Ça ne devrait pas être un espace où on « éteint » les personnages.

Et la fiction pure ? Ce serait jouer à « faire comme si » sans aucun système. Cela a tendance à ne pas apparaître dans les jeux de rôle, parce que dans cette structure, la partie « jeu » n’est pas nécessaire, bien qu’on puisse voir certaines tendances à s’en rapprocher dans certains types de modification de résultats des dés, ou des groupes qui ignorent simplement certains types de mécanismes.

Vers le chapitre 4

Article original : Art of Rulings – Part 3: The Fiction-Mechanics Cycle

Sélection de commentaires

Gamosopher

Une variante moins extrême (mais probablement plus courante) du style de jeu « purement mécanique » est ce que nous pourrions appeler la « mécanique prioritaire », où on résoud la plupart des situations (voire toutes) par une lecture attentive des règles (« légaliste » est probablement un meilleur nom), et où cela l’emporte toujours sur une interprétation de « bon sens » ou « qui a du sens dans la fiction ».

En d’autres termes, le critère est toujours la lettre des règles [le sens littéral ou apparent], jamais leur esprit [l’idée générale (NdT)]. Ainsi, si la règle du « croche-patte » ne précise pas que cette manœuvre ne fonctionne que lorsque l’ennemi marche grâce à une sorte de membre, l’interprétation serait que le fauchage des jambes est une manœuvre autorisée. Si la règle précisait que le croche-patte n’est possible que si la cible se tient sur ses pieds, une lecture légaliste dirait qu’un monstre debout sur des tentacules ne peut pas être visé par cette manœuvre.

D’une certaine manière, certaines règles des jeux avec des systèmes lourds nécessitent que les joueur.euses les acceptent même si elles ne semblent pas avoir beaucoup de sens (du moins, pas toujours). Par exemple, la capacité « Camouflage » dans D&D3.5 (je crois que c’était une capacité de Rôdeur) a finalement permis à un.e PJ de « disparaître » de façon non magique devant les gens. Un autre exemple est le « coup de grâce », où il faudrait poignarder plusieurs fois à la gorge un ennemi totalement immobile et sans défense pour le tuer.

J’ai commencé à m’amuser beaucoup plus en jouant à D&D lorsque j’ai décidé d’arrêter d’essayer de donner un sens à de nombreuses règles et que j’ai simplement accepté de jouer avec elles. Jouer à Risk est plus amusant si on n’essaie pas de comprendre pourquoi le fait d’encercler votre ennemi ne vous donne pas un avantage et si vous jouez plutôt aux jeux tels qu’ils sont censés être joués (à moins que nous commencions à créer des règles « maison », mais ce n’est pas la question).

De plus, certaines règles sont définies « arbitrairement », probablement pour la seule raison d’équilibrer le jeu. Un exemple clair de cela est un pouvoir Nano dans Numenéra grog ; je ne me souviens plus du nom, mais ce pouvoir permettait au PJ de résister à tout environnement hostile, le laissant nager dans de la lave brûlante ou survivre dans un monde avec une gravité de 50 G. La description précise que ce pouvoir ne permet pas au PJ de résister aux dommages causés par les attaques ; ainsi, nager dans de la lave ça passe, mais pas une boule de feu ; une gravité de 50 G ça passe, mais pas les dégâts causés par un serpent qui étouffe le PJ.

Je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise façon de jouer, mais ce genre de règles encourage en quelque sorte un style de jeu « légaliste ».

Michael Prescott

Dans l’interaction entre les règles et la fiction, je m’intéresse aux processus de décision et aux énoncés individuels. Par exemple, voici un déroulé de partie à partir d’un combat hypothétique (je les numéroterai par ordre) :

1. La joueuse ou le joueur décrivant l’intention de son personnage (par exemple : « J’attaque l'orque »)

2. La ou le MJ clarifiant l’intention (par exemple : « Comment ? », « Je cours sur la glace et je le frappe avec ma pioche ! »)

3. Sélection d’un mécanisme correspondant (par exemple : « OK, c’est un jet d’Attaque. »)

4. Quantifier l’état fictionnel (par exemple : « …et tu es sur de la glace, donc ça va être un malus de −2 »)

5. Résolution mécanique (par exemple : « J’ai fait un 17. Oui ! et 7 points de dégâts. »)

6. Fictionnalisation des chiffres/description des résultats mécaniques (par exemple : « Génial, tu coupes le bras de l’orque et il s’effondre comme un sac de patates. »)

Le jeu de plateau se compose souvent des étapes 3 et 5. Il n’y a pas d’état fictionnel à quantifier, et il n’est pas nécessaire d’en produire. Vous pouvez le faire, mais ce n’est que décoratif, car le système indique clairement que les chiffres sont une représentation suffisante de l’état du jeu, et il n’y a pas de porte d'entrée pour la fiction de toute façon.

Le système de conflit détaillé des Légendes de la Garde grog fait un peu « jeu de plateau » car a) l’étape 3 - le choix d’une mécanique - se fait en premier, et b) il n’y a pas de règles pour quantifier la fiction mécaniquement ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de modificateurs pour faire les choses rapidement, par négligence, ou pour trouver une bonne idée pour un avantage tactique. Alors que son système de résolution habituel n’est expressément pas comme cela.

Mais même lorsque l’état fictionnel pourrait avoir un effet, je trouve que certains systèmes ont tendance à produire une façon de jouer similaire au jeux de plateau – la recette semble être a) lorsque les règles résolvent les situations avec plus ou moins la même granularité que celle que les participants souhaitent, en terme de roleplay, et b) les chiffres et les règles sont tellement détaillées qu'ils forment une représentation suffisante de l’état du jeu.

Par exemple, dans le combat de D&D3, il y a tellement de règles qui régissent presque tous les aspects des situations litigieuses, que vous pourriez jouer mécaniquement et ne pas avoir l’impression d’avoir manqué des événements importants – et il y a déjà tellement de modificateurs encodés dans les règles que le fait d’utiliser réellement toutes les règles pertinentes supplante toute volonté d'intoduire un flux constant de modificateurs.

Vous pouvez jouer un long combat dans D&D sans vraiment remarquer qu’aucune des déclarations purement fictionnelles n’a contribué à la résolution, parce que les mécanismes font un travail décent pour représenter la plupart des états qui nous intéressent, sur le plan tactique.

De plus, dans certains jeux, vous obtenez des séquences comme 1, 2, 3, 4, 5 – sans fictionnalisation des résultats mécaniques. Par exemple, vous courez sur la glace pour frapper l’orc avec votre pioche et faites 7 points des dégâts.

Il existe aussi des systèmes hybrides qu’il est difficile de classer dans la catégorie des fictions ou des mécaniques – prenez l’action « Salve » dans Dungeon World grog [un JdR motorisé par le système de Apocalypse World (NdT)]. La joueuse exprime une intention fictive ; il y a un choix de mécanique de résolution (l'action « Salve ») ; puis la résolution commence. Sur un jet de 7-9 cependant, il y a une étape supplémentaire où la joueuse doit d'abord faire un choix mécanique de prix à payer - elle a trois choix [des variantes de "L’action réussit si contrepartie" (oui mais) (NdT)], et ce n’est qu’alors qu'on fictionnalise le résultat.

Wyvern

Technique de résolution « fortune au début ». Je ne connais pas ce terme. Pourrais-tu préciser ce que tu entends par là ?

Justin Alexander

Ron Edwards wiki a inventé les termes « fortune au milieu » et « fortune à la fin ». Par la suite, il les a dénaturés, mais si on regarde ses définitions originales des termes (qui, elles, sont utiles), les mécanismes de « fortune à la fin » vous font établir votre méthode, puis vous la remettez aux règles et celles-ci vous disent ce qui s’est passé.

Le mécanisme de la « fortune au milieu » crée un point de décision supplémentaire au milieu de la résolution. Michael en donne un exemple codé en dur avec « Salve » ci-dessus. Cela peut également se produire à la volée avec des choses comme un succès partiel ou un échec partiel. Ton perso fait un jet de Saut et le rate de 2 points, alors la MJ dit : « ton saut est trop court, à l'arrivée tu saisis à peine le bord de la crevasse ; tes jambes sont suspendues au-dessus de l’abîme, que fais-tu ? » Il y a d’autres variétés de ce genre, aussi, mais c’est l’idée de base.

NdT : voici une définition, tirée du chapitre 4 de Le LNS et d'autres sujets de théorie rôliste ptgptb, où l'on a traduit par « (gérer le facteur) Aléatoire au milieu (de l'action) » : Fortune-in-the-Middle correspond tout simplement aux mécanismes de relance des dés au choix du joueur, au prix d'une Ressource ou d'une composante. En gros, l'avantage pour le Narrativisme consiste dans le fait qu'un joueur a plus de contrôle sur la partie.
(On investit des points utilisables ailleurs ou plus tard pour dire "écoutez, je relance, car cette scène est vraiment importante pour moi".)

Edwards a par la suite déformé ces termes en essayant de les séparer de la résolution mécanique (même si le fait qu’ils concernent la résolution mécanique – c’est-à-dire la fortune – est littéralement au nom de ce satané terme). En même temps, il a affirmé que la « fortune au départ » n’existe pas. Il a tort. La fortune au départ est une technique qui consiste à demander aux règles ce qui se passe, puis à utiliser le résultat pour décrire ce que vous essayez de faire.

Cela signifie souvent que la fortune au départ se situe entre l’intention et la méthode art d'arbitrer 2. C’est une technique rare, et il semble qu’elle soit utilisée pour obtenir le meilleur effet dans les interactions sociales. On déclare son intention (« Je veux convaincre le Duc de nous donner des troupes »), puis on fait un jet de Diplomatie (ou autre), et on utilise le résultat du jet pour déterminer comment on joue la scène.

De même, les règles de personnalité y ont souvent recours. On fait un test de Folie ou un test pour résister à la tentation, et si on échoue, cela détermine la façon dont on jouera la prochaine action.

Je vois aussi parfois des gens faire des choses comme vérifier, avec un test, si leur personnage est assez intelligent pour penser à l’idée qu’ils viennent d’avoir. Au fil des ans, j’ai eu deux ou trois joueur.euses dans des systèmes de D&D de la vieille école qui faisaient des jets de Charisme pour voir comment ils ou elles joueraient la scène suivante.

Michael Prescott

@Wyvern Je vais voir si je peux clarifier ce que je voulais dire.

Laissez-moi reprendre et dire que je pense que les termes de Justin « d’abord fictionnel » et « d’abord mécanique » sont un excellent moyen d’entamer la conversation, mais je ne les considère pas comme constitutifs ou fondamentaux.

L’exemple de Justin de l’attaque de l'orque n’a pas de contenu fictionnel, ça n’a donc pas de sens d’essayer de le classer comme étant purement mécanique ou comme étant d’abord mécanique. Ces styles peuvent être très différents dans d’autres situations, mais pas dans ce cas. Tout comme il est inutile de discuter pour savoir si un tableau bleu uni est « vraiment » purement bleu ou s’il est plus bleu que rouge. C’est les deux. Le tableau bleu uni illustre le fait que ces étiquettes que nous inventons ne montrent qu'une facette du phénomène.

En « quantifiant l'état fictionnel », je veux dire que la ou le MJ prend quelque chose qui n’a pas de représentation mécanique (par exemple, « le sol est un peu glacé »), le jauge et lui attribue une signification mécanique (par exemple, malus de −2). C’est une façon pour la fiction de devenir significative.

J'oppose à ça des choses comme « Manœuvre » dans les Légendes de la Garde grog ou l’« attaque d’opportunité » de D&D3 qui n’ont que des apports mécaniques. Rien dans les Légendes de la Garde ne suggère que le MJ devrait donner aux PJ un avantage de manœuvre s’ils ont un avantage tactique ; rien dans D&D3 ne suggère que la MJ devrait se demander si le PJ qui fait une attaque d’opportunité est peut-être un peu trop endormi pour réagir.

Ainsi, ces mécanismes particuliers tendent à mettre de côté la fiction établie. Si vous avez suffisamment de mécanismes de ce type réunis dans un sous-système, cela tend à mettre la fiction à l’écart pour une grande partie du jeu. Vous pouvez décrire toutes vos attaques, ou à quel point votre personnage est alerte, mais vous n’avez pas besoin de le faire (sauf pour sa valeur de divertissement intrinsèque) car rien de tout cela n’affecte ce qui se passe. Les règles sont un système fermé. Je vois cela comme un jeu utilisant les étapes 3, 5, 6. (Sélectionnez le mécanisme, résolvez le mécanisme, décrivez les résultats mécaniques).

Tu demandes : « Quelle différence cela fait-il que le malus ait été énoncé dans les règles ou que le ou la MJ l'ait inventé à la volée ? » C’est une bonne question.

S’il existe un tableau des modificateurs qui comporte quelques entrées, l’une d’entre elles étant « −1 à −4 : inconvénients mineurs à graves », alors cela encourage les joueur.euses et les MJ à produire et à envisager des moyens de désavantager leurs adversaires de manière fictionnelle. C’est une façon pour un jeu de faire de la place à la fiction, en inclinant la résolution vers les étapes 1, 3, 4, 5 et 6 et pas seulement 3, 5 et 6.

Justin Alexander

On ne peut pas « résoudre » les déclarations « d’abord mécaniques » en créant davantage de catégories mécaniques. Si tu crées une distinction mécanique entre « Diplomatie discrète » et « Diplomatie franche », cela n’empêchera pas quelqu’un de déclarer qu’il ou elle veut utiliser les mécanismes de Diplomatie furtive.

D’une manière générale, la seule façon de « forcer » les déclarations « d’abord fictionnelles » est que les MJ fixent leur seuil de méthode à un point de fidélité au-delà du mécanisme qu’ils ou elles utilisent.  En d'autres termes, chaque fois que quelqu’un fait une déclaration « d’abord mécanique », le ou la MJ demande « Comment fais-tu cela ? » jusqu’à ce qu’il ou elle obtienne une réponse qui n’est pas une mécanique explicite. Par exemple,

« J’attaque l’orque »
« Comment fais-tu cela ? »
« Je m’approche avec précaution, en testant ses défenses »

Ironiquement, plus le système est détaillé et finement conçu, plus il est difficile de faire passer des approches « d’abord fictionnelles » par exemple,

« J’attaque l’orque »
« Comment fais-tu cela ? »
« Je me bats de manière défensive »
« Comment fais-tu cela ? »
« Je m’approche avec précaution, en testant ses défenses »

Cela étant dit : jette un œil à Technoir grog. La mécanique de base de Technoir consiste à utiliser des verbes pour pousser des qualificatifs sur votre cible. Les Verbes d’un personnage fonctionnent comme des compétences. [Les personnages sont définis par 9 Verbes : Contrôler, Détecter, Frapper, Pirater, Bouger, Influencer, Rôder, Tirer et Soigner. Ils sont aussi définis par des qualificatifs tels Brutal, Futé, Sournois, Rapide, etc. (NdT)] Les qualificatifs ont un impact mécanique, mais ce n'est pas spécifique. Cela signifie qu’on doit nécessairement réfléchir à l'effet qu’on veut avoir dans la fiction.

Cela peut encore donner lieu à des déclarations « d’abord mécaniques » : « J’utilise Pirater pour pousser Exploité sur lui. » Mais, en général, le système encourage quand même à se concentrer plus spécifiquement sur la fiction.

Michael Pureka

Je vais adopter une approche légèrement différente – je pense que ta critique concernant le « point de Chance » est un peu déplacée. Ou plutôt que c'est un mauvais exemple du désavantage d’un mécanisme dissocié.

Un point de Chance pour relancer les dés se produit nécessairement pendant une phase de « mécanisme seulement » de toutes façons. Si nous utilisons le tableau de Michael, la décision « J'utilise un point de Chance » se produit essentiellement pendant l'étape 5 – comme si tu faisais le calcul sur ton jet de dé, et que tu prenais un autre dé pour les dégâts ou n’importe quoi d’autre. Il n'y a pas d’interprétation de personnage ici, car il s'agit d'une phase de « résolution » stricte. Le point de Chance n’est qu’un autre « modificateur » sur le jet de dé, comme +2 pour la prise en tenaille ou +5 pour la « faveur divine ». Le fait que le joueur ou la joueuse décide d’utiliser le point de Chance après le premier jet de dé plutôt qu’avant ne signifie pas que la règle est plus ou moins « seulement mécanique » ; toute cette étape est « seulement mécanique ». Tout ce que tu fais ici est : mettre tes modificateurs sous forme de tableau, lancer un dé, additionner quelques chiffres et les comparer à un nombre cible. Aucune interprétation de personnage n’a lieu pendant cette étape.

Donc, dans ce cas particulier, rejeter cette règle dissociée comme « purement mécanique et toute déclaration d’utilisation d’un point de Chance est automatiquement une déclaration d’abord mécanique » est… discutable. Parce que cela se produit pendant une partie du jeu où seules des choses mécaniques se produisent. Tu trouveras peut-être qu’il n’est pas souhaitable que des décisions soient prises à ce stade, bien que je pense que cela soit distinct des mécaniques associées/dissociées, parce qu’il est assez facile d’imaginer des mécaniques associées qui ajoutent une décision dans ce domaine – comme les pouvoirs d’armes magiques qui peuvent être « activés » sur une attaque pour infliger des dégâts supplémentaires.

Charlie

Je ne vois pas pourquoi certains commentaires ici supposent qu’en prenant des décisions basées sur la mécanique, vous n’interprétez pas de rôle. Interpréter un rôle, c’est prendre des décisions comme si vous étiez le personnage, pas agir ou parler dans le personnage, ça c’est du théâtre. Choisir un terrain élevé parce qu’il vous donne un bonus pour attaquer et défendre, c'est s’impliquer dans le monde fictif comme son personnage. « N'essayez pas, Anakin, j'ai une position plus élevée » (Obi Wan). Bien sûr, les joueur.euses ne sont pas des acteurs ou actrices professionnel.les, alors ielles se contentent de dire « Je saute sur cette pierre pour avoir un bonus de hauteur », c’est un mauvais jeu d'acteur mais une bonne interprétation.

La différence entre les points de Chance, les points de Destin, etc. est que le joueur ou la joueuse prend des décisions dont le personnage n’est pas conscient. « Maintenant qu’il ne me reste plus qu’un point de Chance, je ferais mieux d’être plus prudent ». C’est une décision du joueur ou de la joueuse, mais pas une décision du personnage, donc ce n’est pas du roleplay.

(1) NdT : extrait de l’article Dissociated Mechanics – A Brief Primer alex (en).

Un mécanisme associé est lié à l'univers de jeu. Un mécanisme dissocié est déconnecté de l'univers de jeu.

Regardons le processus de décision d'un joueur au moment d'utiliser une règle : si sa décision peut être directement reliée à une décision prise par son perso, le mécanisme est associé. Sinon, il est dissocié.

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(2) NdT : Les intrusions de MJ sont un mécanisme unique au jeu de rôle Numeréna : la ou le MJ peut l’employer pour imposer un événement négatif non-prévu par les règles à un PJ, et lui donner des XP en compensation. Par exemple, une MJ peut intervenir au milieu d’un combat pour décider que la hache d’un PJ s’est plantée dans le crâne du mammouthosaure qu’il a frappé, et qu’il est donc désarmé. Justin Alexander a écrit dans un autre article alexandrian (en) tout le bien qu’il pensait de ce mécanisme. [Retour]

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