L’Art d’arbitrer 4 : Oui par défaut

chapitre 4 : oui par défaut

Vers le chapitre 3

Nous avons commencé par examiner comment les déclarations des joueurs et des joueuses (ou l’absence de déclaration en termes d’observation passive) déclenchent le processus d’arbitrage. Nous avons ensuite décomposé cette déclaration en intention, méthode et déclenchement. Nous sommes maintenant prêts à passer au cœur de la question du processus d’arbitrage : la résolution.

La résolution est le pont qui lie l’intention et le résultat. À bien des égards, vous pouvez la considérer comme un test. L’intention du personnage est testée et le résultat de ce test est le résultat de l’action. Dans les termes les plus élémentaires, la résolution détermine donc si le personnage réussit ou échoue dans son intention. Bien que, comme nous le découvrirons bientôt, ce n’est pas toujours aussi simple.

Banksy : "follow your dreams" barré "cancelled"

L’arbitrage le plus facile à faire pour un ou une MJ est de dire « Non ».

PJ : Je veux sauter par-dessus le gouffre.

MJ : Non.

PJ : Je veux convaincre la duchesse de soutenir Lord Buckingham.

MJ : Elle refuse d’écouter.

PJ : Je vais en ville à la recherche de rumeurs sur un ogre dans la région.

MJ : Tu n’en trouves aucune.

Lorsque vous utilisez « non », tout est simple : il n’y a pas de complications. Pas de conséquences. C’est propre, net et définitif.

Cela en fait un outil incroyablement utile. C’est aussi la raison pour laquelle vous ne devriez jamais l’utiliser.

Ce que vous voulez vraiment faire, c’est presque le contraire : répondre oui, par défaut.

PJ : Je veux sauter par-dessus le gouffre.

MJ : D’accord, tu es de l’autre côté.

PJ : Je veux convaincre la duchesse de soutenir Lord Buckingham.

MJ : Elle écoute ta proposition et reconnait ses mérites.

PJ : Je vais en ville à la recherche de rumeurs sur un ogre dans la région.

MJ : Le vieux Hob dit qu’un fermier du nom de Willis s’est plaint qu’un ogre avait tué ses moutons le mois dernier.

Le « non » fait par nature stagner l’action. Il laisse la situation inchangée. « Oui », en revanche, fait implicitement avancer l’action. Il crée une nouvelle situation à laquelle, vous et les joueuses serez désormais obligées de répondre. Maintenant qu’elles sont de l’autre côté du gouffre, que vont-elles faire ? Comment Lord Buckingham répondra-t-il au soutien inattendu de la duchesse ? Les PJ vont-ils traquer le supposé ogre de Willis ?

L’autre raison de répondre « oui, par défaut » est que, de manière générale, les gens réussissent la plupart des choses qu’ils tentent. Vous voulez conduire en ville ? Trouver des informations en les cherchant sur Google ? Réserver des billets d’avion pour Le Caire ? Tout ceci, ce sont des choses qui vont généralement se produire si vous décidez de les faire.

Oui, mais…

Le problème de dire toujours « oui », cependant, est que cela manque de défi. C’est ennuyeux et c’est prévisible. Cela ne reflète pas non plus la façon dont le monde fonctionne : l’échec, ou l’échec potentiel, fait partie de la vie.

Cela signifie que nous devons ajouter un autre outil à notre répertoire : oui, mais…

PJ : Je veux sauter par-dessus le gouffre.

MJ : Tu sautes par-dessus le gouffre, mais lorsque tu atterris de l’autre côté, le sol s’effondre sous ton poids, t’envoyant plonger dans une fosse abyssale…

PJ : Je veux convaincre la duchesse de soutenir Lord Buckingham.

MJ : Elle écoute avec intérêt ta proposition et semble intriguée, mais elle veut que tu lui promettes que ses droits ancestraux sur les Marches Orientales seront garantis.

PJ : Je vais en ville à la recherche de rumeurs sur un ogre dans la région.

MJ : Le vieux Hob dit qu’un fermier du nom de Willis s’est plaint qu’un ogre avait tué ses moutons le mois dernier. Mais alors que tu lui parles, tu remarques une silhouette sombre qui regarde depuis le coin de la taverne…

 « Oui, mais… » ajoute quelque chose à l’idée proposée par la joueuse. Il enrichit la contribution de la joueuse en apportant sa propre contribution. Contrairement au « non », il n’annule pas. Contrairement au « oui », il n’est pas prévisible.

Non, mais…

Tout cela paraît génial, n’est-ce pas ?

Mais que se passe-t-il si ce que veulent les joueurs ou les joueuses contredit les faits connus du monde du jeu ? Par exemple, ielles cherchent des rumeurs sur un ogre, mais vous savez qu’il n’y a pas d’ogres dans la région.

Vous pensez peut-être que cela nous ramènera à « non », mais nous n’en sommes pas encore là. En général, le seul moment où un « non » est acceptable est celui où l’intention contredit directement la réalité du monde du jeu. Avant de revenir au « non », nous allons donc faire un arrêt au « non, mais… ».

PJ : Puis-je trouver une guilde de magiciens ?

MJ : Oui.

PJ : Puis-je trouver une guilde de magiciens ?

MJ : Oui, mais tu dois aller à FauconGris. Il n’y en a pas dans cette ville.

PJ : Y a-t-il une guilde de magiciens dans cette ville ?

MJ : Non, mais il y en a une à FauconGris.

PJ : Y a-t-il une guilde de magiciens en ville ?

MJ : À Berlin en 1982 ? Non.

Comme vous pouvez le voir, non mais… est à bien des égards juste oui, mais… vu sous un angle légèrement différent. Là où une distinction claire existe, c’est lorsque la méthode par laquelle le personnage tente de réaliser son intention n’est pas viable : « Non, cela ne vous mènera pas là où vous voulez aller. Mais voici une autre façon d’y parvenir ».

La gamme des décisions suprêmes du MJ (GM Fiat)

Collectivement, appelons ce qui suit « la gamme des décisions suprêmes du MJ » :
 – Oui
 – Oui, mais…
 – Non, mais…
 – Non

La raison pour laquelle nous optons par défaut pour le oui – c’est-à-dire que nous plaçons cette réponse par défaut au sommet de cette gamme et nous frayons un chemin vers le bas – est que toute demande formulée par les joueurs reflète généralement ce qu’ils veulent faire. Lorsqu’ils disent « Je veux faire X », ce qu’ils disent c’est « Je trouverais ça amusant si je pouvais faire X ». Et à moins que vous n’ayez une très bonne raison de leur interdire de le faire, la partie sera généralement meilleure si vous pouvez trouver (et leur proposer) une voie par laquelle ils peuvent faire ce qu’ils veulent faire.

Parfois, ils rejettent cette voie. « Je ne veux pas aller à FauconGris. C’est trop loin ». Pas de problème. Ça veut dire qu’ils donnent la priorité à autre chose. Mais donnez-leur un choix significatif au lieu de le leur enlever. Le choix est, après tout, l’essence même des jeux de rôle.

Banksy little girl loves the bombEt l’une des grandes forces du « oui, mais… » est qu’il est en fait assez difficile de détourner ce système :

PJ : Puis-je construire une bombe nucléaire ?

MJ : Oui, mais tu vas devoir trouver un moyen de mettre la main sur de l’uranium enrichi. Et si le gouvernement découvre ce que tu fais, les mots « liste de terroristes à surveiller » seront le cadet de tes soucis.

Parfois, bien sûr, vous pourriez avoir affaire à un joueur troll qui demande sans cesse à voler vers la galaxie d’Andromède pendant votre campagne se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale. Mais si cela se produit régulièrement, alors vous avez un problème qui doit être traité d’une manière qui n’a rien à voir avec la résolution d’une action.

Si vous avez vraiment du mal à éviter le « non », une autre chose utile à retenir est qu’un proche cousin du « oui, mais… » est le « dis-moi comment tu fais ça ». Ce qui revient à peu près au même, sauf que vous incitez la joueuse à penser à son propre « mais ».

PJ : Puis-je construire une bombe nucléaire ?

MJ : D’accord. Dis-moi comment tu fais.

PJ : Bien… Je vais devoir trouver une source d’uranium enrichi. Est-ce que je peux faire un test de Contacts pour voir si un de mes vieux copains russes pourrait avoir un lien avec le marché noir ?

Ce dernier échange nous indique également la direction de la sortie qui nous éloignera de la gamme des décisions suprêmes des MJ : « Je ne suis pas sûre. Nous allons le découvrir ».

C’est le moment où la MJ et le joueur se tournent collectivement vers la chance (c’est-à-dire les mécanismes du jeu) pour chercher une réponse. Bien entendu, le rôle de la MJ n’est pas encore terminé. Si la résolution consiste à tester l’intention du personnage, alors c’est à ce stade que la MJ conçoit le test.

Vers le chapitre 5

Article original : Art of Rulings – Part 4 : Default to Yes

Sélection de commentaires

Joe Nuttall

Je suis tombé dans le piège de dire plusieurs fois « Non » à des demandes parfaitement raisonnables avant de réaliser que c’était parce que je connaissais la situation dans laquelle se trouvaient les personnages, et je savais comment je m’attendais à ce que cela se passe. Donc quand ils me suggéraient un plan d’action auquel je n’avais pas pensé, j’avais tendance à dire « Non ».

Puis j’ai réalisé que non seulement c’était une réponse ennuyeuse ou injuste, et qu’une fois sur deux leur idée était meilleure, plus inventive et intéressante que ce que j’attendais d’eux. Alors maintenant, s’ils veulent tuer les Chiens de l’enfer en prenant la viande trouvée dans le magasin, en la mélangeant avec le poison trouvé dans le coffre et en la jetant par la porte dans la pièce des chiens de l’enfer – ma première pensée est « pourquoi pas ? »

Charlie

Encore un excellent article, *mais* ;-) j’ai une question :

Si l’on lie cette question à la préparation des scénarios, que se passe-t-il si les PJ décident de se retirer complètement du scénario ? Supposons que toute la session soit construite autour de la mystérieuse maladie qui sévit dans la vallée, et que tu as construit un scénario solide (pas une intrigue) pour que les persos puissent l’aborder de la manière qu’ils veulent. Mais il s’avère que les PJ décident de s’en éloigner complètement. Ou alors, les héros et les héroïnes prennent une direction complètement différente. Tu as préparé une ville avec plusieurs accroches d’aventure mais, comme ton exemple le suggère, elles décident d’aller dans une guilde de magiciens à FauconGris, et disons que tu n’as pas les suppléments ou les sources pour cette ville. Comment résoudre le problème ? Oui, oui mais… ou non ?

Justin Alexander

Deux choses que j’ai écrites par le passé tournent autour de cela :

En général, si tes joueurs et tes joueuses ne sont pas intéressé.es par le scénario que tu proposes, tu ferais mieux de laisser tomber ce scénario et de voir où ielles te mènent. Voici quelques conseils pour réduire le gaspillage de préparation :

  • Prends à cœur les leçons de Ne préparez pas d’intrigue ptgptb. Si plus de 90 % de ta préparation de scénario prend la forme d’outils flexibles, tu peux généralement trouver des moyens d’utiliser ces outils plus tard. De même que si tu achètes un marteau et des clous et que le projet est ensuite annulé, tu n’as pas besoin de les jeter. Tu leur trouveras une utilité assez tôt.
  • Comme je le mentionne dans un de ces liens, la question « Que voulez-vous faire à la prochaine session ? » est incroyablement utile pour s’assurer que ta préparation est orientée dans la bonne direction.
  • Ce n’est pas parce que les PJ ne s’engagent pas dans un scénario particulier que celui-ci va s’évanouir dans un nuage de fumée. Ce qui est plus probable, c’est que la situation continuera à évoluer et qu’il y aura des conséquences. Et il est probable que ces conséquences croiseront plus tard leur chemin… c’est-à-dire lorsque tous ces outils que tu as préparés plus tôt pourront sortir de l’étagère. (C’est moins vrai si tu mènes une campagne avec changements de décors du type Odyssée).

Mais parfois, il faut accuser le coup et mettre à la poubelle une préparation prometteuse. Le pire exemple que j’ai eu depuis une dizaine d’années, c’est quand j’ai dû jeter un donjon de 70 pages : les joueurs disaient à la fin d’une session que ça les intéressait daller au donjon, mais la moitié du groupe n’était pas fermement engagée, et au début de la session suivante ils ont réussi à convaincre les autres que ce n’était pas une bonne utilisation du temps ou des ressources de leurs persos.

Il peut toutefois y avoir un avantage au niveau du méta-jeu : vos joueuses peuvent se sentir immensément responsabilisées lorsqu’elles réalisent que tu préfères jeter du contenu plutôt que de faire preuve de dirigisme.

Mais le revers de la médaille, c’est ce que tu peux faire lorsque les PJ se rendent dans un endroit où tu ne les attendais pas et pour lequel tu n’as pas de contenu préparé. Parfois, c’est juste une question d’improvisation, et avoir des outils d’improvisation robustes comme des générateurs aléatoires peut aider. Dans d’autres cas, il faut faire une pause de 15 minutes pour rassembler rapidement quelques notes. Dans certains cas, il s’agit de dire « OK. On va arrêter la session ici. »

Paul

Je suis surpris qu’il n’y ait aucune mention de « Oui, et… »

Enfin, pas tellement surpris, je suppose. Cela a tendance à faire enflammer certaines personnes, donc je trouve presque inutile de le mentionner. Pourtant, nous y sommes.

 « Oui, et… » évite la pure prévisibilité du « Oui », mais ne risque pas de faire regretter au joueur de s’être donné la peine de demander.

PJ : Je veux sauter par-dessus le gouffre.
MJ : En sautant par-dessus, tu vois un éclat de métal loin en dessous de vous.

PJ : Je veux convaincre la duchesse de soutenir Lord Buckingham.
MJ : Elle écoute attentivement, puis dit : « Mais bien sûr. Je cherche une excuse pour frustrer son adversaire depuis qu’il a rejeté mes avances. »

PJ : Je vais en ville à la recherche de rumeurs sur un ogre dans la région.
MJ : Tu trouves beaucoup de pistes solides, et tu apprends que l’ogre pille des cargaisons d’or depuis des années et qu’il s’est probablement constitué un joli butin.

Comme pour « Oui, mais… », cela enrichit la contribution de la joueuse en apportant une contribution supplémentaire, mais c’est quelque chose de gratifiant et d’encourageant, plutôt qu’une complication potentielle.

 « Oui, et… » est particulièrement utile quand on cherche à étoffer le monde de toute façon. Il fonctionne également comme une réponse ouverte.

PJ : Y a-t-il une guilde de magiciens dans cette ville ?
MJ : Oui, et il y a un événement à venir qui implique la guilde. Qu’est-ce que c’est ?
MJ : Oui, et il y en avait trois avant. Qu’est-il arrivé aux deux autres ?
MJ : À Berlin en 1982 ? Zut… euh, oui, c’est génial. Pourquoi ça n’a pas eu un impact aussi important dans le monde qu’on pourrait le penser ?

Martin

Une fois, alors que je m’apprêtais à mener Out of the Abyss legrog pour un groupe, un des joueurs qui faisait un paladin nature / Serment des Anciens a demandé s’il pouvait avoir un cheval qui parle. Je n’allais en aucun cas autoriser un foutu cheval qui parle dans ce qui serait par ailleurs une farce au moins un peu sérieuse dans Outreterre. Mais dans l’esprit de dire « Oui, et… » au lieu de « Non », je lui ai donné son canasson mais l’ai fait tuer (plutôt brutalement) dans la séquence d’introduction du personnage lorsque le groupe a été kidnappé et emmené dans l’Underdark. C’est une des meilleures décisions que j’ai prises, je pense. Cela a fini par être un moment qui a hanté le personnage pour le reste de la campagne et qui a vraiment donné le ton pour la suite.

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