La Percée
Critical Miss, le magazine pour les rôlistes dysfonctionnels, présente
© 2000 Jonny Nexus
Avant-propos du traducteur : Le scénario proposé ici est initialement prévu pour des joueurs (et des PJ) britanniques. Je ne me suis pas contenté de traduire, j’ai également adapté le scénario dans un contexte socioculturel plus français afin de respecter la volonté d’immersion de l’auteur.
Prémisse du scénario pour les joueurs
En premier lieu, vous, MJ, garderez secrète la nature précise du scénario Dites-leur seulement “Le scénario se déroule en France, dans les jeunes années du XXe siècle. Créez des “gens normaux”, des adultes, par exemple dans leur vingtaine.”
Donnez aux joueurs les 100 points habituels afin qu’ils construisent leurs personnages [à GURPS ; mais ce scénario est évidemment adaptable à L’Appel de Cthulhu, Crimes, Maléfices, etc. (NdT)]. Encouragez-les à prendre du temps pour cette partie de la création, pour créer des personnages détaillés, profonds et complexes. Ceci a pour but de rendre le scénario plus efficace.
Si les joueurs détaillent les vies de leurs personnages, ce sera un bon plus. Des bribes d’information, par exemple d’éventuels meilleurs amis, copines, boulots, et autres, porteront encore plus loin l’expérience de jeu.
Après la création de personnage
Une fois les personnages créés, vous pouvez dévoiler le contexte général. Expliquez que la guerre (la Première Guerre mondiale, mais ne l’appelez pas ainsi) vient d’éclater, et que les personnages ont répondu à l’ordre de mobilisation générale.
Si les joueurs les plus méthodiques et les plus immersifs de votre groupe veulent connaître les motivations de leurs personnages dans l’affaire, proposez ceci :
- Le patriotisme : il s’agit quand même de libérer l’Alsace et la Lorraine et de répondre à l’agression de l’expansif empire germanique ! De plus, les armées françaises devraient être dans deux mois à Berlin !
- La pression : pression de l’entourage, pression de la famille. S’il ne répond pas à l’ordre de mobilisation, il se ferait arrêter par la police.
Entraînement : les bases
Bien que les personnages de plus de 21 ans aient déjà fait deux ou trois ans de service militaire, ils retournent à l’entraînement quelques semaines. Vous n’avez pas besoin de le jouer tout du long, même si cela pourrait améliorer l’impact de la fin du scénario.
Donnez aux joueurs 30 points supplémentaires à répartir dans de nouvelles compétences. Ils doivent choisir des talents qui correspondent à l’Arme de leur personnage. C’est-à-dire l’infanterie, mais ils peuvent choisir n’importe quelle spécialité qui va de pair avec l’infanterie : médecin, éclaireur, etc.
Attribuer un grade à un des Personnages-Joueurs est une bonne idée, soit sergent, soit sous-lieutenant.
Le Scénario – Scène 1 : Premier juillet 1916, 4 heures du matin
On assigne les PJ à la 94e Brigade d’Infanterie, sous le commandement du général Mazel. Depuis plusieurs jours, ils sont dans les tranchées, à écouter le déluge de feu de “préparation” de l’artillerie alliée sur les lignes allemandes. 1 million d’obus ont été tirés sans interruption pendant une semaine. Clairement, il y a anguille sous roche.
Un matin, à l’aube, on leur demande d’aller voir le général Mazel. C’est assez inhabituel, étant donné qu’ils ne sont que de simples soldats. Lorsque les PJ arrivent au poste de commandement du général, on les invite à le rencontrer en personne. Il est assis devant une grande carte posée sur une table, entouré d’une nuée d’agents des renseignements.
Mazel explique aux Personnages-Joueurs qu’une grande attaque anglo-française va être lancée le matin même, avec l’intention de percer profondément les lignes allemandes. Cependant, il a une mission spéciale pour les PJ.
Les services secrets ont reçu des informations : le neveu du Kaiser (l’Empereur d’Allemagne), un certain Prince Lothar, est en ce moment même en train de visiter le front allemand de la Somme, désirant faire l’expérience du “feu de l’action”.
La mission des PJ est d’attaquer avec les autres, mais pendant que l’infanterie balaie la résistance de la première ligne de tranchées, ils devront continuer jusqu’à la deuxième. Quelque part, dans un bunker de la seconde ligne, en face de leur secteur, ils trouveront le Prince. Ils devront le capturer puis le ramener jusqu’aux lignes franco-anglaises.
Plan des tranchées
Les lignes anglo-françaises et allemandes sont éloignées d’environ deux cent mètres à ce niveau du front, séparées par deux cordons de barbelés, chacun d’eux étant épais d’environ vingt à quarante mètres. Les barbelés anglo-français ont été coupés à certains endroits, mais ceux du côté allemand sont pratiquement intacts.
La seconde ligne de tranchées allemandes est environ à cinq cents mètres derrière la première ligne.
Information importante, les tranchées ne sont pas droites. Elles forment des zigzags assez prononcés afin que les attaquants ne puissent pas tirer sur toute leur longueur, dans l’alignement.
Équipement
Pour l’attaque, la plupart des soldats sont munis d’un fusil à baïonnette, une pelle de tranchée et un sac à dos contenant leurs possessions personnelles, de l’eau, des rations, des sécateurs à barbelés, etc. Les PJ peuvent – puisqu’ils sont assignés à une mission spéciale – choisir leur équipement.
Scène 2 – Premier juillet 1916, 7h30 – L’Attaque
L’artillerie arrête son tir de barrage, et pendant un moment, on peut entendre le silence. Ensuite, tous les officiers s’époumonent dans leurs sifflets et les troupes grimpent hors des tranchées et commencent à marcher sur l’ennemi.
On leur a donné l’ordre de marcher, les officiers supérieurs étant inquiets de la possibilité de trébucher, de perdre leur formation ou de se fatiguer, en courant sur le sol retourné par les obus (1).
Bien entendu, c’est une bataille de taille gigantesque – jusqu’à deux millions d’hommes côté allié et un million côté allemand –, il vous faudra donc rester un peu dans le flou artistique ; mais pour cette attaque, le mieux sera de faire en sorte que seuls des fusils allemands tirent sur les PJ, le reste des armes cible les autres soldats (en gros, ne lancez pas de dé pour eux.)
Si les PJ marchent côte-à-côte avec les autres soldats, estimez qu’à chaque seconde, ils essuient un tir de mitrailleuse et un tir d’artillerie lourde. Les PJ devront marcher 120 mètres jusqu’aux barbelés, utiliser des pinces pour couper les fils et dépasser cette zone – tout cela devrait prendre une minute – puis effectuer le chemin restant jusqu’à la première ligne de tranchées allemande, disons 40 à 50 mètres.
La mitrailleuse lourde est droit en face des PJ, dans un bunker protégé par des sacs de sable. Elle est donc invulnérable à tout ce que les PJ pourraient lui faire. La seule manière de régler le problème est de rentrer dans la tranchée derrière, et de tuer l’équipe qui active la mitrailleuse. Celle-ci devra bien sûr s’arrêter de tirer de temps à autre, pendant quelques secondes, pour recharger.
Si vous voulez être hyperréaliste, GURPS high-tech a les statistiques de la Maxim 0.303 (p. 109, et pour la description, cf. p. 121). La Maxim ne peut tirer que trente secondes de suite avant que toute l’eau de refroidissement ne soit épuisée (mais cela devrait être amplement suffisant).
Si les PJ choisissent de courir devant les autres troupes, ils attireront davantage l’attention, bien entendu. Doublez le nombre d’attaques sur eux.
Il y a un certain nombre de cratères d’obus dans le no man’s land (la zone entre les tranchées). Si un joueur annonce que son personnage veut courir jusqu’à un cratère et s’y réfugier, comptez que cela lui prend cinq secondes, donc cinq rounds, pendant lesquelles on peut lui tirer dessus.
S’ils parviennent à la première tranchée
Si les personnages parviennent à la première tranchée, ils se retrouveront face à un grand nombre de troupes allemandes sur le pied de guerre.
Pour chaque PJ qui arrive à la première ligne, admettez deux soldats français de plus (par exemple des PNJ). Quant au nombre de soldats allemands, multipliez le nombre de soldats du côté PJ par 5.
Les troupes allemandes sont équipées de fusils à baïonnette, de pistolets, de masses, mais aussi de pelles à tranchées bien aiguisées.
Exemple :
Le personnage de Jean arrive vivant aux tranchées allemandes. Les personnages de Pierre, Stéphane et Daniel ont été tués, alors que ceux de Paul et Jacques reposent dans un trou d’obus, mortellement blessés. Celui de Mathieu est revenu du côté français, d’où il sera emmené pour être exécuté pour désertion devant l’ennemi.
Aux côtés de Jean se tiendront donc deux autres soldats français. Dans la tranchée, ils seront confrontés à 15 soldats allemands.
Les tranchées communiquant de la première à la seconde ligne allemande sont elles aussi truffées de soldats allemands.
S’ils sont blessés
Si un personnage est blessé et incapable de se mouvoir, il lui faudra attendre jusqu’au crépuscule, environ treize heures plus tard, que les infirmiers essayent de récupérer les blessés.
Se faufiler jusqu’à la seconde ligne allemande et capturer le prince Lothar
Puisqu’il n’y a absolument aucun espoir que les personnages survivent à la fois à l’avancée dans le no man’s land, et à l’assaut de la première ligne de tranchées, le reste du scénario a été omis pour réduire le temps d’écriture, mais aussi pour économiser la bande passante.
Postface
Si vous pensez que vous pouvez toujours parler sans que les joueurs vous étripent, vous pourriez leur lire cette note du Général Mazel pour décrire l’attaque des PJ (c’est un vrai rapport, d’ailleurs, je n’invente rien…).
“Ils s’avancèrent ligne après ligne, costumés comme pour la parade, et aucun homme ne s’est dérobé ni devant le feu nourri de la mitrailleuse, ni devant celui des fusils, qui a fini par les achever. J’ai vu les si belles lignes qu’ils formaient fondre sous l’effet du tir de barrage. Et pourtant, aucun homme ne fléchissait, ne rompait les rangs, ou ne tentait de faire demi-tour. Je n’ai jamais vu, et je n’aurais jamais imaginé une telle preuve de vaillance, de discipline et de détermination. Les rapports que j’ai eus des très rares survivants de cette merveilleuse avancée soulignent ce que j’ai vu de mes yeux, c’est-à-dire, que c’est à peine si un de nos hommes a pu atteindre la ligne de front allemande.”
Je pense qu’à présent, ce scénario doit avoir soigné les joueurs de leurs souhaits de réalisme pur et dur.
Trivia et conseils du traducteur
Environ 60 millions de soldats ont pris part à la Première Guerre mondiale. Le bilan s'élève à 10 millions de morts et 20 d’invalides. Les forces de l’Empire britannique auront perdu 58 000 hommes le 1er juillet, le jour le plus meurtrier de toutes leurs guerres. Cela traumatisera les Terre-neuvas et les Néo-Zélandais.
La bataille de la Somme, indécise, se traînera jusqu’en novembre ; les forces du Commonwealth avancèrent de 3 kilomètres et perdirent 420 000 hommes, soit un homme et demi par centimètre.
Nous conseillons aux MJ expérimentés de reproduire la bataille du Chemin des Dames, un échec cuisant pour les généraux français. Attention, lors de cette bataille, des blindés ont été utilisés. Ceux-ci peuvent faire diversion et le général Mazel peut compter sur une défense allemande concentrée sur les unités avec chars. Mazel enverra donc les PJ en pensant que “les Boches mordront à l’hameçon.”
Le scénario a été librement adapté et fait quelques entorses à l’Histoire. Mais vous ne devriez pas trop pester contre un peu d’irréalisme… Je me trompe ?
Article original : The Big Push
(1) NdT : Historiquement, les soldats britanniques marchèrent, certains au son des cornemuses… Les soldats français, qui avaient davantage subi de batailles, coururent sur leur partie du front. [Retour]
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