Cinq choses qu'un rôliste peut apprendre de “Princess Bride”

Princess Bride

NdT : nous vous conseillons d’avoir vu le film avant de lire l’article (surtout que c’est un très bon film !) afin de vous éviter des révélations et autres retournements de situation. Mais si vous avez la flemme, gardez ce lien Wikipédia à portée de main pour pouvoir vous y référer au cours de votre lecture !

Dois-je mettre un lien vers d’anciens articles ? (…) Si vous aimez ces articles, continuez à m’envoyer vos [demandes de leçon à tirer d’œuvres] ; celle-ci vient de Luke Parsons.

1. Ne craignez pas les jets de Bluff

Les MJ ont tendance à craindre les PJ charismatiques. Mettons, par exemple, que vous ayez préparé un combat incroyablement difficile ou complexe : arrive alors le petit malin du groupe, qui parvient à convaincre l’ogre de se transformer en souris [comme dans Le Chat botté], et pouf ! c’est fini. Ça ressemble à de la triche. Bien sûr, on peut utiliser les mêmes règles pour toutes les épreuves, mais quoi qu’il en soit, il est important de comprendre à quoi ressemblent de bons jets de Bluff et comment ils peuvent améliorer l’histoire, sans oublier leur rôle essentiel dans les aventures rocambolesques. Et Princess Bride repose sur une série de jets de Bluff critiques qui montrent à quoi cela devrait toujours ressembler.

Le film nous le démontre d’abord en partant du principe que ces jets de Bluff sont la norme et pas un ajout après coup : Westley doit ainsi remporter trois épreuves, respectivement d’adresse, de force et d’intelligence. Les incorporer dans la structure même du récit signifie que vous et vos joueurs pourrez les anticiper et les utiliser souvent, ce qui évitera cette impression qu’il y a eu tricherie.

Une partie de JdR est ponctuée de bonnes scènes de combat car on en fait tout le temps ; de même, de bonnes scènes de bluff apparaîtront si on en fait tout le temps. Dans Princess Bride, on compte parmi les plus célèbres le moment où Westley bluffe Humperdink à propos des forces qu’il lui reste, ou bien lorsqu’il bluffe les gardes grâce à la cape anti-feu car ils sont d'autant plus ridicules – mais à y regarder de plus près, les jets de Bluff sont partout. Lors du duel à l’épée opposant Inigo et Westley, ils bluffent tous les deux, et Westley ment à Bouton d’or pour mettre à l’épreuve son amour pour lui.

Et les méchants, bien évidemment, mentent comme des arracheurs de dents. N’oublions pas les jets d’Intimidation (“Je n’ai pas la clé”) et les jets de Persuasion (“Je vous en prie, il faut que je vive”) ; il y a aussi cette scène où Westley escalade la falaise et ne parvient pas à croire Inigo sur parole car ils passent leur temps à se jeter de la poudre aux yeux.

Comme vous pouvez le constater, en dépit des combats à l’épée qui l’ont rendu célèbre, Princess Bride déborde de jets de Charisme, et c’est grâce à leur fréquence et à la vitesse à laquelle ils se succèdent qu’ils ne nous apparaissent pas comme de la triche. Les utiliser pour accomplir quelque chose devient naturel. Intégrez-les complètement à la partie et ils fonctionneront d’autant mieux.

2. Vos méchants seront doués

On redoute parfois les jets de Bluff parce qu’ils peuvent faire passer vos méchants pour des minables. C’est un chemin semé d’embûches pour le MJ : vos joueurs doivent tout balayer sur leur chemin, mais vous voulez honorer leurs hauts-faits en rendant la victoire ardue.

Un méchant peut parfois être aussi ridicule qu’un Grima [du Seigneur des anneaux (NdT)] ou qu’un Renfield [de Dracula (NdT)], mais la plupart du temps, on préfère que les méchants soient incroyables, chacun à leur façon. Pour ça, on leur attribue des plans complexes et une ambition démesurée, mais les PJ l’ignorent souvent parce qu’ils en sont victimes. Et même en utilisant des scènes cinématiques wiki (1), ou des prologues pour leur permettre de mieux connaître le méchant, vous ne pouvez pas trop en dévoiler sous peine de gâcher l’expérience de jeu.

Grima Langue-de-serpent

L’excellente solution trouvée par Princess Bride est d’accorder à ses méchants des talents incroyables qui sont en rapport, dans une certaine mesure, avec leur intrigue. Les personnages d’Inigo et de Fezzik en offrent un bon exemple, devenant rapidement des PJ parce qu’ils sont formidables, mais il en va de même pour les vrais méchants.

C’est notamment le cas pour Humperdink et ses talents de chasseur. Même Bouton d’or qui le déteste s’accorde à dire que, sans l’ombre d’un doute, il pourrait pister un faucon par mauvais temps.

Quant à Rugen, il maîtrise parfaitement la science et la technologie. C’est un savant fou, certes, mais son intelligence est indéniable. Humperdink et Rugen tiennent l’un à l’autre comme seuls deux amis le peuvent : ce n’est pas un gag unique, mais une façon de montrer leurs qualités. Lorsque les plans de Humperdink se mettent à échouer, il montre de la peur et de la colère ; il hurle sa rage au visage de Westley car Bouton d’or n’arrive pas à oublier son palefrenier [Westley] et à l’aimer, lui, le roi ; et la peur traverse son visage tel un ouragan lorsque Bouton d’or le surprend à mentir.

Il est peut-être dénué de tout sens moral, mais Humperdink se soucie de certaines choses, et on ne peut que l’admirer pour cela. Il est même possible que la guerre contre Guilder soit une bonne idée pour l’avenir de Florin : on sait parfaitement que Humperdink est un visionnaire et qu’il planifie longtemps à l’avance. Et ce n’est pas un imbécile : il triple la garde à l’entrée, ne prend pas de risques inconsidérés et survit grâce à tout cela. Peut-être même parviendra-t-il à déclencher cette guerre qu’il désire. On a toutefois le sentiment qu’il a ce qu’il mérite puisque les héros repartent avec ce qu’ils étaient venus chercher.

Parfois, en tant que MJ, on fait en sorte que nos méchants meurent car nos joueurs enragés ont vraiment envie de “remporter la partie” en assénant le coup fatal. Mais ne faites pas ça, ou du moins, pas souvent. Donnez des buts plus importants à vos joueurs et votre méchant aura d’autant plus d’impact : en survivant, il pourra faire montre d’autres de ses incroyables talents.

3. Ne lésinez pas sur votre intrigue secondaire

En parlant d’autres buts, l’intrigue principale de Princess Bride est plutôt cousue de fil blanc (en dépit de ses rebondissements amusants et de ses inversions des codes du genre). Un beau jeune homme veut secourir son aimée des griffes du méchant roi. De même, son intrigue secondaire n’est pas des plus originales : un jeune homme veut se venger de l’homme qui a tué son père.

Mais demandez à n’importe qui ce dont il/elle se souvient le plus dans Princess Bride et on vous répondra que ce qui a ancré le film dans la légende et l’a inscrit dans la durée, c’est l’histoire d’Inigo. Inigo a plus de classe que Westley, et il est aussi plus complexe : une passion bien plus sombre le motive ; il est accablé par la frustration et souffre le martyr, et tout ça l’a mené à sombrer dans l’alcool et le vol. Westley a beau clamer haut et fort qu’il est le terrible pirate Roberts, on a du mal à l’imaginer en véritable pirate ; au contraire, la noirceur et la tristesse d’Inigo nous évoquent des sacrifices et des choix déchirants.

Cela doit beaucoup au hasard (et à la distribution), mais une intrigue plus faible aurait pu desservir le dénouement d’Inigo. Au plus fort de l’histoire, alors que les héros doutent de jamais parvenir à secourir Bouton d’or et à s’échapper, le film consacre quinze minutes à l’intrigue d’Inigo. Le film s’attarde même sur lui au début pour nous dévoiler son histoire et son passé dans ses détails les plus intimes, et ce, avant même qu’il ne croise le fer avec Westley.

Nous autres MJ aimons faire les choses simplement. Une bonne aventure est dotée d’une seule intrigue, avec un but clair et précis, afin que chacun sache ce qu’il doit faire, et quand l'objectif est atteint. Ainsi, on est parfois tenté, lorsqu’un joueur veut remplir une quête secondaire personnelle, de l’envoyer balader. Ne faites surtout pas ça.

Rappelez-vous : dans la fiction, le temps est totalement élastique : si votre intrigue principale est simple et efficace, vous pouvez tout à fait la mettre en pause une demi-heure. Sa simplicité vous permettra de reprendre facilement le fil de l'histoire. Vous savez que vous devez aller du point A au point B et cet objectif reste réalisable même si vous laissez un joueur s’aventurer jusqu’au point C puis revenir. Laissez-les faire, faites-leur plaisir.

C’est justement parce qu'elles n’ont pas le parfum des intrigues principales, que ces intrigues secondaires plaisent souvent plus aux joueurs, car elles les interpellent plus au niveau du vécu : ils ont davantage l’impression de les avoir choisies, qu’elles les définissent. Tout le monde sait que le sorcier maléfique va mourir à la fin, mais cette partie où vous avez rencontré votre ex en route pourrait bien devenir un souvenir impérissable.

4. La mort n’est jamais la fin

Je pense que les fans de Princess Bride l’aiment aussi parce que c’est un film qui désarçonne. L’intrigue alterne les hauts et les bas, mais à un niveau tel que beaucoup de gens ne s’attendent pas à ses rebondissements ; ce n’est pas qu’une question de succès et de défaites pour les héros. Leurs victoires et leurs défaites sont extrêmes. Parfois, la situation est si désespérée qu’il n’y a pas d’autre solution que le suicide (que ce soit à la pointe d’une dague ou aux dents d’anguilles hurleuses) ; d’autres fois, ça tient de la farce savoureuse. Parfois, les héros obtiennent ce qu’ils veulent, juste pour le perdre la seconde d’après – ou se rendent compte qu’ils ne s’en sortent pas mieux que s’ils avaient tout perdu.

Westley et Bouton d’or s’échappent ainsi des Marais de feu pour retomber dans les griffes de Humperdink, les ennemis deviennent des alliés et Bouton d’or se voit sans cesse ravir son amour et son espoir. En effet, dans les cinq premières minutes du film, elle passe du rôle de maîtresse hautaine à celui d’idiote amoureuse, et enfin à celui de belle endeuillée au cœur brisé. C’est bien sûr autour de ce dernier rôle que l’histoire s’articule : par deux fois, Bouton d’or pense que Westley est mort et abandonne tout espoir et par deux fois cela se révèle faux au moment où elle est des plus désespérée.

Mais ce n’est pas seulement le thème du film, c’est aussi la marque d’une bonne narration. Certes, on en a marre des méchants qui se penchent au-dessus de l’eau et supposent que le héros s’est bien noyé, mais le fait que la mort ne soit pas la fin est un cliché narratif (trope) valable car elle résonne au plus profond de nous. On sait bien (et c’est doublement vrai dans un jeu où à chaque chose correspond une caractéristique) que la mort est la fin ultime. Pas besoin d’un memento mori wiki pour nous le rappeler. La mort nous guette à chaque coin de rue.

Grâce aux histoires, on a l’audace d’espérer le contraire, de croire aux miracles, de dire au dieu de la mort “Pas aujourd’hui” [réplique culte du personnage Syrio Forel, dans Game of Thrones (NdT)].

Princess Bride

Est-ce que ça peut paraître artificiel ? Oui. Mais on peut croire à la survie la plus improbable si elle est bien écrite, et c’est le cas dans Princess Bride. On ne devrait pas croire un seul instant que le pirate le plus meurtrier au monde laisserait la vie sauve à un homme, mais on y croit quand même car on veut que ce soit vrai et parce que Westley raconte cette histoire avec brio. On ne devrait pas croire que quelqu’un peut survivre à une effroyable machine de torture conçue pour absorber la force vitale, mais on y croit quand même car ce n’est décidément pas une “mort” naturelle.

Il est possible d’utiliser la magie ou les super-pouvoirs ou quoi que ce soit d’autre à cet effet, mais faites en sorte que certaines morts de personnages ne soient pas irréversibles. Faites que le corps soit enseveli sous une avalanche de rochers. Gardez la possibilité qu’il ait simplement été aspiré dans une dimension alternative ou qu’il puisse être ramené des enfers. Si les zombies et les liches existent, il doit bien y avoir d’autres moyens de remédier à la mort. Si vous semez des indices sur ce sujet, on arrivera à croire que la mort n’est pas une fin.

Le mieux dans tout ça, c’est que ça fait encore plus mal lorsque la mort est définitive.

5. Donnez de l’importance aux résurrections

Voilà la mise en garde qui devrait précéder l’astuce numéro 4 : tromper la mort n’est autorisé que si l’exercice est difficile. Même dans un film aussi stupide que Hudson Hawk, gentleman et cambrioleur, la résurrection de Tommy à la toute dernière minute affaiblit tout le reste car rien ne la justifie. Le coup de “J’ai trouvé un moyen de m’échapper” fonctionne bien si c’est fait au bon moment, mais pas pour repousser la mort. La mort est trop importante pour qu’on puisse lui échapper comme ça.

Dans Princess Bride, ça se manifeste à travers deux choses : la supplique et le prix à payer. Westley échappe à la mort grâce à ses suppliques, mais ne peut pas retrouver Bouton d’or car il devient le valet de Roberts. Au terme de la quête de Miracle Max, Westley est ramené à la vie - mais il perd tout tonus musculaire.

Pour que le prix à payer soit cohérent, il faut les deux morceaux de l’équation. Il faut aussi une période pendant laquelle on croit que la résurrection n’est plus possible, donc en fait, ça fait trois morceaux. Jamais deux sans trois.

En général, la magie [de résurrection] à la D&D invalide le premier (la supplique) [parce que la résurrection revient à faire ses courses au temple le plus proche : “Bonjour, c’est combien pour ressusciter notre ami ?” (NdT)], mais quasiment tous les JdR oublient aussi le second (le prix à payer). Bien sûr, on n’échappera pas aux quêtes épiques et aux objets légendaires, mais tout finit toujours par rentrer dans l’ordre. Pas besoin de revenir d’entre les morts comme Christopher Walken dans Dead Zone, mais donner un petit malus aux jets de votre personnage rendra la morsure de la mort encore plus réelle. Et si ça ralentit tout le groupe, alors c’est encore mieux, comme bloquer l’accès à des choses dont les personnages dépendent, comme se retrouver incapable de lancer des sorts ou de crocheter des serrures.

Cela peut s’exprimer à petite ou à grande échelle. Quand les PV d’un personnage tombent à zéro, laissez son joueur mariner un moment avant d’annoncer son sort. Concentrez-vous sur quelque chose d’autre. C’est douloureux, mais c’est une douleur qu’on aime. Et quand vient le moment de faire un jet de premiers soins, mettez le personnage sur le devant de la scène. Demandez aux joueurs de vous dire ce qu’ils font pour ranimer leur compagnon. Que le sang éclabousse leurs vêtements. C’est important. La mort, c’est important. Le sujet de beaucoup de JdR est la lutte pour notre vie : si mourir ne vous effraie pas et que vous pouvez tout simplement appuyer sur “redémarrer”, vous dévalorisez le JdR dans son ensemble, pas seulement les moments dramatiques.

Princess Bride

En effet, la meilleure scène de Princess Bride pourrait bien être celle de la “mort” d’Inigo, juste avant son regain de vigueur simplement grâce à un jet d'[auto-]Persuasion. C’est peut-être bien le jet de Bluff suprême, pour la résurrection suprême, dans l’intrigue secondaire suprême face à l’un des méchants suprêmes. Mais on y croit. On y croit, qu’un homme puisse revenir à la vie, et on en oublie même qu’il essaie toujours de garder ses tripes à l’intérieur quand nos héros trouvent les chevaux. Car c’est si douloureux quand ça arrive, et le prix à payer est des plus délicats ; et il ne se relève pas d’un bond, non. Il chancèle et se relève centimètre après centimètre, et il monte en puissance jusqu’à créer l’une des meilleures scènes de l’histoire du cinéma, tout ça car il est passé de l’article de la mort à une victoire écrasante.

Faites que les personnages-joueurs se démènent pour vaincre la mort, et vous n’aurez jamais besoin de les faire mourir. Les joueurs se souviendront bien mieux de leurs épreuves que de n’importe quel haut-fait. Ils se souviendront cent fois plus d’un revers de fortune que d’une mort banale.

Article original : 5 Things Gamers Can Learn From The Princess Bride

(1) NdT : Cut Scenes dans la VO : des scènes que les personnages-joueurs ne peuvent pas voir (“Pendant ce temps, dans la forteresse des forces des ténèbres, le Grand Méchant rencontre le traître”). L’indispensable Point de vue du figurant ptgptb explique comment en insérer, communiquer des informations aux joueurs, tout en les faisant participer au lieu qu’ils n’écoutent passivement des descriptions. [Retour]

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