La maîtrise de jeu stratégique, 2e partie

Organisation et exploitation des données à travers le THACOMS

NDT : ce texte utilise du jargon LNS : proposition créative. Exploration. Contrat Social… ces termes recouvrent des éléments que vous connaissez et pratiquez sous d’autres noms, par exemple « idée », « aventurer son perso dans » et « accords entre participants ». Mais la lecture préalable de la Théorie 101 – 3e partie ptgptb est recommandée.

Voici le deuxième épisode de notre série d’articles sur l’optimisation du travail du MJ à travers une stratégie de maîtrise. Dans le premier article, nous avons vu ensemble comment une ou un MJ ingénieux pouvait déduire les attentes des joueurs et joueuses par une exploitation minutieuse de toutes les sources de données disponibles.

Cet article se concentre sur l’organisation pratique et l’exploitation de toutes les données collectées en suivant une méthodologie pratique, que j’ai appelé THACOMS (pour Tableau Holistique d’Analyse des Concepts et Objets pour la Maîtrise Stratégique).

Une fois que nous avons collecté, à partir des diverses sources de données disponibles, toutes les informations pour la session de JdR, il nous reste la tâche de les exploiter. La perspective d’utiliser l’ensemble des données accumulées peut sembler décourageante parce que, de fait, il peut y en avoir énormément.

La plupart des bons MJ se concentreront sur quelques aspects saillants des données collectées, surtout les aspects communs à la plupart des personnages, si ce n’est tous.

Les grands MJ seront capables, par leur talent ou leur expérience, de manipuler plus de thèmes en même temps et d’intégrer les personnages dans l’aventure de façon inattendue et élégante.

Pour gérer le PJ de type « loup solitaire » qui préfère poursuivre ses propres propositions créatives sans égard pour celles des autres joueurs et joueuses, les MJ débutants vont chercher à forcer la main du perso errant, et les MJ expérimentés improviseront des schémas d’intrigues appropriés pour pousser doucement le PJ marginal à suivre l’intrigue principale.

On peut schématiser ainsi les intersections entre les propositions créatives des PJ et le fil de l’intrigue :

Toutefois, la maîtrise de jeu stratégique [MJS] est basée sur le postulat que tous les MJ n’ont pas le même talent, ou temps à consacrer, à la préparation de la partie. Par conséquent, une stratégie d’exploitation des données proposée doit être utilisable de la même manière par un MJ débutant ou une MJ expérimentée.

Donc, je propose une stratégie qui se débarrasse complètement du besoin d’improviser des schémas particuliers d’intrigues, en redirigeant le potentiel créatif de chaque joueur vers une proposition créative commune à tous.

Cela va contraindre l’intrigue du scénario à dépendre très fortement (si ce n’est complètement) des données collectées durant la première phase de la MJS, extrêmement centrée sur les personnages. Le Background, les buts, les choix des personnages auront donc un impact considérable sur le déroulement de l’histoire.

Présentation de l’exploitation des données de jeu

Le personnage que le joueur crée est le véhicule de son propre plaisir, lequel vient de l’accomplissement de ses propositions créatives. Donc le ou la MJ peut déduire les propositions créatives du joueur d’après les choix que ce dernier a fait pendant la création de personnage.

Son personnage est une machine de guerre optimisée ? Alors le joueur s’attend non seulement à ce que son perso combatte, mais qu’il gagne haut la main — ses préférences pour la compétition via le combat seront importantes dans ses propositions créatives.

Le personnage est un escroc alcoolique ? Gageons que les propositions créatives du joueur ou de la joueuse impliqueront des interactions sociales, et lui ou elle s’attendra à ce que l’alcoolisme de son personnage ait des conséquences sur l’histoire.

Ainsi, on peut déduire des aspects des multiples propositions créatives des joueurs à partir de la façon dont ils ont créé leurs personnages, avec leurs motivations et leurs Backgrounds. Cependant, chercher à déterminer exactement pourquoi chaque joueur a créé son personnage d’une certaine façon - pour réconcilier les propositions créatives et définir un contrat social - semble moins efficace que de laisser chaque joueur poursuivre lui-même ses propositions créatives dans un cadre élaboré par le MJ qui offre cette liberté à chacun d’eux.

Une fois les données collectées durant la première phase, la méthode consiste en quelques mots à :

  1. Lister toutes les éléments liés à chaque PJ, c’est-à-dire

    1. tous les thèmes (magie, voyage temporel, combat, exploration, manipulation sociale),

    2. tous les archétypes de PNJ (par exemple le mafieux, le flic, le clochard, le voleur assassin, le magicien),

    3. tous les types de lieux (l’entrepôt vide, l’appartement, la ruelle crasseuse, la taverne miteuse, la tour du mage),

    4. les points forts et les faiblesses de tous les personnages, qui, par nature, sont liés à chaque personnage - et indirectement aux propositions créatives des joueurs.

  2. Relier systématiquement chacun de ces éléments à autant d’autres éléments possibles en établissant soit des relations de causalité, soit des relations de synchronicité entre les composants attachés à différents PJ. Par exemple, le flic décrit dans le Background de PJ1 est le partenaire du flic du Background de PJ2.
    Soit encore en décidant que ces composants sont la même chose : par exemple que le flic décrit dans le Background du premier PJ est le même flic que dans le Background du second.

Beaucoup de MJ, si ce n’est la plupart, font déjà ces deux choses intuitivement, prenant empiriquement des décisions arbitraires sur les Backgrounds et les Objectifs des PJ, afin de faciliter le déroulement de l’intrigue, l’intégration des PJ dans celle-ci, et pour répondre aux goûts des joueurs et joueuses et à leurs propositions créatives.

Toutefois, la méthode proposée est une systématisation de ce processus de pensée. Le principal avantage de le faire est que, en étant systématique, la qualité du processus de pensée ne dépendra plus du talent ou de l’expérience du ou de la MJ, ni ne requerra de coopération des joueurs, à part fournir une copie de la feuille de perso et de son Background. Tout MJ débutant suivant cette méthode construira finalement une aventure formidable, comparable – mais jamais strictement identique – à celle qu’un MJ expérimenté pourrait imaginer de son côté.

Cette méthode de systématisation stratégique amène le ou la MJ à noter les liens entre tous les sujets fictionnels et toutes les motivations, les archétypes et les Backgrounds des PJ (et indirectement, en conséquence, aux propositions créatives des joueurs). Ensuite, il s’agit d’utiliser ces liens comme composants de base pour l’intrigue principale de l’histoire. Celle-ci sera donc composée des sujets dramatiques et narratifs qui sont en commun avec les PJ, les PNJ et les éléments scénaristiques des autres intrigues.

En conséquence, il n’y a pas d’accroche scénaristique particulière. Ou plutôt, les accroches sont disséminées à travers les Backgrounds et les Objectifs des PJ et sont donc déterminées par les joueurs eux-mêmes.

C’est pourquoi, cette méthode amène les PJ à entrer « obliquement » dans l’intrigue principale, parce que leur approche sera teintée de leur propre subjectivité. Puisque l’intrigue était complètement élaborée à partir des points communs et des liens narratifs entre les PJ, chaque fois qu’un ou une joueuse poursuivra sa propre proposition créative, il ou elle :

  1. augmente l’implication de son personnage dans l’intrigue, en concordance avec sa propre proposition créative ;

  2. renforce les liens entre l’intrigue principale et les autres PJ, et encourage les autres joueurs et joueuses à suivre les fils narratifs avec enthousiasme.

L’interdépendance des fils de l’histoire amènera finalement les PJ à poursuivre l’intrigue dans la même direction, quels que soient leurs propres choix, même ceux qui pourraient théoriquement menacer le scénario [En effet, puisque le scénario est lié à l’histoire personnelle, les joueurs seront toujours ramenés tôt ou tard dans l’intrigue commune, sauf à renier leur Background. (NDT)].

Bien qu’artificielle, cette méthode est l’extrême opposé du dirigisme. Le dirigisme, pour un MJ, consiste en :

  1. Restreindre les choix et décisions des PJ à une simple liste déjà prévue pour le scénario, qualifiant tout autre choix ou décision « d’impossible » ou « d’inapproprié » ;

  2. Ignorer toute conséquence des choix ou décisions des PJ si ceux-ci ne coïncident pas avec - ou contredisent - la trame du scénario telle que l’a conçue le MJ ou l’auteur.

Bien au contraire, dans la méthode d’optimisation proposée, il n’y a aucune restriction d’aucune sorte dans les choix ou les décisions ni dans leurs conséquences ; toutes les possibilités restent ouvertes et toutes mènent à l’intrigue principale, tant que le joueur incarne son personnage de façon cohérente.

Le fil de l’intrigue principale sera donc constitué des interconnexions des liens et des relations entre les PJ.

Le Tableau Holistique d’Analyse des Concepts et Objets pour la Maîtrise Stratégique (THACOMS)

Le THACOMS est un outil graphique, une table ou une matrice, dont le but est de fournir une vision d’ensemble des données collectées durant la première phase, organisée en lignes et colonnes.

Découvrons comment l’utiliser.

Lignes et colonnes du THACOMS

Les lignes du THACOMS

Le THACOMS est composé d’un nombre de lignes au moins égal au double du nombre de PJ. Chaque couple de lignes correspond à un seul Personnage-Joueur.


Le THACOMS
    Thème 1 Thème 2 Thème 3 Thème 4 Lieu 1 PNJ 1 Objet 1
PJ 1

 

Historique

 

             
  Objectifs            
PJ 2

 

Historique

 

             
  Objectifs

 

           
PJ 3

 

Historique

 

             

 

Objectifs

 

           

 

  • La ligne du haut, Background, correspond au Background et au passé du PJ.

  • La ligne du bas, Objectifs, correspond aux Objectifs actuels du PJ.

 

Les Colonnes du THACOMS

Les en-têtes de colonnes du THACOMS correspondent aux différentes catégories d’éléments qui furent collectées dans la première phase de la MJS, et qui sont répartis par thèmes.

Les éléments types communs, ordonnés dans les en-têtes de table sont : thème, lieu, PNJ et objet. Dès qu’un PJ a plusieurs instances de celui-ci, les en-têtes sont numérotés.

Thème (1,2,3, …, n)

Ce sont les thèmes soit liés au PJ comme un de ses composants, soit liés aux attentes du joueur pour la partie.

Par exemple, un chef barbare venu des steppes, brutal et destitué, remplira probablement les thèmes « combat, sauvagerie, exil » dans la ligne Background. Si le joueur ou la joueuse montre des signes réguliers de vouloir du combat, le même thème « combat » pourra alors apparaître dans la ligne Objectifs.

Ce PJ souhaite-t-il remédier à son exil de sa tribu ? Alors le thème « retour » pourrait être un élément approprié dans la ligne des Objectifs.

On peut aussi déduire ces thèmes en se basant sur les compétences les plus élevées du PJ sur la feuille de perso.

Par exemple, une compétence très haute en Discrétion amènera le MJ à ajouter le thème « discrétion » auxdites lignes de Background ou Objectifs.

Lieu (1, 2, 3, 4, …, n)

Lieux qui importent aux PJ, qu’ils soient associés à l’histoire personnelle, ou comme étant des lieux importants pour ses Objectifs.

Le chef barbare venu des steppes vaudra sans doute l’élément « steppes » dans sa ligne Background.

Note : on peut s’étonner de trouver un lieu dans la ligne « Objectif ». Ce qui est noté ne correspond normalement pas à des buts du PJ en tant que tels (but : « bas quartiers »…), mais aux concepts qui ont vocation à être manipulés au cours de la session dès lors que le PJ en question poursuit ces Objectifs. Les bas quartiers ne sont pas une thématique mais un lieu. Il s'agit d'un lieu qui a vocation à être Exploré / visité par le PJ barbare s'il explore son historique (d'où sa présence dans la ligne Background) ou bien poursuit ses Objectifs (d'où sa présence dans la ligne Objectifs). Ceci permet aux thématiques d'être suffisamment larges pour se faire écho les unes les autres à travers les différentes cases.

PNJ (1, 2, 3, 4, …, n)

Un type de PNJ avec lequel le PJ, soit a interagi de façon significative dans son passé, soit a l’intention d’interagir narrativement avec.

Le neveu rusé qui a trahi et destitué le PJ chef barbare est un PNJ de la ligne Background, alors que le commanditaire thaumaturge pour lequel le barbare a l’intention de travailler peut convenir pour la ligne Objectifs.

Dans certains cas, il peut être utile de distinguer les PNJ qui ont eu (ou auront) de fortes interactions négatives avec le PJ, dans les cas où une forte inimitié entre le PJ et le ou la PNJ peut servir dans la narration.

Objet (1, 2, 3, 4, …, n)

Un type particulier d’objet, ou un objet particulier, qui a une signification importante pour le PJ.

Par exemple, le chef barbare peut avoir une « épée bâtarde hyperboréenne en obsidienne » comme un des éléments types, soit dans la ligne Background (s’il a été en contact avec l’épée auparavant) ; soit dans la ligne Objectifs (s’il cherche à faire quelque chose avec celle-ci, par exemple la retrouver ou la détruire).

À présent, le premier exemple des éléments PJ chef barbare s’organisera ainsi dans le THACOMS :

Le même processus est alors répété pour tous les autres PJ :

Points communs colorisés

Les PJ recensés dans le THACOMS présentent des éléments communs. Coloriser ces éléments communs permet de répondre d’une façon très simple aux propositions créatives des joueurs durant le déroulement de la partie. Dans l’exemple, cela fait apparaître :

En poursuivant l’exemple, une intrigue principale visant à répondre aux attentes des joueurs devra certainement inclure les éléments suivants :

  • Thème 1 : Exil

  • Thème 2 : Voyage

  • Lieux : Bas quartiers de la ville

Établir des liens entre des points communs distants

Les codes couleurs des éléments communs de la grille permettent au MJ d’exploiter les liens les plus évidents entre les personnages.

Par conséquent, ces points communs pourraient sembler trop simples aux joueurs, ou trop déterministes si les joueurs créent habituellement des personnages semblables. Plus rarement, une ligne d’un personnage peut quelques fois ne fournir aucun élément en commun avec les autres PJ.

Pour éviter ceci, le MJ doit réaliser une étape supplémentaire : tracer des liens. Cela consiste à essayer de trouver des points communs éloignés entre des thèmes, des aspects, des lieux, des Objectifs ou des PNJ alors qu’ils sont globalement non reliés.

Quelques-uns de ces liens peuvent être déduits par des joueurs intelligents. Par exemple, la relation entre l’élément « commanditaire thaumaturge » et l’élément « spires des Thaumocrates » (étymologiquement, personnes gouvernant par le mérite de la magie) est évidente.

P our l'instant il existe un outil faisant la "preuve de concept" de cet exercice. Je ne l’ai pas publié, mais il automatise l'identification des mots identiques (correspondances syntaxiques) et la mise en évidence des cellules idoines.

C'est déjà bien, mais l'étape suivante est d'en faire un outil qui prenne également en compte les relations sémantiques, donc les synonymes et antonymes.

Il est probable que je fasse une présentation de l'usage de l'outil au cours d'une conférence à l'occasion d'une convention.

Des liens résultant des décisions du MJ

Comme vous êtes un lecteur perspicace, vous avez noté que les éléments en lien avec le dernier PJ (le voyageur temporel) ne sont pas facilement connectables aux éléments compris dans les lignes des autres PJ, et que, pour l’instant, les propositions créatives du dernier joueur ne semblent pas croiser thématiquement celles des autres joueurs.

Ce problème particulier du PJ « loup solitaire » doit être résolu avant que la campagne ne commence : la MJS cherche à apporter le plus d’amusement à tous les joueurs en répondants à chacune de leurs propositions créatives.

Il n’y a pas de solution à ce problème ; mais le MJ peut arbitrairement prendre des décisions pour relier les éléments. Les derniers liens à esquisser sont arbitraires et peu évidents.

En continuant notre exemple de prêtre des ombres voyageur du temps, afin de créer des liens entre ce PJ particulier et les autres, le ou la MJ a décidé arbitrairement de :

  1. Relier les thèmes « voyage » et « voyage temporel » : les PJ 1, 3 et 4 sont des voyageurs.

  2. Relier le thème des Objectifs du PJ 2 « recherches arcanes » et le thème de Background « technologie » du PJ 4 : le MJ décide que les notions de recherches arcaniques du deuxième PJ l’amèneront à croire qu’il y a d’autres manières que la magie pour manipuler le continuum espace-temps. Le MJ laissera des indices au jeune mage sur le fait que le quatrième PJ semble en savoir plus qu’il n’y paraît à ce sujet.

  3. Lier le thème « ombres » du PJ 4 au thème « discrétion » du PJ 3 : le MJ décide que l’incroyable discrétion du troisième PJ provient en fait moins d’un entraînement que d’une capacité latente à manipuler naturellement les ombres, ce qui évidemment provoquera l’intérêt du PJ 4

  4. Relier les lieux du PJ 4 et les lieux des autres lignes des PJ : le MJ décide que les Bas quartiers - si importants pour les PJ 1 et 2 - sont les présages des futurs bidonvilles que le prêtre-voyageur-temporel connaît si bien. En outre, l’assassin albinos a installé son repaire sous les toits du Temple des Anciens. Faire de ce lieu un repère stable dans le temps encouragera bien sûr les PJ 3 et 4 à poursuivre leurs propositions créatives ensemble.

  5. Relier l’« Épée bâtarde hyperboréenne faite d’obsidienne » et « arme technologique » : le MJ décide que l’épée du chef barbare est un objet technologique qui attirera l’attention du PJ 4. Le MJ n’a pas décidé si l’épée maudite du Background de l’assassin albinos est aussi un objet technologique et décidera en fonction de ce que le PJ 3 préférera explorer comme intrigue.

Le THACOMS complet est représenté ci-dessous :


Lien d’opposition

Certains liens sont dangereux pour l’intrigue et, en fin de compte, pour les propositions créatives des joueurs. Ce sont les liens entre les éléments qui sont dans des lignes différentes, mais qui entraînent une opposition directe et insoluble. Parfois, ces oppositions sont inévitables pour le ou la MJ, parce qu’elles sont directement liées aux concepts des PJ. Par exemple, dans le cas où le groupe comprend à la fois un PJ démon et un chasseur de démons fanatique.

Cela signifie que, lorsque les Personnages-Joueurs concernés Exploreront leur Historique ou les éléments des objectifs les opposant, ils seront ennemis, quelle que soit l’intrigue. Ces joueurs ne pourront pas coopérer au sujet de ces éléments tant qu’ils n’évolueront pas dans leurs mentalités et leurs buts. Dans cette situation, le MJ doit fournir une solution à cette opposition : par exemple, une alliance temporaire contre un ennemi commun encore plus haï. Cette alliance pourrait finalement engendrer des situations où ils se sauvent mutuellement la vie ; un respect forcé, une attraction réciproque ou la destruction par un PNJ de l’objet ou du PNJ désiré par les persos.

Une telle situation n’est pas insoluble, mais elle requiert toute l’attention du MJ pour que cette opposition ne devienne pas le pivot central d’une aventure, jusqu’à ce que les PJ dépassent le problème et soient capables de trouver une solution. Si ce n’est pas le cas, concentrer l’intrigue sur le lien d’opposition risque de scinder le groupe, sans parler d’un éventuel conflit des propositions créatives des joueurs des PJ concernés, puisqu’ils ne pourraient pas les poursuivre sans s’opposer à celles de l’autre.

Exploiter le THACOMS en cours de partie

Épargner et rediriger les efforts du MJ

Une fois le THACOMS rempli, le MJ obtiendra des liens :

  • Entre les personnages-joueurs eux-mêmes (ligne Historique) ;
  • Entre les intrigues des PJ (lignes Objectifs) ;
  • Entre les histoires des PJ et les intrigues individuelles des PJ (entrecroiser la ligne Historique d’un PJ et la ligne Objectifs d’un ou une autre PJ) ;
  • Entre les intrigues des PJ et l’intrigue principale de la campagne.

De tels liens permettent au MJ de s’épargner l’effort de rassembler les PJ et de les faire interagir comme un groupe. D’ailleurs, quand on leur présente ces liens et les « accroches » relatives, les PJ vont logiquement suivre au moins une de ces pistes :

  • Enquêter, contacter, interagir, ou éviter délibérément un autre PJ – ce qui donnera nécessairement lieu à une interaction avec un élément de la ligne Historique ou de la ligne Objectifs dudit PJ.
  • Enquêter, explorer ou développer leur background et leur histoire personnelle – ce qui donnera lieu à un croisement avec un élément de la ligne Historique ou Objectifs d’au moins un autre PJ.
  • Suivre leur propre proposition créative et leur(s) intrigue(s) personnelles – ce qui donnera lieu à une intersection avec un élément des lignes d’un autre PJ.
  • Suivre l’intrigue principale - pour les plus motivés d’entre eux. Cela créera un croisement avec un élément d’un autre PJ.

Dans cette situation, l’intérêt d’un MJ à pousser un ou une PJ dans une direction plutôt qu’une autre est quasiment nul. Structurer les différentes relations et intrigues avant la partie, conduira automatiquement un PJ en particulier vers un croisement scénaristique où d’autres PJ sont impliqués. Et cela le conduira finalement à s’intéresser à l’intrigue principale, mais à son propre rythme. Et via une accroche qui correspond le mieux à son Historique et ses Objectifs ; en d’autres mots, à la proposition créative du joueur.

Utilisée de cette manière, la structure en grille de la MJS n’est pas immédiatement visible, et n’apparaît pas comme restrictive ou dirigiste pour les joueurs.

Avec le temps et l’énergie économisés dans la création des trames narratives que les PJ peuvent suivre (et suivront), la MJ peut concentrer son attention davantage sur les détails du monde, sur l’interprétation des PNJ, la gestion du rythme de l’histoire, l’augmentation de la tension, l’ajustement des rencontres, le choix des musiques d’ambiance, la création d’accessoires de jeu, etc. Toutes ces activités ne sont pas de la Maîtrise de Jeu Stratégique, mais de la Maitrise de Jeu Tactique, et dépassent le cadre de cet article.

Intrigue possible

On pourrait donner un début d’intrigue assez simple résultant de quelques points communs déterminés avec le THACOMS vu ci-dessus :

Un membre du petit gang des Écorcheurs (contact de la Guilde des Voleurs & Assassins) demande aux PJ 2 et 3 d’enquêter sur la disparition d’un bâton incrusté de bijoux (accroche pour le magicien sur le bâton magique brisé et le Joyau des Âmes) et précieux (accroche pour l’objectif de richesse du PJ assassin albinos), qui était sous garde aux Spires des Thaumocrates (Lieu Hisotrique pour le magicien). Les Écorcheurs étaient censés le voler pour un client qui paye bien (Le ou la MJ envisage que ce client puisse être le neveu usurpateur du PJ chef barbare) mais ils ont été devancés par un groupe inconnu (l’ennemi “du jour”, dont les capacités de combat peuvent être un challenge pour le barbare et l’assassin) et lourdement armé (comme les armes et armures technologiques du PJ voyageur temporel, bien que le MJ n’ait pas encore décidé si c’était en effet des armes et des armures technologiques) et en utilisant des équipements inconnus de distorsion d’espace-temps (le thème de voyage dans le temps du PJ 4 entre dans la trame, et est une accroche pour le magicien et ses recherches arcaniques, ainsi que les Objectifs d’enquête du PJ 3).

L'employeur thaumaturge du chef barbare exilé (PNJ des Objectifs du PJ 1) lui ordonne d'enquêter également sur la disparition du bâton précieux, de le retrouver si possible, mais surtout d’identifier et récupérer la magie incompréhensible qui a servi à le voler, ainsi que les pratiquants de cette magie.

Les accroches du PJ 4 à l’intrigue sont moins directes. Ce voyageur temporel est alerté par une perturbation dans le continuum espace-temps au niveau des Spires des Thaumocrates, et les capacités latentes de manipulation des ombres du PJ magicien (thème d'ombre PJ 4 – prêtre des ombres) au Temple des Anciens (lieu constant dans le temps du PJ 4) attireront tôt ou tard son attention.

On n’a pas utilisé tous les éléments pour réaliser cette intrigue, et c'est tout à fait normal. L'ajout de plus d’éléments peut mener à une intrigue plus riche, mais peut aussi conduire à des fils narratifs plus lents, car chaque joueur et joueuse devra suivre toutes sortes de détails concernant chacune des intrigues individuelles. Dans ce cas particulier, le MJ a décidé de ne pas tenir compte de certains des liens, les gardant dans sa manche pour les intrigues et les sessions ultérieures.

Évolution du THACOMS

Les PJ ne sont pas statiques. Au cours des différentes parties, les Personnages-Joueurs auront rencontré de nouveaux PNJ, accompli certains de leurs objectifs, échoué à d’autres, décidé de poursuivre des projets différents, ils sont devenus plus forts ou plus faibles.

Comme les PJ ne sont pas statiques, le THACOMS ne l'est pas non plus. Il évolue dans le temps comme le font les Personnages-Joueurs, au même rythme, de sorte qu'à tout moment, le THACOMS représente l'état des particularités du PJ au début de la prochaine séance de jeu.

Les principes de l’évolution du THACOMS sont très simples :

  • Tout ce qui s'est déjà produit appartient maintenant à la partie Historique.
  • Tout ce que le PJ s’efforce d'atteindre — ou d'éviter — se trouve dans la ligne Objectifs.
  • Dès que les éléments de la ligne Objectifs ne correspondent plus aux buts restants à atteindre, ils doivent devenir des éléments de la ligne Historique, éventuellement modifiés.

Pour une meilleure lisibilité dans le cas de longues campagnes, il est conseillé de créer une ligne Historique pour chaque arc narratif important, ce qui permet de garder à l'esprit quel PJ a accompli quoi et quand, et quelles accroches sont restées inexplorées. Les joueurs apprécient la surprise de rencontrer les conséquences à long terme de leur propre passé, des actions (ou inactions) presque oubliées, surtout parce que cela prouve qu'elles ont un impact sur l’univers de jeu.

Utiliser le THACOMS pour des informations autres des personnages.

Notez qu’en créant l’intrigue, le MJ a délibérément mis en action le PJ magicien en faisant référence à des objets précédemment non liés (le bâton abîmé et les bijoux) dans l’accroche scénaristique.

C’est un exemple de la stratégie de systématisation pour les aventures elles-mêmes. En fait, l’utilisation du THACOMS n’a pas besoin d’être limitée à la description et à l'analyse des liens entre les éléments des Historiques et Objectifs des personnages ; on peut aussi l’utiliser pour les éléments d'aventures préexistantes ainsi que pour les PNJ.

La valeur du THACOMS pour les informations de PNJ

Les avantages de l'utilisation du THACOMS pour les éléments de Personnages Non-Joueurs sont les suivants :

  • Lier les PNJ rencontrés dans les scénarios du commerce à l’Historique et aux Objectifs du PJ, afin qu'ils puissent entrer dans ces aventures sans jamais cesser de poursuivre leurs propres propositions créatives ;
  • Densifier les relations entre les PJ et les PNJ, afin d'éviter le caricatural « meilleur ami PNJ » que le PJ découvre soudain ;
  • Relier les aventures du commerce et les PNJ afin d'augmenter la cohérence logique des aventures, chaque intrigue étant inextricablement liée à toutes les autres – les joueurs ne sauront jamais exactement s’ils en sont dans leur campagne ou dans les suppléments du commerce, car tout ce qui arrive à leurs personnages sera une longue histoire cohérente, optimisée pour répondre à leurs attentes.

Comment utiliser le THACOMS pour les informations de personnages non-joueurs

L'utilisation du THACOMS pour l'analyse des informations de personnages non-joueurs est strictement identique à son utilisation pour un personnage-joueur : les PNJ ont à la fois une ligne Historique et une ligne Objectifs, en dessous de la grille du THACOMS contenant les informations organisées des PJ.

Les scénarios du commerce commencent généralement par une explication de « ce qui s’est passé jusqu’ici », qui peut être divisée en :

  • ses composantes, que l’on place dans la ligne Historique,
  • tandis que les scènes elles-mêmes peuvent être décomposées en éléments qui seront les "objectifs", c'est-à-dire le devenir de l'aventure. Les PNJ très importants dans l'aventure peuvent être décomposés en leurs éléments constitutifs et avoir leurs propres lignes dans le THACOMS.

Les points communs colorisés, les points communs distants et les liens décidés par le MJ fonctionnent exactement de la même manière que pour une entrée d’un PJ dans le THACOMS, bien que les liens d’opposition, qui sont découragés entre les PJ, ne posent aucun problème entre un élément PJ et un élément PNJ.

La prochaine partie vous montrera des exemples d'utilisation du THACOMS pour des scénarios complets et des aventures du commerce, ou pour en construire à partir de PNJ préexistants, ou même pour concevoir des accroches d’intrigue.

Article original : Strategic Gamemastering, part 2: Data organization and exploitation through the THACOSG

Vers la 3e partie


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