Les Probabilités magiques

Un article de Steve Darlington, tiré de D-Constructions, et traduit par Fabien Deneuville

En ce moment, il y a encore un débat sur RPGNet pour savoir si “une chance de réussite de 50 % ne serait pas trop faible”. Cette fois, c’est sur ORE (One-Roll Engine) (1) mais ça peut aussi concerner Warhammer, L’Appel de Cthulhu ou encore Unknown Armies. Cette question est souvent posée et va toujours dans le même sens : un glissement vers la question de ce qu’un jet de dés simule exactement. Est-ce faire une action dans une situation de stress ? Peut-on accorder des bonus au fil du temps ? Est-ce que [l’on accorde un bonus] à un PJ professionnel ou [même à] un non-amateur ?

Mais tout ceci, en quelque sorte, passe à côté de la vraie question.

Car l’essentiel se trouve tout d’abord dans la continuité d’un autre sujet de préoccupation : c’est le pourcentage de succès de jets de dés que les gens aiment avoir.

J’ai toujours eu tendance à considérer les chiffres qui suivent comme à peu près justes, mais j’en ai eu récemment la confirmation d’une manière assez spectaculaire ; quand j’ai lu un article sur l’excellent jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs (MMORPG) City of Heroes. À savoir que : le jeu [où on joue des super-héros (NdT)] est configuré de telle façon que toutes choses étant égales par ailleurs, si un PJ attaque un ennemi de même niveau, il a 75 % de chances de toucher ; et si l’ennemi riposte, il a environ 50 % de chances de toucher le même PJ.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez vous fier aux concepteurs de jeux vidéo pour faire les bons calculs, ils sont très, très bons pour rendre le tout amusant (2). Et si vous regardez de plus près les JdR les plus populaires, bon nombre d’entre eux ont tendance à utiliser des critères assez semblables. Les gens ont un penchant pour les jeux où la chance de réussite de leur perso, dans un domaine où il est bon, est d’environ de 70-80 % (s’il est seulement moyen, 50-60 % reste correct).

Par exemple : dans la 2e édition de D&D, un perso commencera probablement avec un TAC0 (Toucher une Armure de Classe zéro) de 19, le kobold moyen aura une CA (Classe d’Armure) de 7, donc vous devez faire 12 ou plus pour toucher, soit 45 %.

Cependant, dans la 3e édition, un combattant a probablement +4 au toucher et sa cible une CA de seulement 12, donc vous n’avez besoin que d’un 8 pour toucher, soit 65 %.

Dans la 4e édition de D&D, le kobold de niveau 1 a une CA de 15 et votre perso commence avec environ +7 au toucher, soit encore 65 % de chances d’atteindre sa cible (3). Le jet de base de White Wolf par exemple, avec 2 dans l’attribut et 2 dans une compétence, vous fait quatre dés en tout. La probabilité d’avoir un succès est de 76 %.

Il y a des JdR qui ne respectent pas cette règle, comme Warhammer, dans lequel, s’il est bon, votre personnage commence autour de 45 % ; et s’il est nul, sa compétence est autour de 25 %. Ceci aide à renforcer le thème et le style de Warhammer.

De même, la probabilité de toucher avec un fusil de chasse dans L’Appel de Cthulhu se situe aux environs de 40 %, 70 % si vous avez augmenté la compétence parce que le PJ est un Grand Chasseur de Tigres, alors que la plupart des personnages universitaires auront Archéologie et Bibliothèque à 95 %.

Illustration pour la couverture de Savage Worlds

Dans Savage Worlds (grog), un personnage avec un d8 dans une compétence (au-dessus de la moyenne) a 80 % de chances de toucher, voire 85 % s’il a un d10. Ce petit changement aide SW à être un peu plus pulp qu’un jeu qui tourne autour de 65 %. C’est ce que serait SW si les personnages n’avaient pas l’aspect “Je suis un héros cool”. que leur apporte le Wild Die [Dé à 6 faces lancé par les PJ et les PNJ, en plus du dé de compétence, représentant en quelque sorte l’importance ou l’héroïsme du personnage (NdT)].

Et voici le point à retenir : peu importe si vous n’êtes pas bon en statistiques, vous pouvez percevoir instinctivement ces pourcentages. Ils font partie de notre psyché et seront faciles à repérer pour vos joueurs. Les casinos et les machines à sous tournent autour de ces pourcentages (en général, vous gagnez quelque chose 40 % du temps, assez pour garder votre intérêt sans que cela ne semble facile).

Notes de conception

Dans mon JdR [maison] Famous Five, je me sers de 2d6. À l’origine, j’avais fixé les seuils de difficulté à 5+, 7+, 9+ pour facile, moyen et difficile mais ça me laissait avec un test difficile à 27 % de réussite et un test modéré à seulement 58 % de réussite. Lors des parties de tests, ça rendait le jeu un peu brutal. J’ai donc tout déplacé d’un rang vers la gauche, ce qui donnait 4+, 6+, 8+ pour des pourcentages de 92 %, 75 % et 42 %. J’ai atteint le chiffre magique de 75% pour un test standard. Ça permettait à mes braves petits joueurs de se sentir plutôt en sécurité, et aux experts de se sentir imbattables.

Ainsi, si vous voulez simuler un genre en particulier, vous devrez déterminer vos pourcentages. Si vous voulez une partie avec des personnages super-puissants, votre test standard devra réussir aux alentours de 85 % ou plus. Si vous voulez rendre votre partie amusante et pas trop difficile, visez grosso modo les 75 %. Si vous voulez que votre partie donne l’impression d’être un peu dure, visez les 50 %.

Bien entendu, c’est pour quelqu’un de doué dans ce domaine. Quand je parle de jet standard, je parle de la compétence que le joueur teste le plus souvent, autrement dit sa spécialité, pas nécessairement “la difficulté moyenne” d’une tâche dans le jargon de la simulation. Parce que au final, la simulation n’importe pas vraiment. Ce que les joueurs remarqueront avant toute chose, c’est la fréquence à laquelle ils réussissent leurs jets pendant la partie. S’ils sont motivés par un style de jeu réaliste et dur, ils ne se plaindront pas si c’est 50 % ; mais dans le cas contraire, vous devez viser les 75 %.

Si vous ne le faites pas, vous devrez peut-être baratiner une clause échappatoire simulationo-machin-chose à la mords-moi-le-nœud pour l’expliquer, comme dans Wild Talents et vous vous retrouverez avec des fils de discussions enflammés dans les forums.

Lecteur : Quel est le problème avec Wild Talents ?

Steve : Wild Talents est un très bon JdR, mais comme Unknown Armies – l’autre fameux JdR de Greg Stolze, – il tend à avoir un très faible taux de réussite : un jet standard est d’environ 50 %. Pour contourner ce problème, les règles fournissent une clause d’exception “simulationniste”, qui explique que cela reflète le fait qu’on ne lance le dé que pour les tâches très difficiles, ou sous le feu ennemi, ou sous une tension similaire. Ce traitement du problème revient à dire “Nous ne simulons pas votre idée de la réalité, nous simulons la nôtre” ; cette réponse passe toujours à côté de la question. Car la question n’a rien à voir avec la simulation, mais concerne l’expérience de jeu des participants (4). Comprenez-moi bien, la simulation est importante. Warhammer répond à la question en affirmant clairement [son approche de] la simulation : “Votre PJ est au départ à peu près de la merde, et la vie est dure, et ce JdR s’épanouit sur ces bases”. Wild Talents ne dit pas cela, il le déclare juste après coup et oblige le MJ à ajuster constamment ses tests pour les restreindre aux situations où il est raisonnable d’estimer que les professionnels sont à la peine. Wild Talents laisse les MJ se débrouiller pour décider, ce qui n’est jamais bon signe.

Article original : Magical Probabilities

(1) NdT : Le système ORE a été inventé par Greg Stolze et est utilisé entre autres dans Godlike (grog) et Wild Talents (grog). Pour résoudre une action, on lance entre 2 et 10d10, et on recherche les paires. Ceci permet en particulier lors des combats de résoudre en un seul jet l’initiative, les dommages et la localisation des attaques (d’après le Grog). [Retour]

(2) NdT : L’auteur fait ici référence à 5 creepy ways video games are trying to get you addicted (5 moyens effrayants par lesquels les jeux vidéo tentent de vous rendre accro). [Retour]

(3) NdT : Piège de facilité ptgptb trouve que cela va trop loin et regrette le temps où les personnages en “bavaient”. [Retour]

(4) NdT : Cette opposition réalisme/plaisir se retrouve aussi dans les Justifications Manifestement Absurdes ptgptb. [Retour]

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Pour aller plus loin…

Cet article est regroupé avec d'autres autour du système de jeu des JdR dans l'ebook n°14 : Le système, cet important.

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Commentaires

Super article, merci bien. 

Ca me donne envie de vérifier tout ça dans les tables de jdr que j'ai actuellement.

Auteur : 
Anonyme

Lors d'une partie avec un système assez improvisé, je suis partie sur un d20 avec comme réussite à 11 ou plus, avec des bonus pour compétences. Je pensais que les probabilités iront. Eh bien finalement ce fut assez juste. Un ou deux joueur enchainait les scores bas. Même le personnage le plus doué à eu plusieurs fois chaud et fut sauvé par les bonus. Son joueur, mon MJ "habituel", n'a pas cessé de me conseillé de me mettre au 2d6 à la fin de la partie, entre autre chose. Pour garder le 20, je compte essayer un jour 2d10, mais grande question pour les taux. Parce que j'ai envie de jouer avec les compétences et les lacunes. A suivre si jamais un jour je mène à nouveau une partie.

Bref, tout ça pour dire que 50% de réussite peut-être très faible quand la chance n'est pas avec toi. Même avec les 2D6 (ou 4d6), un ami ne réussi pas souvent. Et un autre trop, mais comme je suis joueuse je vais me contenter d'en être contente.

Auteur : 
Lyriel

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