Rétrospective : The Price of Freedom

Les articles ludiques que je présente dans ma rétrospective hebdomadaire sont généralement bien antérieurs à 1986. Je vais néanmoins faire une exception pour le jeu de rôlesThe Price of Freedom grog, de Greg Costikyan. Publié chez West End Games avant l’époque de leur JdR Star Wars, quand la compagnie produisait plus de wargames que de jeux de rôles (ceci dit, elle avait déjà publié le précédent jeu de Costikyan, Paranoïa grog, deux ans auparavant).

The Price of Freedom nous propose de “jouer des personnages dans une Amérique occupée”, comme indiqué sur la couverture. Son point de départ : suite à l’élection d’un président “de pacotille” aux États-Unis, et à la signature par ce même pays d’accords mettant fin à l’Initiative de Défense Stratégique wiki [Programme débuté par les USA en 1983 et destiné à intercepter des missiles nucléaires ballistiques (NdT)] - accords dont l’Union Soviétique n’a bien sûr pas respecté sa part - les communistes ont gagné l’ascendant militaire et politique, ce qui leur a permis d’envahir l’Amérique du Nord, maintenant occupée. Les joueurs et les joueuses incarnent des résistant.es face à l’occupation soviétique déterminées à mettre fin au règne de cette tyrannie.

Couverture de la boite "Price of Freedom"

Les étudiants et étudiantes en Histoire rétorqueraient sans doute que l’idée derrière cette uchronie est ridicule, et l’était déjà particulièrement en 1986, soit un an après le début des grandes réformes en URSS lancées par Mikhaïl Gorbatchev, et trois ans avant la chute du Mur de Berlin. En lisant The Price of Freedom, il est assez clair que Greg Costikyan lui-même ne croyait pas que les choses auraient pu tourner ainsi.

Mais la vraisemblance de ce cadre uchronique n’est pas du tout l’enjeu ici. C’est, après tout, un JdR incluant un court guide de traduction anglais-russe qui comporte la phrase “Je ne suis pas, et n’ai jamais été, membre du Parti Républicain” [référence au serment "je ne suis pas communiste" lors des auditions sous le Maccarthysme (NdT)]. Ce n’est pas vraiment un jeu qui se prend trop au sérieux.

Dans une section des règles comiquement intitulée “Note au lectorat progressiste”, Costikyan demande de “penser à ce jeu comme à la rencontre du Seigneur des Anneaux et de William F. Buckley wiki [Journaliste et essayiste américain, conservateur, s’étant beaucoup investi dans l’anticommunisme (NdT)]”. En somme, un Jeu de rôle de fantasy, avec un équivalent réel de l’Empire du Mal et de ses orcs. Costikyan ajoute :

“La question n’est pas de savoir si une telle horreur pourrait arriver ou non, mais si vous pourriez vous amuser en imaginant que c’était le cas”.

Mon expérience personnelle me laisse penser que beaucoup de joueurs n’en ont pas été capables. J’ai en effet rencontré beaucoup de gens qui semblaient croire que The Price of Freedom était à prendre au premier degré, une sorte de délire de droitards transformé en jeu de rôles. Que quiconque connaissant Greg Costikyan ait pu croire ça défie toute logique, mais soit.

Et c’est bien dommage, car comme Paranoia, The Price of Freedom est un petit jeu bien pensé. Les règles vont droit au but et sont (plutôt) simples, avec un d20 qui ne doit pas dépasser le niveau d’attribut ou de compétence utilisé. Les personnages ont aussi des « Points d’Héroisme » qu’ils peuvent utiliser pour échapper à la mort ou pour réaliser des actions dépassant les limites usuelles (agir deux fois pendant un même round de combat, par exemple). On peut uniquement gagner ces points en accomplissant des actes héroïques, à la discrétion du MJ.

Ce qui est intéressant, c’est que le Manuel du Joueur, qui contient tout le nécessaire pour jouer, tient en 32 pages. La majorité de ces pages traite de sujets autres que les règles, comme l’occupation soviétique et les techniques de guérilla. Le Livre du Meneur fait 64 pages, et là aussi les règles occupent moins de la moitié des pages. Il contient des exemples de scénarios, des accroches d’aventures et des conseils pour la création et l’animation de campagnes.

The Price of Freedom est donc un très bon exemple des vertus de la concision. Je vous accorde que le jeu couvre un spectre plutôt restreint – des rebelles contre l’Empire Soviétique – mais il couvre quand même pas mal de sujets. Vous pourriez vraiment jouer une campagne entière avec le seul contenu de la boîte, qui, en plus des deux livres de règles, contient des cartes et des compteurs pour gérer les combats à grande échelle.

Après tout, que serait un jdr de combat libérateur face à ces saletés de Communistes sans la possibilité de s’engager dans des batailles à grande échelle ? The Price of Freedom est un jeu qui connaît son sujet, et vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour jouer des aventures correspondantes.

Mais en fin de compte, c’est son idée de départ qui l’a condamné pour beaucoup de gens. Pour une raison ou pour une autre, ils étaient incapables – ou bien ne voulaient tout simplement pas – s’appuyer sur les peurs très exagérées d’une offensive soviétique pour faire du jdr fantasy un peu différemment. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de jouer à The Price of Freedom à cette époque.

Je ne pense même pas que la réception serait meilleure aujourd’hui. Il est dur en 2010 de se souvenir de ce que cela faisait d’avoir sincèrement peur de l’Union Soviétique comme d’un Mordor des temps modernes. Pour beaucoup de joueurs, la Guerre Froide est aussi lointaine et abstraite que les guerres napoléoniennes ou l’Inquisition Espagnole.

C’est dommage, car cela fait longtemps que je voudrais mener une campagne sur la guérilla contre un ennemi tout puissant. Mais je n’ai jamais trouvé la bonne accroche. Pour quelqu’un de ma génération, l’URSS semble toute trouvée pour jouer ce rôle que seuls les extraterrestres pourraient aussi tenir aujourd’hui. À ceci près que les aliens n’auraient probablement pas un hymne aussi étrangement envoûtant que celui des Soviétiques. Eh ouais.

Article original : Retrospective: The Price of Freedom

 

Pour aller plus loin… chez PTGPTB :

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