Style et structure
© 2007 Steve Darlington
Plus je m’intéresse à Dark Heresy grog et plus je suis stupéfait par la perfection de Warhammer le jeu de rôle fantastique grog. Non pas que Dark Heresy soit mauvais, c’est juste que la difficulté de faire aussi bien que son prédécesseur montre à quel point Warhammer était parfait.
L’une des principales raisons à cela est le style. On dit souvent que la majorité des JdR sont juste des copies de D&D sous des couvertures différentes, tant dans le système que dans ce que l’on y fait (1). Cependant, pour moi, joueur immersioniste de mon état, ce qui compte le plus c’est que les parties de JdR provoquent des sensations différentes. Ce sentiment est issu de tous les aspects de la partie et il impacte tous les aspects de la partie. Cela tient à de petites choses telles que l’atmosphère, l’arrangement de la pièce, la composition du groupe et toutes les autres choses que les jeux de rôles peuvent avoir du mal à fournir. La feuille de personnage est l’un des rares éléments qui peuvent réellement influencer ce que l’on ressent en tant que joueur, ce qui explique que sa conception soit tellement importante. L’endroit où se trouvent les informations et la manière dont elles sont communiquées vous indiquent comment vous ressentirez le jeu.
Warhammer ne se limite bien sûr pas à ces éléments. Ce qui fait ressortir Warhammer du troupeau, c’est qu’en à peine cinq minutes d’une partie, il est possible de dire que l’on joue à Warhammer. C’est possible grâce à son style distinctif, et ce style déborde sur ses aventures. Ce qui explique, je suppose, pourquoi il est si facile d’écrire des scénarios pour ce jeu.
D’autres JdR ont des styles également bien reconnaissables. Par exemple, Traveller grog n’est pas uniquement le premier grand jeu de SF, il a une résonance particulière grâce à son style hard science wiki, militariste, jusqu’aux caractéristiques décomptées dans un code hexadécimal wiki. L’Appel de Cthulhu grog sortait quand à lui du lot grâce à ses histoires si différentes, qui étaient profondément inscrites dans ses mécanismes. Buffy la tueuse de vampires grog a également un style unique, c’est pourquoi la série télé et le jeu de rôle ont rencontré un tel succès. Enfin, vous pouvez toujours reconnaître une partie de Vampire car tout le monde porte des ankhs et tous les joueurs ont des idées aussi noires que leurs habits.
Un exemple d'écriture de caractéristiques en hexadécimal dans Traveller
Mais le style ne fait pas uniquement sortir un JdR du lot, il définit et façonne tout le ressenti d’une partie. Les jeux de rôles sont des expériences de création collaborative, au cœur desquelles on trouve une sorte de “bible du scénariste” (2) comme on dit dans le milieu de la télévision. Plus cette “bible” est précise, plus la partie sera mémorable. Parfois, elle n’est écrite qu’après de longues années passées à jouer avec des personnes que l’on connaît bien. Cependant, on peut quelquefois la densifier en lui apportant une distinction stylistique, pour que chacun sache comment jouer, même si c’est la première fois. Cette information ne peut pas provenir uniquement des règles, elle provient probablement en majeure partie du style(3).
Mais il y a une partie importante du style qui est souvent ignorée, c’est la structure. D&D a une structure centrale, et tout le monde la connaît à la perfection : Vous Rencontrez Un Gars Dans Une Taverne, Vous Visitez Le Donjon, Vous Gagnez Un Niveau. Le gain des niveaux est une composante structurelle considérable ; les parties sans progression de niveau sont toujours perçues comme ne ressemblant clairement pas à D&D. C’est pour cela que les règles d’expérience peuvent avoir autant d’influence sur un JdR.
Toutefois, très peu de créateurs de JdR se préoccupent suffisamment de la structure, et encore moins la voient comme un écueil. Leurs jeux ne suivent pas forcément une structure donnée, mais ils ne rejettent pas pour autant celle de D&D ou des autres jeux. Cependant, certains le font.
Vampire passe le plus clair de son temps à parler de thèmes et de techniques mais cela suggère une structure. Ainsi, Vampire exige explicitement que le MJ joue l’Étreinte (le moment où le personnage est devenu un vampire), en solo ; des sessions en tête à tête avec chaque joueur. On les appelle Prologues, et ils sont un exemple de structure d’histoires imposée par les règles.
Paranoïa grog est sans doute l’exemple le plus explicite de structure. Il a un concept de création d’aventures à plusieurs niveaux, et a forgé sa singularité là-dessus.
La beauté des concepts de création structurée est qu’elle rend instinctive et facile l’écriture d’aventures. Les scénarios sont trop souvent construits du point de vue du contenu. Voilà ce qu’il se passe, voilà quand ça se passe, voilà où ça se passe et voilà comment les protagonistes agissent. Très, très peu d’aventures abordent l’aventure d’un point de vue narratif. Cela prendrait la forme suivante : voilà le but de ce PNJ ; voici comment s’ébauche le premier acte pour que les personnages-joueurs arrivent ici ; peu importe ce qu’il se passe ici, pourvu que les joueurs éprouvent telle ou telle émotion. Si vous lisez n’importe quel livre sur l’écriture de script, de série ou de roman, ils ne sont centrés que sur l’approche narrative.
Il existe donc un décalage entre la structure des JdR et la structure des autres médias populaires. Problème.
Ce qui a déclenché mes réflexions sur la structure fut d’avoir parcouru le superbement génial James Bond RPG grog de Victory Games. On se fiche du système de “la table de multiplication”, il était pourri ; ce jeu avait du style, et une structure ! La plupart des JdR de genre en ont, d’ailleurs. Sa structure de création de scénarios se basait principalement sur un déroulement aléatoire, avec des tableaux pour la plupart des événements. C’est comme un monstre errant mais à un niveau très, très supérieur.
Ghostbusters RPG ptgptb est le seul autre JdR ayant cette caractéristique. Par exemple, dans une aventure de Ghostbusters, on peut garantir qu’un certain nombre d’événements vont se produire : les flics vont se pointer, on va devoir interroger des gens, des manifestations occultes aléatoires vont avoir lieu, et il y aura un procès. Ghostbusters possède des tables aléatoires et des organigrammes pour générer les éléments narratifs de ces histoires.
Men in Black grog est un autre jeu dont la structure et le style sont assez clairs pour permettre une magnifique “mécanique de construction narrative aléatoire”. Dans ce jeu, les joueurs ont des cartes avec des instructions (par exemple : crachez votre chewing-gum et dites “Allons nous farcir quelques aliens !”) et une récompense comme “Soigne tous les dégâts reçus lors de cette séance”. Les récompenses sont données pour avoir correctement joué l’ambiance, pas pour avoir interprété son personnage. Il est possible d’utiliser ces éléments pour faire avancer l’histoire (ainsi si vous savez que les joueurs vont se rendre dans un hôpital, vous pouvez utiliser une carte : Volez une ambulance) (4).
Ce qui est frappant avec ces cartes, c’est qu’elles puisent [ce mécanisme] dans une méthode d’écriture. Ce qui veut dire qu’il faut créer en premier les éléments d’une situation, et ensuite essayer de jouer avec.
Très souvent, les rôlistes ont une idée préconçue de ce qu’ils attendent ; ils s’assoient donc à table en espérant que le MJ, le donjon, ou les dés leur procureront la scène rêvée. Mais laisser le mécanisme de structure de scènes guider toute la partie, comme dans Capes ou My Life with Master ptgptb, est-il la solution unique ? Pas nécessairement ; pour certains, cela élimine la spontanéité et l’improvisation ; le réalisme et la simulation. Il existe pléthore de techniques pour mélanger une simulation et un jeu de rôle avec ces idées.
La posture de l’Auteur, où le MJ et les joueurs travaillent ensemble pour arriver à la scène qu’ils envisagent, représente une grande part du jeu de rôle, mais trop souvent nous ne pensons pas comme des auteurs (5). Ou bien nous espérons que seul notre MJ le fasse. Il est temps de réparer ça.
Article original : [RPG Design] Style and structure
(1) NdT : Démonstration dans Les crève-cœurs de la fantasy ptgptb. [Retour]
(2) NdT : Dans la terminologie des séries télévisées, une bible est un document réunissant l’ensemble des informations concernant les personnages… (biographies, profils psychologiques, habitudes vestimentaires, évolutions possibles des protagonistes, etc.). La bible sert à consigner par écrit toutes ces informations afin que chaque scénariste puisse écrire des épisodes qui soient en accord avec l’univers fictif… et sans erreur de continuité. (Source Wikipedia) [Retour]
(3) NdT : Le style est une variante d’un aspect des JdR à la fois sur-dimensionné et sous-évalué, que l’analyse LNS appelle la couleur ptgptb. [Retour]
(4) NdT : D’autres réflexions sur la structure des aventures dans Questions de structure ptgptb. [Retour]
(5) NdT : Plus sur les postures – dont l’Auteur –, dans cet article ptgptb. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article est rassemblé avec d'autres articles sur le même thème, dans l'ebook PTGPTB n°17 -Écrire son jeu de rôle.
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Commentaires
chrys.benedictus (non vérifié)
mer, 13/06/2018 - 23:32
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Ce concept de jouer un jdr à l'aide de cartes que l'on "joue" à certains moments, à certains endroits, ça me semble très original - jamais je n'aurais pensé ou conçu le JdR comme ça.
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