Dix choses à savoir avant de vous lancer dans l’édition

C et l’écrivaine CJ Ruby derrière l’étal de l’éditeur 4 Winds Fantasy Gaming à la convention MisCon 24

 

La plupart des rôlistes rêvent de travailler dans l’édition de JdR, imaginant leurs idées formidables sur papier et se voyant fréquenter les légendes du monde du jeu. Jennifer Brozek, ma consœur du site geeksdreamgirl, a de la bouteille en tant que freelance dans ce secteur, et je n'ai pas grand-chose à ajouter à ses conseils avisés. Cependant, pour celles et ceux qui souhaitent passer un cap en devenant éditeur ou éditrice – avec ou sans expérience en tant que auteur à son compte – j’ai plein d’expériences à partager.

Qu’est-ce qu’une dream girl connait de l'édition de JdR ? Des tas de choses. J’ai trois facettes professionnelles bien distinctes. Évidemment, il y a la dream girl que tout le monde aime et connaît. Ensuite, il y a la cireuse de chaussures, celle qui gagne de quoi mettre du pain sur la table et payer l’assurance-maladie. Mais mon rôle dominant est celui de la femme d’affaires : la cofondatrice de 4 Winds Fantasy Gaming, l’éditrice, l’autrice, l’experte maquettiste, la graphiste, la comptable, la potiche de stand, l’assistante. En tant que dirigeante d’une petite maison d’édition, j’ai beaucoup de casquettes à porter, mais je n’échangerais ma place pour rien au monde.

Le chemin de l’édition est taché de sang, de sueur et de larmes (ok, peut-être pas de sueur) et il faut souvent travailler dur sur des tâches auxquelles on ne pense pas quand on se lance. Il n’existe pas de guide L’Édition de JdR pour les Nuls(1). En se basant sur nos deux ans d’expérience dans le métier, voici dix des leçons que nous avons apprises et que quiconque souhaitant se lancer dans l’édition devrait prendre en compte.

1. Faites ça bien. Et par bien, je veux dire légalement.

Est-ce que le gars qui gère votre boutique de jeux favorite paye tout depuis un compte bancaire personnel ? Il ne devrait pas, et vous non plus. Si vous voulez monter un commerce, respectez la loi en obtenant un numéro fiscal pour votre entreprise. Je ne vais pas entrer dans les détails ici, mais vous devez choisir entre :

  • être une DBA (doing business as), ce qui veut dire que l’entreprise, c’est uniquement vous exerçant sous le nom de cette dernière [l'équivalent en France serait l'entreprise individuelle, (NdT)];
  • ou être une LLC (limited liability corporation), ce qui veut dire que l’entreprise est une entité à part, avec une comptabilité séparée de vos comptes personnels [correspond en France à la SARL et l'EURL, (NdT)].

Une fois ce numéro fiscal en poche, allez à la banque et créez des comptes séparés pour votre entreprise. Cela semble faire déjà beaucoup de travail avant même de commencer, mais il est nécessaire d’en passer par là et cela sera bien plus simple quand il s’agira de suivre vos dépenses avec des chéquiers séparés. D’ailleurs, en parlant de dépenses…

2. Tout a un prix.

Des fournitures de bureau aux paiements de vos contributeurs.trices en passant par les numéros ISBN de vos livres, vous serez vite choqué.e.s par l'argent que demande une entreprise. Si vous souhaitez imprimer les livres plutôt que de vous contenter du PDF, préparez-vous à recevoir la facture de cette première impression. La dépense qui nous a le plus surpris.e.s ? Les frais d’envoi.

3. Les contrats sont de la plus haute importance.

Jennifer a déjà abordé le besoin vital d’avoir des contrats bien rédigés, donc laissez-moi juste répéter ce qu’elle a déjà dit : un contrat protège à la fois l’éditeur.rice et le freelance. Des accords oraux ne sont bons que pour savoir qui va payer les pizzas pour la partie du week-end prochain, mais ils ne vous seront d’aucune utilité si un auteur ou une autrice ne rend pas son travail à temps, prétextant que vous ne lui avez jamais donné de délai à respecter. Mettez tout par écrit !

4. Faites votre propre publicité. Personne ne le fera à votre place.

Si vous publiez le JdR le plus incroyable au monde mais que personne n’en entend parler, fera-t-il du bruit dans l’industrie du JdR ? Non. Vous allez devoir mettre la main à la pâte et faire de la pub à mort. Faites votre place sur Internet (encore une fois, comme l’a si bien expliqué Jennifer) : obtenez votre propre nom de domaine et créez un site qui attire l’œil tout en étant fonctionnel. Créez une page sur Facebook, un compte Twitter. Allez sur les forums des entreprises qui soutiennent votre produit. Dans le monde réel, allez dans les boutiques de jeux pour parler de vos livres. Rendez-vous à toutes les conventions possibles pour y représenter votre boîte.

5. Être professionnel vous amènera loin.

On ne parle pas d’un secteur où costume et cravate sont de mise (encore heureux !), mais cela ne veut pas dire qu’il faille représenter votre maison d’édition en jogging et t-shirt troué. Habillez-vous proprement, coiffez-vous, faites briller vos tatouages – en somme, faites en sorte que l’on se rende compte que vous faites attention à votre apparence. Mais surtout, le plus important est l’attitude. Quel que soit le coup de téléphone ou mail que vous traitez, adoptez un ton professionnel, même si vous êtes ami avec la personne avec qui vous échangez. Soyez sûr.e de vous mais pas trop. Et suivez la Loi de Weathon(2).

6. Vos ami.e.s vont vouloir vous aider. Choisissez cette aide avec soin.

Vos ami.e.s seront sans doute celles et ceux qui vous soutiendront le plus dans cette nouvelle aventure et, en ami.e.s qui se respectent, ils.elles vont sans doute vous dire quelque chose comme « Si je peux faire quelque chose pour t’aider, dis-le-moi ! ». Si parmi vos ami.e.s, vous avez des artistes talentueux.ses, des auteurs.trices, des éditeurs.trices, etc, alors faites-leur une proposition de travail en bonne et due forme ou demandez-leur de vous envoyer leur CV ou un aperçu de leur travail. Considérez-les comme n’importe quel.le freelance : sont-ils·elles capables de respecter les délais ? Accepteront-ils vos demandes de modifications, de réécriture ? Rechigneront-elles à l’idée de signer un contrat ? Beaucoup de nos ami.e.s travaillent avec nous, mais nous savons que nous avons beaucoup de chance. Vous pouvez travailler sérieusement avec vos proches, mais vous devez faire attention.

7. Parfois, il faut laisser son bébé à quelqu’un.e d’autre.

Par « bébé », je veux dire « idée ». Mon mari et moi-même avons bien plus d’idées de livres et de suppléments qu’il nous est possible d’écrire nous-même. À moins de vouloir manger les pissenlits par la racine, en travaillant 20 heures par jour sans jamais quitter votre écran d’ordinateur, vous allez devoir très vite apprendre à déléguer. Il est difficile de laisser quelqu’un.e d’autre de mettre par écrit une super idée, mais c’est soit ça, soit ne jamais rien produire à cause de la fatigue.

8. Ça n’a rien de glamour.

Avant de monter notre boîte, je m’imaginais assise toute la journée devant mon ordinateur, à écrire et créer. Pas une seconde je ne me suis imaginée parcourir la ville en quête d’encre pour imprimante et trimbaler des cartons de livres au bureau de poste ou encore à perdre une journée entière à répondre aux mails ou à contester des frais bancaires.

9. Vous allez devoir vous endurcir.

La première fois qu’un de nos produits a obtenu une critique peu reluisante, j’ai pleuré. Puis, j’ai séché mes larmes, mis mon pantalon de grande fille et je suis passé à autre chose. Il est impossible de plaire à tous les rôlistes, tout le monde ne sera pas fan de vos produits. Ayez un regard objectif sur les retours négatifs(3). Avez-vous vraiment fait de votre mieux ? L’écriture/les illustrations/l’édition sont-elles de bonne qualité ? Êtes-vous content.e du résultat ? Si la réponse à toutes ces questions est oui, alors mettez ça sur le compte de « on peut pas plaire à tout le monde » et passez à autre chose. Si les critiques sont justifiées, alors tirez-en une leçon et faites ce que vous pouvez pour vous améliorer.

10. C’est la chose la plus épanouissante de votre vie.

Diriger une maison d’édition est bien plus satisfaisant que tous les métiers que j’ai pu faire. C’est beaucoup d’heures de travail acharné, mais chaque fois que je lis sur un forum que des MJ et des joueurs utilisent nos ouvrages dans leurs parties, je suis au 7ᵉ ciel pendant des jours.

La partie émergée de l’iceberg

Il reste encore plein de place dans la mare pour de nouveaux éditeurs et éditrices et je suis plus que ravie de faire ce que je peux pour les aider à se lancer. Puisque j’ai l’accord de E [E. Foley, fondatrice du site (défunt) geeksdreamgirls.com (NdT)] pour donner un point de vue sur le monde de l’édition de l’intérieur, qu’aimeriez-vous savoir ? Certaines questions ne pouvant recevoir une réponse courte et rapide dans les commentaires, elles feront sans doute l’objet d’un futur article !

Article d’origine : Ten Things You Should Know Before Getting Into RPG Publishing

(1) NdlR : en anglais peut-être, mais en français chez PTGPTB il y a la compilation d’articles sur le sujet en ebook : Créer son JdR : l'avis des pros qui suit l’ebook Écrire son jeu de rôle et pleins d’articles sur l’économie du JdR[Retour]

(2) NdT : En 2007, lors de la Penny Arcade Expo, Wil Wheaton fit un discours inaugural, où il conseilla de ne pas se comporter comme un connard quand on joue aux jeux vidéos en ligne. Dans un article sur son site, il dit vouloir que « Don't be a dick » (Ne soyez pas un connard) devienne sa nouvelle devise. [Retour]

(3) NdT : Principes de bienséance dans le milieu professionnel du JdR ptgptb donne d’autres précieux conseils pour les relations avec les rôlistes[Retour]

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