Kergan : l'apport des autres
Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Coucou ! Je m’appelle Kergan, 28 ans, genderfluid ; je vis quelque part en Rhône-Alpes où j’exerce la double profession à plein temps mais absolument pas lucrative d’organisateur de murder-party et de créateur de Jeux de Rôles (https://kergankergan.itch.io/ si on a le droit de se faire un peu de pub). Oh, et j’aime bien les concepts un peu déconnants et les idées un peu barrées !
Première étape : un jeu de rôle de 6666 signes max – *Pentacle non fourni
Quelles étaient tes objectifs lors de l’écriture du jeu de l’étape 1 ?
M’amuser, je pense ! Faire quelque chose de minimaliste, aussi, j’aime beaucoup l’idée de concevoir un JdR complet en peu de signes, ça force à couper le superflu et à se concentrer sur le concept central ! La première forge est toujours comme ça de toute manière, un exutoire dans lequel on peut se lâcher avec un concept un peu étrange, un peu loufoque.
À chaque défi 3FF je fais la même chose : je rédige trois brouillons pour trois concepts complètement différents. Généralement un de ces trois concepts devient ma première forge, le second devient un projet perso (cette année c’était Caféinée, un JdR où tout le monde a bu beaucoup trop de café, que j’ai sorti depuis).
Dans le cas de Pentacle non Fourni l’idée m’est venue d’un rapprochement entre l’impitoyabilité du monde occulte et celle du marché du travail. Et comme c’est un terme angoissant (on est presque tous.tes passé.es par des stages où on se faisait exploiter et où on était préparé.e à rien, c’est devenu la norme) j’ai décidé de glisser pas mal d’humour dedans, en jouant sur le fait que les persos ont peu de chance de survivre.
L’avantage c’est que ça fait de chaque mission réussie quelque chose de très satisfaisant (« waaah j’ai survécu à ça moi ?? »). Et, comme on peut l’observer souvent, le fait de poser un vernis d’humour sur un concept ne l’empêche pas d’aborder des vrais sujets, ici le néolibéralisme (thème à l’honneur cette année, dans la mesure où la première forge de l’inénarrable Altay, Les Brigades du Trime, abordait aussi le sujet, ainsi que Séminaire [d’entreprise] de mon camarade Dakayl).
Sur ce concept de base, donc, j’ai claqué une esthétique très cthulhu-esque, inspirée de Delta Green et du cycle de la Laverie : des histoires où la lutte contre l’occulte est la responsabilité d’organisations gigantesques, paradoxalement aussi tentaculaires et déshumanisantes que les entités lovecraftiennes peuvent l’être.
Pour les règles, j’ai tendance à considérer que c’est la partie la moins importante de la première forge : la place manque pour faire quelque chose de réellement complexe, et c’est de toute manière une des premières choses que la personne suivante s’approprie en deuxième forge, à mesure que le concept se précise. Comme, par ailleurs, j’ai la fibre minimaliste, je suis resté sur un système simple et efficace, qui a fait ses preuves.
Ton opinion sur ce qu’il est devenu ?
La deuxième et la troisième forge sont globalement dans la continuité de la première, presque un peu trop. D’un côté c’est plaisant que le concept ait suffisamment plu pour que les gens le réutilisent presque tel quel, d’un autre côté je me demande que ça aurait pu donner en bidouillant un peu plus le concept ! Par exemple (j’en discute actuellement avec un autre participant dont je tairais le nom, il est possible qu’on prévoie d’en faire ensemble une version étoffée) faire du maître de stage un vrai élément de jeu, peut-être changer le système de jeu, ajouter une mécanique roleplay de création de persos via le remplissage de CV, etc. Y’a encore beaucoup à faire !
Payées en invisibilité (*amulettes non fournies) conte les investigations occultes d'un groupe d'adolescent.es en stage de 3e chez l'illustre Société Armitage-Van Helsing.
Accordez votre pendule, affutez vos lames de Tarot et chassez les fantômes tout en mangeant des bonbons.
On en dit :
- Ça fait un peu Harry Potter du pauvre : version collège Jean Zay de la Creuse classe 3eme aménagée.
- Le système de création des personnages est étonnamment vaste pour un jeu 3FF.
- Proposer un jeu de tarot et un dé comme « diseur de vérité » est original.
- C’est subtil mais il y a un ton enfantin (« fastoche ») très bien vu ça ou là, des références subtiles mais bien amenées.
La troisième version a changé le système de jeu pour l’emmener dans une direction assez différente par contre, c’est pas forcément là que je l’aurais emmené mais c’est aussi ça l’intérêt du 3FF ! Mon petit regret est surtout que j’ai senti cette troisième forge plus lisse, moins acide, que mon concept originel. Là où j’essayais, gentiment, de souligner l’absurdité du système de stage tel qu’il est actuellement conçu et l’imposture de ces grandes boîtes qui ont un tiers de stagiaire dans leurs effectifs, le contexte transposé à des collégiens et des collégiennes m’a paru moins parlant. Mais c’est peut-être une histoire de sensibilité personnelle, et je salue Arca d’avoir tout de même rendu quelque chose de très intéressant en ayant seulement une petite semaine pour travailler dessus !
Quel accueil Payées en Invisibilité* a-t-il reçu ?
Pas mauvais du tout ! Le jeu a fini dans le milieu du classement, et les notations et commentaires étaient plutôt positifs. Je suis assez d’accord avec les critiques et les félicitations qui lui ont été faites, perso, je trouve ça assez honnête.
Arca a repris en 3e Forge ce jeu qui avait été abandonné ; il a eu bien moins de temps que les autres auteurs - ce classement (15e) dans ces conditions est remarquable !
Deuxième étape : récupérer un JdR et en créer un de 11000 à 14500 signes
Comment as-tu perçu La Jonque, de Mugmax (le jeu que tu as reçu à développer pour l’étape 2) ?
Immédiatement j’ai hésité entre « oh c’est trop cool comme concept » et « waaah c’est trop perché comme concept ». Honnêtement c’est la situation parfaite dans laquelle se trouver pour une première forge : tu vois des choses géniales à garder, des choses sans importance que tu peux enlever et des choses à changer !
Pour être honnête, je me suis aussi dit « le pauvre, je sens que je vais complètement changer ses concepts ». Mais c’est aussi le jeu du défi : s’approprier les créations de quelqu’un d’autre !
J’ai changé un peu l’univers, que j’ai transféré du contexte original – inspiré par la Chine et l’Asie en général – vers quelque chose de plus inspiré des marins méditerranéens à travers l’Histoire. D’abord parce que je crains toujours l’orientalisme (on va pas se mentir, si le jeu final est joué, ça sera par des petits Français dans mon genre qui n’ont jamais mis les pieds en Chine, et ça sera bourré de clichés idiots)… Et ensuite parce que c’est un contexte que je connais mieux et qui m’inspire beaucoup, tout bêtement !
Le second truc important que j’ai changé, c’est le système. On était là sur un système de divination inspiré du Yi King qui demandait de lancer quatre pièces à chaque jet pour déterminer le résultat sur une table de hasard. Quatre pièces c’est long, et une table de hasard au final c’est strictement équivalent à un lancer de dé.
J’ai remplacé tout ça par un système un peu oraculaire ou les vents changent au fil de la partie et déterminent ta réussite selon quels vents tu as choisi pour ton personnage. Ce qui est intéressant, c’est que rétrospectivement en faisant ça j’ai échangé un système inutilement complexe contre un autre !
Ton opinion sur ce que Tunime en a fait en 3e étape, et l’accueil qu’il a reçu ?
Les Myriades de Turquoise, archipels composant l’océan Cruel, monde onirique où les vents se rencontrent. Les Arpenteuses - aventurières faites de courage, de panache et de ruses y voyagent.
Vent debout (un jeu de destins et de vents contraires) est un jeu onirique où tout se croise et se rejoint pour vivre une aventure inoubliable.
On en dit :
- Un jeu de pirates ! J’aime les jeux de pirates ! Un jeu avec des vents différents ! J’aime Damasio !
- Un jeu de rôle onirique qui permet de jouer le fantasme d'explorer un univers plein de magie étrange et de poésie, c'est oui !
- Le voyage, la liberté et en filigrane, le collectif.
Vent Debout a reçu un assez bon accueil (huitième ex-aequo !), et bravo à Tunime pour le résultat ! Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'avec un peu plus de travail de ma part en seconde forge, il aurait pu faire encore mieux. C’est un peu ma faute. Je lui ai laissé un embrouillamini de règles très intéressantes mais à harmoniser entre elles et à simplifier, et je soupçonne que c’était un boulot un peu lourd à lui laisser ^^’
Je regrette un peu de ne pas avoir été dispo pour tester sa version dans la 3FF-conv, pour être honnête, je pense qu’il y avait des idées intéressantes quand même, et j’aurais bien aimé voir comment l’auteur les gérait !
Troisième étape : récupérer un JdR de 2e étape et le passer à 28000 signes max
Quelle fut ta réaction en recevant Les Brigades du Trimes 2 de Papaphilo, que tu devais développer et qui allait être jugé ?
Honnêtement, plaisir et frustration. D’un côté j’aimais beaucoup le jeu, ses thèmes, etc… D’un autre côté va trouver quoi ajouter ou changer sur un machin pareil, déjà bien fichu ! J’ai eu du mal à trouver comment être dans la continuité sans recopier les deux tiers de la seconde forge.
Qu’en as-tu fait ?
J’ai rééquilibré quelques éléments, rajouté quelques règles, enlevé une ou deux autres et j’ai décidé de déplacer le jeu plus loin dans le futur pour lui donner un aspect science-fiction franchouillarde, une sorte de OSS 117 spatial, presque. Et bien sûr j’ai retravaillé la proposition graphique et ajouté un scénario pour améliorer la jouabilité.
Pour ce qui est de la couverture (j’aime beaucoup travailler les designs, surtout sur des propositions un peu surprenantes comme ça), j’ai utilisé un petit mélange de techniques, en me basant sur ce qu’on appelle couramment le photobashing, c’est à dire l’usage de photos que tu mélanges entre elles pour former les images dont tu as besoin.
C’est une technique indispensable à l’auteur.trice de JdR moderne, pour moi : rien qu’avec des photos libres de droit et une vague connaissance de Gimp/Photoshop on peut faire quelque chose qui tient tout à fait la route. Pour la station spatiale en force de Tour Eiffel, par exemple, c’est fait à partir d’une image de Tour Eiffel, un design de vaisseau spatial, une photo de station spatiale, quelques textures style « panneaux de métal » et « poutrelles » et une photo de container.
Un peu de flou par endroits, de l’assombrissement/éclairage pour donner du relief et permettre à l’œil de ne pas trop buter sur la jonction entre les différents éléments, et paf ! Ça fait une illustration de couverture tout à fait correcte ! En tout ça a dû me prendre deux heures, et c’était beaucoup plus fun à faire que de donner des consignes à une quelconque IA (mais je m’égare...)
Les Brigades du Trime est parti en finale, quels ont été les retours des pairs et du jury ?
Les Brigades du Trime est un jeu de rôle Giscard-punk futuriste, où les PJ incarnent des inspecteurs et inspectrices du travail dans une dystopie néolibérale un peu décalée, et pourchassent la fraude partout, des petits villages aux stations spatiales.
On en dit :
- Le concept est original et clairement je n’ai jamais vu ça avant, et c’est une uchronie pas encore ultra poncée malgré le fait que ça soit les années 80.
- La figure du Président-à-vie Giscard est enrobée de beaucoup de mystère, et sa réinterprétation façon empereur-dieu de la francophonie est très sympathique.
- Un jeu qui critique les dérives de ce qu’on appelle l’extrême-centrisme, le capitalisme et tout.
Globalement très positifs [le jeu est arrivé 4e]. Certaines critiques sont assez récurrentes, et c’est toujours une bonne chose : ça veut dire que ces points sont effectivement à améliorer absolument. Ça donne envie de travailler sur une version améliorée un de ces jours, pour être honnête, même si il faut arriver à caser ça entre tous mes autres projets.
Notation des pairs
Parmi les jeux que tu as notés, lesquels recommanderais-tu ?
Deux d’entre eux m’ont beaucoup convaincu, je dois dire, de manière très différente.
Dans le cas du premier, Romances, Occultisme & Conspirations de Altay [2e], c’est l’originalité qui m’a marqué, surtout dans la proposition de jeu (même si les règles ne déméritent pas, loin de là !), et dès le manuel fini j’ai eu envie de tester ce JdR .
Pour le second, Lacérations Déchirantes 3 de LeBahr [3e du classement], c’est tout l’inverse : on est sur une idée qui a déjà été traitée cent fois, quelque chose de vu et revu, et pourtant à mesure que je lisais le manuel je me suis surpris à m’extasier sur certains aspects des règles (j’adore l’utilisation qui est faite du jeu de la bouteille et je ne me remet pas de la pertinence de ce choix) et à adorer la présentation générale. Le jeu m’a donné envie de l’essayer, bien sûr, mais il m’a surtout rempli la tête de nouvelles idées et de propositions de gameplay originales !
3FF conv
Quel souvenir gardes-tu de la 3FF-conv, où l’on joue sur Discord aux JdR des Défis ?
Les retours des joueurs, après la partie que j’ai eu le plaisir de mener à la 3FF-Conv, étaient globalement les mêmes que ceux du jury : essentiellement des mécaniques de jeu encore à polir, un peu de rééquilibrage… Des choses très ordinaires pour une troisième forge, au fond. Je pense que si j’avais eu l’occasion de mener une partie avant la convention, j’aurais pu rendre une version légèrement meilleure du manuel, mais malheureusement je n’ai pas pu trouver le temps – un problème récurrent chez moi.
Le Défi
Quel bilan tires-tu de ta participation au Défi PTGPTB Trois Fois Forgé de cette année ?
C’est un exercice qui me plaît décidément vraiment, et que j’ai hâte de refaire. Rien de mieux pour sortir de sa zone de confort et se découvrir de nouvelles idées, expérimenter de nouvelles règles, apprendre aussi le lâcher-prise…
Pour moi c’est d’ailleurs ce dernier élément qui est le plus important : quand on aime créer du jeu de rôle en indépendant, on a très vite tendance à se comporter comme le seul maître à bord, à oublier de sortir de sa vision des choses pour prendre en compte celle des autres… Sans compter qu’il est toujours très difficile d’abandonner ses bébés aux mains de quelqu’un d’autre. Avec le défi 3FF, je me retrouve toujours à me rappeler que les autres aussi ont quelque chose à apporter à mes projets, et qu’il y a quelque chose de magique à voir son idée originale devenir quelque chose de tout à fait différent !
Et le tout en racontant des conneries avec des gens biens ! Chaque année de nouvelles voix nous rejoignent, et ça fait partie du plaisir d’apprendre à les connaître.
Vas-tu produire une nouvelle version de tes jeux du défi ?
J’ai très très envie de faire une Director’s Cut des Brigades du Trime, et j’avoue que mes deux autres propositions me plaisaient tellement que je risque aussi d’y retourner un de ces jours !
Participeras-tu au 9e défi à partir du 14 octobre 2024 (date de rendu des premiers jeux) ?
OUI
Expression libre ?
Le défi 3FF incarne vraiment l’émulation plus que la compétition. On est là, à discuter de ce qu’on fait, à se passer des idées, à apprécier le travail des autres, et ça nous encourage à donner de notre mieux. C’est un défi, pas un concours : on est là pour se challenger tous ensemble à faire de notre mieux… Et à nous amuser. Et moi ben je m’amuse bien chaque fois, et j’aimerais remercier l’organisation comme les participant.es pour ça !
Cœurs sur vous, et hâte de vous (re)voir pour une prochaine édition !
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