L’Art du Rythme : Préparer des Bangs
© 2015 Justin Alexander
Les bangs ! [« BANG ! Il se passe ça. Que faites-vous? » (NdT)] sont ces instants explosifs qui chamboulent l'enchaînement des événements d'une scène et forcent les Personnage des Joueurs et des Joueuses à faire des choix importants. Mais, vous n'avez pas nécessairement besoin de tous les improviser. En fait, les bangs sont des moyens très flexibles et efficaces de préparer une partie.
Dans Sorcerer grog, Ron Edwards utilise une belle image pour présenter les bangs : la cartouchière. Le MJ arrive avec un stock de munitions (ses bangs), prêt à surenchérir et à balancer ce qu'il a préparé dans la mêlée.
Quelques exemples :
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Suzie appelle. Elle est enceinte.
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Un chevalier de la mort défonce la porte.
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Votre assistant IA se met à hurler. Votre système est piraté par une chose horrible.
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Un miasme sombre s'étend sur la surface de la lune. Les loups-garous commencent à saigner des yeux.
Attrapez-en un et lancez-le, comme une grenade.
Projecteurs
Les bangs obligent à faire des choix. Si les choix imposés par un bang particulier (et les actions qu’il amène dans la partie) sont centrées sur un PJ, alors ce bang va le placer sous le feu des projecteurs. Un bon moyen de rendre captivante une partie de JdR est simplement de poser la question : « Qu’est-ce qui pourrait arriver d’intéressant à chacun des persos aujourd'hui ? ». Balancez-leur ces bangs, et observez ce qui se passe.
Le signal ptgptb est une technique pour développer cette mise sous les projecteurs. L'idée sous-jacente est que la fiche de personnage et son historique en disent long sur ce qui intéresse son joueur ou sa joueuse : s'il est doté de compétences d'investigation, vous devriez sûrement lui proposer des mystères bien croustillants. Si le background du personnage déborde d'ordres de chevalerie, il est probable que sa joueuse veuille interagir avec les chevaliers royaux. Et ainsi de suite.
(Bien sûr, il s'agit plus d'un art que d'une science. Par exemple, certains peuvent mettre des points dans un domaine parce qu'ils le trouvent ennuyeux et préfèrent s'en débarrasser rapidement et pas du tout parce qu'ils le trouvent intéressant. Mais ces exceptions sont rares et, en cas de doute, il suffit d’en discuter avec les joueurs) (1).
Clés
Dans L’Ombre du Passé ptgptb, Clinton R. Nixon introduit le concept de clés : il s’agit des motivations, des problèmes, des liens, devoirs et loyautés sélectionnés par les joueurs lors de la création des personnages. Par exemple :
Clé de la soif de sang
Le personnage aime écraser les autres au combat.
1 xp : Le personnage bat quelqu'un au combat.
3 xp : Le personnage vainc quelqu'un de puissance égale ou supérieure
Révocation : Le personnage est vaincu au combat.
Clé de la mission
Le personnage a une mission personnelle qu’il doit accomplir.
1 xp : Le personnage entreprend une action pour accomplir cette mission (2 xp si l'action est réussie)
5 xp : Le personnage entreprend une action qui achève une partie importante de cette mission.
Révocation : Le personnage abandonne la mission.
Je vais utiliser ce terme de manière générique et désigner par clé tout mécanisme ou méthode de création de personnage qui formalise la création des signaux. C’est ce qui permet aux joueurs de dire précisément « Voici ce qui est important. Tu devrais l'utiliser. » Et lorsque ces mécanismes existent, le MJ doit les utiliser à travers des scènes clés : ce sont des occasions offertes pour utiliser ces clés.
Les mécanismes autour des clés ont été mis en avant dans un tas de jeux indépendants ces dix dernières années [l’article a été écrit en 2015 (NdT)], mais on les retrouve un peu partout. Par exemple, les Clés de L’Ombre du Passé ont presque la même mécanique que les « récompenses individuelles de classe » que l'on trouve dans le Guide du maître grog d'AD&D 2e édition (2). La création d'Alliances dans Ars Magica grog est également remplie d'indices à utiliser par le MJ.
Amorces
Dans Sorcerer, Ron Edwards utilise le concept d’amorce (3) : un bang spécifique, qui change le cours de la vie du PJ. Il est défini par le joueur ou la joueuse lors de la création du personnage et se produit tout au début de l’histoire :
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Leur mère est assassinée.
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Iels gagnent à la loterie.
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Le village est réduit en cendres.
En impliquant les joueureuses dans la création de ces « bangs de démarrage », vous pouvez leur donner beaucoup d'agentivité ptgptb pour orienter la forme que prendra la campagne. Mais même si vous créez les amorces sans faire participer les joueuses, il s'agira toujours d'une technique efficace pour impliquer les PJ dans la campagne.
Par exemple, l'un des moyens les plus rapides de personnaliser une aventure du commerce est de trouver comment lier les amorces de l'aventure directement aux PJ (leurs intérêts, leurs soucis, leurs objectifs). Une fois que vous avez fait cela, tout le reste coulera de source.
Les amorces de Sorcerer sont de nature épique car Edwards les utilise pour lancer (et mener) des campagnes entières, mais on peut aussi utiliser le concept d’amorce pour créer des aventures à plus petite échelle.
Si vous découpez votre campagne en actes, vous pouvez par exemple préparer la situation initiale comme une boîte à outils (cf. Ne préparez pas d'intrigue ptgptb), puis déterminer les grands bangs qui seront efficaces pour faire décoller la partie depuis cette situation. Vous n'avez rien d'autre à faire. À partir de là, vous pouvez vous contenter de réagir à ce que font les joueurs.
Présenté ainsi, il devient sans doute évident que vous connaissez déjà les amorces sous un nom plus commun : les accroches de scénario. Mais cette idée d'accrocher joueurs et joueuses à un scénario semble souvent limiter leur palette d’options à il y a un gars dans une taverne qui veut les embaucher.
Penser à ces accroches au travers du prisme du bang peut vous aider à élargir votre concept de ce qu’elles sont réellement. Au lieu de vous contenter de : « Comment faire en sorte que les PJ prennent conscience de ce truc génial ? », vous pouvez réfléchir à la façon de démarrer les choses avec un bang.
Pour le dire plus prosaïquement : les accroches de scénario ont tendance à débarquer avec un programme vraiment limité. (« Accepteront-ils l'offre d'emploi de Bob ? »). Pour bien démarrer, il faut des amorces plus convaincantes et des enjeux plus importants.
Chronologie
Ptolus: Running the Campaign – Ambushing Your Timelines en
Bien entendu, vous n'êtes pas obligé de préparer des bangs seulement pour le début d'une partie. Une façon efficace d'organiser votre préparation est d’utiliser une chronologie : le bang X se produit au moment Y. D'autres choses peuvent se produire en réaction directe aux choix faits par les PJ, mais l'horloge continue de tourner et le prochain bang qui leur compliquera la vie se rapproche inexorablement.
J'ai également souvent constaté que ces chronologies pouvaient être un outil conceptuel utile pour les personnes ayant du mal avec le principe général des bangs. Par exemple, en voici une, extraite d'un ancien compte-rendu de ma campagne de Ptolus en :
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27/09/790 : Les PJ accèdent à leurs coffres d’Hammersong.
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28/09/790 : Arveth utilise l’autel de la vengeance sur Tee !
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28/09/790 : Une équipe de choc de Pactlords arrive à la Tombe d'Alchestrin !
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29/09/790 : Maystra et Fesamere Balacazar approchent les PJ. Elles veulent les engager pour s'introduire dans la Maison Blanche !
Certains de ces évènements sont des rendez-vous pris par les PJ. D'autres sont des embuscades. Mais chacun d'entre eux est un bang qui ne demande qu'à retentir : lorsque l’heure est venue, on amorce une nouvelle scène, on définit son programme et on la démarre avec un bang.
(C'est pourquoi je trouve généralement utile de tenir à jour deux calendriers distincts dans mes notes de campagne : un pour les choses qui se passent en arrière-plan, et l'autre pour les choses qui vont affecter directement les PJ).
Une autre chose à noter à propos de ces points de chronologie : ces bangs ne sont pas complètement formés. Il s’agit plutôt de balles prêtes à être tirées. Le moment venu, le bang devra être adapté à la situation des PJ.
Par exemple, si les PJ sont chez eux lorsque Maystra et Fesamere viennent les chercher pour leur proposer un travail, alors le bang se produit lorsque les membres bien connus d'une famille criminelle qui leur en veut franchissent leur porte. Si les PJ ne sont pas chez eux, le bang se produit lorsqu'ils rentrent et trouvent la lettre qui a été laissée pour eux.
Bang ! Sur la table (aléatoire)
Une autre forme de bang préparé, à laquelle on pense rarement, est la rencontre aléatoire.
J'ai parlé par le passé alex de l'effet sur l'exploration de donjons de cette règle d'OD&D grog : 1 chance sur 6, chaque tour, de générer une rencontre aléatoire. Si vous considérez chaque rencontre aléatoire comme un bang, ce système les délivre à un rythme soutenu. Voici un autre exemple quefaitesvous qui montre que la structure classique d’exploration de donjons permet aux MJ néophytes de rythmer efficacement leurs parties.
Le problème de cette forme de bang, cependant, est qu'il s'agit souvent du même bang (« Un Pokémon sauvage apparaît ! ») menant au même programme (« Pouvez-vous vaincre le Pokémon sauvage ? »). Comme je l'ai décrit dans Breathing Life Into the Wandering Monster alex [Insuffler la vie dans le monstre errant], vous pouvez résoudre ça en contextualisant la rencontre d’une nouvelle manière.
Par exemple, si vous obtenez comme rencontre aléatoire « 8 squelettes », vous pouvez opter pour le bang convenu : « vous voyez huit squelettes et ils vous attaquent ». Vous pouvez enrichir et varier le bang : « À l'intérieur des sarcophages, de chaque côté de la pièce, vous entendez un bruit d'os qui grattent la pierre. » Vous pouvez également changer de tactique en faisant évoluer le programme : « Vous voyez huit squelettes. Ils sont disposés autour d'un énorme mécanisme composé d'engrenages en bois. Certains squelettes tirent des leviers, d'autres poussent des roues. »
OD&D proposait une mécanique pour varier l’ordre du jour via l'utilisation de tables de réactions aléatoires. [L'éditeur de suppléments pour D&D] Judges Guild grog a appliqué des techniques similaires aux rencontres urbaines alex, en séparant les étapes de génération de la rencontre de celles où on détermine pourquoi et comment on fait cette rencontre.
Bang ! Bang ! Bang ! À bas le dirigisme !
[« Bang Bang » - à écouter en lisant cet article et en repensant à Kill Bill (NdT)]
Préparer des bangs spécifiques et évocateurs avant le début de la partie amène un risque : encourager le dirigisme ptgptb - voire directement créer le dirigisme, selon les techniques employées. Quelques conseils pour éviter cela :
Premièrement, les bangs ne doivent jamais imposer la réponse d'un personnage. En fait, comme je l'ai déjà mentionné, les meilleurs bangs sont ceux qui ouvrent le plus de choix. Notez la subtile distinction entre :
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« Sauver la princesse » / « Découvrir que la princesse est piégée »
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« Tuer le loup » / « Entendre le loup hurler ».
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« Échapper à la police » / « Entendre les sirènes de la police s'arrêter à l'extérieur ».
Deuxièmement, comme je l'ai décrit avec l’usage des chronologies ci-dessus, vous pouvez souvent préparer des balles au lieu de bangs. Ces bangs à moitié formés peuvent rapidement être mis à jour en cours de partie, en fonction de la situation actuelle des PJ.
Troisièmement, ne préparez pas vos bangs plus que nécessaire. Comme leur nom l'indique, ils sont toujours censés être clairs et concis. Si vous écrivez plus d'une phrase ou deux pour vos idées de bangs, vous vous y investissez probablement trop. Passez moins de temps sur les bangs (ce qui vous permettra de les laisser tomber plus facilement si les joueurs prennent une autre direction) et davantage de temps à la préparation de la boîte à outils alex de votre scénario.
Au début de cet article, j'ai parlé d'une cartouchière de bangs : les cartouchières vous donnent des options explosives, mais les grenades ne sont pas enclenchées : vous n'avez pas encore tiré les goupilles. Les bangs sont là, prêts à l'emploi, mais vous découvrirez quand, où, et comment les utiliser pendant la partie.
Boom.
Article original : The Art of Pacing: Prepping Bangs
Sélection de commentaires
kalyptein
En parlant des signaux qui tiennent plus de l’art que de la science, je suis tombé sur un autre cas où ils peuvent être mal interprétés. En gros, il s'agit d'un élément qui figure sur la feuille du personnage parce que le joueur considère qu’il fait partie de l'image ou de la sensation recherchée, mais qui ne l'intéresse pas nécessairement en tant que moteur de jeu.
Par exemple, je crée un preux chevalier errant. Il a une famille, un manoir, des liens féodaux et ainsi de suite, parce que cela fait partie de la vie d'un chevalier. Mais cela ne m'intéresse pas d'avoir à laver le nom de ma famille, ou de devoir choisir entre suivre les ordres de mon seigneur et ma propre conscience, ou quoi que ce soit d'autre. Je veux juste gagner des joutes, tuer des dragons et sauver des jeunes filles, et le reste n'est qu'un bagage nécessaire.
J'ai pris l'habitude de questionner mes joueurs sur les signaux de leurs feuilles de personnage afin de ne pas me retrouver (à nouveau) dans cette situation. Je pense que la plupart d'entre eux seraient d'accord pour qu’on introduise ces éléments au bout d'un certain temps ; ils ne veulent simplement pas le faire immédiatement. De la même manière, le pilote d'une série de super-héros n'utiliserait pas l'intrigue « oh non, vous avez perdu vos pouvoirs », mais ça pourrait être cool dans la saison 3.
Justin
Je pense que le dernier paragraphe peut être généralisé et devenir un conseil universel : la première fois qu’on utilise un signal dans une scène, on doit le prendre pour argent comptant. Avant de l'endommager, le détruire, l'inverser ou quoi que ce soit de ce genre, il faut d’abord l'établir, pour obtenir le droit de le manipuler.
Aeshdan
@Kalyptein « Cela ne m'intéresse pas d'avoir à laver le nom de ma famille, ou de devoir choisir entre suivre les ordres de mon seigneur et ma propre conscience, ou quoi que ce soit d'autre. ».
J'ai pensé récemment à cela. L'un de mes derniers personnages était un paladin du Serment Radieux sur Golarion, et j'avais en fait inventé des personnages pour son historique (son père était un clerc prospère dans la capitale de Taldor, sa mère était une réfugiée Tiennoise, elle avait une sœur plus jeune qui étudiait, je crois, pour devenir cheffe cuisinière). La campagne a implosé après quelques séances à cause de la pandémie, mais j'ai réalisé après coup que j'aurais été très mécontent si le MJ avait essayé d'utiliser les personnages de mon historique comme des amorces.
En revanche, dans d’autres campagnes, j'ai lié l’historique de mon personnage à d’autres personnages secondaires avec l'intention explicite qu'ils servent d'accroches pour l'intrigue. Dans une campagne, mon personnage était un enfant trouvé, élevé par des moines, et j'ai explicitement dit au MJ : « Tu peux faire de la véritable filiation de mon personnage ce qui te semble le plus intéressant pour l'intrigue ».
C'est l'un des avantages de ce que Justin appelle les clés : elles permettent au joueur de préciser explicitement quelles parties de l'histoire de son personnage sont destinées à fournir au MJ des accroches de l'intrigue, et quelles parties doivent rester sacro-saintes.
colin r
@Aeshdan : « elles permettent au joueur de préciser explicitement quelles parties de l'histoire de son personnage sont destinées à fournir au MJ des accroches de l'intrigue »
Il me semble que ceci pourrait être codifié dans absolument n'importe quel système, indépendamment des mécanismes de jeu. Tout ce qu'il faut, c'est un MJ qui aime l'idée et veut l'utiliser.
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Les joueurs sont encouragés à écrire 1 à 3 propositions d’une ligne sur l'histoire de leur personnage qu'ils veulent que le MJ utilise dans la partie.
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Le MJ copie ces lignes pour chaque personnage sur une feuille de papier qu'il conserve au début de ses notes de campagne.
L'ajout d'un support mécanique comme dans L’Ombre du Passé ptgptb (un bon jeu d'ailleurs, qui vaut la peine d'être découvert) permet de rappeler et de former les joueurs et les MJ inexpérimentés à utiliser ces accroches, mais c'est loin d'être nécessaire. Parfois, cela peut même sembler artificiel pour les joueurs de déclarer « ouais, ce truc que j'ai fait aujourd'hui a vraiment contribué à la Guerre des Géants » ou autre, juste pour obtenir leurs points d'expérience.
(1) NdT : relisez Tout sur la feuille de personnage est un signal en complément de cet article ! [Retour]
(2) NdT : Pour en savoir plus sur ces « récompenses individuelles de classe », voir aussi Les Points d'Expérience dans les premiers D&D et notamment les commentaires de Pablo Rojo et de Sébastien Lebas. [Retour]
(3) NdT : Dans le texte original, Justin utilise le terme kicker qui évoque de nombreuses images, dont celle du démarrage d’une moto à coups de pied. Nous avons choisi de le traduire par "amorce", en référence aux amorces de scénario autant qu’au bruit effectué par ces sortes de pétard. [Retour]

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