Fabien C : la Domination (au Défi 3FF7)
Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Fabien Clémenti, la quarantaine bien entamée, dans le jeu de rôle depuis l’adolescence, mais également dans la musique et l’écriture, bref dans la création au sens large (j’ai même fait des enfants et un meuble sur mesure, c’est dire).
Première étape : un jeu de rôle de 6666 signes max
- Quelles étaient tes objectifs lors de l’écriture de Race with Giants, ton jeu de l’étape 1, qui met les joueurs dans la peau du Surfer d’Argent ?
Coup de coeur - Race With Giants
Vous êtes des Héraults galactiques qui précédent des Géants destructeurs de planètes... Qui essaierez-vous de sauver, et réussirez-vous ?
Un thème prenant et des mécanismes simples, un bijou de concision !
Je voyais le jeu comme un space opera à mission cependant je craignais qu’il ne soit trop répétitif. J’optai donc pour un jeu plus court, façon jeu apéro, sans préparation. Il me fallait pourtant garder le côté urgent et pressant des missions. D’où l’introduction des minuteurs, qui me garantissait également que les joueurs n’allaient pas passer la partie à créer "le plan parfait".
Que sont les minuteurs ?
L’adversité (et la pression) vient de deux minuteurs. L’un qui définit la durée de la partie, en fonction du nombre de joueurs et qui est immuable. L’autre est la monnaie du jeu : on gagne ou perd des tranches de 5 mn en fonction des actions que l’on choisit. Dès qu’un des deux décomptes est à 0, la partie s’arrête et l’on regarde les galaxies que les joueurs ont réussi à sauver… ou pas.
Initialement écrit avec MJ, lors de l’explication des règles à mes playtesteurs j’ai réalisé qu’il n’était pas utile, les joueurs créant toute la narration et l’adversité étant assurée par le système et les minuteurs.
Les choix des joueurs étaient également importants pour moi. Il devait y avoir de l’arbitrage et des drames. Pour cela, et pour distinguer le jeu d’un jeu de plateau, le système inclut la création de lien entre les joueurs et les parties de l’univers qu’ils tentent de sauver.
Ton opinion sur ce qu’il est devenu ?
Le concept de base est resté comme l’esprit jeu apéro. Le système a entièrement changé au profit d’une motorisation "dérivée de Pour la Reine" qui est efficace pour créer du contenu et des amorces d’histoire mais ne propose aucune tension lors de la partie à mon avis. Un système de résolution y est adossé pour décider de la finalité. Ce dernier manque de précision, le remplissage de la jauge d’action se faisant via une évaluation subjective de l’idée du joueur. Pour moi il aurait alors mieux valu le passer intégralement en jeu narratif.
Quel accueil la dernière version - Face au Géant - a-t-elle reçue ?
Face au Géant est un jeu pour 2 à 4 personnes, qui propose d’incarner les élues d’une cité menacée par un géant.
À l’aide de cartes, les élues vont définir la ville et leurs personnages. Il leur faudra prendre des décisions difficiles pour sauver la ville.
La cité d’Alun mérite-t-elle d’être sauvée ?
Il est 11e au général, avec de bons commentaires :
- une civilisation est « droguée » à une source d’énergie qui amène sa chute. Que faire ?
- On ressent l’avancée du géant avec les dés qui apparaissent peu à peu et ne sont pas relancés.
- On a envie de rejouer rien que pour faire de meilleurs jets.
L’ambiance y est, la lutte désespérée contre un ennemi implacable parle au rôliste. Et pour une fois, ce n’est pas un dragon !
Deuxième étape : récupérer un JdR et en créer un de 11000 à 14500 signes
Comment as-tu perçu Tarot Mystique, le jeu que tu as reçu pour l’étape 2 ?
Les joueurs incarnent des Maudits qui ont déchaînés les esprits du tarot. De par cette malédiction, leurs esprits sont projetés dans une réalité étrange : le Monde du Tarot. Parviendront-ils seuls à retrouver le chemin vers leur enveloppe charnelle ou devront-ils passer un marché avec les esprits ?
Le concept était annoncé abruptement (tu as mélangé un jeu de tarot ? paf, tu es maudit !) mais il n’en était pas moins intéressant.
Par contre le système reprenait le jeu traditionnel meneur + joueurs avec une mécanique de résolution par compétence mais avec des cartes de tarot pour être raccord avec le thème.
C’était clairement là-dessus que je devais travailler pour créer l’originalité.
Qu’as-tu changé et pourquoi ?
Je suis passé dans un mode de jeu 100% compétitif. Déjà car c’est très rare en JdR (autant être original) ensuite parce que c’était cohérent avec le tarot et le thème que je voulais développer.
Plutôt qu’une malédiction et un monde hostile à fuir, j’ai préféré que les joueurs y entrent volontairement pour y chercher une récompense ultime, mais d’où un seul en sortira…
Cela impliquait que tous les joueurs participent, mais également que chacun ait la possibilité de mettre des bâtons dans les roues des autres.
Donc un système asymétrique avec MJ tournant. En fonction de son rôle pour la manche, les actions de jeu ne sont pas les mêmes. Cela permettait également une dimension stratégique sur la longueur, chaque joueur pouvant tenter de gagner, aider un autre joueur à gagner ou même faire perdre tout le monde.
La narration n’était pas oubliée : j’ai conditionné les effets obtenus en sacrifiant des cartes à des questions narratives, pour étoffer l’histoire de son personnage et créer des liens avec les autres.
Le jeu est en complète émergence et demande beaucoup d’implication de tous les joueurs, mais les possibilités sont immenses puisque les personnages vont évoluer dans l’imaginaire torturé de chacun d’entre eux. J’encourage à recycler des visuels surréalistes, notamment ceux des jeux Dixit et Mysterium.
Arcania, Coup de coeur
Une table de jeu où votre perso joue son âme contre celle des autres joueurs, dans un monde onirique, en espérant gagner la possibilité de réaliser son souhait le plus cher... Mais gare à la possession par l'Antagonisme !
Ton opinion sur ce que Arcania est devenu en 3e étape, et l’accueil que ce jeu a reçu ?
LeBahr en a fait totalement autre chose et c’est tant mieux !
La Mémoire des Pierres (5e)
Les témoins doivent disparaitre.
Les médiums sont là pour ça.
Les militaires s'en assureront.
Un JdR d'horreur à narration partagée autour d'un jeu de Tarot
Il a gardé la présentation du jeu par un narrateur, le jeu de tarot et le système asymétrique. Pour de reste, son thème est sombre, politique et inspirant. À la fin de la lecture, j’ai vraiment ressenti que le jeu avait acquis une âme…
Troisième étape : récupérer un JdR de 2e étape et le passer à 28000 signes max
Quelle fut ta réaction en recevant Marxists & Martians, le jeu que tu devais développer et qui allait être jugé ?
Vous incarnez des agents de la S.T.A.R., patriotes jusqu’au bout des ongles, qui ont juré sur la Bible de protéger le pays des traîtres bolcheviks à la solde du Kremlin ou des machiavéliques petits hommes verts obsédés par la destruction de l’American Way of Life.
Je l’ai trouvé très intéressant dès la première lecture. La légèreté assumée du ton, le côté provocateur et cliché. Tout cela me parlait. Et en me documentant sur la période et l’UFOlogie je me suis rendu compte que le fond était déjà très bien documenté et parfaitement encré dans le réel (en tout cas de ce que l’on en sait…).
Le système développait de très bonnes idées, plutôt minimaliste et clairement orienté vers l’enchaînement de scènes d’action débridée. Totalement ma came !
Qu’en as-tu fait ?
J’ai poussé le curseur à son extrême, avec en tête la série d’animation Archer pour le ton décomplexé, l’obsession du sexe et la folie assumée des persos.
Pour la rédaction, j’étais parti sur un manuel écrit par un technocrate et annoté par un agent un peu vantard. Mais limité par le temps et le signage, j’ai gardé l’idée du manuel d’entraînement, sur lequel on aurait laissé les phrases barrées par un relecteur/senseur. Le tout avec la plus belle des polices "machine à écrire".
J’ai repris les règles des cascades, des babioles martiennes, des explications Scully (non pas en référence à X-Files mais plutôt au reporter Frank Scully qui a posé les bases de l’UFOlogie dans un livre des années 50) et des "c’est le mur que je visais" en en faisant des compétences avec chacune un sous-système :
- le bulletin de presse dont la difficulté augmente à chaque réussite
- le bidule techno-alien qui rend plus dur les bulletins de presse
- l’échec calculé qui pousse l’agent à écoper de sanctions hiérarchiques
La création de personnage se fait le plus simplement du monde en assemblant un des 5 postes, qui définit les compétences ci-dessus, et une des 9 personnalités, qui apporte un avantage et une faiblesse. Les combinaisons sont multiples (45 !) et les intitulés des cartes permettent de vite définir le roleplay à adopter.
Reds Attacks est parti en finale, quels ont été les retours des pairs et du jury ?
C’était du ça passe ou ça casse, au vu du 10e degré omniprésent. Sans compter que le thème n’était pas des plus progressistes, avec son sexisme de rigueur et toutes les autres joyeusetés sociétales des années 1950-60. Et comme il n’est pas dans mes habitudes de me censurer, je n’y étais pas allé de main morte dans la rédaction… À tel point que j’ai inclus un avertissement pour dédouaner les auteurs des vilains propos qu’on pouvait y lire…
Force est de constater que le jeu a trouvé son public ! Pour sa thématique, d’abord. Il est vrai que la proposition est originale, ces années 50-60 étant ce flou culturel entre le look sulfureux mais daté des années folles et l’ambiance déjantée et colorée des années 1970. Le système a été apprécié pour sa simplicité et la part belle laissée à l’action, soulignant d’ailleurs les bonnes idées des précédents auteurs, notamment le jet de cascade.
Et quand les noteurs veulent y jouer, c’est la meilleure des reconnaissances possibles.
Agents de la S.T.A.R., (...) On vous a recruté pour
vos couilles, votre cœur bien accroché, pas pour votre QI…
Notation des pairs
Parmi les jeux que tu as notés, lesquels recommanderais-tu ?
J’ai eu le plaisir de noter deux jeux qui ont fini sur le podium :
- (M|H)a(ck|t)ers (3e) qui mérite le détour pour son intégration de l’univers à travers les cartes de tarots qu’on utilise pour créer les missions. Les histoires créées oscillent entre l’émergeant et l’oracle puisqu’on construit l’histoire à l’aide des cartes qui apportent de l’inspiration mais fixent également les axes du scénario.
- Coquelicots (1er), bien sûr, qui a toutes les qualités d’un jeu accompli : thème original, mécanique simple mais en adéquation avec le cadre, lisibilité. J’ai dû prendre un peu de recul pour le noter à sa juste valeur car il me semblait trop simple à la première lecture. Mais cette simplicité était réfléchie par rapport à sa cible enfantine et est au final sa plus grande force.
3FF conv
Quel souvenir gardes-tu de la 3FF-conv, où l’on joue aux JdR des Défis ?
C’est une très bonne initiative. Des playtests en direct avec des créateurs de jeux, c’est un complément parfait aux notations. Cela permet aussi de faire connaître le 3FF car on peut inviter des extérieurs au défi. C’était également l’épreuve du feu pour Reds Attack car je ne l’avais pas testé avant (contrairement à mes deux autres forges) et il a finalement aussi bien tenu la route que sur le papier.
Le Défi
Quel bilan tires-tu de ta participation au Défi PTGPTB Trois Fois Forgé de cette année ?
La deuxième marche du podium et mes 1ère et 2e forges en coup de cœur, on n’est pas loin du carton plein ! J’y vois surtout une meilleure compréhension de ce qui est attendu. En ce sens, je me suis clairement amélioré en dimensionnant mes propositions à chacune des phases.
Effectivement tu domines nettement les 17 concurrents… Que veux-tu dire par « mieux comprendre ce qui attendu » ? Tu as trouvé la formule magique pour plaire ? :)
Pas de formule magique. J’ai juste pris le parti, à chaque étape, de faire des jeux sans penser qu’il y aurait une reprise dans les forges suivantes. Penser aux autres phases en se disant que les autres compléteront ne marche pas. La 3FF est une épreuve de création itérative, non collaborative. Chaque auteur successif construit son jeu sur les fondations du précédent, quitte à mettre à bas une grande partie de ce qui a été fait. À travers les phases, les jeux ne s’améliorent pas, ils changent.
Depuis cette édition, je n’attends rien de la suite. Je m’inspire de ce que j’ai reçu en phase 2 et 3, mais j’écris chaque jeu comme si j’étais en phase 3. Tout ce que j’estime essentiel au jeu je le mets pour qu’il soit jouable comme une version finale.
Et le « dimensionnement » ? Tu ne fais pas comme tout le monde, écrire trop puis se retrouver à couper ? Quelle est l’astuce ? :)
C’est plus une méthode d’écriture issue de mon passé de scénariste : j'ai passé plusieurs années à apprendre et faire du scénario ; j’ai écrit pour le théâtre, le cinéma et essentiellement pour de la BD dans la presse entre 2003 et 2007 . J’ai eu aussi des contrats d’édition BD - hélas mes dessinateurs n’ont pas suivi. Finalement je me suis reconverti dans le marketing (faut bien manger…).
Pour structurer et équilibrer un écrit (que ce soit un roman, un script ou un jeu), tu établis d’abord son plan. C’est là où tu fais des choix de contenu, par ordre d’importance, entre l’essentiel (le moteur de la lecture), l’esthétique (ce qui rend ton récit beau et agréable) et enfin l’annexe (les finitions qui le distingueront des autres). Quand tu as défini ton plan en bloc de l’un de ses 3 contenus, tu prends le signage disponible et tu le distribues. Là, seule l’expérience permet de tomber à peu près juste du premier coup, mais cela va surtout orienter l’importance que tu accordes à chaque partie du texte et donc d’adapter ta rédaction en conséquence. Sans compter qu’il vaut mieux se garder une réserve de signes pour les impondérables (explications plus longues que prévues ou idées géniales à rajouter à J-1).
Dans tous les cas, rien ne vaut une relecture extérieure et un playtest pour relever les incohérences, manques ou éléments inutiles.
Vas-tu produire une nouvelle version de tes jeux du défi ?
C’est en cours pour Race with the Giant, pour lequel j’ai fait plusieurs playtests et revu en partie ma copie, notamment pour permettre une meilleure jouabilité en physique et rendre le jeu plus accessible, avec un thème plus facile d’accès que la SF gonzo.
Pour Reds Attack, je ferai des petites corrections et rajouterai quelques précisions mais pas besoin d’aller chercher plus loin : en l’état le jeu fait son job. Et comme l’on dit, les meilleures blagues sont les plus courtes !
Participeras-tu au défi 2023 ?
Bien évidemment, c’est mon défouloir créatif de l’année ! Après je suis vidé et je mets 8 mois pour répondre à cette interview…
Expression libre ?
On se voit pour le 8e défi bien sûr. Et playtester vos jeux !
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