L'Effet papillon

Le terme d’“effet papillon” évoque de mauvais films de science-fiction impliquant le voyage dans le temps, ou rappelle peut-être la citation populaire “Le battement d’ailes d’un papillon au Texas peut provoquer une tornade au Tennessee”. Pour résumer au mieux cet effet, c’est l’idée que de petites causes peuvent avoir de grandes conséquences (wikipedia).

Peu importe ce que ça nous évoque, [ce concept] est vraiment cool, et c’est pour cela qu’il est aussi présent dans la fiction. Cependant, la fiction des livres, films et jeux vidéo est bien différente des JdR.

Affiche du film "l'effet papillon"

Un excellent exemple de jeu vidéo l’utilisant à bon escient est Until Dawn wiki (un survival horror en huis-clos avec des adolescents, sorti en 2015) où des décisions vraiment mineures pouvaient mener à des résultats vraiment importants (par exemple, ne pas tuer un écureuil avec un personnage tout au début de l’histoire peut permettre à un autre d’échapper au psychopathe… il faut y jouer pour voir comment ça rend en jeu). Un jeu vidéo utilisant l’effet papillon doit être soigneusement planifié. Un JdR nécessite aussi de planifier, mais pas forcément de la même manière.

Les papillons du passé

Il y a des années, j’étais dans une partie de JdR où notre groupe se précipitait à travers un étroit défilé de montagne, en direction de notre ville natale, avec quelques minutes d’avance sur une monstrueuse horde de zombies. Nous devions tirer les gardes de leurs lits et si possible mettre à l’abri quelques habitants avant que la ville ne soit envahie.

Désespéré, notre magicien demanda s’il pouvait lancer une boule de feu pour provoquer un éboulement de rochers et ralentir un peu la horde. Pas de problème !

Après avoir lancé quelques dés – WOW – l’effet fut encore plus grand que ce que nous avions espéré. Les rochers avaient emporté une bonne partie de la horde et les avaient emprisonnés pour nous. C’était comme tirer sur des zombies coincés dans un tonneau ! Nous avions sauvé la ville et tous ses habitants !

Quelques sessions plus tard, nous devions absolument trouver Humli, le Capitaine de la garde. Il avait des informations cruciales pour nous ! Il apparut alors que l’avalanche avait complètement interrompu tout commerce, entrainant des émeutes en ville puisque les articles de première nécessité commençaient à manquer.

Pour permettre au commerce de reprendre, le brave Capitaine Humli emmena alors quelques hommes et un contingent de condamnés sortis des prisons de la ville, pour déblayer les rochers et rouvrir le défilé. Mais les condamnés s'échappèrent, tuant le Capitaine Humli et tous les gardes sauf un. Nous avons ensuite passé deux sessions à rechercher les informations dont nous avions besoin ; un des évadés devint un PNJ assez important et des émeutes avaient ravagé la moitié de notre ville – tout ça à cause d’UNE boule de feu !

Un peu après la fin de la campagne, je faisais remarquer à quel point c’était cool que cette unique boule de feu ait complètement transformé l’histoire. Brad, notre MJ, se mit à rire et expliqua que tout cela serait arrivé de toute façon ! Le Capitaine aurait été tué par les zombies ; un PNJ en ville était voué à devenir très important ; et les zombies auraient ravagé la ville au lieu des émeutes des habitants.

J’étais choqué. Cet enchaînement nous semblait tellement logique lors des parties ! Brad reconnut qu’il avait fait ce genre de choses tout au long de la campagne. Il avait prévu les événements principaux, mais il bricolait et changeait les détails en fonction de nos choix et de nos actions, nous donnant l’illusion de l’effet papillon.

Porte A ou Porte B

Je trouve que c’est la meilleure manière d’utiliser l’effet papillon dans un JdR. Ne jouez pas à “et si”. Et s’ils font ceci, et s’ils font cela ? Cela risque de vous mener à tout un tas de planifications qui ne porteront jamais leurs fruits.

À la place, jouez à “et maintenant ? ”. Ils ont fait ça, et maintenant quelles peuvent être les conséquences, et comment puis-je m’en servir ? Il y a deux clés pour l’utiliser correctement:

  • D’une part vous devez appliquer l'Effet papillon pour des actions et décisions mineures. Nous l'utilisons (j’espère) déjà pour les décisions “Porte A ou Porte B” importantes, mais ça peut être véritablement efficace quand on l’applique à une décision ou action mineure.

  • D’autre part, vous devez faire comprendre aux joueurs que “Conséquence B” est arrivée à cause de leur décision “Action ou Choix A”, sinon ils risquent de ne jamais s’en rendre compte.

Un exemple très simple : à la création de son personnage, une joueuse doit décider si sa Magicienne va s’équiper d’une dague ou d’un bâton. Prenez-en bonne note.

Si elle choisit le bâton, alors quand le groupe va croiser un clan de druides (dont vous avez déjà décidé qu’ils seraient hostiles aux PJ), ils seront fâchés parce que le bâton est fait du bois d’un arbre sacré à leurs yeux.

Si elle choisit la dague, alors trouvez une autre action ou décision d’un personnage pour expliquer leur hostilité (peut-être que les PJ ont oublié d’éteindre leur feu de camp, ce qui a causé un petit incendie dans la forêt).

Tout ceci étant dit, c’est vraiment à vous - MJ - de concentrer votre attention sur toutes ces petites choses qui vous semblent habituellement anodines. Ensuite, après nombre de parties, jouez à “et maintenant ?” avec ce que vous avez noté. Puis vous tissez ces éléments dans votre campagne pour que les joueurs aient réellement l’impression que chacune de leurs actions a eu un impact sur l’histoire.

Faites de grands plans, mais laissez ces petites décisions pimenter vos parties, et faire ressentir l’effet papillon dans votre campagne.

Article original : The Butterfly Effect

Sélections de commentaires

Scott Martin

Plus votre partie est contrainte (si vous suivez un campagne écrite, ou s’il faut terminer l’aventure dans un créneau de convention), plus ce type d’illusion va être utile.

Si l’aventure implique que les personnages récupèrent le MacGuffin [l'objet "excuse" nécessaire à l'intrigue (NdT)], et que vous avez une carte de la zone où il est caché, répondre à toutes leurs actions en les orientant dans la bonne direction est un autre outil sympa.

S’ils vérifient l’historique de la navigation Internet du méchant… oui, il a l’air de chercher des vols pour Hawaï. S’ils utilisent un sort de divination… il est dans une zone tropicale, avec des ananas et un drapeau américain à l’arrière-plan. Qu’importe leur approche, elle devrait les amener au bon endroit.

Laurence Gillespie

Je ne suis pas sûr que ça corresponde exactement à l’effet papillon décrit dans cet article, mais, dans mes parties, les tables de rencontres (ou d’autres tables similaires) sont conçues pour refléter les actions passées des personnages. Je trouve que ça étoffe l’histoire. Par contre, je ne suis pas trop enclin à créer l’illusion de l’effet papillon, c’est pour moi trop proche d’empiéter sur l’agentivité des joueurs.

Silveressa

J’ai utilisé cela de temps à autre mais je recommande fortement à mes confrères MJ de garder à l’esprit un des éléments les plus importants de cette technique : ne jamais dire aux joueurs que vous la pratiquez.

Pour certains joueurs, une fois qu’ils ont réalisé que les conséquences (comme la destruction d’une partie de la ville, que ce soit par les zombies ou par une émeute) sont prédéterminées, ils s’amusent beaucoup moins.

Une campagne semble beaucoup moins immersive et amusante si les joueurs et les joueuses réalisent (hors-personnage) que les événements majeurs se produiront quand même, peu importe leurs actions dans la partie, et qu’ils peuvent uniquement affecter comment ils se produisent, et pas s’ils se produisent ou non.

Tant qu’ils ignorent que le MJ fait usage de cette technique, ils continuent de penser que leurs actions ont une influence bien plus importante sur la campagne que ce qui se passe en réalité en coulisses. Ceci amène une plus grande implication des joueurs.euses dans la partie, et une plus forte impression que les actions du groupe peuvent avoir un impact dramatique sur les évènements majeurs (même si certaines parties sont prédéterminées par l’effet papillon).

Scott Martin

Je suis assez d’accord avec l’avertissement de Silveressa. Il y a des circonstances où le MJ peut être très transparent sur ce qu’il fait, parce que les joueurs comprennent les contraintes. Les parties de convention et les scénarios du commerce par exemple : tout le monde comprend que ce n’est pas votre propre histoire. Dévaster la ville sous une avalanche plutôt que par les zombies, c’est faire un détour pour adapter le scénario aux actions des joueurs.

Vis-à-vis de vos joueurs, le mieux est de rester plausible quand vous niez.

Vous pouvez faire une exception à cette règle du silence quand quelqu’un passe bravement MJ pour la première fois. Cela peut rendre le rôle du MJ bien moins impressionnant, surtout quand le nouveau MJ est inquiet de la perspective de jeter sa préparation à la poubelle ou d’être incapable de laisser leur agentivité aux joueurs (ce sont des inquiétudes exprimées à chaque atelier de MJ que nous organisons).

Philmagpie

Salut Brian, super article.

J’aime que les actions des héros, au cours d’une session, mènent à de plus grands problèmes plus tard dans la campagne. Cet entremêlement d’évènements peut donner aux joueuses le sentiment fort que leurs actions sont importantes dans l’histoire.

Mon point de vue sur l’effet papillon est un peu différent de celui de ton MJ : j’ai fini par apprécier le conseil « Jouez pour voir ce qu’il se passe » d’Apocalypse World. Je veux que les joueurs me surprennent et j’essaye d’éviter les évènements trop planifiés.

Jim_L

J’utilise les termes « choix et conséquences » plutôt qu’ « effet papillon », mais je les prends tous les deux dans le même sens - seulement, l’effet papillon a des conséquences à plus long terme.

L’illusion de l’effet papillon utilisé par Brad est quelque chose que j’avais l’habitude de faire, mais j’ai récemment arrêté pour préférer des méthodes moins linéaires. Si les joueurs n’obtiennent pas le résultat « optimal » d’une situation, ils ne vont pas nécessairement être désavantagés : plutôt qu’un échec je leur propose l’opportunité d’un autre avantage.

Imaginez par exemple un scénario d’apocalypse zombies ; les PJ passent par un garage dans une petite ville. S’ils décident de sauver Joe - le mécanicien de la ville - ils pourraient bénéficier d’un allié pour la suite. Certains joueurs ne penseront pas à cela et peuvent juste le laisser mourir. Dans ce cas, bien qu’ils perdent un potentiel allié, ils gagnent de quoi distraire les zombies quand ceux-ci entreront dans le garage. Cela ajoute aussi une jolie surprise quand les joueurs découvriront que la femme de Joe sait que ce sont eux qui ont abandonné son mari à sa triste fin.

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Commentaires

Merci pour la traduction de cet article. J'utilise une technique assez similaire dans l'écriture de mes campagnes : même si j'ai des événements prévus, je ne les écris qu’au fur et à mesure pour intégrer les actions des joueurs. Cela étale la préparation des parties, mais permet l'intégration d'éléments propres aux joueurs pour qu'ils sentent leur  impact sur le monde. 

Par contre, en lisant cet article, je me dis que j'aimerais bien aller plus loin avec les choix mineurs. Les exemples de l'article sont assez parlants et ça me donne envie de pousser cette réflexion plus loin.

Encore merci pour la trad :)

Auteur : 
JDR et Rôliste

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