L’art d’arbitrer 7 : Les vecteurs

pochoir de Bansky : Mona Lisa au lance-roquette

Vers le chapitre 6

Une autre habitude de résolution dans laquelle les MJ tombent régulièrement sans vraiment y penser consciemment est la croyance que chaque action doit être résolue en un seul test.

Ce n’est pas universellement vrai, bien sûr. Le combat est un contre-exemple évident. Et en effet, on comprend souvent de manière intuitive que les actions entreprises dans le domaine physique doivent être décomposées en étapes distinctes. Vous ne pouvez pas franchir une porte verrouillée avant de trouver comment l’ouvrir. Si vous voulez tirer au lance-roquettes depuis un poste de sniper situé en haut d’une falaise, vous devez d’abord escalader celle-ci.

Cependant, ces techniques peuvent être appliquées de manière fructueuse dans un cadre beaucoup plus large. Sans elles, nous finissons par priver nos expériences de jeu de la profondeur qu’elles pourraient avoir. Et, dans certains cas, nous finissons par nous battre avec des résolutions d’action qui auraient dû être relativement simples à trancher.

La Résolution d’actions en plusieurs étapes

Avant d’examiner comment une résolution en plusieurs étapes peut être conçue par le ou la MJ, considérons d’abord quelques situations d’où ces résolutions peuvent surgir naturellement pendant la partie.

La première, et peut-être la plus simple, est une déclaration incomplète de la méthode. Pour reprendre l’un de nos exemples précédents, une joueuse déclare que son perso veut grimper au sommet d’une falaise. Cette action est résolue. Puis elle déclare qu’elle veut tirer sur quelqu’un depuis le poste de sniper perché en haut de la falaise. Dans ce cas, l’intention de la joueuse était toujours de tirer depuis le poste du sniper, mais elle a divisé cette intention en plusieurs étapes. Il y a une compréhension instinctive que X doit arriver avant Y.

Deuxièmement, une résolution en plusieurs étapes peut également être le résultat d’un succès ou d’un échec partiel [Voir la partie 6 ptgptb de la série -(NdT)]. L’intention est d’atteindre l’autre côté du gouffre, mais le test de Saut a été un échec partiel et vous vous retrouvez accroché à la corniche de l’autre côté. Il faut maintenant entreprendre une autre action afin de réaliser complètement l’intention.

Ce qu’il faut retenir, c’est que des résolutions qui ont potentiellement plusieurs étapes peuvent être de longueur variable et, dans certains cas, se résumer à une seule étape. Pour inverser l’exemple, vous pourriez penser que quelqu’un va devoir sauter par-dessus la crevasse, s’accrocher au bord, puis se hisser. Mais il obtient un succès extraordinaire et cette résolution en plusieurs étapes se résume à un seul saut qui le porte jusqu’au bout.

Enfin, il y a l’économie des actions. Par exemple, les résolutions d’actions en plusieurs étapes apparaissent souvent en combat, parce qu’il y a une limite stricte à ce que vous pouvez accomplir en un tour donné : « Je vais aller ici ce tour-ci pour pouvoir aller là-bas la prochaine fois. »

En examinant ces exemples organiques, nous constatons qu’ils tendent à se décomposer en un schéma : X puis Y et enfin Z – c’est-à-dire que X doit se produire avant que Y puisse advenir. Cela ressemble à la fin de Star Wars VII : Le Réveil de la Force wiki. Le commando de débarquement doit réussir une approche en hyperespace de la planète avant de pouvoir désactiver les boucliers, et il doit désactiver les boucliers pour que la Résistance puisse attaquer avec ses X-Wings.

Mais une autre option est d’exiger que plusieurs conditions soient remplies avant de pouvoir tenter une action ultérieure – X, Y et Z doivent tous être accomplis avant que vous ne puissiez faire A. C’est, en gros, ce qui se passe à la fin de Star Wars I : La Menace fantôme wiki. Amidala doit capturer le vice-roi, les Jedi doivent vaincre Dark Maul et Anakin doit détruire le vaisseau de contrôle des droïdes avant de pouvoir forcer la Fédération du Commerce à négocier un nouveau traité.

Attaque du commando dans "La Menace Fantôme"

On peut aussi noter que ça peut devenir très fractal. Il faut X, Y et Z pour atteindre votre objectif, mais pour atteindre X, il faut d’abord faire A, B et C.

La Voie des choix significatifs

Maintenant, détournons notre attention des résolutions en plusieurs étapes qui émergent organiquement et examinons plutôt comment la MJ peut délibérément choisir de résoudre une action en plusieurs étapes. Quand devez-vous le faire ? Pourquoi le faites-vous ? En combien d’étapes décomposez-vous l’action ?

Une façon de voir les choses est ce que The Angry DM en [Un blogueur qui donne des conseils aux MJ, sur un ton colérique et caustique (NdT)] appelle un repère visible. Lorsque vous avez terminé une étape du processus de résolution à plusieurs étapes, il devrait y avoir un repère clair marquant la progression vers l’objectif.

Par exemple, imaginez un scénario générique où un PJ crochète la serrure d’une porte et la MJ décide de le résoudre par une séquence de trois tests de Crochetage. Une fois le premier test effectué, le MJ dit « Veux-tu continuer à crocheter la serrure ? »

C’est absurde. Pourquoi le MJ pose-t-elle cette question ? C’est dénué de sens. Et vous pouvez imaginer des interactions tout aussi dénuées de sens.

  • « Tu l’as un peu plus convaincu. »
  • « Vous avez parcouru quelques rues de plus vers votre rendez-vous, voulez-vous continuer à rouler ? »
  • « Vous continuez à suivre les rails. »

Si nous reprenons nos exemples organiques, nous pouvons voir comment ils incluent naturellement des points de repère visibles. Une fois que vous avez escaladé la falaise, vous n’êtes plus au pied de la falaise. Une fois que votre saut au-dessus du gouffre a échoué, vous êtes maintenant accroché du côté opposé (ce qui vous donne des options différentes de celles que vous aviez auparavant). Si vous attaquez quelqu’un en combat, la question pourrait facilement être « veux-tu continuer à l’attaquer ? », mais si vous réussissez votre attaque, vous lui avez infligé des dégâts et si votre attaque a échoué, vous lui avez donné une occasion supplémentaire de vous attaquer.

Pour en revenir à nos exemples dénués de sens, nous pouvons également leur ajouter des repères visibles. Par exemple, vous pouvez modéliser le crochetage de la serrure d’une porte comme nécessitant trois tests afin de déterminer le temps qu’il faut pour ouvrir la porte, en mesurant cela par rapport à une échéance butoir (il y a un garde qui arrive au coin du couloir) ou fluide (le combat fait rage autour d’eux et chaque tour supplémentaire qu’il faut à la voleuse pour ouvrir la porte est un tour de plus que ses camarades doivent passer à retenir les orques).

La plupart du temps, ces points de repère devraient être visibles par les personnages, mais il peut y avoir des cas – comme le garde qui s’approche – où le point de repère est significatif dans l’univers du jeu sans que les personnages (ou peut-être même les joueurs.euses) ne sachent pourquoi.

En fait, nous pouvons probablement généraliser ce concept de « repère visible » en « conséquence significative ». Chaque étape d’une résolution en plusieurs étapes devrait avoir une conséquence significative.

Il devrait de préférence être significatif que la résolution de cette étape soit un succès ou un échec, pour la même raison que c’est le garde-fou de la résolution d’une action à une étape ptgptb. Cela implique souvent de se tourner vers notre ami familier, le choix significatif.

En d’autres termes, si vous regardez la totalité d’une résolution d’action et que vous la décomposez à chaque moment où il y a soit un choix significatif, soit une conséquence significative… ces moments finissent par être les étapes individuelles de la résolution multi-étapes.

Vecteurs

Une autre façon d’envisager la résolution d’actions en plusieurs étapes est ce que Technoir grog appelle les vecteurs. Pour paraphraser le jeu, vous avez un vecteur clair vers votre objectif lorsque :

Couverture de Technoir : une ruelle sombre sous la pluie

  • L’action telle que décrite par la joueuse est réalisable.
  • Il y a un chemin clair pour l’action. Le personnage n’a pas d’obstacles à franchir d’abord
  • L’objectif est une conséquence logique de l’action décrite

Un vecteur est, en somme, un autre nom pour une méthode, mais imprégné de l’idée conceptuelle d’une ligne droite. Regardez vers où le vecteur est dirigé. S’il ne peut pas atteindre ce qu’il vise (parce qu’il y a un obstacle sur son chemin), alors vous devrez d’abord identifier un vecteur qui vous mettra dans une position où vous pourrez atteindre ce que vous visez.

Ce processus peut être évident de façon presque ridicule lorsque vous appliquez le raisonnement à un objectif physique. Par exemple :

  • Vous voulez entrer dans une pièce, mais la porte est fermée
  • Vous voulez ouvrir la porte, mais elle est verrouillée
  • Vous voulez crocheter la serrure

SERRURE → PORTE → PIÈCE

Mais une fois que vous avez compris le concept de base des vecteurs, la même logique peut être appliquée avec succès à des situations plus abstraites. Ils sont parfaits pour modéliser les rencontres sociales, par exemple :

  • Vous voulez convaincre le représentant de ILCR (Investisseurs Lunaires en Capital-Risque) de financer votre générateur d’énergie du point zéro wiki, mais vous devez d’abord le convaincre que c’est rentable :
  • Vous voulez le convaincre que c’est rentable, mais vous devez d’abord le convaincre que ça marche :
  • Vous voulez utiliser votre présentation scientifique pour lui montrer que ça marche, mais il est occupé et vous repousse :
  • Vous voulez le baratiner pour qu’il vous écoute :

BARATIN→ PRÉSENTATION → PROFIT → FINANCEMENT

Bien que ces exemples aient leurs vecteurs orientés à rebours de l’objectif (je veux tirer sur X, d’où puis-je voir X ?), il peut être tout aussi utile de dessiner des vecteurs dans le sens opposé (en particulier pour les MJ qui conçoivent une résolution en plusieurs étapes). Prenez par exemple un test de Recherche pour découvrir des informations sur les couronnes serpentines marvunapp (en) en Valusia sketchingsands :

Un Valusian avec sa couronne de serpent - dessin de comics

  • Une recherche sur Internet ne révèle pas grand-chose, mais vous indique qu’il est possible de trouver plus d’informations dans Beneath the Waves : Arcane Archaeology of the Mediterranean de H.L. Menckel, un ouvrage rare
  • Des recherches supplémentaires à la bibliothèque universitaire la plus proche indiquent que le seul exemplaire connu du livre a été récemment acheté aux enchères par Johnny Marcone
  • Un test de Réseau social révèle que Marcone fréquente le Velvet Room
  • Un jet de Séduction vous permet de passer les videurs à l’entrée

Et ainsi de suite.

Changer de vecteurs à chaud

L’un des principaux avantages conceptuels de cette approche est que vous pouvez facilement changer de vecteurs « à chaud ». Au lieu de crocheter la serrure, vous pouvez séduire le concierge pour qu’il vous donne la clé. Ou voler le passe-partout au groom. Ou défoncer la porte.

SÉDUIRE → PORTE → PIÈCE

VOL À LA TIRE → PORTE → PIÈCE

DÉFONCER → PORTE → PIÈCE

Au lieu de passer par la porte, vous pouvez aussi passer par la fenêtre. Ou démolir le mur. Ou vous téléporter à l’intérieur (1).

Bien sûr, cela fonctionne aussi très bien avec des vecteurs non physiques. Vous pouvez amener le représentant de ILCR à vous parler en le bluffant. En l’impressionnant avec vos succès passés. En le séduisant. En utilisant une démonstration de votre machine à énergie du point zéro pour l’ébahir.

Je trouve ce concept de « changement à chaud » incroyablement utile. Il permet au MJ de construire un cadre pour résoudre des séquences complexes, à plusieurs étapes, sans contraindre les options des joueurs.euses. Il permet à l’arbitrage d’être flexible et libre, laissant la créativité des joueuses s’exprimer à travers la structure.

Correctement interprété, ce concept montre également que la distinction entre les actions multi-étapes « organiques » et les actions multi-étapes déterminées par la MJ est, à bien des égards, purement arbitraire. Les exemples « organiques » sont simplement ceux où la MJ et les joueuses voient instinctivement les vecteurs impliqués, alors que les actions « déterminées » sont simplement celles où elles doivent y réfléchir. Au fil du temps, et avec la pratique, de plus en plus de ces interactions sont susceptibles de devenir instinctives et une seconde nature.

Vecteurs brisés

En général, un vecteur doit se terminer au point d’où part le vecteur suivant, c’est-à-dire le point où l’action change de direction. Si vous finissez de résoudre un vecteur et que le vecteur suivant pointe exactement dans la même direction, vous vous retrouvez généralement avec l’une de ces questions sans signification dont nous avons parlé plus tôt (« Veux-tu continuer à crocheter la serrure ? »).

Cependant, les réussites et les échecs partiels peuvent souvent être exprimés sous forme de vecteurs brisés. Vous étiez en train de courir vers un point X, mais vous avez glissé et vous êtes tombé. Ou quelque chose vous a pris par surprise. Ou vous vous êtes heurté à un mur invisible (ou à un autre obstacle dont vous n’aviez pas conscience). Dans certains cas, ces vecteurs brisés créeront des obstacles qui obligeront à créer de nouveaux vecteurs pour les contourner, mais dans de nombreux cas, il s’agira de délais transitoires après lesquels le personnage pourra se remettre dans sa direction initiale.

Par exemple, retournons dans cette pièce fermée :

SERRURE → PORTE → PIÈCE

En cas de succès partiel, le personnage crochète la serrure de la porte mais est repéré par un agent de sécurité. Ceci insère un nouveau vecteur, après quoi il reprend sa trajectoire initiale :

SERRURE → BLUFFER LE GARDE → PORTE → PIÈCE

On peut également trouver des vecteurs brisés dans des situations d’endurance. Par exemple, si un personnage essaie de tenir une porte fermée alors qu’un loup-garou la martèle de l’autre côté, il peut se retrouver avec un vecteur qui ressemble à ceci :

TENIR LA PORTE → TENIR LA PORTE → TENIR LA PORTE → TENIR LA PORTE

Il réitère probablement le même test d’un tour à l’autre pendant que ses amis tentent désespérément de trouver un moyen de s’échapper.

Vous pouvez observer un schéma similaire dans ce que j’appelle les actions lyriques pour des raisons purement personnelles  : parce que je perçois un schéma dans la musique d’opéra où les crescendos émotionnels sont atteints via une série cyclique de montées en puissance de la musique. Je vois aussi souvent ce schéma dans les animés ou les mangas, lorsqu’un personnage doit accumuler de la puissance au fil du temps, et plus longtemps il peut maintenir cette puissance, plus le résultat est efficace. Un exemple plus banal pourrait être de convaincre les membres d’un jury.

Cependant, maintenant que nous avons parlé de la manière de décomposer une résolution d’action en plusieurs parties, faisons l’inverse…

Vers le chapitre 8

Article original : Art of Rulings – Part 7: Vectors

Sélection de commentaires

martixy

Ce à quoi tu fais référence est essentiellement un graphe. Ces vecteurs sont un graphe, un cas particulier. Les vecteurs brisés sont des branches qui sortent du cas particulier pour entrer dans le cas général.

Les graphes sont très utiles, car ils peuvent modéliser n’importe quoi, des intrigues entières jusqu’aux détails de la résolution d’une action.

Jonathan Hunt

Ayant récemment joué à mon premier jeu « Propulsé par l’Apocalypse » (Monster of the Week grog), cet article m’a vraiment touché. Il semble qu’il soit beaucoup plus fluide de jouer à des jeux qui fournissent au MJ des règles prédéterminées sur les échecs des PJ. J’ai vraiment le sentiment que tout le monde devrait garder à portée de main une liste des actions de MJ [ou « manœuvre de MJ »] de l’un de ces jeux, quel que soit le système auquel il joue.

As-tu eu beaucoup d’expérience avec ce système de jeu, et si oui, penses-tu que cela t’a aidé dans l’art d’arbitrer ?

Justin Alexander

Je n’ai pas encore eu l’occasion de jouer à Monster of the Week, mais tu peux consulter ma critique alex d’Apocalypse World grog.

La version courte : Oui. Le cadre conceptuel des « actions » est vraiment intéressant. Et, lorsqu’il est utilisé correctement, il peut être un outil incroyable pour communiquer succinctement à la MJ un ensemble précis de procédures qui peuvent focaliser la façon de jouer.

Ce que cela me rappelle le plus, en fait, ce sont les procédures très précises que Gygax donne pour l’exploration de donjons dans l’édition originale de D&D de 1974 alex.

Ce genre de détail dans les structures de jeu ptgptb peut être incroyablement utile. Et, selon moi, c’est particulièrement précieux pour les nouveaux MJ, car cela simplifie le processus de prise de décision en limitant leur champ d’action de manière spécifique et concrète.

(1) NdT : cela ne veut pas dire qu’il faut prévoir toutes les actions possibles et imaginables, parce que vos joueurs et vos joueuses en trouveront toujours d’autres. Ne Préparez pas l’intrigue 3 propose à la place de donner les informations qui aident à improviser sur leurs réponses. [Retour]

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