Principes de bienséance dans le milieu professionnel du JdR

Ou comment éviter d’avoir l’air d’un pitoyable abruti

Ayant souvent eu l’air d’un pitoyable abruti, tout au long de ma vie, je pense pouvoir aujourd’hui transmettre à d’autres professionnels du milieu du jeu de rôle un peu de ce que j’ai appris ces 14 dernières années (et je ne doute pas d’en avoir encore à apprendre). Nombre de ces conseils traitent de l’interaction avec le public. D’autres ont pour sujet les échanges avec les autres professionnels. Toutefois, comme la frontière entre fans et professionnels est très fine dans le milieu du jeu de rôle, ces conseils s’appliquent à tout le monde. Prenez-les pour ce qu’ils valent.

1. La gestion des critiques

De nos jours, quand vous publiez un produit, il sera probablement critiqué (ce n’était pas le cas quand je suis entré dans le secteur, avant Internet). Une critique permet souvent aux gens de commenter ou répondre, en envoyant un courrie(r/l) à l’éditeur du magazine, ou en participant à la discussion sur un forum ou dans la section “commentaires” de la critique. Si quelqu’un écrit une critique positive, vous aurez envie de remercier cette personne. Si la critique est négative, vous serez tenté de la contredire.

Résistez à cette tentation.

Si vous ne retenez qu’une seule chose de cet article, que ce soit celle-ci. S’opposer aux opinions de quelqu’un qui a écrit une critique, ou même qui a seulement laissé quelques commentaires sur un forum, vous fait paraître irascible, susceptible, et mesquin.

Répondre à une bonne critique peut parfois même vous donner l’air pathétique d’un auteur qui a besoin d’être approuvé. Gérez ça au cas par cas : si quelqu’un lance un sujet de discussion pour dire combien il trouve votre produit formidable, et que de nombreuses personnes y répondent à l’unisson, il est très aimable de répondre par un simple “merci”. Ce n’est jamais une bonne idée d’écrire un discours de “réception d’un Oscar”.

Un avis contenant une erreur factuelle est la seule exception. Si cette critique dit qu’il n’y a pas de chapitre avec des nouveaux sorts, alors que le chapitre 5 de votre livre en contient une douzaine, vous pouvez alors peut-être vous permettre de répondre en rectifiant ce point, et rien d’autre. Même dans ce cas, considérez être sur le fil du rasoir. Et si l’affirmation que vous réfutez est subjective, comme “Il n’y a pas de bons sorts dans ce jeu”, alors réfléchissez-y à deux fois.

Un point de vue sur les critiques

Dans notre milieu, personne n’est très bien formé·e à la critique formelle, ni n’a suivi les études dédiées à l’écriture de critiques, comme pour les livres ou les films. Sauf rares exceptions, tous les critiques sont simplement des rôlistes investi·e·s dans leur loisir. Ça rend leurs opinions à la fois très importantes (car ils sont le public visé) mais pas plus importantes que quelqu’un qui vous écrit un mail disant “Bon travail” ou qui vient vous voir en convention pour vous annoncer que ”Votre jeu craint”. Dans tous ces cas, l’avis que vous recevez ne provient que d’une seule personne. La seule différence est que l’avis du critique est public.

Gardez à l’esprit qu’il n’existe actuellement pas de forum dédié aux critiques de JdR qui atteigne une part importante du public. Aucun magazine papier n’atteint la majorité de vos prospects. Aucun site Internet n’attire suffisamment de visiteurs pour que les avis postés dessus influencent l’opinion des acheteurs de JdR. En bref, aucune critique ne brisera votre carrière, ni ne la “fera”.

En fait, et bien que je n’en aie pas la preuve, je soupçonne que les critiques n’ont jamais – jamais – d’impact mesurable sur les ventes, positivement ou négativement (les critiques de produits diffusés en format PDF sur un site populaire peuvent être une exception, car le nombre de ventes des jeux en PDF est souvent si faible que même un petit nombre d’acheteurs ayant été influencés par la critique peut avoir un impact significatif) (1).

Ne paniquez pas lorsque vous recevez une mauvaise critique. Ne prenez pas la grosse tête lorsque vous obtenez une bonne critique. Lisez tous les retours, sans placer plus d’importance sur certains plutôt que sur d’autres. On a tendance à ignorer les mauvais et encadrer les critiques positives, mais même si grâce à cela vous vous sentez bien, n’oubliez pas que ceci représente en fait une impression subjective basée sur un autre point de vue déjà biaisé. La meilleure façon de considérer les critiques est de les voir comme des retours précieux. Elles mérite notre attention, mais pas au point de perdre le sommeil.

2. Les échanges avec les rôlistes

Que ce soit en personne ou en ligne, traitez votre public avec politesse, écoute et respect. Soyez humble et bienveillant·e. Si vous ne savez pas faire cela, apprenez.

Comportez-vous ainsi, ou sinon évitez totalement de vous rendre en convention et sur Internet.

Les rôlistes sont votre public. Les rôlistes payent pour les livres que vous publiez. Ils sont celles et ceux que vous divertissez. Ce ne sont ni vos larbins ni vos groupies. Les rôlistes ne représentent pas un groupe quelconque de personnes indésirables qu’il vous faudrait tout juste tolérer. Les rôlistes représentent la part la plus importante de la communauté. Pas vous.

Je suis si fatigué de voir des professionnel·le·s du secteur rabaisser les rôlistes, se moquer en disant qu’ils auraient bien besoin de se laver avant de venir à la Gen Con, et d’autres blagues de ce genre. Si quelqu’un rabaisse les rôlistes, cette personne me rabaisse également, et je le prends personnellement.

Peu importe si vous parlez physiquement à un·e rôliste ou si vous interagissez en ligne, souvenez-vous que dans les faits vous interagissez avec un groupe entier (car même si vous oubliez cette discussion en particulier, votre interlocuteur·trice s’en souviendra, et en parlera dans ses cercles). En fait, aujourd’hui, quand vous répondez au mail d’un·e fan ou que vous lui parlez personnellement, vous dialoguez avec un vaste groupe de personnes car la réponse que vous donnez ou vos manières d’agir pourraient se retrouver publiées sur un forum.

Si vous vous inquiétez pour les critiques en ligne, ne devriez-vous pas vous inquiéter bien plus quand quelqu’un poste “Untel, le créateur de JdR, est un crétin prétentieux” sur un forum public ? Que ça vous plaise ou non, ceci a autant d’influence que la qualité de vos produits. En fait, à partir de ce moment-là, cette critique impactera tout ce que vous produirez à l’avenir.

3. Les échanges avec les autres professionnel·le·s du secteur du JdR

Lorsque vous souhaitez rencontrer quelqu’un d’autre dans ce milieu, lancez-vous et présentez-vous. Ils seront très probablement heureux et heureuses de vous rencontrer aussi.

Proposer d’échanger vos productions avec un·e autre professionnel·le est une bonne idée, et ça peut être plaisant (c’est aussi une excellente façon, pour vous deux, de remplir vos étagères). Proposer d’offrir simplement un exemplaire de votre jeu à un autre éditeur est aussi une bonne idée, que ce soit pour montrer votre respect pour autrui, ou bien dans l’espoir d’obtenir son avis. Par contre, demander ou s’attendre à recevoir des produits (ou pire, l’exiger) sans rien offrir en retour est vraiment odieux. Il arrive que des professionnel·le·s ne puissent pas vous donner d’exemplaires car ils n’en ont plus en stock, ou pour une autre bonne raison. Il arrive qu’ils ne souhaitent juste pas donner quelque chose qu’ils pourraient vendre. Si vous devenez trop insistant, les autres éditeurs ne vous doivent rien.

Les exemplaires destinés à être critiqués, et envoyés en services de presse sont une exception. Si vous êtes critique professionnel, il n’y a pas de problème à demander qu’on vous envoie ce type d’exemplaires – sans en abuser. Souvenez-vous que les éditeurs ont des pratiques différentes sur les services de presse. Si un éditeur dit “non”, ça ne signifie pas qu’il est radin. Parfois un éditeur ne donne qu’un nombre limité d’exemplaires.

En fait, si vous n’êtes pas certain·e d’en recevoir, considérez que vous n’en recevrez pas, et achetez un exemplaire du jeu que vous souhaitez évaluer. Mais plus important que tout : si un éditeur vous envoie un exemplaire destiné à être critiqué, alors écrivez une critique. Envoyez-leur un lien vers la critique en ligne ou informez-les quand le magazine – où figurera la critique – sera publié (et envoyez-leur un scan de la critique si l’éditeur le demande). Montrez-leur ce que vous avez fait avec le jeu que vous avez reçu gratuitement. Ne vous attendez pas à ce qu’un éditeur vous renvoie un exemplaire en service de presse si vous n’avez pas déjà écrit la critique du précédent produit qu’il vous avait envoyé.

4. Donner son avis

Je trouve qu’il est bon, pour un·e professionnel·le du milieu rôliste, d’exprimer son opinion sur le travail des autres. Cependant, faites-le toujours en vous appuyant sur des raisons bien valides. Personnellement, il m’arrive à l’occasion de faire des critiques de certains produits. Par contre, je n’irai jamais déclarer sur un forum public “Le produit X craint”, ni même “Cette partie du produit X craint”, même si je le pense. Je déclarerai par contre simplement “Y est formidable” si je le pense vraiment mais que je ne souhaite pas prendre le temps d’expliquer pourquoi. Personne ne se plaindra si vous laissez des éloges infondés.

5. L’autopromotion

Je déteste l’autopromotion. Si me voyez faire la promotion d’un de mes produits sur un forum, surtout un forum qui ne m’appartient pas, vous pouvez être sûr·e·s que j’étais en train de grimacer en l’écrivant. Mais voici une leçon que j’ai apprise : si vous n’avez pas tout un service communication et marketing à votre disposition, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gens connaissent vos produits. Si des clients potentiels aimeraient acheter vos produits, mais ne les connaissent pas, vous vous rendez à vous et votre public un mauvais service en vous retenant de faire de la publicité.

Mais n’en faites pas trop. Ne publiez pas un communiqué de presse tous les deux jours. Ne lassez pas les rôlistes qui lisent les messages que vous postez, au point où ils et elles commencent à vous ignorer car vous êtes toujours en train de parler de sujets insignifiants.

6. Les bons usages de la licence OGL

La licence OGL [Open Game License ou licence ludique libre  wiki notamment popularisée par le système d20 (NdT)] vous permet de publier gratuitement du contenu créé par d’autres. Cependant, puisqu’il s’agit d’un article sur la bienséance et non sur la légalité, je dois vous dire que vous devriez quand même informer l’éditeur dont vous prévoyez de publier le contenu.

En fait, j’irai un peu plus loin en disant que vous devez demander si votre démarche est acceptée. Et si l’éditeur dit “non”, vous devriez vous conformer à sa volonté, même si vous n’y êtes pas obligé·e légalement. Les éditeurs peuvent avoir une bonne raison, comme être en pleine réimpression du livre dont vous souhaitez utiliser une grande part. Ou peut-être qu’ils ont d’autres projets dont vous n’avez pas connaissance, concernant ce même contenu [ou peut-être qu’ils n’ont ni les mêmes centres d’intérêt, ni envie que leur système soit associé à des suppléments sado-maso, érotico-satanistes, etc. (NdT)].

C’est incroyablement stupide de faire quelque chose qui énerve un autre éditeur, même si vous êtes en droit de le faire. C’est un si petit milieu. La maison d’édition que vous avez fâchée va parler à d’autres éditeurs : ce n’est pas une possibilité, mais une certitude. Même si les autres éditeurs ne vont pas tous se ranger du côté de l’éditeur agacé, quelques-uns le feront. Est-ce que votre produit, où vous souhaitez inclure un peu de contenu libre, vaut vraiment la peine de tout ce mic-mac ?

7. Ne mordez pas les mains, surtout celle qui vous nourrit

Je pense qu’il est de mauvais goût de diffuser des publicités et promouvoir ses produits par quelque moyen que ce soit, quand c’est aux dépens de quelqu’un d’autre. Je considère qu’il est particulièrement grossier, si par exemple vous publiez du matériel [utilisant la licence libre d20], de promouvoir votre produit aux dépens de Wizards of the Coast [qui en a autorisé l’utisation libre (NdT)]. Je n’écrirais pas, par exemple, une publicité pour mon supplément Book of Eldritch Might grog [un supplément pour les personnages magiciens de D&D3 (NdT)], disant qu’il est bien meilleur que, disons, Tome and Blood grog [un supplément de WotC pour les personnages magiciens de D&D3]. Ou comment vos personnages de mages seraient plus avantagés avec les options de mon livre qu’avec celui de Wizards. Même s’il est vrai pour plusieurs raisons que les petites maisons d’édition vivent de la récupération de contenus de Wizards, je pense qu’il est mesquin de le signaler ouvertement.

8. Citez vos sources lorsque c’est dû

Simple et élémentaire. Si quelqu’un a travaillé sur votre projet, ou si vous utilisez les œuvres de quelqu’un dans ce projet, créditez cette personne. J’ai déjà vécu cela, et ça m’a blessé : on a plusieurs fois négligé de me créditer. Ça craint de feuilleter un livre et de voir vos mots (ou vos illustrations, ou n’importe quoi d’autre) sans trouver nulle part votre nom sur la page des crédits.

9. Souvenez-vous de celles et ceux qui vous ont apporté de l’aide

J’ai eu la chance de me faire une place plutôt correcte dans le secteur du JdR, mais je ne l’ai évidemment pas atteinte seul. Je n’oublierai jamais toutes les personnes qui m’ont embauché, m’ont aidé, et m’ont donné des conseils. Des personnes comme [les auteurs de JdR et/ou fondateurs de maisons d’édition, concepteurs de jeux vidéo, écrivains] Coleman Charlton, Kevin Barrett, Rob Bell, Tim Brown, Steven Schend, et Jonathan Tweet. J’ai assurément appris d’eux tous et/ou reçu un coup de pouce de leur part.

Si quelqu’un vous a aidé·e d’une façon ou d’une autre, ne l’oubliez pas une fois que “vous avez réussi” (quoi que ça veuille dire).

10. Aidez les autres

Si quelqu’un demande un petit conseil pour entrer dans le secteur du JdR, prenez cinq minutes pour donner quelques tuyaux. Bien que peu (ou aucun) d’entre nous n’ayons le temps d’analyser le projet-en-cours de quelqu’un, nous pouvons tous et toutes indiquer où présenter ce projet. Il est plus que probable que quelqu’un vous ait déjà aidé·e (comme évoqué au point 9), alors retournez le service. Je suis plus qu’heureux d’animer une série d’ateliers à la Gen Con en chaque année (2) pour ceux qui souhaitent percer sur le marché du JdR, et Sue et moi avons alimenté un atelier en ligne en, avec des astuces pour ceux qui débutent dans le milieu rôliste (3).

Article original : Game Industry Etiquette. Or, How to Avoid Looking Like a Pathetic Jerk

(1) NdT : Il faut replacer cet article dans son contexte : l’auteur écrivait en 2007, et depuis, la diffusion des JdR sous formats numériques a augmenté. L’article Comment j’écris mes critiques de jeux ptgptb évoque d’ailleurs ce fait, en plus de prodiguer des conseils. [Retour]

(2) NdT : Ces ateliers consistaient, d’après le programme affiché en ligne, en des discussions techniques, des rencontres et des ateliers d’écriture et de relecture, principalement tournés vers le genre de la fantasy et du Sword & Sorcery[Retour]

(3) NdT : Ces pages sont aujourd’hui archivées mais toujours consultables. [Retour]

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Pour aller plus loin avec PTGPTB… hydre

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Commentaires

Il y a fort longtemps - mais c'est une matière qui ne change que peu -, j'ai eu le plaisir (très relatif) de suivre des cours de propriété intellectuelle. Ô surprise (très relative aussi), j'y ai appris que les sytèmes de jeu ne sont pas brevetables ni protégés d'une quelconque manière (ce qui ne couvre évidemment pas les présentations, les images etc qui entourent le système lui-même). Ainsi, en "popularisant" sa fameuse OGL, WoC n'a fait qu'enfoncer une porte ouverte, dans laquelle nombre d'éditeurs, petits ou grands, sont tombés comme des bleus ! Je ne vous raconte même pas comme cela m'énerve (et pourtant Dieu sait si j'aime DD3, DD5...). En résumé, la seule vraie licence que peut octroyer WoC, c'est sur la partie Licence D20 (avec logo et tout le toutim) qui implique un vrai contrat automatique avec des obligations de la part de WoC (laisser utiliser son logo et faire référence à l'usage...obligatoire... du livre de base de Donj) et du cocontractant, soit essentiellement de s'interdire de développer des règles sur la création des perso, l'usage du livre de base précité étant indispensable à cet effet. Marché de dupes ? Je vous en laisse seuls juges.

Auteur : 
Sutrakama

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