Tout est Affamé
© 2009 Steve Darlington
En quelques mots
Dans Donjons & Dragons, tout peut vous tuer : le plafond, le sol, votre propre épée, un mignon petit lapinou assis sur une souche d’arbre. Maintenant, imaginez que notre monde soit aussi dangereux.
L’histoire
Apparemment, les Mayas avaient raison à propos de 2012 : le monde a bien pris un nouveau départ sous la forme de l’Éveil. Sauf que ce sont les machines qui se sont Éveillées, et qu’au lieu d’acquérir une forme de conscience, elles se sont mises à évoluer. Tout ce qui était plus complexe qu’une horloge murale a développé une intelligence animale, en même temps que la volonté de s’adapter pour satisfaire ses besoins naturels aussi efficacement que possible. Et compte tenu de tous les corps dodus qui les entouraient, les machines ont fait des humains leur plat favori.
En quelques semaines, les villes ont été désertées. Les humains se sont réfugiés dans les campagnes (bravant les meutes de Bécann’ibales meurtrières qui infestent désormais les autoroutes devenues de véritables zones de mort) ou sous terre. Et contre toute attente, les gens se sont plutôt bien adaptés. Après avoir payé un lourd tribut en vies humaines, ils se sont assez facilement remis à la chasse, la cueillette et l’agriculture. Mais la vie ne se résume pas à l’épandage des terres. Les gratte-ciel abandonnés qui dominent les terres désolées renferment des coffres remplis d’argent ayant toujours cours et une technologie que l’on peut « tuer » en vue de l’utiliser. Les appartements et les riches villas abritent des bijoux précieux et de magnifiques objets d’art valant des millions de burgers de rat. Bien évidemment, pour vous les procurer vous devez vous introduire dans ces bâtiments et en ressortir vivant, ce qui implique que vous êtes plus qu’un individu ordinaire. Bienvenue dans un tout nouveau genre d’exploration de donjon…
Style et Structure
Ce qui me fascine tant encore aujourd’hui dans l’univers gygaxien, c’est à quel point (malgré ses origines tirées de nombreuses sources de Sword & Sorcery [façon Conan le Barbare (NdT)]) il diffère de tout ce qui existe par ailleurs. Avant tout parce que la plupart des éléments récurrents de ce monde fantastique ne sont issus de rien d’autre que des besoins ludiques. Cela nous a donné des créatures qui ont évolué d’une manière ou d’une autre pour non seulement être utilisables sur du papier quadrillé, mais aussi pour qu’un MJ de 1974 puisse les opposer arbitrairement à ses joueurs après qu’ils ont manqué de prudence.
- Vous n’avez pas inspecté le plafond ? Un perceur (ou une mante obscure) vous tombe dessus.
- Vous ramassez un médaillon en or ? Moisissure jaune en pleine tête.
Vous ouvrez un coffre ou crochetez une serrure ? Une mimique,
- ou un guette-verrou [monstre à dard de scorpion prenant l’apparence d’une pièce d’or (NdT)].
- Vous trouviez ce lapin assis sur une souche trop mignon ? C’est en fait un loup déguisé en agneau qui va carrément vous étriper.
Il existe des monstres qui ressemblent à des épées, des capes, des capuches, des pièces d’or, des rochers, des statues, de la pierre, du bois et même des maisons. Sérieux, il y a même des monstres qui ont évolué pour prendre l’apparence d’autres monstres. Réfléchir aux conséquences de ce genre d’évolution contre-nature et si démesurément hostile prête majoritairement à rire. Mais on peut également tenter d’appliquer ce principe à d’autres univers. Imaginez une escouade militaire de spécialistes de l’infiltration se frayant un chemin vers le sommet (plutôt que vers les profondeurs) de ce qui semble n’être qu’un immeuble de bureaux ou d’appartements, sauf que Tout y Est Affamé.
Dans la tradition gygaxienne d’un monde d’adversité, vous pouvez retourner tout ce que vos joueurs tiennent pour acquis contre eux, qu’il s’agisse du contenu de leur domicile ou de l’environnement de leurs trajets quotidiens, histoire de les punir pour leurs présomptions. Bonus, vous allez pouvoir faire des jeux de mots et inventer des noms à base de mots-valises, comme la Li’masse, le Rat-de-Bibliothèque ou le Chat-Pomelon.
- Les SmartFauxnes ont l’air très pratique jusqu’à ce que vous essayiez de passer un appel et qu’ils perforent votre crâne avec leurs barbillons.
- Les Canaporcs sont des cochons dont la peau ressemble à du cuir et qu’on ne peut détecter qu’au moment où on s’assoit dessus.
- Les Ordinatueurs ont l’air d’ordinateurs portables normaux, jusqu’à ce que vous en approchiez vos mains et qu’ils se referment violemment en les déchiquetant de leurs dents aiguisées comme des rasoirs.
- Les Belles-de-Caddies hantent les parkings de supermarchés, attendant de vous saisir par le poignet pour vous traîner en hurlant vers les Caisses-Horreur-gistreuses [dotées d’interminables queues barbelées].
- Les termes zoomorphiques comme les moutons-de-poussière, les souris-d’ordinateur et les béliers-de-siège parlent d’eux-mêmes.
Il est évident qu’un interminable catalogue de monstres parodiques finira par lasser, et vous ne voulez sans doute pas non plus tomber dans une piètre copie du JdR Power Killgrog. En mettant l’accent sur une ambiance à [l’équipe de commandos de] Rainbow Six de Tom Clancy, vous pourrez éviter les deux, tout en tirant la quintessence de ce qui rend l’exercice amusant. Tout le monde aime imaginer que son lieu de travail s’est transformé en décor pour une scène d’action formidable, et cela vous permet d’y ajouter une foule de surprises gygaxiennes pour les maintenir dans l’expectative.
PJ et PNJ
Les chasseurs de trésors présentent une grande variété de profils, mais tous ont besoin d’un moyen d’infliger des dégâts ou de contribuer à l’entreprise grâce à leurs compétences en survie. Les experts en infiltration, ninjas, saboteurs et assassins, qu’ils soient militaires, criminels, policiers ou même autodidactes sont tous envisageables. Les pilleurs de tombes modernes sont plus tournés vers l’action que les érudits et archéologues de jadis, mais les connaissances concernant l’environnement des « donjons » ainsi que des terres sauvages entourant les gratte-ciel restent précieuses.
Les ingénieurs en génie civil, les urbanistes et les experts en aménagement du territoire pourront donc tous se montrer utiles, de même que les biologistes spécialisés dans le nouveau processus d’hyper-évolution. Il peut même exister des gens qui ont dompté ce phénomène, faisant muter leur propre corps ou élevant des créatures évoluées pour les besoins de chaque situation. Il faudrait sans doute pas mal de travail pour simuler cela en jeu, mais vous pourriez obtenir des concepts incroyables en développant ces idées en les basant sur une bonne louche de connaissances pseudo-scientifiques.
Enfin, les joueurs peuvent même se jouer eux-mêmes, ou des personnages approchants : des employés de bureau lambdas et abrutis qui auraient passé vingt ans dans cet immeuble à lutter contre la machine à café et le photocopieur, et prêts à faire passer le combat à la vitesse supérieure.
Intrigues et antagonistes
Nous avons déjà parlé plus haut des menaces monstrueuses, et les donjons ont tendance à manquer d’opposants de bas niveau qui ne soient pas des monstres. Il n’y a cependant aucune raison pour qu’il n’existe pas l’équivalent de tribus de monstres semi-civilisés avec lesquelles négocier, comme les kobolds (des caniches évolués ?), les gobelins (des conciergeopithèques ?) ou les orcs (des vigilocustes ?). Le grand sorcier ou la liche ou ce que vous voulez qui se tiendra au cœur du donjon dépendra de la nature du bâtiment. Vous pouvez imaginer que des bureaux abriteront un Boss-à-tête-de-pioche (tout droit sorti de Dilbertwiki) régnant sur une horde de secréthers et de zombies accros au « caféééé ». Un centre commercial sera plutôt l’antre d’un Seigneur-de-la-Sécurité protégé par des camérharpies et des dragons franchisés. Les immeubles d’habitation seront sans doute le repaire d’un insaisissable Gardien contrôlant tous les verrous et ascenseurs.
Pour une campagne, vous pourrez toujours remonter la piste du magicien ou scientifique de génie à l’origine de l’hyper-évolution, puis rebâtir le monde tel qu’il était avant toute cette histoire.
Sources
Pour le scénario de revanche des employés, puisez l’inspiration dans 35 heures c’est déjà trop puis regardez l’incroyable Hot Fuzz de Simon Pegg, dont le point culminant repose sur la transformation du quotidien banal en zone de combat remplie de menaces surprenantes. Pour les monstres pouvant prendre l’apparence de n’importe quoi, visionnez l’épisode des Polymorphes de Red Dwarf [le troisième de la saison 3, excellent. (NdT)] où Lister est attaqué par son propre slip boxer. Stephen King a presque toujours écrit des histoires de machines tueuses (Christine, Poids Lourds, La Presseuse, La Pastorale, Le Dentier claqueur, etc., etc., etc., le récent Cellulaire s’étendant notablement aux dimensions du monde entier) et les maisons douées de raison au mobilier hanté sont un poncif du film d’horreur (jetez un œil à Amityville wiki et Poltergeist wiki, ainsi qu’à l’épisode Ghost in the Machine d’X-Files pour l’assaut d’un immeuble de bureaux).
Avec son Peuple des Escaliers, la série de comédie d’impro Upright Citizens Brigade wiki(en) vous donnera un aperçu des étranges écosystèmes qui peuplent les entreprises, de même que Dilbert (évidemment) et son Homme-Post-It. Les postulats évolutionnistes sont monnaie courante dans l’Univers impitoyable de Gary Larson (comme le serpent nœud-coulant) et constituent une bonne source d’inspiration pour vos créatures.
Jeux de rôles
John Tynes n’est sans doute pas le premier à remarquer les nombreuses similitudes entre D&D et Tom Clancy, mais celles-ci ont rarement été aussi bien croquées que dans son scénario pour la 3e édition, Three Days to Killgrog (Trois Jours à Tuer). Il a également écrit Power Kill, qui, comme Violencerpg.net (son proche cousin), pastiche plusieurs aspects de D&D ; ils méritent encore que vous vous en inspiriez pour vos propres parodies. Il est facile de trouver des règles pour du D&D contemporain, grâce à D20 Modern grog et l’excellent Spycraft grog ; le plus ancien Urban Arcana grog, avec ses nombreux tropes de D&D transposés de nos jours (comme les e-mails piégés), est également tout à fait dans l’esprit.
Et n’oubliez pas de revenir aux fondamentaux avec les Manuels des Monstres 1 et 2 des première et deuxième éditions (sans parler de Unearthed Arcana grog, du Fiend Folio grog et de tous leurs copains) ; ils constituent une source inépuisable de démence brillante et de torture sadique pour vos joueurs. Hackmastergrog et les autres clones de D&D feront aussi l’affaire, mais l’original est vraiment le plus dingue et cruel de tous. Le catalogue R&Dgrog pour Paranoïagrog (et à vrai dire, absolument tout dans ce jeu de rôle, même une brosse à dents) est également une manne pour ce qui est de l’art de détruire des PJ. Et tuer un PJ avec une brosse à dents est le signe d’une journée réussie.
Article d’origine : Campaign Toybox #18 : Everything Is Hungry
Sélections de commentaires
- Craig Oxbrow
Un exemple au cinéma : Transformers 2 prend une scène du premier film et va encore plus loin.
Vous vous souvenez de la scène "le téléphone portable est foudroyé et devient un petit robot assassin?" Dans le 2, plein d'ustensiles dans une cuisine sont zappés et deviennent enragés...
- Wyvern76
Dans [le livre de] Diane Duane So You Want to be a Wizard, les protagonistes voyagent accidentellement dans un New-York paralèlle cauchemardesque, peuplé d'objets dotés de conscience - surtout des voitures, mais ils rencontrent aussi un hélico, un ascenseur, une borne d'incendie qui mange les pigeons comme une grenouille mange les mouches, et une serrure qui mord quinconque la touche.
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