Création avancée de scénario en nœuds (3-4)
© 2011 Justin Alexander
Partie 3 : Organisation
L’un des défis qu’un MJ affronte est de représenter la réalité complexe d’un monde vivant : les joueurs ont le luxe de se concentrer sur un seul personnage, alors que le MJ doit souvent jongler avec des dizaines de personnages et potentiellement des centaines d’informations.
Par conséquent, l’une des plus importantes compétences qu’un MJ doit maîtriser est une meilleure organisation.
Prenez un donjon, par exemple. Ça peut sembler évident et simple, de numéroter les salles en renvoyant vers la description, mais imaginons un instant le cas où ce niveau d’organisation élémentaire n’est pas appliqué. J’ai, en fait, vu des aventures du commerce où cela n’était pas le cas. Ce n’est pas joli.
Bon, comment pouvons-nous améliorer encore plus cette organisation ? Par exemple, nous pouvons commencer par clairement séparer les informations « que toute personne entrant dans la salle doit immédiatement savoir » des informations « qui peuvent seulement être obtenues après un complément d’enquête ».
Un moyen de le faire est d’avoir un encart avec le texte adéquat, bien sûr.
Il pourrait être aussi utile de distinguer les informations « que les personnages pourraient remarquer immédiatement en entrant dans la salle sans prendre aucune action particulière » ? Probablement.
Et ainsi de suite.
Notez que je ne parle pas d’effectuer un travail de préparation supplémentaire. Je parle seulement d’organiser votre préparation pour que celle-ci soit plus simple à utiliser à la table. De plus, j’ai constaté qu’une organisation appropriée peut vraiment réduire la quantité de travail préparatoire(1).
Bien sûr, un moyen d’organiser votre travail de préparation est d’utiliser la structure de scénario basée sur des nœuds elle-même. Pour organiser la création de cette structure, voici quelques astuces que j’ai apprises :
Identifiez vos Nœuds
Tout comme les salles dans un donjon, il sera plus facile de référencer et d’utiliser vos nœuds si vous les numérotez.
- Nœud 1 - « la Première Banque Centrale ».
- Nœud 2 - « l’agent de sécurité qui ne s’est pas présenté au travail pendant le hold-up ».
- Nœud 3 - « la voiture volée qui a été utilisée pour fuir ».
Et ainsi de suite.
Ayez une Liste de connexions
J’ai parlé par le passé alex (en) de l’importance que la campagne Les Masques de Nyarlathotep grog avait joué dans le développement de la Règle des Trois Indices et, par extension, de la création de scénario par nœuds. Le concept de « liste de connexions » est directement tiré de cette campagne :
Il faut peu d’imagination pour voir combien il est plus facile de créer et mettre à jour une telle liste si vous avez identifié précisément vos nœuds.
Connaissez la Hiérarchie de vos nœuds
Au niveau élémentaire, vous devriez avoir une idée approximative de la manière dont vous souhaitez que les différents nœuds du scénario se connectent ptgptb [voir la 6e partie : Création alternative de nœud (NdT)]. Gardez à l’esprit que (a) vos joueurs trouveront probablement toutes sortes de manières de relier les nœuds que vous n’avez jamais envisagées et (b) vous n’avez pas vraiment besoin de chercher une sorte d’idéal rigide ptgptb [voir la 8e partie : Conception « freeform » dans le Cloud (NdT)].)
Et si vous gérez un nombre de nœuds relativement petit, c’est probablement tout ce que vous devez savoir. Mais à mesure que le nombre de nœuds commence à augmenter, vous trouverez probablement utile de les diviser en paquets plus faciles à gérer : pouvez-vous alors diviser un grand scénario en plusieurs scénarios plus petits ?
Bien entendu, ces scénarios peuvent s’accrocher les uns avec les autres. Mais en les séparant en paquets distincts, je trouve plus facile de garder la structure globale de la campagne gérable et compréhensive.
Pour mes parties, je gère généralement un document appelé « Piste d’Aventure » qui détaille la structure des nœuds de la campagne au niveau macroscopique. Pour ma campagne en cours (en), j’ai divisé la structure macroscopique en cinq actes ; ensuite, au sein de chaque acte, j’ai créé des grappes de nœuds liés, à l’aide d’une structure hiérarchique simple.
Par exemple, voici l’Acte I :
- L’Éveil
- La Piste du meurtrier (Ptolus – Aventure n°1)
- Suivre le Grand Livre
- La Maison de Demassac
- Jirraith et les chiens pâles
- Le Problème avec les gobelins (Ptolus – Interlude n°1)
- Le Complexe de zombies
- Le Laboratoire de la Bête
- Les Cavernes gobelines du Seigneur du limons
- La Fille du contrebandier (Ptolus – Aventure n°2)
- L’Enclave des esclavagistes
- La Fin de la Piste (Ptolus – Aventure n°3)
- Les Épées de Ptolus
- Le Théâtre nuage
- La Tanière de Shilukar (Ptolus – Aventure n°4)
Chaque ligne ici est un scénario majeur avec les différents scénarios interconnectés en tant que nœuds. Certains de ces scénarios individuels sont également conçus à l’aide de techniques basées sur des nœuds.
Les lignes en retrait sont étroitement associées aux « nœuds principaux » situés au-dessus d’eux ; en d’autres termes, j’utilise une structure élémentaire pour regrouper facilement le contenu de l’Acte I dans des paquets conceptuels pratiques. Ce schéma identifie aussi chaque nœud : « L’Éveil » est le Nœud 1 ; « Le Laboratoire de la Bête » est le Nœud 3B ; et ainsi de suite.)
L’Acte II de la campagne est encore plus complexe, avec un total de 42 scénarios majeurs. Afin que la structure de l’acte reste gérable, je l’ai décomposé en trois « morceaux » semi-indépendants, chacun de ces éléments a ensuite été organisé de la même manière que le schéma de l’acte I ci-dessus.
J’ai trouvé cette méthode « Piste d’Aventure + Liste de Connexions » très utile pour la préparation et la maîtrise d’une campagne en nœuds. Mais cela n’a rien de magique. Vous devriez trouver la méthode qui vous convient le mieux. Cependant mon argument principal est que vous devriez vous efforcer d’atteindre une compréhension avancée de la structure de vos nœuds, et découper cette structure en morceaux plus gros et aussi faciles à gérer que nécessaire.
Partie 4 – la seconde piste d’aventures
Un aspect que j’ai effleuré en discutant de l’organisation des nœuds est la difficulté de travailler avec de grands réseaux de nœuds.
Cela rejoint le Nombre Magique Sept évoqué par le bloggeur Delta, dont j’ai déjà parlé alex (en). Pour résumer :
- La capacité de la mémoire de travail de la plupart des adultes se situe dans la plage de 7 +/- 2 objets. Comme la mémoire à court terme lors de la mémorisation de chaînes de chiffres aléatoires.
- Au-delà de ces limites, les performances cognitives diminuent rapidement.
En d’autres termes, nous sommes généralement assez bons pour conserver entre 5 et 9 objets dans notre esprit à un moment donné. Un peu plus que cela, et la tâche devient de plus en plus difficile (ou impossible).
Donc, si vous commencez à vous attaquer à de grands réseaux de nœuds, vous pouvez rapidement atteindre un point où vous ne pouvez pas garder tout « en tête » en même temps. À ce stade, le réseau devient difficile à concevoir et à gérer, particulièrement pendant une séance de jeu.
Évidement, bien organiser votre réseau peut en faciliter la gestion. Par exemple la structure de l’Acte I de ma campagne exposée plus haut, était composée de 15 nœuds difficiles à gérer, que j’ai décomposé en 6 nœuds principaux avec un nombre variable de nœuds secondaires [rattaché à chacun]. Je pouvais facilement saisir la structure [générale du scénario en observant les] 6 nœuds principaux, puis « faire un zoom » pour me concentrer sur les nœuds secondaires si nécessaire.
Mais ce principe nous offre également une opportunité en tant que créateurs : un moyen simple et rapide d’ajouter de la complexité à un scénario en nœuds consiste simplement à ajouter un deuxième ensemble de nœuds qui sont en grande partie ou entièrement déconnectés du premier.
J’appelle cette technique la seconde piste [track en VO – le sens de « piste » qu’on retrouve dans le jeu de plateau : une sorte d’échelle où l’on déplace des curseurs pour marquer l’avancement d’un tas de facteurs (NdT)].
D’après mon expérience, il est particulièrement facile de gérer une seconde piste d’aventures si celle-ci utilise des méthodes différentes pour relier ses nœuds [voir partie 2 : navigation entre les nœuds]. Par exemple, vous pourriez imaginer un réseau principal de nœuds combiné à une chronologie « d’événements en toile de fond » reliés entre eux par des indices. Mais cette division des méthodes n’est pas obligatoire.
Cela fonctionne bien parce que, de votre point de vue derrière l’écran, il n’y a que deux gros « morceaux » de 4 à 6 nœuds chacun : Facile à gérer. Facile à comprendre. Facile à concevoir. Facile à mener.
Mais pour les joueurs – qui ne sont pas au courant de cette structure – il y a 10-12 nœuds. Cela dépasse le Nombre Magique Sept et leur offre suffisamment de complexité pour devenir énigmatique.
Autrement dit : le MJ peut facilement gérer les réactions du complot n°1 indépendamment des réactions du complot n°2. Tant que les joueurs, eux, n’auront pas compris qu’il existe deux conspirations distinctes, ils ne pourront même pas commencer à comprendre ce qui leur arrive.
Sélection de commentaires
Dan Dare
Justin, as-tu déjà examiné en particulier les nœuds auxquels les joueurs doivent revenir ? Par exemple, ils trouvent l’entrée de la tanière secrète, puis décident de partir et de faire autre chose, et y reviennent plus tard pour y entrer voir ce qu’il y a à l’intérieur.
Justin Alexander
J’ai tendance à ne pas concevoir de nœuds qui doivent être expressément ré-explorés, parce que je ne sais pas vraiment avec certitude ce que les PJ vont y faire ou accomplir. L’exception serait, par exemple, un indice dans un nœud ultérieur révélant quelque chose concernant un nœud déjà visité – qu’il s’agisse de l’entrée de la tanière secrète ou du fait que Monica était l’amante secrète de Raymond.
Cependant, cela se produit tout le temps de manière naturelle pendant la partie.
Ma méthode principale pour gérer cela est la « Feuille d’état de la Campagne ». J’écrirai un long article là-dessus à l’avenir.
L’essentiel est que, si les PJ visitent un nœud, ce dernier finira généralement par être altéré d’une manière ou d’une autre – comme une planète qui serait écartée de son orbite. Donc, si les PJ le revisitent, ils devraient voir les conséquences de leurs actions. Finalement le nœud, comme une orbite perturbée, trouvera un nouveau statu quo (probablement différent du précédent).
Quelques exemples de mes propres campagnes :
– Les PJ enlèvent l’idole maléfique qui nourrit la Chair vivante qui s’est développée sur les murs du donjon. Ils reviennent plusieurs semaines plus tard pour voir si le méchant (qui s’était échappé) est revenu dans son ancien repaire, et découvrent que la Chair vivante est maintenant morte, en train de pourrir et est devenue le festin d’asticots géants.
– Les PJ attaquent un camp d’esclavagistes et reviennent pour découvrir que ceux-ci ont engagé des mercenaires pour renforcer leur sécurité.
– Les PJ accomplissent involontairement une action qui nuit politiquement à un seigneur mineur, avec qui ils étaient auparavant en bons termes. Quand ils reviennent discuter avec lui, ils trouvent un interlocuteur froid et distant.
Et ainsi de suite.
sirdnael
BBonjour, (…) j’aimerais en savoir plus sur le concept de « seconde piste ». Je comprends la logique derrière tout cela, mais je n’arrive pas à imaginer un exemple ni comprendre comment l’appliquer durant la partie. (…) ? Je vois beaucoup de potentiel dans l’idée d’ajouter un sentiment de complexité et de réalisme à mes parties. (…).
Justin Alexander
Imagine que tu souhaites mener un thriller politique compliqué dans une ville où la grande République des reptoïdes, la guilde des nécromanciens et la Maison Terenzia luttent toutes pour s’emparer du trône pendant que la horde des orques de Ra’l Khurzan menace la ville.
Donc tu rédiges, disons, 8 nœuds différents pour chacune de ces factions : assassins, cachettes, chefs politiques, sanctuaires souterrains, etc. Ensuite tu regardes tes notes de campagne et tu t’aperçois que tu as environ 32 morceaux différents et… c’est trop. Tu ne peux pas vraiment suivre ça dans ta tête, n’est-ce pas ? Il y a tout simplement trop d’éléments mobiles.
Donc, que faire ? Tu prends en pensée toutes ces pièces et les divises en pistes distinctes. Les nœuds A1-A8 regroupe les affaires des reptoïdes. Les nœuds B1-B8 celles des nécromanciens. Et ainsi de suite.
Maintenant, tu peux regarder uniquement les affaires des reptoïdes et en avoir une compréhension intuitive : tu contemples les relations entre les différents PNJ. Tu peux voir (et concevoir) les co-dépendances entre chaque nœud.
Dans ce cas précis, cela semble aller de soi : la distinction entre ces pistes est en quelque sorte intégrée dans l’univers de campagne, non ? Les reptoïdes. Les nécromanciens. Les nobles. Les orques. Mais même dans ce cas, je constate que si on ne les sépare pas consciemment et délibérément et ne les organise pas en conséquence, on finit par rendre les choses plus difficiles.
Ce que je veux surtout dire, c’est qu’une seconde piste ne va pas nécessairement de soi.
Par exemple, éliminons les nécromanciens, les nobles et les orques et concentrons notre campagne sur les reptoïdes. Mais les reptoïdes sont une conspiration vraiment énorme ; ils ne devraient pas se limiter à quelques bâtiments et une demi-douzaine d’agents, non ? Tu veux un réseau super-enchevêtré avec des dizaines et des dizaines de connexions entrelacées. Que faire ?
Divise la conspiration en pistes d’aventures distinctes.
Piste 1 : Enquêter sur le trafic de drogues hypnotiques des reptoïdes.
Piste 2 : Suivre le circuit de blanchiment de l’argent des reptoïdes.
Piste 3 : Enquêter sur l’assassinat de Suzy Lacrosse, une informatrice qui leur avait promis de leur donner un tas d’informations.
Piste 4 : sur le Dark Web, il circule des signalements d’activité reptoïde manifeste.
Les pistes 1, 2 et 3 sont toutes des enquêtes distinctes de 6 à 8 nœuds chacune. (Certains des nœuds de ces enquêtes peuvent être des scénarios complexes de cambriolage ou de raid.) La piste 4 est une série linéaire d’événements que les PJ peuvent tirer de leurs informateurs ou en surveillant directement le Dark Web.
(Au cas où ça ne serait pas clair, toutes ces choses se passent en même temps.)
Chaque morceau est, dans l’esprit du MJ, dans sa case, n’est-ce pas ? Lorsqu’il les créé et regarde ses notes, il a essentiellement une antisèche qui dit : « Cette chose étrange ou ce lieu reptoïde, ou quoi que ce soit d’autre, fait partie de la piste X. » Donc, plutôt qu’un énorme désordre, il contemple quatre trames distinctes qu’il est facile de comprendre individuellement.
Les joueurs, cependant, n’ont pas accès à l’antisèche. Ils ne possèdent pas la faculté innée de percevoir la structure sous-jacente. Ils ne voient qu’une énorme masse d’activité reptoïde et ils doivent comprendre ce qu’il peut bien se passer.
Et le MJ peut (et devrait) améliorer cela en interconnectant les pistes de manière sélective : l’argent blanchi (piste 2) provient du commerce de drogues hypnotiques (piste 1). Ils peuvent découvrir que Suzy (piste 3) travaillait pour l’un des parrains du cartel des drogues (piste 1). Ils ont des images de surveillance de mauvaise qualité de la personne qui, pensent-ils, a tué Suzy (piste 3), et ils la repèrent à l’arrière-plan d’un reportage, dont le Dark Web mentionne qu’il contient des activités reptoïdes (piste 4).
Cette interconnexion n’empêche pas le MJ de toujours voir clairement la structure globale, mais il sera plus difficile pour les PJ de comprendre cette structure. Qu’est-ce qui fait partie de leur enquête sur Suzy ? Qu’est-ce qui fait partie de l’enquête sur les drogues ? Quelles informations sont juste des reportages généraux ? Tout se mélange.
J’aime particulièrement les longues campagnes de complots, mais cela peut aussi s’appliquer au niveau d’un seul scénario.
Piste d’aventures 1 : Les nœuds de l’enquête.
Piste d’aventures 2 : Une série de rencontres préventives et d’intensité croissante, au cours desquelles les méchants mènent diverses actions pour tenter de faire dérailler l’enquête des PJ (envoi de malfrats, incendie de leur maison, diffamation dans la presse, etc.).
Un grand nombre de scénarios du commerce, par exemple, vont en quelque sorte mélanger tous ces événements. Mais il devient tellement plus facile pour le MJ de mener le scénario s’il sépare clairement ces choses en deux pistes qu’il peut gérer indépendamment l’une de l’autre.
Articles originaux : Advanced Node-Based Design - Part 3: Organization ; Part 4: The Second Track
Vers les parties 5 et 6
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