Pour des espaces plus sécurisés II (côté organisation)
© 2022 Mirella Machancoses
NdT : Pour cet article uniquement et sa première partie, pensés en particulier du point de vue des femmes rôlistes, nous avons gardé le féminin neutre de la version d’origine.
Bonjour, j’organise des événements liés au JdR et j’aimerais que mon espace soit plus sécurisé pour tout le monde. Malgré quelques tentatives et la prise de mesures en interne, j’ai l’impression que ça n’a aucun effet, ou en tout cas, ça ne se voit pas. Qu’est-ce que je fais de travers ? »
Croyez-le ou non, mais j’ai déjà entendu ce genre de phrases, presque mot pour mot, à plusieurs reprises, lorsque j’abordais la thématique de la sécurité dans les espaces de JdR, en particulier pour les GN et les conventions. Je peux comprendre que, parfois, après un incident ou lorsqu’une rumeur court, ça puisse être difficile de savoir comment réagir. Comment faire comprendre à vos joueuses ou participantes qu’elles sont en sécurité et que l’organisation se soucie d’elles ?
C’est pourquoi j’écris cet article séparément de la partie précédente ptgptb, qui mettait l’accent sur les espaces plus sécurisés et notre rôle individuel dans ces espaces. Qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une association ou d’un groupe d’amis sans entité juridique, une organisation peut prendre des mesures spécifiques essentielles pour faire évoluer les choses, mais également difficiles à mettre en œuvre sans un minimum de formation sur le sujet. Comme pour l’article précédent, je m’appuierai en grande partie sur l’excellent ouvrage de Shawna Potter, Cómo crear espacios más seguros es [Comment créer des espaces plus sécurisés]. J’espère sincèrement que ces quelques lignes vous aideront pour amorcer un changement et faire en sorte que vos espaces deviennent des espaces plus sécurisés pour toutes.
Signalez vos intentions
Nous devons signaler clairement nos intentions, que ce soit lors d’événements physiques ou en ligne, pour montrer aux gens que nous sommes réellement un espace qui œuvre en ce sens et pour que toutes les personnes qui décident de nous rejoindre se sentent les bienvenues. Potter parle longuement de la manière qui permettrait de rendre les espaces plus sécurisés en citant l’exemple du monde des concerts ; j’ai voulu adapter cette mesure à nos propres espaces, que ce soit pour les conventions, les GN, les espaces d’échanges en ligne, etc.
J’aimerais donc passer en revue les moyens dont nous disposons dans le cadre de nos organisations en lien avec le JdR, quelle qu’en soit leur nature.
- Sur Internet : ajoutez une section consacrée à vos principes et/ou décrivant le protocole général de lutte contre le harcèlement que vous avez mis en place pour l’événement. Si vous êtes une organisation responsable de plusieurs événements, vous pouvez les indiquer sur la page ou dans la note d’intention de chaque événement.
- Dans la note d’intention (es) : chaque note d’intention que nous établissons pour un événement doit systématiquement inclure le protocole de sécurité mis en place, en particulier s’il s’agit d’un GN que vous organisez vous-même. Si la note est disponible au téléchargement, nous vous conseillons d’y énoncer vos principes, le besoin de sécurité et d’expliquer certains outils qui peuvent contribuer à la sécurité. Ainsi, les personnes qui ne connaissent pas ces mesures pourront les découvrir et les mettre en œuvre grâce à vous.
- Le lieu de l’événement : c’est important d’afficher le protocole de sécurité sur l’un des murs du lieu, là où tout le monde peut le voir et s’en souvenir. C’est ce qui nous fait le plus défaut dans le monde du JdR et du GN, mais je pense que c’est une étape que nous devrons franchir prochainement. Vous pouvez accrocher un joli panneau avec la mention « Ici, vous êtes dans un espace sécurisé » accompagné du code QR qui renvoie vers le règlement intégral et vise surtout à rappeler à tout le monde, au [potentiel] harceleur tout comme à sa cible, l’existence de règles à respecter. Dans le grandeur-nature, tous les efforts sont déployés pour ne pas gâcher « l’immersion » ; on peut donc préférer accrocher ce type de panneau dans les toilettes. À l’heure actuelle, le [collectif rôliste féministe] Santuario de Selene travaille sur des panneaux immersifs que vous pourrez utiliser lors de vos événements.
- Les membres de l’organisation : indiquez clairement qui fait partie de l’organisation, par exemple en leur faisant porter des t-shirts différents. Cela permettra de mieux repérer les membres pour faire appel à eux pour déclencher le protocole de sécurité. Si vous avez une équipe de sécurité spécifique, elle devra également être facilement identifiable. Dans les GN espagnols, nous utilisons principalement un brassard violet, en particulier si l’événement dispose d’un point violet [en Espagne, un « Punto Violeta » est un lieu pour accompagner les personnes victimes de violences sexistes (NdT)].
En outre, vous devez signaler, d’une manière ou d’une autre, certains aspects qui peuvent être discriminatoires, que ce soit sur Internet, dans vos publicités ou dans vos notes d’intention. Ces points peuvent concerner l’accessibilité au lieu de l’événement, le prix, les arrêts de transport public, etc. Prendre en compte ces aspects peut aider les personnes ayant un handicap ou des difficultés financières à se rendre à votre événement, encourageant ainsi l’équité.
Une communauté ouverte devient une maison pour chacune
Potter souligne que la prévention est l’une des meilleures façons d’éviter le harcèlement. Pour ce faire, nous devons encourager le respect et aller au-delà des exigences légales ; ceci étant dit, elles constituent le minimum à appliquer, surtout si nous sommes une entreprise ou une association. Afin de vous aider à réfléchir aux points que nous pouvons améliorer, voici une liste qui s’inspire d’une liste figurant dans le livre de Potter ; je l’ai reprise puis complétée et adaptée aux besoins propres au milieu du JdR.
Comme pour n’importe quelle liste, respecter chaque point peut vite devenir compliqué, d’autant que votre événement n’a pas nécessairement besoin de tous ces points ou ne s’y prête pas forcément. Si tel est le cas, il est important de préciser (comme évoqué précédemment) que l’événement n’est pas adapté à certains types de besoins et qu’il faut contacter l’équipe organisatrice en cas de doute.
À titre d’exemple, la dernière fois que nous avions organisé un GN de Hasta que la Mafia nos separe [Jusqu’à ce que la Mafia nous sépare], plusieurs joueuses présentaient un handicap. Le cas plus délicat était celui d’une GNiste aveugle avec qui nous avions discuté personnellement pour pouvoir adapter le jeu à ses besoins spécifiques : nous l’avions installée dans la même chambre que son auxiliaire (qui était d’ailleurs la plus facile d’accès, au rez-de-chaussée et sans escalier), nous nous sommes assurées que sa fiche soit compatible avec un lecteur d’écran, etc. On pourrait penser que ce n’est pas grand-chose, mais pour une personne dans cette situation, ça change absolument tout.
Mais avant de passer à la suite, j’aimerais remercier Liza Pluijter pour sa relecture des listes et sa contribution à certains éléments qui y figurent.
L’accessibilité aux événements en présentiel passe par :
- Une rampe ou un moyen d’accès alternatif à chaque escalier.
- Des toilettes adaptées.
- Suffisamment de sièges un peu partout dans l’espace occupé par votre JdR pour que tout le monde puisse faire une pause.
- Quelques chaises sans accoudoirs pour se lever et s’asseoir plus facilement.
- Des informations au bon format pour les lecteurs d’écran (attention aux documents uniquement disponibles en PDF !)
- Des fiches de personnages en texte brut avec une police claire pour les personnes ayant des difficultés de lecture. Il en va de même pour tout le matériel utilisé au cours du jeu.
- Du papier et des stylos à disposition pour la communication non verbale.
- De l’eau gratuite et facile d’accès.
- Un avertissement en cas d’utilisation de lumières intenses, d’effets stroboscopiques ou de machines à fumée, s’il y en a.
- Un avertissement en cas d’utilisation de sons intenses, le cas échéant.
- Une pièce au calme ptgptb pour se reposer en cas de surcharge sensorielle.
- Si vous utilisez un formulaire d’inscription, ajoutez-y une section dédiée aux allergies non alimentaires et aux problèmes de santé pouvant nécessiter une adaptation ou une intervention extérieure pour garantir la sécurité de chaque joueuse.
- Faites un tour d’horizon des besoins individuels signalés avant le début du jeu afin que tout le monde puisse en tenir compte.
- Ayez des horaires aussi précis que possible en indiquant qu’ils sont susceptibles d’être modifiés.
- Autorisez vos joueuses à garder un carnet et un stylo pendant le jeu pour y noter leurs besoins, y compris « hors-jeu ».
Les alternatives alimentaires
- Les responsables des repas doivent savoir faire la différence entre allergie et intolérance.
- Ayez des alternatives aux allergènes les plus courants et aux restrictions alimentaires.
- Si vous engagez un service de traiteur pour votre événement, demandez à tout le monde de préciser les allergies alimentaires afin que votre traiteur puisse les prendre en compte dès le départ.
- Respectez les protocoles de séparation des aliments à risque allergène lors de la manipulation et du stockage.
- En cas de signalement d’allergies graves, ne laissez personne apporter des aliments faits-maison pour les consommer dans les espaces communs.
- Si votre JdR implique l’utilisation d’aliments, par exemple pour les potions, vérifiez qu’aucun d’entre eux ne figure sur la liste des allergies de vos joueuses. Cette règle s’applique autant aux aliments fournis par l’organisation que par les participantes.
- Proposez également des boissons sans alcool, par exemple pour trinquer.
- En cas d’urgence, ayez des sacs de sel et de sucre disponibles.
- [Proposez également des alternatives végan, halal ou kasher en cas de besoin (NdT)]
Le genre
- Adoptez un langage inclusif ou épicène pour indiquer les toilettes. Si le lieu du JdR est un lieu public, vous pouvez prendre des mesures temporaires.
- Gardez toujours dans votre trousse de premiers soins des produits hygiéniques (serviettes, tampons).
- Pensez à mettre à disposition du papier toilette, des serviettes en papier et du savon pour les mains dans les toilettes.
- Signalez avec des affiches ou des panneaux que les discours transphobes et homophobes sont interdits.
- Présentez les membres de l’équipe en indiquant leurs pronoms.
- Indiquez les pronoms des joueuses et de votre équipe sur leur badge, le cas échéant. Pour plus de détails sur l’importance de ce point, je vous encourage à lire cet article (es).
- Indiquez clairement le point violet ou la personne faisant office de point violet.
Pour vous faciliter la tâche, nous avons préparé des fiches à télécharger qui vous permettront de garder tous ces conseils sous la main :
Vers une vision kaléidoscopique du JdR
Bien que ce soit généralement fait de manière inconsciente, nos événements (conventions ou GN) présentent un biais majeur concernant le genre, l’ethnicité ou la représentation LGTBI+ qu’il est très facile de perpétuer s’il n’est pas pris en compte dans nos réflexions. En effet, dans un monde où la plupart des équipes organisatrices sont composées de bénévoles, ce n’est pas rare de se retrouver à travailler avec des amies ou connaissances, ou de les inviter comme intervenantes lors d’une conférence. Par conséquent, nous devons prioriser la présence de personnes issues de milieux et d’expériences de vie différents lors de nos événements, surtout lorsque nous sommes une entreprise ou une association.
Si votre organisation, votre chaîne YouTube ou votre convention ne peut accueillir que des hommes blancs cisgenres d’âge moyen, vous prendrez parfois moins de risques ; mais vous donnerez également l’impression que c’est la norme du JdR, et que les personnes qui ne rentrent pas dans ce moule ne sont pas les bienvenues. La prochaine fois que vous organiserez un événement, posez-vous la question suivante : qui puis-je inviter pour avoir plus de diversité et apporter de nouveaux points de vue ?
Si vous pratiquez le GN, ou si vous créez des vidéos d'Actual Play, je vous conseille également de prendre une minute pour réfléchir au biais dont vous faites preuve dans vos fiches, vos personnages, vos PNJ, etc. Voici quelques points sur lesquels vous pouvez vous questionner :
- Le viol est-il un recours narratif par défaut dans mes fiches de personnages féminins (1) ?
- Mes personnages masculins le sont-ils par défaut ? Vous trouverez un autre article sur ce sujet juste ici (es).
- Est-ce que les personnages féminins peuvent accéder à des postes à responsabilité ?
- Est-ce qu’il y a des personnages qui sortent du binarisme de genre ?
- Y a-t-il des personnages handicapés ?
- Tous mes personnages sont-ils blancs ?
- Est-ce que je montre une diversité de corps et d’expériences à travers eux ?
- Y a-t-il des personnages LGTBI+ dans ce que j’ai écrit ?
Exemple d’une affiche présentant des personnages diversifiés dans des positions valorisantes, un facteur crucial pour l’égalité. Propriété d’Efimeral Events.
Enfin, nous devons également nous pencher sur la représentation physique de ce que nous créons et les images que nous diffusons. Potter aborde également ce point dans son livre. La représentation des images avec lesquelles nous illustrons nos jeux, les photos que nous diffusons de nos GN, etc. sont des points clés dans le JdR. Voici un exemple illustrant parfaitement cet axe de réflexion : Ariadne Vilu, l’une des organisatrices d’Efimeral Events (es), a écrit un post qui démontre que l’affichage d’images de femmes GNistes dans une campagne publicitaire payante sur Facebook a multiplié les inscriptions féminines au GN The Witcher qu’elle organisait. Il est donc plus que clair que la représentation joue un grand rôle.
Le rôle de la modération
Il vous appartient de couper court aux comportements racistes, sexistes, etc. dans vos espaces lorsque vous les constatez. Soyez ferme à ce sujet et, petit à petit, la communauté qui vous entoure changera, en particulier dans les espaces de discussion tels que les forums, les serveurs Discord et Telegram, ou même lors des débats en convention. Si vous indiquez clairement que vous désapprouvez de tels comportements, vous éviterez qu’ils se reproduisent.
Lorsque j’aborde ce sujet, je cite souvent l’exemple du groupe Telegram « Charlas desde Shadowlands » qui est modéré par l’admin du groupe lui-même. La seule fois où un nouveau venu a dépassé les bornes avec une blague sexiste, l’équipe de modération est intervenue très rapidement en disant qu’un tel comportement n’était pas autorisé dans ce groupe, le tout sans essayer de débattre avec lui. Au-delà d’avoir été plus qu’efficace, le fait de savoir que de telles choses ne sont pas autorisées et que les responsables du groupe sont prêts à s’exprimer et à défendre les autres dans de telles situations m’a permis de me sentir en sécurité dans ce groupe.
Il est donc important que le protocole que nous allons adopter soit parfaitement clair, de même que les mesures disciplinaires qui l’accompagneront. Il est beaucoup plus facile de modérer un espace et d’appliquer des sanctions si nécessaire lorsque les règles sont claires.
Que doit contenir une « politique de lutte contre le harcèlement / un protocole de sécurité » ?
Si vous souhaitez mettre en place des protocoles de sécurité qui facilitent votre modération, je vous conseille d’adopter un protocole adapté à chacune de vos activités GNistes et en présentiel. De plus, il est essentiel que vous élaboriez avec soin votre protocole, car votre marge de manœuvre dépendra généralement de ce qu’il contient. Si vous voulez en savoir plus à ce sujet, le Santuario de Selene (es) propose un guide plutôt bien fait en constante évolution.
Voici mes conseils personnels :
- Indiquez clairement les outils de sécurité que vous allez utiliser (avant, pendant et après l’événement).
- Déterminez s’il y aura une salle sécurisée et/ou un point violet, ou des agents qui incarnent ce point violet.
- Indiquez clairement où il faut se rendre en cas d’incident.
- Établissez un système d’incidents avec les sanctions correspondantes.
- Expliquez si vous appliquerez un processus de signalisation et/ou des listes ouvertes de participantes.
La signalisation est un outil de sécurité utilisé avant le début d’un événement, en particulier dans le cas des GN, et son importance est d’autant plus grande s’il s’agit de petits événements avec des intrigues prédéterminées. La signalisation consiste à envoyer à tout le monde les listes des personnes présentes à l’événement et à donner une date limite pour faire part d’éventuelles préoccupations en matière de sécurité. Cela se fait par le biais de « drapeaux », d’où son nom [en anglais « flagging » (NDT)] :
- Drapeau vert (ou ne rien dire) : tout va bien.
- Drapeau jaune : j’ai des problèmes avec cette personne et je préfère ne pas la croiser, sauf de loin.
- Drapeau rouge : cette personne constitue un problème de sécurité lors d’un événement ou je ne veux pas du tout la croiser.
Cet outil vous permet de retirer de vos événements les personnes dont vous ne saviez pas qu’elles sont problématiques ; mais aussi de séparer les personnes qui pourraient potentiellement entrer en conflit (par exemple, si vous organisez plusieurs sessions du même GN) et de faire en sorte que tout le monde se sente à l’aise.
Il n’y a rien de pire que d’arriver à un événement que vous attendez avec impatience et de tomber sur une personne que vous ne désirez surtout pas voir ou qui vous a harcelée par le passé. L’utilisation de listes ouvertes permet de vous assurer que, si cela ne pose pas de problème de sécurité pour les autres, quelqu’un peut partir sans subir un choc émotionnel qui aurait un impact à la fois sur la personne et sur le GN.
Comment réagir immédiatement
Parfait ! Nous avons à présent un bon protocole anti-harcèlement, bien écrit et affiché dans un endroit visible. Il prend en compte les sanctions et définit les étapes à suivre pour qui l’utilisera. Ceci dit, les choses se passent rarement comme prévu lorsque la première personne à avoir subi une de ces agressions se présente à nous. Et ce n’est pas toujours facile de savoir comment réagir.
Très souvent, si l’agression vient de se produire, la victime peut être en pleine crise, un état qui peut prendre différentes formes : gémissements, pleurs, crises d’angoisse, voire une forme de sidération ou de paralysie qui peuvent l’empêcher d’exprimer ce qu’elle veut faire suite à cette agression. C’est pourquoi il est important d’apprendre quelques astuces qui nous permettront de l’aider : calmer sa respiration, lui demander de décrire ce qu’elle voit ou entend, etc. Comme toujours, le livre de Potter contient plein d’exemples.
Une fois calme, ce sera à la victime de raconter ce qui lui est arrivé et nous devons faire preuve de la meilleure empathie possible tout au long de son récit, sans rejeter la faute sur elle concernant ce qu’elle a vécu ou ressenti. Notre rôle n’est pas de juger, mais d’accompagner.
Après cela, ce sera le moment de lui demander ce dont elle a besoin. Même avec une politique exacte sur la façon d’agir dans la plupart des cas, nous devons respecter les désirs de la victime ainsi que sa vie privée. Nous ne pouvons pas, par exemple, l’obliger à se confronter à son agresseur : cela pourrait empirer le processus traumatique (2) .
Voici des exemples de comportement à appliquer avec toute personne ayant vécu une expérience traumatisante, quelle qu’elle soit. Comme pour les autres conseils de ce genre, ils sont extraits du livre de Potter.
- Laissez-les parler et faire des choix, même en ce qui concerne des choses simples comme où s’asseoir et s’il leur faut de l’eau.
- Assurez-vous qu’en plus d’être physiquement hors de danger, elles aient également le sentiment d’être en sécurité.
- Soyez transparente sur les actions que vous allez prendre et ce qui va se passer ensuite.
- Définissez ensemble les prochaines étapes.
En ce qui concerne nos espaces rôlistes, nous pouvons en distinguer deux en particulier.
Dans le cas d’une convention ou d’un GN, en présentiel, nous pouvons appliquer ces conseils à la lettre et apporter une aide plus directe. Si nous sommes dans un GN et que le jeu a été interrompu pour la victime, il faut s’assurer qu’elle n’en sera pas pénalisée. Si elle veut continuer à jouer plus tard, il faut garantir à la fois sa sécurité et la possibilité de recréer le lien avec les évènements de la partie.
En ligne, une partie des outils disponibles en présentiel ne peut pas s’appliquer, mais il est possible de créer des espaces sécurisés et privés, via des appels vidéo, la messagerie instantanée, etc., selon ce que la personne concernée préfèrera.
Conseils généraux sur l’attitude à avoir
Potter résume les conseils sur l’attitude à avoir en trois mots : écouter, agir et vérifier. Comme elle le dit elle-même, vous n’êtes ni de la police ni psychologue, votre devoir se limite donc à aider un autre être humain à faire face à une mauvaise expérience. Pour cela, appliquez les conseils suivants (bien plus développés dans le livre de Potter aux pages 55 et suivantes [de l’édition espagnole], si vous souhaitez les approfondir).
Écouter : Croyez la victime. Faites-lui savoir que vous percevez qu’elle est passée par un moment où elle s’est sentie en insécurité. Appliquez les conseils mentionnés précédemment pour l’aider à mieux surmonter cette expérience.
Agir : Vous devez montrer clairement que vos actes sont cohérents avec vos paroles. Laissez la victime choisir quelle action vous pouvez prendre par la suite ; par exemple, surveiller l’agresseur, le confronter [vous-même] ou l’expulser du lieu (tant que cela reste dans le cadre légal). En cas de confrontation, essayez d’avoir le soutien d’une autre membre de l’orga et de désamorcer la situation dès que c’est possible.
Vérifier : Comment se porte la victime après cet incident ? Dans un milieu comme le nôtre, où, souvent, tout le monde se connaît, l’incident n’est pas clos dans les instants qui suivent. Si vous le pouvez, prenez de ses nouvelles et vérifiez comment elle se sent quelques jours plus tard.
De plus, dans le petit milieu du JdR où l'on se rencontre fréquemment, il existe un problème particulier : la probabilité que vous connaissiez l’agresseur, voire qu’il soit votre ami. Et croyez-moi, ça complique énormément les choses (je parle ici par expérience personnelle, mais je ne peux pas vous en dire plus publiquement).
Si ça devait vous arriver, je vous conseille d’agir exactement de la même manière que pour quelqu’un que vous ne connaissez pas, et d’appliquer le protocole. Bien entendu, votre rôle en sera plus difficile. Plus tard, vous pourrez vous adresser à cet agresseur en tant qu’ami.e, mais au tout début, il est important de privilégier la volonté de la victime. Il en va de même si la victime et l’agresseur se connaissent.
À long terme
Un des points qui revient le plus lorsqu’une association fait appel à moi pour parler de ses protocoles anti-harcèlement ou des sanctions qu’elle devrait prendre est sans aucun doute celui du long terme : comment agir par rapport à quelqu’un dont la faute a été commise il y a longtemps et qui vous a été rapportée par une tierce personne ? Devons-nous autoriser un agresseur à revenir dans nos communautés pour le réintégrer ?
Évidemment, les réponses à ces questions ne sont pas - et ne peuvent pas être - simples. Pour vous donner une idée, Potter dédie un chapitre entier à cette question, avec un tas d’options. Je vous propose ici une ébauche de ce que j’essaye de mettre en place parmi elles.
Les gens coupables de ce genre de comportement doivent faire face aux conséquences de leurs actes, mais il est aussi important qu’elles aient une chance d’en tirer une leçon et d’améliorer leur attitude. Le plus difficile réside entre les mains de la communauté : aider cette personne à assumer la responsabilité de ce qu’elle a fait et à modifier son comportement à l’avenir.
Si je peux vous donner un conseil, allez parler en personne à l’agresseur. Des études démontrent qu’il est beaucoup plus efficace sur le long terme de parler d’un problème en personne plutôt que par un moyen intermédiaire numérique (c’est encore Potter qui me fournit les sources qui me manquaient). Et il se peut que ce soit la seule manière de créer un changement à long terme. Ce rôle ne revient pas à la victime, mais en tant qu’organisatrices, vous pouvez y prendre part activement.
Si vous êtes confrontées à une situation comme celle mentionnée au début de cette section, vous devrez évaluer si la personne a fait un travail de réflexion et reconnaît les problèmes de son passé. Dans ce cas, vous devrez faire l’effort de l’autoriser à participer à nouveau en la gardant à l'œil, mais sans pour autant vous montrer hostile. Une démarche qui n’est facile ni pour l’agresseur, ni pour la victime, ni pour la communauté, et qu’il vaut mieux réaliser en groupe et en parlant à toutes les parties impliquées si possible. Veillez aussi à ce que votre espace ne redevienne pas un endroit dangereux pour la victime, ne serait-ce que parce qu’elle va se remémorer ce qui lui est arrivé. Finalement, si nous croyons à la rédemption, nous devrons nous assurer que tout le monde y participe.
Reconnaître sa responsabilité
Tout le monde commet des erreurs, plus facilement que ce qu’on peut penser, même en ayant pris conscience de tout ce dont on a parlé jusqu’ici. Potter divise ces erreurs en deux grandes catégories :
- Celles que l’on a faites [alors qu’on n’aurait pas dû],
- Celles que l’on n’a pas faites [alors qu’on aurait dû].
Dans tous les cas, quand on en commet, il est important de savoir en tirer la leçon et de s’améliorer pour une prochaine fois.
Pour les erreurs mineures et accidentelles, il vaut mieux s’excuser immédiatement et avec sincérité. Ne profitez pas de vos excuses pour vous justifier ; reconnaissez juste l’erreur et réfléchissez à ce que vous ferez la prochaine fois. Par exemple, si vous avez laissé entrer dans votre GN une personne problématique et que le côté légal ne vous permet pas de l’exclure, vous pourriez dire quelque chose comme : « Nous sommes désolées pour ce qui est arrivé. Nous allons mettre en place des protocoles de sécurité qui nous permettront d’agir à l’avenir et nous ferons attention à ce que cette personne ne soit plus un problème. »
S'il s’agit d’un incident grave ou qui a été révélé au grand jour d’une manière ou d’une autre, il est important que l’excuse se fasse publiquement. Potter dédie le chapitre 3 à la responsabilité qui nous incombe, mais je retiens surtout les conseils sur comment rédiger ces excuses ; car de mauvaises excuses font plus de mal aux victimes, aux membres de l’organisation et à votre image de marque. Il serait dommage qu’en voulant faire les choses correctement, vous vous ratiez faute d’avoir choisi judicieusement vos mots. Donc, lorsque vous rédigez vos excuses, gardez à l’esprit ces conseils de base :
- Prenez votre temps pour écrire les choses calmement et dans un langage adapté.
- Dites clairement ce que vous auriez dû faire et comment vous changerez les choses à l’avenir.
- Écoutez les victimes attentivement et prenez conscience de ce qu'elles attendent de vous.
- Créez ou mettez à jour vos protocoles de sécurité pour qu’ils couvrent le cas pour lequel vous n’avez pas su ou pu réagir.
- Ne changez jamais de sujet et ne cherchez pas d'excuses pour vous décharger de toute responsabilité.
- Excusez-vous avec sincérité.
Derniers conseils
N’attendez pas une plainte
Si vous suspectez un comportement problématique, évaluez la situation et prenez les dispositions qui vous semblent nécessaires. Votre travail est de maintenir un milieu sain et apaisé ; parlez donc à toutes les personnes que vous estimez lésées et assurez-vous qu’elles se sentent en sécurité. Donnez un avertissement aux agresseurs en explicitant que ce genre de comportements n’est pas permis dans vos événements.
Attention à l’alcool
J’ai déjà parlé de l’alcool dans cet article (es), donc je ne m’étendrai pas trop ici. Je soulignerai juste que l’alcool rend les victimes plus vulnérables et qu’avoir une politique saine autour de l’alcool rendra vos événements plus sécurisés (ça ne veut pas dire qu’il faut forcément l’interdire). Faites attention aux fêtes post-événement où l’alcool peut devenir tout aussi problématique qu’en boîte de nuit.
Faites de beaux panneaux…
Nous avons parlé au début de la signalisation et de l’importance de faire connaître les principes d’action de votre organisation. Je vous conseille donc de faire de beaux panneaux qui accompagnent votre événement. Même dans un GN, vous pouvez les intégrer à votre décor et même en faire un élément immersif de votre partie (la taverne, par exemple, peut avoir des panneaux qui servent à la fois en et hors-jeu). Si vous n’y connaissez pas grand-chose en conception graphique, je vous conseille d’utiliser Canva, qui permet de faire des choses stylées avec peu d’efforts.
…qui soient inclusifs !
Si vous voulez faire la promo de vos événements avec des affiches, assurez-vous de faire preuve de diversité de genre, d’ethnie, de handicap, etc., ou tout du moins, évitez de représenter uniquement des hommes blancs ! Une convention ou un GN annoncé par un panneau inclusif attirera plus de membres de groupes personnes issues des minorités, puisqu’iels se sentiront représenté.es. C’est la même chose pour les illustrations de vos jeux, mais on pourrait écrire un article entier sur ce thème.
Des cartes avec des pronoms
Voici la carte de présentation qu’on a prévue pour l’Avanlarp [Le nom et les pronoms du personnage sont indiqués (NdT)].
Je vous l’avais dit dans la première partie de cet article, et dans celui que j’avais consacré il y a quelques années aux prénoms et aux pronoms (es), mais il est essentiel de mettre les pronoms sur les cartes de présentation de vos événements. Pour une convention, utilisez-la pour y préciser le pronom des joueuses. Si c’est pour un GN, ce sera celui du personnage. Dans tous les cas, ça évitera bien des maladresses et ça permettra à chaque personne de voir son genre représenté.
Les inscriptions
Si vous demandez à vos participantes de renseigner leur genre lors de l’inscription à vos événements, ne vous limitez pas au binarisme homme/femme. Il vaut mieux les laisser choisir leurs pronoms ou au moins inclure l’option « non-binaire ». Les participantes se sentiront alors beaucoup mieux accueillies et respectées ; de plus, vous aiderez les futures études sur le genre qui pourraient s’effectuer en collectant les données anonymes de cette manière.
Ayez des thèmes inclusifs
Si vous écrivez du JdR, que ce soit autour d’une table ou en GN, et que vous le publiez, faites attention à l’inclusivité de vos thèmes. J’ai déjà écrit quelques conseils à ce sujet dans l’article précédent ptgptb et dans celui-ci sur le masculin par défaut (es). Appliquez-les et vous ferez énormément évoluer l’ambiance autour de vous (3).
Si vous ne savez pas, demandez
Si vous ne savez pas si vos mesures sont suffisantes, ou si votre représentation d’une minorité est adéquate, demandez ! Il existe des relectrices en sensibilité, mais aussi des groupes à but non lucratif dédiés à ça comme le Santuario de Selene. Utilisez les ressources que vous avez à votre disposition.
Comme toujours, mille merci à toutes celles qui me soutiennent via kofi pour que ce blog continue à voir de nouveaux articles paraître. Vous pouvez continuer à le faire ici.
Article original : Espacios más seguros en el rol (II): la perspectiva del organizador
(1) NdT : Dit comme ça, ça a l’air évident à éviter et rare, mais TV Tropes en répertorie de nombreuses variations de ce recours narratif présentes dans la fiction, en expliquant en quoi elles sont (extrêmement) problématiques. Et si vous vous dites que ça n’arrive plus si souvent en JdR, nous vous conseillons de lire l’exemple au début de l’article La Carte X ne vous sauvera pas de tout ptgptb, qui est arrivé sans que le MJ se demande si c’était une bonne idée. [Retour]
(2) NdT : L’expression “processus traumatique” désigne l’ensemble d’étapes traversées par la victime pour "assimiler" l'expérience vécue. [Retour]
(3) NdT : Par exemple, pour les GN historiques, vous pouvez jeter un coup d'œil à L'Histoire au masculin, féminin et neutre ptgptb. [Retour]
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