Magie : un peu de méthode !
© 1998 Steve Darlington
“Bien que ce soit là de la magie, elle ne manque pas de méthode” (1)
Disons-le franchement, la magie est un problème. Que vous soyez joueur ou maître, faire du jeu de rôle avec la magie ne marche jamais vraiment, cela ne prend jamais vie aussi bien que dans les romans ou les films. Parce qu’au contraire des films ou des romans, toute l’action des JdR a lieu dans nos têtes. Et parfois, nous n’avons pas toute l’imagination flamboyante de Tolkien ou de George Lucas. Et la magie tombe à plat.
L’un des meilleurs moyens de rendre la magie plus intéressante est de ne l’utiliser que très, très, parcimonieusement. Imaginez combien vos parties changeraient si le mage du groupe était la seule personne capable de faire de la magie que les joueurs aient jamais rencontrée.
Ce qu’il faut, c’est un moyen de faire en sorte que “choisir le sort sur la liste et lancer les dés” crée dans votre esprit une image, un tableau, un concept de ce qui se passe. Un truc pour que les gens fassent le lien entre les règles de magie et quelque chose de grandiose et terrifiant. Si vous voulez que vos parties soient pleines de la force d’inspiration que seule la magie peut apporter, vous devez trouver un moyen de sortir cette magie du livre de règles pour l’amener dans la réalité. Bien sûr, le talent des joueurs et du MJ peut aider, mais, précisément, il ne peut qu’aider.
Un très bon moyen pour cela est de commencer par définir la magie. Soyez clair sur ce qu’elle est et comment elle marche. Vous aurez alors une base de travail et des fondations sur lesquelles construire. Surtout, si vous prenez le temps de développer une idée concrète sur le quoi, le comment et le pourquoi de la magie dans votre monde, avant le début de la campagne, chacun pourra beaucoup mieux visualiser les choses, il établira un lien à la réalité plutôt que de se contenter d’une vague idée. C’est ce lien qui permet à la magie de vraiment prendre vie.
Tout le monde arrive à se représenter l’idée d’un duel à l’épée. Les données, les enjeux, les stratégies, les risques, le danger – nous avons tous vu de nombreux duels, et nous avons une bonne idée de la façon dont ils fonctionnent. Cette représentation permet d’enflammer l’imagination des joueurs à l’idée de la moindre escarmouche – ils peuvent se voir en esprit parer ou se fendre, et ainsi relier chaque jet de dés à une péripétie dans le monde du jeu. De même, une conception concrète de la magie peut en faire la matière à l’épopée qu’elle devrait être. Si vous pouvez avoir une image mentale de ce que chaque règle de magie signifie dans le monde du jeu, vous pourrez vous sentir ainsi relié au moindre jet de magie. Une fois que vous établissez cette relation, un jet de dés de magie charriera autant d’effet, de théâtre et d’émotion qu’un jet effectué pour sauter un gouffre de trente mètres ou pour désamorcer une bombe deux secondes avant l’explosion.
Un bon exemple en est le jeu Star Wars (grog) (de West End Games). Les règles de manipulation de la Force sont joliment tournées, mais si elles marchent si bien dans la pratique, c’est parce que tout le monde sait ce qu’est la Force et comment elle fonctionne. Nous l’avons vue en action, nous avons entendu Yoda nous expliquer ses principes, nous avons constaté ses dangers. Et quand un joueur fait un jet d’une de ses compétences de Force, il y a dans l’esprit de tous une connaissance intime de la signification de ce jet dans le monde du jeu qui rend la scène vivace et spectaculaire.
Deux autres bons exemples sont Ars Magica (grog) (d’Atlas Games) et Mage : l’Ascension (grog) (White Wolf). Tous les deux traitent de la magie comme d’une force ayant une interprétation physique précise. Tous les deux détaillent comment et pourquoi cette force peut être contrôlée, et des problèmes que cela implique. Ils donnent aussi un “paradigme magique” (2) clair qui explique comment PENSER la magie dans leurs mondes. Le système d’Ars Magica est particulièrement bon en ce que le paradigme magique se fond parfaitement avec le paradigme médiéval du jeu. Par exemple, dans le monde médiéval, l’enfer était considéré comme faisant partie de la terre. Comme la magie est une force terrestre, elle peut affecter l’enfer et les démons, mais pas les anges ni le soleil ou la lune. Cependant, comme les comètes étaient encore vues comme des phénomènes atmosphériques, elles peuvent être créées par magie !
Il faut également mentionner Maelstrom (grog), jeu méconnu qui présentait un petit système génial fondé sur la distorsion des probabilités – plus il est improbable qu’un effet se produise tout seul, plus le sort est difficile.
L’idée révolutionnaire, introduite par Ars Magica, d’un paradigme pour décrire la magie est vraiment brillante, et contribue à produire ce qui reste, à mon avis, le meilleur système de magie jamais écrit. Il préserve la magie comme une chose mystique, puissante et énigmatique, tout en régulant ses effets. Il permet qu’il y ait un million de variations, mais toutes structurées autour du même thème. Cela vaut le coup de se pencher dessus, si vous en avez l’occasion.
Bien sûr, certains diront qu’expliquer le fonctionnement interne de la magie ne fait que nous ramener à un problème identique : en définissant la magie, vous en ôtez tout le mystère. Ils avanceront que la magie est affaire de fantastique et d’imagination, et que lui donner des règles, c’est lui ôter son âme.
Mais tout ce que vous faites, c’est de lui injecter un ensemble de principes cohérents comme base. En travaillant à l’intérieur de cet ensemble, vous devriez pouvoir travailler les détails pour construire un art convenablement ésotérique. Vous pouvez rajouter de la fantaisie et des ornements, de la légende et des fables, de la superstition et du mystère, et, surtout, du fantastique et de la fiction, en assemblant ainsi quelque chose qui soit tout sauf bien tranché, et tout sauf ordinaire. Mais grâce à votre cohérence interne, cela fera sens pour vous, le MJ, et, ce qui est le plus important, vous saurez exactement comment prendre en main tout ce que les joueurs essaieront de faire avec.
Un paradigme magique, donc, est un excellent moyen d’amener les gens à visualiser la magie et à y réfléchir, en lui donnant du corps et de la structure afin que non seulement elle ait plus de pouvoir théâtral, mais aussi qu’elle soit plus facile à jouer. Mais, comme je le disais plus haut, nous n’avons pas tous l’imagination de George Lucas, Tolkien, ou même de Mark Rein-Hagen. Nous ne sommes pas tous capables de nous asseoir et de sortir de notre chapeau un modèle de magie complet, cohérent et intelligent. En laissant de côté les idées d’Ars Magica ou de Star Wars, comment se trouver vite et sans trop d’efforts un paradigme magique ?
Pour la petite histoire…
Les auteurs de D&D ont emprunté leur paradigme magique aux livres de fantasy de Jack Vance (wiki). Le seul problème, c’est qu’ils ont écrit le jeu pour leurs amis, tous lecteurs de Vance. C’est pour cela que ça ne passe pas très bien chez ceux qui ne l’ont pas lu…
Eh bien, comme tous les bons MJ le savent, si vous n’êtes pas capables de créer, volez. Si vous trouvez un roman qui donne une bonne explication, utilisez-la.
- Le “Don” d’Ursula Le Guin en est un bon, fondé sur le “vrai nom” des choses.
- David Eddings, dans La Belgariade (wiki), nous donne au moins trois types de magie, chacun reposant sur une idée complètement différente.
- Les religions sont aussi de bonnes sources. Le Saint-Esprit, le karma, les bénédictions shinto, le mysticisme chamanique, le zoroastrisme, le Temps du rêve (wiki) des Aborigènes australiens et tant d’autres font de bons modèles de paradigme magique. Plus ce sera éloigné de votre culture et mieux ce sera. Ou alors, changez simplement les noms pour leur donner l’air exotique : la religion bajorane de Star Trek appelle l’âme le “pa”, les prêtres des “vadeks”, les dieux des “prophètes”, mais ce n’est en fait qu’une resucée de judéo-christianisme. Et pourtant, cela marche si bien…
- Une autre source utilisable est la science. C’est ici que les gens commencent à crier que la science est l’antithèse de la magie, et que les deux ne peuvent jamais se rencontrer. Ces gens, bien sûr, n’ont jamais fait beaucoup de science. À haut niveau, la science est souvent arbitraire, chaotique, et complètement non-linéaire. Surtout, certaines sciences sont tellement plongées dans leurs propres paradigmes hermétiques que, pour les profanes, elles pourraient aussi bien être autant de langues étrangères. Ce que, d’une certaine façon, elles sont. Apprendre une langue étrangère est un autre bon moyen de voir à l’œuvre un ensemble de règles parfaitement exotiques.
Arthur C. Clarke a dit que “toute technologie suffisamment en avance… semblera être de la magie”. Peut-être les mages ne font-ils qu’utiliser des principes scientifiques modernes en avance sur leur temps ?
En fait, tout ce que vous pouvez trouver qui demande à ceux qui y sont associés de penser différemment de leur raisonnement normal devrait vous donner des idées pour définir un paradigme magique pour votre monde. Et cela ne marche pas que pour la magie : technologies extra-terrestres, cultes exotiques, nouveaux super-pouvoirs, créatures surnaturelles inconnues, tout ce que vous voulez. Si vous souhaitez que cela ait l’air bizarre et ésotérique, basez-le sur quelque chose qui est bizarre et ésotérique pour la plupart des gens.
Clairement, pour que la magie marche vraiment, il faut qu’elle soit d’une manière ou d’une autre reconnaissable et définissable dans l’esprit des joueurs. Et un excellent moyen d’arriver à cela est d’avoir une idée très claire du quoi, du pourquoi et du comment de la magie, et de la façon dont cela doit être conceptualisé par ceux qui en font.
Et une très bonne manière d’inventer une de ces idées est de l’emprunter à des situations similaires du monde réel. Cette description technique de la magie ne l’empêche pas d’être complexe, mystifiante ou incompréhensible, ni d’être l’incroyable matériau si fantastiquement terrifiant que vos joueurs en seront soufflés.
Au contraire, cela aide à créer ces sentiments, en rajoutant un peu de ce KAZAM ! supplémentaire à la magie et un vrai KAPOW ! à toute campagne avec de la magie. Alors, la prochaine fois que vous jetterez cette bonne vieille boule de feu, peut-être devriez-vous vous demander comment – et pourquoi – ça marche (3).
Article original : The Method in the Magic
(1) NdT : d'après Hamlet, acte II, scène 2 : “Bien que ce soit là de la folie, elle ne manque pas de méthode” [Retour]
(2) NdT : D’un usage un peu plus courant en anglais qu’en français, le terme de “paradigme” désigne une explication théorique construite sur un faisceau d’hypothèses articulées entre elles. Un paradigme est plus élaboré qu’une simple hypothèse, mais moins ambitieux qu’une théorie qui présenterait une explication totale. [Retour]
(3) NdT : Aller plus loin que les systèmes de magie scientifique ptgptb est complémentaire et souhaite rendre du mystère à la magie ! ptgptb [Retour]
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Commentaires
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jeu, 31/12/2015 - 20:22
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Décrire, toujours décrire…
Une autre méthode pour obtenir une magie très visuelle, est que les joueurs arrivent à se la représenter, notamment pour des univers où la magie est complexe et rare ; c'est de demander au joueur qui interprète le mage de fournir une description plus ou moins détaillée des sorts qu'il connait, et de lui demander une ou deux lignes sur la façon dont il obtient son effet et ce que celui ci recouvre. Si vous y rélféchissez deux secondes, c'est précisément ce que fait Ars Magica lors de la création d'un nouveau sort. Ceci permet en fait au joueur de s'approprier vraiment sa magie.
Soudain au lieu de jeter le sort n°22, il sait qu'il vient de créer une sphère de camouflage en modifiant légèrement l'orbe de lumière de Teleophus afin qu'elle émette d'un côté la lumière qu'elle a captée sur le côté opposé. Ce n'est pas encore parfait, mais c'est déjà un gros bonus et permet de couvrir un groupe entier plutôt que seulement un mage !
Au passage, vous remarquerez que cela signifie que les sorts ne sortent pas de nulle part; ils ont un auteur, une histoire et pour inventer un nouveau sort, il faut déjà en connaître un qui lui est peu ou prou semblable ce qui génère de l'histoire. Et générer de l'histoire, c'est justement le but de notre jeu, non ?
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