Structures de jeu (1-3)

Chapitre 1

L’un des aspects les plus négligés de la création et du déroulement de jeux de rôle traditionnels est la structure sous-jacente du jeu. Ou pour le dire autrement, il y deux questions que tous les auteurs de JdR et les maîtres de jeu doivent se poser :

  1.  Que font les personnages ?
  2.  Comment les joueurs le font-ils ?

Ces questions peuvent paraître élémentaires, mais leurs réponses sont très complexes. Et trouver les bonnes réponses est absolument crucial pour la réussite de la séance.

Certains d’entre vous en doutent peut-être déjà.

« Comment cela peut-il être difficile ? Les joueurs me disent ce que leurs personnages veulent faire et on le résout. Quoi de plus simple? »

Pour mettre en valeur l’erreur commise, laissez-moi vous donner un rapide exemple de partie :

Joueur : Je veux explorer le donjon

MJ : Ok, fait moi un test d’Explorer donjon.

Joueur : Je réussis

MJ : Ok, tu élimines une tribu de gobelins et ressors avec un butin de 546 PO.

Est-ce que cela pose un problème ? Pas nécessairement. Mais on est assurément très loin de la structure classique d’une exploration de donjon à la D&D !

Bien sûr, cet exemple part du principe que les personnages sont des héros d’ Héroic-Fantasy qui font des choses comme de l’exploration de donjon. En gardant le même univers et le même système de jeu, ils pourraient tout aussi bien être des monarques, des dragons, des fermiers, des thaumaturges, des voyageurs planaires, des dieux, des stratèges militaires ou une douzaine d’autres exemples pour qui ces structures de jeu du genre exploration de donjon, sont hors-de-propos.

Jeu de plateau et jeu de cartes

La raison pour laquelle les structures de jeu posent un problème pour nous, est que les jeux de rôle sont des jeux dont la fin est ouverte. Les joueurs s’attendent (et c’est une attente légitime) à pouvoir dire « Je veux que mon personnage fasse X » et nous devons pouvoir déterminer si (a) il y arrive (b) quelles en sont les conséquences.

Les jeux de plateau et jeux de cartes traditionnels ne rencontrent pas ce problème car leurs structures de jeu sont rigides et limitées par les règles : à chaque tour de Monopoly, des Échecs ou de Horreur à Arkhamwiki, la suite d’actions que vous pouvez effectuer est définie précisément. Les structures peuvent être plus ou moins complexes ; dans Candylandwiki en vous suivez simplement les instructions dans l’ordre, alors que dans Twilight ImperiumFFG vos décisions sont l’aboutissement d’un processus incroyablement complexe. Cependant, pour chaque jeu la structure est invariable et exhaustive.

En d’autres termes, les jeux de plateau et les jeux de cartes ont toujours une réponse aux questions « Qu’est-ce que je devrais faire maintenant ? » et « Qu’est-ce qu’il se passe après ? ».

Les Jeux de rôles

Considérons un scénario hypothétique où les PJ sont lâchés au hasard au coin d’une rue. Prenez le même groupe de PJ et lâchez-les au hasard dans une pièce de donjon. Pourquoi un groupe annonce-t-il « Je vais vers la porte au nord » alors que les autres diront « Je cherche le commissariat le plus proche » ? Pourquoi est-ce que le groupe dans le donjon ne dirait pas « Je prends la rue à gauche » et le perso du joueur au coin de la rue dit « Je cherche le trésor » ?

C’est bien sûr partiellement défini par la motivation immédiate de chaque groupe. Mais cela à beaucoup plus à voir avec des habitudes qui nous ont été inculquées en jouant à des JdR, mine de rien, durant de nombreuses années, .

Un autre exemple : Considérons la différence qu’il y a entre jouer à D&D et jouer au jeu de plateau Wrath of Ashardalontrictrac [jeu de plateau avec figurines, façon Heroquest ou Descent, avec la licence Dungeons & Dragons (NdT)].

Tous deux présentent des aspects similaires en termes de mécanismes, d’univers et de motivations de personnages. Pourquoi mon groupe de D&D passera du temps à examiner les murs et étudier des cercles arcaniques alors que mon groupe de Wrath of Ashardalon ne le fera pas ? Parce que la structure de jeu est différente.

De plus, comme notre exemple de donjon vs scénario urbain le suggère, le jeu de rôle changera souvent de structure de jeu. Par opposition, les jeux vidéo ne changent généralement pas de structure, préférant unifier leur style de jeu : dans Elder Scrolls wiki vous utilisez la même interface et les mêmes commandes pour explorer un donjon, voyager dans les contrées sauvages ou pour faire vos emplettes en ville.

D’un autre côté, les jeux comme Final fantasy VII wiki vous proposent un survol de carte pour voyager. Et Elder Scroll Vwiki introduit le système de « voyage rapide » qui change également sa structure. Alors qu’à l’extrême inverse, on trouve le jeu Bard’s Talewiki dont le moteur original était si limité qu’il transformait la ville de Skara Brae en ville de meurtriers où tous les citoyens attaquaient comme des monstres, n’apportant aucune différence d’expérience de jeu par rapport à un donjon, même à l’échelle la plus petite.

Pareillement, à l’âge de douze ans, j’avais essayé de jouer mes premières aventures en extérieur comme si elles étaient des Porte-Monstres-Trésor :

MJ : « Ok, vous voyez des arbres. Que faites-vous ? »

Joueurs : « On va au nord »

MJ : « Bon, vous faites à peu près 30 mètres. Il y a toujours des arbres, Que faites-vous ? »

Utilisez la mauvaise structure et vous pouvez finir avec un jeu vraiment pourri.

Chapitre 2

Il peut être assez difficile de discuter de tout cela car les structures de jeu sont devenues des partenaires invisibles de nos parties. Nous n’en parlons généralement pas. Nous n’y pensons même pas vraiment.

Dans The Elfish Gene ptgptb, Mark Barrowcliffe écrit; « quand on joue à D&D cela ressemble à une série de questions et de réponses ». De la même manière, dans Apocalypse Worldgrog, D. Vincent Baker dit, « Le jeu de rôle est une conversation. Vous et les autres joueurs discutez de vos personnages de fiction évoluant dans des environnements fictifs, occupés à faire ce qu’ils font. Comme dans toute conversation, vous parlez chacun à votre tour, mais ce n’est pas comme si chacun attendait son tour, n’est-ce pas ? »

En nous penchant sur la structure des jeux de rôles traditionnels, ce que nous allons faire, c’est disséquer cette conversation autour de la table et découvrir ce qui la fait avancer. Et comme lors d’un débat formel, nous observerons comment nous imposons des règles lors de cette conversation et comment cela affecte son déroulement (certaines de ces règles sont dictées par les mécanismes-mêmes du jeu, mais la plupart sont plus souples et applicable plus universellement ptgptb).

Gardons cela en tête et imaginons-nous dans une partie hypothétique. Si nous voulons jouer un jeu de rôle traditionnel, que doit-il se passer ?

  1. Un joueur doit proposer une action pour son personnage.
  2. Le MJ doit estimer cette action et fournir une conséquence.

Une fois que la conséquence déterminée, le cycle se répète. (Le joueur propose de nouvelles actions pour son personnage et le MJ se prononce sur les résultats). Voilà les fondations de la conversation qui est au cœur de tout jeu de rôle.

Mais comme nous l’avons établie au début de cet essai, cela n’est pas aussi simple que cela en a l’air. Les complications apparaissent dès que nous considérons ces deux questions :

  1.  Quelle est précisément l’action que l’on veut résoudre ?
  2.  Comment, précisément, résolvons-nous cette action ?

La première question peut être globalement pensée comme le découpage ou le fractionnement des actions. Est-ce qu’explorer un donjon est une action unique ou bien une suite de différentes actions ? Parfois les MJ devront découper l’action proposée en plusieurs actions plus petites et de temps en temps ils devront trouver un moyen d’expliquer aux joueurs, comment rassembler leurs actions en un seul lot d’actions qui ait du sens. Idéalement, bien sûr, les joueurs et le MJ tomberont d’accord sur le mode de découpage et son application (Et c’est là, bien sûr, qu’une structure de jeu commune entre en jeu).

La seconde question est souvent résolue par les mécanismes du jeu, mais cela n’est pas toujours le cas, et souvent ces règles ne fourniront que des réponses partielles.

Prenons un exemple simple au niveau microscopique : considérez la situation où Elisabeth, duchesse de Canterlocke, cherche à présenter dans les formes son ami le duc de Donalberry. En réalité, le Duc de Donalberry est un imposteur et la duchesse le sait (elle essaie de le faire entrer dans quelques cercles formels pour une raison quelconque).

Cette scène se joue-t-elle sur un jet de « bluff » ?

Si oui, le test est-il réalisé par la duchesse ou le duc ? ou les deux ? Ou la duchesse devrait-elle réaliser un test de bluff tandis que le duc fait un test de déguisement ? Si la duchesse rate, cela veut-il dire que l’imposture est complètement découverte ? Ou cela ne fait-il qu’alerter la cible que quelque chose d’étrange se trame (provoquant du coup une pénalité au test de déguisement du duc) ?

Il n’y a pas de « bonne » réponse ici. Mais la structure que vous choisirez aura un impact significatif sur la façon de résoudre la situation à la table (1) .

Échelle microscopique contre échelle macroscopique

Par souci de commodité, je vais séparer ma discussion sur les structures de jeu en deux parties :

Au niveau micro, la structure du jeu prends la forme de GM rulings alex ["arbitrages du MJ" - autre série sur l’art de la maîtrise (NdT)]. Dans notre exemple de la duchesse de Canterlocke, les joueurs proposent une action et le MJ détermine comment elle sera résolue. Dans certain cas c’est évident : les joueurs veulent faire « ça », il y a une règle pour « ça » ; le MJ utilise la règle. Dans d’autres cas il faudra faire preuve de plus de capacité d’invention de règles sur le champ.

Au niveau macro, la structure du jeu devient la structure du scénario. Cet échafaudage plus large détermine comment les personnages se déplacent à travers des environnements complexes (physique, social, conceptuel ou autres).

Par exemple, imaginez un concept simple pour un scénario : « Les personnages se rendent au château d’Osterkark et enquêtent sur des rumeurs d’activité cultiste ».

Un MJ pourrait choisir n’importe quel nombre de structures de jeu pour étoffer son concept :

  • Est-ce une exploration de donjon de pièce en pièce ?
  • Est-ce un réseau d’indices qui mènera les personnages dans différents endroits du château (2)  ?
  • Est-ce une chasse-à-l’homme pour retrouver le PNJ qui répondra à leurs questions ?
  • Y a-t-il une suite d’évènements chronologiques ?
  • Une combinaison de ces techniques ?
  • D’autres techniques complètement différentes ?

Au niveau macro comme au niveau micro, les structures de jeu ont une influence importante sur ce qui se passe réellement autour de la table.

Pour nous aider à avoir une meilleure compréhension de ce à quoi la structure d’un scénario ressemble en pratique, prenons la référence de tous, le grand-père du style : l’exploration de donjon (dungeoncrawl).

Chapitre 3

La structure de scénario la plus populaire de l’Histoire du jeu de rôle est la traditionnelle exploration de donjon. En fait, je pense que le succès de D&D tient en grande partie à la force de cette structure traditionnelle d’aventures qu’est l’exploration de donjon. Il est à noter que cette structure s’est remarquablement bien adaptée à d’autres médias, et a été réalisée avec des mécanismes complétement différents.  

Qu’est-ce qui fait que cela fonctionne ?

Premièrement, pour les joueurs cela procure :

  1. Un but par défaut pour son personnage ; plus précisément : « trouver tous les trésors », « tuer tous les monstres » ou toute autre variante de « nettoyer le donjon  alex (en) ». En d’autres mots, la structure fournit directement une raison pour que le joueur adhère au scénario.
  2. Une action par défaut : si un personnage est dans une pièce et qu’il n’y a rien à faire de particulier, il devrait alors sortir et explorer la pièce suivante.

Dans l’ensemble, cela veut dire que le joueur a toujours une réponse à la question : « Qu’est-ce que je fais après ? »

Deuxièmement, pour le Maître de Donjon, l’exploration de donjon c’est :

  1. Facile à préparer. En fait, il est virtuellement impossible, même pour un MD néophyte, de foirer la conception d’un Porte-Monstre-Trésor (PMT). Que peut-il donc faire ? Oublier de dessiner une sortie à la pièce ?
  2. Facile à mener. Cela va au-delà de la macro-structure de l’exploration de donjon et commence déjà à concerner le système de règles de D&D, mais en général, toutes les actions proposées dans un donjon auront une méthode de résolution assez évidente. La structure du PMT crée également des « pare-feu » en cloisonnant ses éléments (les différentes pièces) les uns des autres, qui peuvent être joués comme autant de "paquets" individuels facile à gérer.

Dans l’ensemble, cela veut dire que même si c’est sa première fois, un ou une MD peut créer un scénario de descente dans un donjon sans risquer de a) bloquer les joueurs b) se retrouver perdu.

C’est formidable. Grâce à l’exploration de donjon, D&D peut favoriser l’émergence de Maîtres de Donjon d’une manière efficace, d’une manière que peu d’autres JdR peuvent et font.

Mais le PMT a aussi deux autres aspects-clés :

(1) Il fournit une structure, mais pas une camisole de force. Quand les joueurs se posent la question « Que faisons-nous maintenant ? » la structure leur propose une réponse par défaut : « allez à la prochaine sortie ». Mais elle ne leur interdit pas de créer par eux-mêmes toutes sortes d’autres réponses : combattre les gobelins, analyser les runes arcaniques, créer un jardin de champignons, chercher des pièges, traduire les hiéroglyphes, analyser les techniques de création de golems nains, négocier avec le nécromant, et ainsi de suite.

Il n’est pas interdit non plus de quitter complètement la structure du donjon ; les règles de D&D incluent une multitude d’options pour contourner la structure-même du donjon.

(2) Flexibilité dans la forme. Le Maître de Donjon peut inclure à peu près n’importe quoi dans sa structure. Chaque pièce, chaque morceau de contenu fourni par la structure du scénario, est une feuille entièrement blanche.

Avoir cette structure d’aventure, simple à comprendre, simple à créer et simple à utiliser rend D&D accessible à tous, ce qui n’est pas le cas de Transhuman Spacegrog par exemple [un jeu qui explore les thèmes de la transhumanité (NdT)].

Maintenant passons du niveau macro au niveau micro.

 

Sélection de commentaires

Gray

Est-ce que cela fonctionne pour un environnement entièrement non violent ? Et pour une ville, ou une cité ? Une situation centrée sur le social ?

Justin Alexander

En quelque sorte. Les scénarios basés sur un lieu alex (en)  offrent une grande flexibilité et peuvent être utilisé dans de nombreux cas.

Ce que tu peux facilement perdre, cependant, c’est le « but par défaut ». J’ai aussi parfois vu des scénarios basés sur un lieu qui ne proposaient pas d’action par défaut claire. Mais cela veut souvent dire que ce n’était pas une bonne idée de départ d’adopter cette structure de jeu.

Je détaille ce cas dans la partie 12 de cette série (utiliser la bonne ou la mauvaise structure de scénario). Pour les trucs sociaux, tu pourras en particulier trouver intéressant l’article Party Planning.

Article original : Games Structures, parts 1-3

Vers les chapitres 4 et 5


(1) NdT : …car Le Système est importantptgptb [Retour]

(2) NdT : L’auteur explique les différentes structures avec des schémas dans Créations de scénario en nœuds ptgptb [Retour]

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Commentaires

Il y a un aspect essentiel du Porte-Monstre-Trésor qui n'est pas évoqué dans cet article: la motivation des joueurs. Le PMT n'est facile à préparer et mener avec des groupes de joueurs qui non seulement aspirent à explorer des donjons mais se satisfont de l'exploration de donjons souterrains sans organisation interne compréhensible, donc logique.

Ces joueurs-là ne représentent qu'une petite minorité et un donjon ne sert à rien quand les joueurs décident de ne pas y rentrer.

Pour preuve, le succès de la première édition de l'Oeil Noir en France avec ses "donjons de fait" et le raffinement du système de génération aléatoire de donjon de D&D5. Ce fait est bien compris des développeurs de Pathfinder et Starfinder qui proposent des scénarios assez classiques avec des séquences de PMT dans des "mini-donjons de fait" qui frisent parfois la caricature. Vu le mode d'obtention des points d'expérience, la moindre cabane ou villa explorée par les joueurs en quête d'indices sera occupée par des hostiles "convertibles en XP".

J'émettrai l'hypothèse que les difficultés des Meneurs découlent souvent de l'imprécision de la place des PJ dans l'univers: Dans quel but forment-ils un groupe? Comment leur groupe a-t-il été formé? Comment gagnent-ils leur pain quotidien? Autrement dit, bien penser les organisations auxquels ils adhèrent, leurs stratégies, les types groupes qu'elles lèvent et les ressources à disposition des PJ sont les vraies solutions du problème.

Auteur : 
Lame

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