Clarification du simulationnisme dans le modèle à trois volets

Le “simulationnisme” est un terme qui est apparu en février 1995 au sein du groupe de discussion rec.games.frp.advocacy (rgfa). Je voudrais l’expliciter ici et le remettre dans son contexte. Lors des deux années suivantes sur rgfa, il a été défini par la négative, en opposition à certaines méthodes.

Le simulationnisme se définissait par : ne pas laisser des informations de méta-jeu influer les décisions dans l’aventure (telles que : le fait qu’un personnage soit un PJ ; qu’il ait plus d’importance que le décor de l’aventure (background) ; ou qui les joueurs sont). Ainsi, le simulationnisme rejette les méthodes de type bonus aux jets de dés quand le MJ trouve une action cool, ou de type “points de karma” permettant aux joueurs d’altérer le décor de l’aventure. À la place, ce qui arrive doit être fondé uniquement sur ce qui arriverait dans l’univers de jeu, en tant que réalité alternative.

D’après la discussion, un certain nombre de personnes ont trouvé ce style de jeu gratifiant. Pourtant, il a été difficile d’analyser les raisons de cet intérêt. Cela vient en partie du fait que le simulationnisme rejette les analogies simples. Par exemple, le jeu de rôle simulationniste n’est ni la narration d’histoires (storytelling), ni non plus que le jeu compétitif. Je vais essayer d’analyser ces raisons, en revisitant ce style à partir de mes propres observations de parties de JdR tendant vers le simulationnisme pur.

Plus tard, le simulationnisme fut incorporé dans les typologies globales dont le point culminant fut le “modèle à trois volets” [R1]. Dans cet article, je vais traiter le simulationnisme comme un style en soi ; une méthode de prise de décision, parallèle quelque part à des styles artistiques tels que l’impressionnisme ou le surréalisme. Il y a des caractéristiques et des tendances du simulationnisme qui pourraient s’avérer aussi importantes que la définition formelle.

Analogie et identité

Un aspect central du simulationnisme est qu’il n’identifie le jeu de rôle, ni avec l’écriture de fiction, ni avec d’autres types de jeux. C’est important parce que le jeu de rôle est souvent perçu et jugé selon des normes extérieures. Par exemple, un JdR pourrait être considéré comme mauvais si les aventures qu’il produit ne feraient pas un bon livre ou un bon film de ce genre d’aventures. À l’inverse, un JdR pourrait être également jugé mauvais si ses règles ne sont pas équitablement équilibrées, comme celles d’un jeu de plateau ou de cartes.

Il faut donc rejeter cette assimilation pour trouver ce qui est spécifiquement intéressant dans les jeux de rôles. Ainsi, le simulationnisme appelle à rejeter les idées préconçues sur ce à quoi devrait ressembler le jeu de rôle. À la place, il demande aux gens de se faire leur propre idée sur la façon dont ils aiment jouer au JdR pour lui-même.

Le simulationnisme permet que des techniques particulières puissent être empruntées à d’autres activités, comme les mécanismes des jeux de cartes, ou s’inspirer de romans. Pour autant, cela ne veut pas dire que le jeu de rôle est l’une ou l’autre de ces activités, ou qu’ils ont la même essence.

D’une certaine façon, cette vision peut n’être que transitoire. Une fois que vous avez découvert le jeu de rôle indépendamment des analogies, vous pouvez tenter de le mélanger et de le relier à d’autres activités. Mais il est vital d’essayer d’oublier ses idées reçues, au moins au début.

Création d’aventure

L’aspect le plus radical du simulationnisme est son approche de la préparation du MJ. Les JdR classiques demandent au MJ de préparer une aventure personnalisée et qui engage les joueurs. Le MJ est censé préparer des accroches scénaristiques afin d’encourager les PJ à s’engager dans l’aventure prévue. Voici des exemples d’accroches classiques :

• Dans une taverne, un individu mystérieux propose aux PJ un travail inhabituel.

• Un être cher d’un personnage est enlevé ou menacé par quelque adversaire maléfique.

• Un vieil ennemi réapparaît soudain pour causer des ennuis à un personnage.

Toutefois, le principe central du simulationnisme empêche d’utiliser ces méthodes. Lorsqu’un MJ prépare la partie entre les séances, les événements du décor devraient se baser uniquement sur ce qui devrait être raisonnablement présent dans l’univers du jeu. Ça peut être de l’extrapolation, du hasard ou imaginé arbitrairement, mais ça ne peut pas être construit délibérément à des fins narratives. Ce principe du simulationnisme rejette les accroches mélodramatiques ou tout autre structure narrative préparée.

Cela dénie tout contrôle du MJ sur l’intrigue. Puisqu’il n’y a pas de “crochet” narratif pour “attraper” les PJ, le MJ a peu de maîtrise sur ce que les PJ vont faire. Il est réduit à superviser le décor, et ça pourrait ne pas être une force motrice de l’intrigue. En fait, ni le MJ ni les joueurs ne peuvent savoir où l’intrigue les emmène. Il est possible qu’elle parte dans des directions complètement inattendues parce que le MJ a créé la toile de fond sans planifier ce que les joueurs y feront, et que les joueurs agissent sans connaître l’ensemble de la toile de fond. C’est une forme de ce que Liz Henry appelle la collaboration dialogique (dialogic collaboration) en opposition à la collaboration hiérarchique (hierarchical) [R2].

Cette approche inquiète de nombreux rôlistes qui craignent qu’elle puisse mener à ce qu’il ne se passe rien. Les PJ voyageraient et visiteraient différents endroits sans y trouver quoi que ce soit de spécial et s’ennuieraient. C’est le risque si les joueurs sont conditionnés à attendre une aventure préparée. Les joueurs tourneraient en rond en cherchant des indices de ce que le MJ voudrait qu’ils fassent, sans succès. Mais il est possible de faire émerger une dynamique différente en ajustant la façon de jouer (1).

Dans une partie simulationniste, le fardeau de diriger la partie repose davantage sur les épaules des joueurs. Sans situations arrangées pour forcer les PJ à l’action, les joueurs doivent être plus proactifs. Ils ont intérêt à se montrer rebelles dans le sens où, confrontés à une situation stable, ils vont prendre des risques pour la chambouler. Dans les aventures provoquées par le MJ, il y a un événement inhabituel (une accroche scénaristique) qui pousse les PJ à l’action. Mais dans une partie simulationniste, il n’y aura, en général, pas de tel événement inhabituel. Sans une telle accroche, les PJ auront besoin de chercher le conflit.

Maintenant, certaines personnes pourraient arguer que la plupart des joueurs ne seront pas assez proactifs. Ils sont généralement passifs tant qu’on ne les pousse pas à l’action. Il existe de nombreuses manières de contourner cela (2) :

  • Vous pouvez répartir les responsabilités autrement. Dans les groupes de JdR, c’est traditionnellement le joueur le plus actif qui devient MJ. Changez ces habitudes, en prenant quelqu’un d’autre comme MJ et en gardant le membre le plus actif du groupe comme joueur.
  • Les joueurs apprennent de ce qu’on leur montre. Si on les nourrit constamment d’accroches dramatiques, ils en viennent à considérer que c’est le boulot du MJ d’être le stimulateur. En enlevant les accroches, cela force les joueurs à sonder les motivations de leurs personnages.
  • Vous pouvez construire, dès le départ, une situation génératrice [d’aventures] comme prémisse de la campagne. Par exemple, les PJ pourraient tous être des gens normaux dans le monde contemporain, mais qui acquièrent soudain des super-pouvoirs. Cette simple prémisse peut être la cause de toutes sortes de conflits variés et d’événements pour une longue campagne.
  • Il vaut mieux décider de limiter le décor ou la portée des aventures à une “zone” donnée. Vous pouvez créer une campagne avec des raisons de rester dans la zone en question. Dès lors, les éléments préparés comme les PNJ et les lieux peuvent être réutilisés dans de nombreuses aventures.
  • Faire des ellipses sur de longues périodes en jeu peut devenir important. Si rien n’arrive, là maintenant, vous pouvez faire un saut de six mois dans le temps jusqu’au moment où quelque chose est susceptible d’arriver. Les joueurs devraient généralement avoir leur mot à dire. Il est logique qu’ils puissent arriver au moment et à l’endroit qui les intéresse, et où ils souhaitent jouer, quels qu’ils soient.
  • Garder trace des détails peut devenir important. Journaux de campagne et synthèses sont souvent d’importantes références qui génèrent des idées.

Il est probable qu’à la fin, une campagne simulationniste vous donne l’impression d’être plus historique ou biographique. En termes narratifs, une telle campagne manquera souvent de conclusion dramatique aux événements ; avec certaines intrigues ne faisant pas long feu, et d’autres qui seront à peine effleurées. Toutefois, ce type de campagne aura aussi de plus en plus de profondeur dans les détails et les relations. Le simulationnisme rend les intrigues plus complexes et riches de sens. Toutefois, il est primordial de ne pas juger le JdR simulationniste [sous l’angle de la qualité des intrigues] comme s’il était un roman ou une pièce de théâtre, mais plutôt comme une expérience en soi.

Actions et résolution des scènes

La résolution d’actions diffère de la conception d’aventures, parce que cela concerne moins la préparation du MJ avant la séance, et plus l’utilisation des règles pendant la partie. On peut pourtant y appliquer le même principe simulationniste de se laisser guider par les dynamiques internes.

Plusieurs systèmes de jeu axés sur les histoires conseillent au MJ d’ignorer ou de modifier les jets de dés ou les règles (3). Ils suggèrent notamment de laisser réussir les actions “cool” ou inspirantes des PJ.

Un autre concept est que l’opposition des PJ doit être équilibrée avec eux. Cela signifie que si les joueurs jouent intelligemment, les PJ devraient réussir.

Le simulationnisme réfute ces deux idées. Les résultats ne sont pas truqués pour le bienfait de l’histoire. Ainsi, lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés importantes, les PJ peuvent très bien échouer. Ou bien, ils peuvent avoir de la chance et surmonter la difficulté en un clin d’œil. Il n’y a aucun parti pris pour rendre difficiles mais surmontables les obstacles auxquels seront confrontés les PJ.

Le plus important à retenir de tout cela est qu’il faut lâcher la bride sur ce que vous voulez que l’histoire soit. Souvent, une partie de JdR peut se transformer en un bras de fer méta-jeu entre les joueurs et le MJ, ou entre les joueurs eux-mêmes. Le MJ veut que l’histoire aille dans un sens et les joueurs veulent qu’elle aille dans un autre. Le simulationnisme vous encourage à abandonner vos attentes sur la façon dont vous voulez que tournent les choses, et au contraire de vous concentrer à enrichir ce qui survient.

Réduire la honte de l’échec est une autre leçon essentielle. Les systèmes qui récompensent les joueurs selon les succès du personnage stigmatisent nécessairement les joueurs des PJ qui échouent. Dans ces systèmes, si votre PJ échoue, c’est parce que le MJ n’a pas pensé que votre façon de jouer était assez bonne pour vous octroyer un succès. Cela transforme la partie en exercice de critique et fixe l’attention des joueurs sur la performance (que ce soit en tant que joueurs tactiques ou en tant qu’acteurs). Si le groupe accepte de s’en tenir à des résultats simulationnistes, alors le centre d’intérêt évolue. Les joueurs essaient toujours de faire en sorte que le personnage réussisse, mais l’échec est plus acceptable, car il est celui du PJ et pas du joueur. On s’intéresse plus à la façon dont les choses se sont déroulées, que ce soit autour du personnage ou dans sa psyché.

Conflit et tension dramatique

Comme on vient de le voir, la partie de JdR simulationniste est par nature ouverte, et peut donner des résultats inattendus, à la fois pour les joueurs et le MJ. Cependant, on a encore du mal à imaginer à quoi ressemble la partie du point de vue du récit. Ce qui arrive n’est pas le résultat d’une structure dramatique planifiée. Comment apporter de la tension dramatique, si les personnages font tout simplement ce qu’ils veulent dans le décor ? Quel genre d’événements se produisent, et quelle est leur signification ?

Un problème classique dans les campagnes traditionnelles, c’est qu’elles mettent en scène un groupe de personnages sans liens forts avec l’univers de jeu, ni motivations fortes. Les accroches scénaristiques inventées par le MJ, qui conduisent les PJ dans l’aventure préparée, sont la solution typique à ce problème. Toutefois, ces accroches dépendent du talent du MJ [à connaître] ce qui à la fois motive le personnage et intéresse le joueur.

Le simulationnisme rejette cette méthode. En l’absence de programme externe qu’ils sont censés suivre, les personnages devraient chercher à accomplir des objectifs qui sont importants pour eux. Les joueurs doivent apprendre à créer des personnages dont les actions sont intéressantes à jouer. La toute première qualité d’un PJ est d’accepter de prendre des risques. La partie se centrera alors sur l’extrapolation des conséquences de leurs actions. Si un PJ prend des risques pour ses ambitions, alors il peut réussir ou échouer. Les deux possibilités sont intéressantes.

En outre, ces ambitions deviennent des buts pertinents pour les joueurs car la création de personnages est un processus profondément personnel. Les joueurs mettront un peu d’eux-mêmes dans le PJ, si on leur donne le choix et la possibilité de créer un personnage complexe. Cela représente souvent un moyen d’exaucer les vœux des joueurs ; des personnages qui peuvent faire, et feront, des choses impossibles pour le joueur. Cela ne revient pas à fixer des objectifs méta-jeu qui n’ont rien à voir avec ceux du personnage ; c’est plutôt que le personnage de fiction reflète les intérêts et les souhaits du joueur.

En extrapolant à partir du processus de création de personnage, on peut voir quel aspect est en fait important pour le joueur. Au lieu d’un MJ qui devine ce qui pourra avoir une importance pour le joueur, c’est au joueur de créer un personnage dont les actions ont un sens [p.ex. si un joueur crée un personnage avec de forts scores en Charme, on en déduit qu'il cherche des aventures diplomatiques, NdT]

En fin de compte, le sens dans la partie ne vient pas du fait que telle ou telle action réussit ou échoue. Si un personnage décide de charger sous le feu ennemi pour sauver un frère d’armes, la chose la plus importante est son choix d’agir ainsi. Qu’il réussisse ou qu’il échoue est secondaire et les deux options sont intéressantes.

Interprétation et immersion

C’est l’imitation précise d’autres personnalités, d’autres cultures et d’autres philosophies que les nôtres, qui intéresse le jeu de rôle simulationniste. Les moyens de le faire ne sont pas clairement perceptibles dans la définition. Cela n’a pas besoin d’être un pur exercice intellectuel avec une indifférence clinique. Il peut s’agir d’une expérience émotionnelle mais également éducative. Notez que le simulationnisme rejette toute racine littéraire : il est donc exclu de vouloir imiter les comportements et les attitudes de personnages de films ou de séries. Jouer un rôle, de façon détaillée, appelle à sonder les motivations des personnages, pas à simplement imiter d’autres sources.

Sur le forum rgfa, la plupart des contributeurs simulationnistes étaient contre des mécanismes de personnalité coercitives. Ces dernières spécifient ce que les personnages-joueurs devraient penser ou faire, indépendamment du joueur. Il s’agit de mécanismes comme le fait d’avoir un trait quantitatif du type “Maîtrise de soi 4” [dans Vampire, NdT] contre lequel on fait un jet de dés pour déterminer les actions du PJ dans certaines situations. Dans les débats, le premier argument a été la précision. On trouvait que ajouter de telles règles ne renforçait pas la vraisemblance du comportement du personnage. Pour un rôliste expérimenté, ça entrerait en conflit avec les tentatives d’interprétation, et pour un rôliste qui interprète peu, ça ne ferait qu’ajouter des réactions aléatoires et déconnectées à un roleplay médiocre (et les vrais gens n’agissent pas au hasard).

Je trouve cet argument fort mais il y a une autre raison. Le pouvoir émotionnel du simulationnisme émane généralement des conséquences des choix du joueur. Pour des raisons similaires, les JdR simulationnistes ont eu tendance à favoriser les créations de personnage par attribution de points au lieu des déterminations aléatoires.

Bien que ça ne fasse pas partie de la définition du rgfa, il y a souvent une association entre le simulationnisme et ce que l’on nomme “immersion”. Par exemple, la plupart des contributeurs orientés “simulationnisme” sur rgfa étaient aussi en faveur de ce qui a été nommé le jeu “profondément dans le personnage” (deep in-character) ou jeu immersif. La FAQ de l’adaptation du modèle à trois volets pour les jeux grandeur nature scandinaves de Petter Bøckman substitue le terme d’immersionnisme au terme de simulationnisme. [R3]

Il existe beaucoup de points de vue différents sur ce qu’est un jeu immersif ou même, sur son existence même. James Wallis, dans son essai Through a Mask, Darkly, parle d’un type de jeu immersif qu’il nomme “jeu de masque” (mask-play) (basé sur le concept de Keith Johnstone “d’état de masque” au théâtre). Tel qu’il le décrit :

Le “jeu de masque” est la façon la plus complète pour un joueur de pénétrer l’univers du jeu. Pensez-le comme une réalité virtuelle : lorsque le joueur regarde autour de lui, il voit le décor du jeu. Il regarde les autres joueurs et voit les personnages. Il se regarde dans le miroir et voit le visage de son personnage. C’est uniquement en se fermant le plus possible au monde réel que le joueur sera capable de laisser sa personnalité normale au second plan et permettre à la personnalité de son personnage fictif de prendre le dessus. Je ne peux pas décrire ce que cela veut dire exactement, parce que ça n’arrive pas assez souvent pour être analysé, mais d’après mon expérience personnelle, ça vaut la peine d’essayer de l’obtenir. [R4]

Cela rejoint certainement d’autres formes de narration. Dans son livre sur l’écriture créative, Lajos Egri explique :

La première chose consiste à faire que votre public ou votre lecteur identifie votre personnage comme quelqu’un qu’il connaît. Ensuite, il faut que l’auteur fasse en sorte que le public imagine que ce qui se passe peut lui arriver [à cette personne qu’il connaît, NdT] ; l’émotion suscitée imprégnera la situation et le public ressentira une sensation si intense qu’il ne se sentira pas comme un spectateur mais comme le participant d’une histoire passionnante qui se joue devant lui. [R5]

Je ne prétends pas que le jeu de masque immersif soit une forme supérieure (ou inférieure) d’une même expérience fictionnelle. Toutefois, je pense qu’il est important de souligner les similitudes entre elles – au lieu de considérer qu’elles sont opposées.

Le sujet du jeu immersif va au-delà de la portée de cet essai. Certaines personnes (telles que Wallis) (4) le considèrent important et cela semble aller de pair avec le jeu simulationniste.

Systèmes de jeu simulationnistes

La plupart des systèmes de jeu ont mis l’accent dans les scénarios, soit sur l’émulation d’un genre, soit sur les obstacles adaptés au groupe de PJ (fair challenge). Pourtant, beaucoup de jeux ont connu l’influence du simulationnisme ou de la simulation. Les tout premiers scénarios étaient des défis pour les joueurs, à peine voilés. Les donjons dans D&D étaient conçus comme des épreuves (tests) pour les joueurs (5), et non pas créés suivant une logique interne, ce qui a amené certaines frustrations.

En réponse, il était courant d’adapter des sources littéraires ou des genres (6), suggérant ainsi que le jeu devrait être dans la veine de la source d’inspiration initiale. Les exemples incluent L’Appel de Cthulhu (1981), James Bond 007 (1983), Ambre (1991) et Theatrix (1993).

Je voudrais citer trois systèmes simulationnistes majeurs : SkyRealms of Jorune (1985), HarnMaster (1986) et Ars Magica (1987). Les précurseurs importants sont notamment : Tékumel, Empire of the Petal Throne (1975) et, à un certain niveau, Traveller (1977) et RuneQuest (1978).

Ces JdR n’avaient pas de modèle littéraire pour définir à quoi devait ressembler une aventure. Ils étaient enracinés dans une vision du décor, où les personnages font partie intégrante du monde et de la société. Ils ont (au moins) essayé de faire en sorte que les aventures découlent des motivations des personnages au sein de leur monde, au lieu d’être déterminés par des accroches. Il y avait toujours des scénarios clé en main pour ces JdR et bien entendu, nombre de ces jeux étaient plus ou moins influencés. Néanmoins, je perçois ceux-ci comme étant parmi les plus simulationnistes.

Pour moi, la différence principale réside dans le fait d’avoir des personnages-joueurs qui ne soient pas des aventuriers, des super-héros, des mercenaires ou d’autres archétypes similaires. Ceux-ci n’ont que de très minces motivations pour leurs aventures, recherchant des accroches dramatiques ou simplement l’aventure pour l’aventure elle-même.

Les JdR simulationnistes tendent à avoir des personnages plus sociaux et/ou plus égoïstes. Par exemple, à Ars Magica, les PJ réalisent leurs ambitions d’apprendre la magie en étant membres d’une petite communauté de mages (une Alliance). Dans SkyRealms of Jorune, les PJ essaient d’obtenir la citoyenneté en gagnant des marques sur leur challisk [la plaque de métal inaltérable sauf au laser, qui conserve les marques reçues par les apprentis-citoyens de Burdoth, NdT].

Pourtant, le simulationnisme a aussi eu une forte influence sur d’autres JdR. Évoluant à partir d’un D&D basé sur la résolution de défis, de nombreux jeux de rôles ont adopté une forme plus ou moins simulationniste de résolution d’actions variées ; mais ils furent, du coup, aux prises avec une certaine déconnexion entre ceci et leur tentative d’émulation littéraire. C’est la source de divers bidouillages et manipulations pour obtenir une intrigue adéquate, principalement de la part du MJ.

Changer la résolution d’action pour tenir compte de la narration, comme c’est exemplairement montré dans des JdR comme Theatrix (1993) et Everway (1995) est une solution. La solution du simulationnisme consiste à renoncer à toute émulation littéraire et à explorer la simulation en jouant un rôle, comme une différente forme d’art.

Conclusion

Le simulationnisme du modèle à trois volets est basé sur la méthode et l’observation, plutôt que la tentative d’atteindre un but théorique. L’outil est la simulation : définir ce qui devrait arriver, en se basant sur le monde de campagne tel qu’il a été imaginé. Écartez le choix de rendre l’histoire conforme aux livres et aux films (7). Pensez plutôt l’univers du jeu comme une réalité alternative. Beaucoup de rôlistes ont découvert des conséquences et des expériences intéressantes grâce à cet outil.

Ce texte a tenté de montrer l’apport de cet outil ; non seulement à quoi ressemblent les parties mais aussi ce qu’elles impliquent à un niveau émotionnel. Le simulationnisme n’a pas un unique objectif. Comme de nombreuses formes d’art, le jeu de rôle simulationniste ne se réduit pas aisément à une nature ou origine unique.

Toutefois, beaucoup d’autres questions pourraient être posées, telles que :

  • Quelle est la fonction sociale représentée par le jeu de rôle ?
  • Que représente l’immersion dans le personnage en termes de narration ou de psychologie ? Qu’est-ce qui rend cette expérience gratifiante ? Quels sont les meilleurs moyens de l’induire ?
  • Quelle est l’importance de l’apprentissage dans les jeux de rôles ? Avec le temps, mes propres parties ont certainement eu tendance à inclure de plus en plus d’Histoire (la vraie), de culture générale et de science. De nombreux JdR mettent l’accent sur cet aspect.
  • De quelles façons le simulationnisme peut-il être combiné à d’autres approches de la manière de jouer un rôle ?
  • Comment le simulationnisme, tel qu’il est décrit ici, peut-il être rapproché d’autres modèles, comme celui du modèle LNS de Ron Edwards ? [R6]

Je suis impatient de discuter de ces questions.

Références

R1 Kim, John (2003), Origin of the Threefold Model kim

R2 Henry, Liz (2003), Group Narration: Power, Information, and Play in Role Playing Games kim.

R3 Bøckman, Petter (2001), Le modèle des Trois Voies du GN (ptgptb) dans Gade, Morten (ed.) When Larp Grows Up – Theory and Methods in Larp p. 12-16.

R4 Wallis, James (1995), Through A Mask, Darkly: Connecting players and roles in Interactive Fantasy #3

R5 Egri, Lajos (1965), The Art of Creative Writing. Kensington Publishing Corp, New York.

R6 Edwards, Ron (2001), Le LNS et d’autres sujets de théorie rôlistique (ptgptb).

Article original : Threefold Simulationism Explained

(1) NdT : Dans un registre similaire, le chapitre “L’absence d’orientation de la campagne” de Huit canots de sauvetage (ptgptb) explique que, s’il n’y a pas d’aventure préparée, “si l’univers de campagne est assez riche, alors une direction générale finira par émerger de l’interaction entre les joueurs et le monde de jeu”, ce que l’on peut exprimer aussi par “Les joueurs finiront bien par faire faire une connerie par leur perso”. [Retour]

(2) NdT : John Kim a écrit la bible du joueur proactif (ptgptb). [Retour]

(3) NdT : Par exemple ce manifeste du narrativisme qu’est La Trousse à outils interactive (ptgptb). [Retour]

(4) NdT : Et les turkuistes (ptgptb) ! [Retour]

(5) NdT : Que ceux que “tester les joueurs” interpelle, se rendent compte que dans un “donjon” ludiste, un obstacle à affronter, vivant ou non, s’appelle une Rencontre (oui, comme en coupe, un championnat… ou un tournoi !). [Retour]

(6) NdT : Kim s’y connaît en adaptation de genre, expliquant la nécessité de réifier les conventions de genre (ptgptb). [Retour]

(7) NdT : Par exemple, vous jouez des aventures basées sur Les Trois Mousquetaires. Oubliez l’idée selon laquelle les mousquetaires sont les “bons”, qu’ils vainquent les gardes du Cardinal à 4 contre 20, et qu’ils doivent gagner à la fin. [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

Cet article fait partie de l'e-book n°4, une compilation de traductions organisée autour du thème de la théorie rôliste appliquée.

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