L'absence de mixité chez les rôlistes

Un article de John H. Kim's Role-Playing Game Page

Version en cours de travail – 2005

J’entends souvent dire que la gente féminine est en nette minorité dans le milieu des jeux de rôles (JdR). Mais bien que cela suscite nombre de commentaires, je n’ai encore jamais vu de données ou d’études un tant soit peu rigoureuses à ce sujet. J’ai compilé ci-dessous des données venant de différentes sources concernant la répartition des rôlistes par sexe. J’ai également donné mon avis sur un certain nombre de théories non confirmées et d’hypothèses que j’ai pu entendre.

  • Résultats d’enquêtes
  • Preuves empiriques
  • Hypothèses sur les causes
    • Hypothèse : les textes et les illustrations
    • Hypothèse : les genres
    • Hypothèse : l’emphase sur les régles
    • Hypothèse : les facteurs sociaux
    • Hypothèse : la violence
  • Conclusion

Résultats d’enquêtes

Il y a déjà eu plusieurs études de la démographie rôliste, bien que peu d’entre elles aient été menées selon des paramètres bien contrôlés. Il semble que les meilleures données aient été recueillies par Wizards of the Coast pendant l’été 1999. WotC rapporte que 19 % des rôlistes ayant participé à l’étude étaient des femmes. Un sondage internet semblable, bien que moins bien encadré, n’a compté que 9 % de femmes parmi les personnes interrogées.

Ces chiffres ont ceci d’intrigant que cette même étude mentionne 21 % de femmes parmi les pratiquants de jeux de rôles sur ordinateur, et le même pourcentage parmi les pratiquants de wargames avec figurines. C’est intéressant car beaucoup des causes suggérées pour cette disparité entre hommes et femmes voudraient que les jeux de rôles soient plus populaires auprès des femmes que les wargames. Et pourtant, cette étude indique le contraire. En guise de comparaison, des données rassemblées par [le Syndicat des éditeurs américains de jeux vidéo] Interactive Digital Software Association en 2002 indiquent que 28 % des joueurs sur console sont des femmes, pour 38 % sur PC. WotC conclut que, parmi les quatre catégories de joueurs concernés par l’étude (wargames avec figurines, jeux de cartes à collectionner, jeux de rôles sur table et jeux de rôle sur ordinateur), les pratiquants de jeux de rôle sur table étaient les plus susceptibles de s’intéresser aux jeux de rôle sur ordinateurs (46 %), aux jeux de cartes à collectionner (26 %), et aux jeux de figurines (17 %).

James Kittock, l’auteur du sondage en ligne ci-dessus, a fait un commentaire sur la présence de femmes dans l’étude :

“Bien que 9 % des personnes interrogées soient des femmes, elles ne représentent que 4 % des personnes considérées comme MJ. De plus, 30 % des femmes interrogées déclarent n’avoir jamais maîtrisé, alors que seulement 7 % des hommes font une déclaration semblable. Pourtant, rien ne permet d’affirmer que les femmes ne veulent pas être MJ ; il serait possible de créer une sous-gamme spécifique de produits incitant les femmes à maîtriser.”

Un autre facteur est le genre [littéraire, cinématographique… rôliste] de jeux, c'est-à-dire le thème et/ou la source d’inspiration des jeux pratiqués. Il faut en effet signaler que la disparité entres les sexes varie en fonction du genre de jeux. L’étude recensait également les JdR les plus populaires. Le sondage de WotC de 1999 demandait aux joueurs de JdR sur table à quel(s) jeu(x) de rôles ils jouaient chaque mois. Voici les résultats :

Jeux (Éditeur) Genre Pratique mensuelle
Donjons & Dragons (WotC/TSR) Fantasy 66 %
Vampire : la Mascarade (White Wolf) Horreur 25 %
Star Wars (West End Games) SF 21 %
Palladium (Palladium Books) Fantasy 16 %
Loup-Garou : l’Apocalypse (White Wolf) Horreur 15 %
Shadowrun (FASA) Fantasy/ SF (cyberpunk) 15 %
Star Trek (Last Unicorn Games) SF 12 %
L’Appel de Cthulhu (Chaosium) Horreur 8 %
Le Livre des Cinq Anneaux (AEG) Fantasy 8 %
Deadlands (Pinnacle) Horreur / Western 5 %
Alternity (WotC/TSR) SF 4 %
GURPS (SJG) Mixte 3 %

Malheureusement, les résultats du sondage de WotC ne donnaient aucun détail quant à la répartition des sexes au sein des différents sous-groupes de rôlistes sur table ; par exemple, existe-t-il une plus forte disparité des sexes parmi les joueurs de Star Wars que parmi les joueurs de Donjons & Dragons ? Même la remarque de Kittock quant à la répartition des femmes entre MJ et joueurs n’a pas pu être confirmée.

C’est une question qui a déjà été étudiée dans d’autres domaines. Par exemple, des études menées sur des enfants de primaire ont mis en relation leur âge et leur sexe et leurs goûts en matière de programmes de télévision et de jeux vidéo (Spears, 2003). Les jeux vidéo préférés des filles sont la série des Mario Bros, Les Sims, Harry Potter, et les jeux éducatifs. Les garçons préfèrent les jeux de hockey, les jeux de course, Grand Theft Auto, et la série des Mario Bros. Dans cette étude les filles témoignent de bien moins d’intérêt pour les jeux vidéo et préfèrent des activités plus sociales, comme passer du temps avec leurs copines et faire les boutiques.


Preuves empiriques

Les hypothèses de sources non confirmées ne sont pas forcément dignes de confiance, mais considérant le peu de données fiables à disposition, je me dois au moins d’évoquer certaines des opinions les plus répandues. Reste encore à déterminer leur véracité.

Plusieurs jeux de rôles ont la réputation d’être plutôt appréciés des femmes, notamment Vampire : la Mascarade de White Wolf et les jeux suivants de la gamme du Monde des Ténèbres. Vampire s’est fait remarquer, même dans le grand public, comme un milieu de célibataires. Il a même été cité en couverture du magazine Swing (1) comme étant “le nouveau lieu branché des 20-30 ans célibataires” (Rushkoff 1995). L’introduction résumait l’article ainsi :

“La solitude due à un mode de vie centré autour de l’ordinateur et la peur omniprésente du sida ont engendré une nouvelle génération de vampires. Ils prennent part à un jeu de rôle grandeur nature qui pourrait bien être le milieu branché social qui croît le plus rapidement depuis les raves.”

Les autres JdR visiblement très populaires auprès des femmes sont Ambre (1991), Buffy the Vampire Slayer RPG (2001) et Blue Rose (2005) (2).

Il est bon de remarquer que cette disparité est encore plus marquée parmi les auteurs de JdR. Très peu de JdR ont été écrits par des femmes. Parmi les grands éditeurs de JdR, White Wolf Studios comprend quelques co-autrices féminins, mais très peu d’entre elles sont des auteurs phares.

  • Hawkmoon (1986) a comme autrice principale Kerie Campbell-Robson, ainsi que Sandy Petersen.
  • Darksword Adventures (1988) a été écrit conjointement par Margaret Weis et Tracy Hickman [ce dernier est un homme, NdT].
  • [chez l’éditeur White Wolf :] Changelin : le Songe (1995) compte 12 auteurs, dont Jackie Cassada, Angel Leigh McCoy, et Nicky Rea. Vampire : l’Âge des Ténèbres (1996) a comme co-autrice Jennifer Hartshorn. Exalted (2001) compte 9 auteurs, dont Dana Habecker et Sher M. Johnson. Orpheus (2003) compte 11 auteurs, dont Genevieve Cogman et Ellen Kiley.
  • Nobilis (1999) a été écrit par Rebecca Sean Borgstrom.
  • Continuum (1999) compte 3 auteurs dont Barbara Manui, qui a également écrit la bande dessinée Yarama dans Dragon Magazine.
  • Cartoon Action Hour (2002) est de Cynthia Celeste Miller.
  • The Secret Lives of Gingerbread Men (2004) et Run Robot Red (2004) sont d’Annie Rush.
  • chez Green Ronin, Blue Rose (2004) compte quatre auteurs dont Dawn Elliot.

Hypothèses sur les causes

On échafaude beaucoup de théories sur les causes de cette disparité entre hommes et femmes dans le milieu du jeu de rôle. Elles impliquent généralement des idées préconçues. Il ne faudrait pas pour autant les rejeter car les stéréotypes peuvent contenir une part de vérité.

  1. Les textes et les illustrations : “Les livres de JdR qu’on trouve sur le marché ne plaisent pas aux femmes parce qu’ils donnent une représentation négative des femmes ; on vise principalement tous les dessins de “bikinis en cotte de maille”, mais aussi les personnages féminins caricaturaux ignorants de la réalité féminine”.
  2. Les genres de jeu : “Les JdR du commerce sont surtout orientés en majorité vers les genres de jeu qu’aiment les hommes.”
  3. Les facteurs sociaux : “Les femmes rôlistes sont détournées du jeu de rôle par des geeks handicapés socialement, qui leur font souvent des avances déplacées.”
  4. L’emphase sur les règles : “Les jeux de rôles du commerce ont trop de règles et nécessitent trop de calculs pour plaire aux femmes, qui préfèrent en général l’histoire et les personnages.”
  5. La violence : “Les jeux de rôles du commerce sont centrés sur la violence, qui de manière générale plaît moins aux femmes.” Chacune de ces hypothèses sera discutée ci-après.

Hypothèse : Les textes et les illustrations

On avance souvent l’idée que les livres de JdR sont écrits et illustrés pour clairement plaire aux hommes. Cette hypothèse est parfois sous-estimée. J’ai étudié (Kim 2004) (3). Les textes d’exemples de règles ou de partie fournis dans un certain nombre de JdR du commerce abondent, et j’y ai trouvé un déséquilibre considérable dans la manière dont les femmes sont décrites dans ces exemples de parties. Déjà, les exemples sont bien plus partiaux que je ne l’avais d’abord cru.

Le rôle des dessins est aussi très important, même s’il est difficile à quantifier. Parcourez les étagères d’une boutique de jeux et vous trouverez généralement des dizaines de couvertures avec des “bikinis de cottes de maille”. Ce n’est pas une simple question d’idéaliser les personnages. Les personnages masculins des illustrations ne sont pas tous aussi séduisants, et ils sont très loin d’être aussi sexualisés que les personnages féminins. Je n’ai pas fait d’études quantitatives, puisqu’il est ardu de définir une mesure objective pour les illustrations. Cependant, ça n’enlève rien à la réalité de leur effet.

Fut un temps où la question de la surreprésentation masculine dans le milieu rôliste était traitée comme un grand mystère. Mais je crois qu’il s’agit là d’une affaire entendue. Dans l’ensemble, les jeux de rôles disponibles sur le marché contiennent beaucoup d’éléments qui rebuteront d’emblée les joueuses. Cela ne vous saute peut-être pas aux yeux tout de suite, mais si vous prenez du recul et que vous jetiez un regard neuf sur certains livres, vous remarqueriez sans doute pas mal d’exemples. La solution à cela est simplement une prise de conscience de ce problème de la part des joueurs, des auteurs et des illustrateurs.


Hypothèse : les genres

On a fait beaucoup d’études sur les genres mais il n’y a toujours pas de consensus sur des catégories précises de genres, ou comment elles fonctionnent. Comme dit dans la section Résultats d’enquêtes, les jeux de rôles sur table sont dominés par la Fantasy, l’Horreur et la Science-Fiction (plus ou moins dans cet ordre.) Mais leurs proportions sont différentes de celles, par exemple, de films ou de romans qui connaissent moins de disparité hommes/femmes parmi leur public. Cependant cela ne suffit pas en soi à expliquer cette disparité. Certaines études en psychologie du cinéma montrent que la Fantasy est un genre plus populaire auprès des femmes que des hommes. (extrait de Fischoff, 1998) Donc la prédominance de la Fantasy en tant que genre n’explique pas à elle seule cette disparité. A tout hasard, voici le tableau complet de l’étude de Fischoff sur la disparité homme/femme quant au genre de films. Plus il y a d’étoiles dans la colonne « p= », plus la probabilité est grande d’avoir une disparité homme/femme statistiquement significative.

Genre Top 25 Tous confondus
hommes femmes χ2 p= hommes femmes χ2 p=
Fréquence % Fréquence % Fréquence % Fréquence %
Action Aventure 7 28% 4 15% 3.93 * 569 20.2% 390 12.5% 358.3 ***
Drame 8 32% 6 23% 1.47   850 30.2% 973 31.2% 0.11  
Comédie 0 0% 0 0% ns   299 10.6% 324 10.4% 0.23  
Romance 1 4% 8 31% 20.83 ** 269 9.6% 467 15.0% 31.9 ***
Comédie musicale 0 0% 2 8% 8 * 86 3.1% 179 5.7% 22.6 ***
Film d’Horreur 0 0% 0 0% ns   62 2.2% 74 2.4% 0.11  
Dessins animés 1 4% 1 4% ns   52 1.8% 123 3.9% 20.9 ***
Science-Fiction 5 20% 1 4% ns   302 10.7% 142 4.6% 78.7 ***
Fantasy 2 8% 3 12% ns   182 6.5% 289 9.3% 13.23 ***
Thriller/Policier 0 0% 0 0% ns   53 1.9% 76 2.4% 1.8  
Péplum 0 0% 0 0% ns   8 0.3% 21 0.7% 4.6 **
Documentaire 0 0% 0 0% ns   5 0.2% 1 0.0% ns  
Sport 1 4% 0 0% ns   65 2.3% 35 1.1% 13.01 ***
Animaux 0 0% 1 4% ns   13 0.5% 21 0.7% 1.06  

Comme nous l’avons vu précédemment, la prédominance de la Fantasy n’explique pas la disproportion homme/femme dans les jeux de rôles sur table. Cette étude définit seize genres de films. Il est possible qu’une sous-catégorie ou un sous-genre en particulier ne plaise pas aux femmes – par exemple, la sword and sorcery (4). En revanche, il convient de distinguer les qualités inhérentes du genre de la manière particulière dont il peut être traité. Par exemple, est-ce que les femmes se désintéressent de D&D parce qu’il appartient au genre de la Fantasy, ou bien est-ce à cause de la manière spécifique dont ce JdR traite ce genre (5) ? Autre exemple, les sondages montrent que les films du Seigneur des Anneaux intéressent tout autant les hommes que les femmes. Sans plus de données sur les sous-genres, il est impossible de répondre à cette question.

En regardant les données plus largement, on peut voir que les femmes ont fortement privilégié les comédies musicales et les films romantiques, ainsi que la Fantasy et les dessins animés dans une moindre mesure. Les hommes eux préfèrent l’action/aventure, la S-F et les films centrés sur le sport. Notons aussi que les films romantiques et les films de Fantasy ont une popularité équivalente chez les hommes.

Cependant, ces résultats ne s’appliquent probablement pas aux JdR. Par exemple, on ne peut pas prouver que des jeux de rôles de science-fiction (p.ex. Star Wars ou Shadowrun) sont plus populaires chez les hommes que des JdR de Fantasy (tel que Donjons & Dragons). Il n’y a pas vraiment de JdR fondés sur les comédies musicales, les histoires d’amour ou le sport, et même les JdR d’action-aventure sont rares.

Plusieurs petits jeux de rôles ont essayé d’utiliser les genres traditionnellement féminins. Ainsi, Lace and Steel (cape & épée/romance),  Sailor Moon RPG (shôjô), et HeartQuest (shôjô). Cependant, aucun d’entre eux n’ayant eu de marketing important ou des ventes notables, on ne peut rien en conclure de solide.

NdT : le shôjo est un genre de manga dont les héroïnes et le lectorat sont des lycéennes. En français, voir le JdR amateur Lycéenne

En somme, je ne peux pas prouver que ce sont les genres prédominants des jeux de rôles qui causent une telle disparité joueurs/joueuses. Malgré son influence possible, c’est plutôt je pense la façon de traiter le genre qui compte ; les JdR tendent à avoir une approche plus masculine quel que soit leur genre. Cf. les textes et les illustrations, ci-dessus.


Hypothèse : l’emphase sur les règles

On prétend souvent que la trop grande quantité de règles et de chiffres à manipuler dans les jeux de rôles du marché repousserait les femmes, qui préféreraient en général l’histoire et les personnages. Les données des études menées par Wizards of the Coast sont en cela très intéressantes. Elles montrent que les femmes sont un tout petit peu plus friandes de jeux de figurines (21 % des joueurs sont des joueuses) et de jeux de rôles sur ordinateur (21 %) que de jeux de rôles papier (19 %). Je dirais que ces catégories sont un peu moins orientées vers les sentiments que les JdR papier et pourtant, elles semblent avoir légèrement plus de femmes – même si elles restent une minorité.

De façon anecdoctique, on dit que des JdR comme Vampire : La Mascarade et Ambre, le jeu de rôles sans dé attirent plus les femmes. Ces jeux mettent beaucoup moins l’accent sur les règles. Cependant, d’autres jeux (pas de rôle) très complexes sont reconnus pour attirer les femmes ; par exemple le jeu vidéo Les Sims ou le JCC Magic : l’Assemblée. (Spears, 2003)

Vu le manque de preuves, je suis tenté de rejeter cette hypothèse. Le problème n’est pas que les femmes sont repoussées par la complexité des règles ; la complexité d’un système est rébarbative pour n’importe quel joueur, homme ou femme. Le jeu tend à dépasser cet aspect en proposant une expérience intéressante. Si plus d’hommes franchissent cette barrière de complexité, je pense qu’il est plus pertinent d’étudier d’abord ce qui les a poussé à le faire.


Hypothèse : les facteurs sociaux

On suggère souvent que le JdR refoule les rôlistes femmes à cause des joueurs geeks dénué de tout sens social qui voudraient exclure les femmes ou leur faire des propositions indécentes. Cependant, cet argument sonne creux, puisqu’il présuppose de la prédominance masculine du milieu. C'est-à-dire : si c’est l’explication, pourquoi n’y a-t-il pas de groupes de femmes ou dominés par les femmes, à l’instar des groupes d’hommes ? Selon cette théorie, un groupe formé par des femmes devrait avoir plus de facilités à recruter de nouvelles joueuses. Donc, bien que cela puisse être un facteur secondaire qui s’ajoute au vrai problème, ce n’en est pas la cause première. Pour expliquer la disparité, la cause première devrait défavoriser les femmes dés le départ, de façon à ce que les femmes ne forment même pas de groupe elles-mêmes.

De nombreux domaines techniques excluent de manière mesurable les femmes, notamment la physique, l’informatique et l’ingénierie (Margolis, 2000). Les jeux de rôle n’ont cependant aucune raison en soi d’être mis dans cette catégorie. La culture ludique peut ressembler à la culture geek ou technophile, mais c’est moins du à sa nature intrinsèque qu’au résultat d’autres influences. Il y a des JdR dont les mécanismes de jeu sont complexes à mettre en oeuvre (Aftermath [ses équations et ses racines carrées, NdT], de Paul Hume et Bob Charrette), mais depuis la fin des années 1980, ces JdR sont minoritaires. Les domaines techniques peuvent maintenir la disparité par le truchement de leurs institutions : les nouveaux étudiants en science doivent apprendre de leurs aînés. D’un autre côté, les jeux peuvent en principe être achetés et appris par des joueurs isolément. Ce qui veut dire que les femmes pourraient créer leurs propres groupes, du moins en théorie.

Les causes sociales peuvent exclure les femmes seulement s’il y a une institution sociale dominé par les hommes et qui se perpétue. Dans les JdR, ce serait vrai si les nouveaux joueurs n’apprenaient pas d’eux-mêmes mais devaient forcément être initiés par des joueurs plus expérimentés – qui excluraient ou n’arriveraient pas à intégrer des femmes à leur groupe. Même si on n’en a pas de preuve concluante, l’idée de réseau d’intégration n’est pas inintéressante. Ryan Dancy, qui a traité l’étude ci-dessus, a lui aussi avancée l’idée que les JdR avaient un puissant « effet de réseau ».

Marginalement, les JdR sont assurément perçus comme une activité de geeks. Les jeux de rôles papier ne demandent aucun effort physique et se déroulent hors du regard du grand public. Cependant, beaucoup d’activités tout aussi geeks connaissent des ratios hommes/femmes bien plus équilibrés  – les groupes de musiques, les chorales, le théâtre. Je doute également de l’idée que les femmes soient dégoûtées par l’intérêt romantique que les joueurs pourraient leur porter. Comme nous l’avons dit plus tôt, Vampire s’est fait connaître dans les années 1990 comme un lieu pour célibataires branchés jusque dans le grand public. Les femmes ne refusent pas forcément les activités mixtes avec plus si affinités…

Ainsi, l’aspect geek peut amplifier les autres causes mais a peu de chances d’être une cause première de la disparité homme/femme (6) Si vous faites des jeux qui plaisent aux femmes, elles créeront et géreront leurs propres groupes.


Hypothèse : la violence

Les jeux de rôles papier du commerce mettent l’accent sur la violence, à un certain point. Les systèmes de combats prédominent même dans les moins violents des ouvrages de JdR et constituent souvent la majeure partie des règles. Il est assez bien démontré que les femmes sont moins attirées par la violence dans d’autres types de jeux comme les jeux vidéo, les jeux de cartes et les jeux de plateau. Les jeux vidéo les plus en vogue chez les écolières sont les Mario, Les Sims et Harry Potter. (Spears, 2003) Bien que cette tendance ne concerne pas toutes les femmes, elle est en pratique vraie pour la majorité de la population occidentale.

Il semble donc que les JdR populaires auprès des femmes soient tout simplement moins centrés sur la violence, bien qu’ils n’excluent pas ce concept. Quelques jeux de rôles à l’instar du Monde des Ténèbres et de sa gamme ou Ambre, mettent en partie l’accent sur l’intrigue et la politique. Cependant, la plupart des JdR restent axés sur le combat. En comparaison, beaucoup de nouveaux jeux de plateau, qui se vendent bien, sont basés sur des mécanismes de construction et d’échange, suivant l’exemple des jeux allemands tels que les Colons de Catane. Le problème, c’est de concevoir un jeu de rôles amusant sans pour autant mettre en avant la violence. Même si beaucoup de gens ont manifesté leur intérêt pour la création de JdR moins violents, les résultats – même parmi les créateurs indépendants – se sont montrés décevants, du moins à mon avis. Il y a une poignée d’exceptions comme Now Playing, Primetime Adventures et Soap, qui reproduisent des genres télévisuels moins violents. Cependant, ces exceptions ne font que confirmer la règle.


Conclusion

Des cinq causes que j’ai envisagées, je pense que deux sont importantes : la différence de traitement dans les textes et les illustrations, et la prééminence de la violence. Notons qu’à un large degré, ce ne sont que des problèmes de conception. Bien qu’il  y ait des facteurs sociaux qui favorisent la dominance masculine, je pense qu’il ne s’agit que de facteurs secondaires qui aggravent une situation déjà établie. Bien qu’il faille probablement des années d’attente avant de voir de véritables changements, je pense qu’il existe une opportunité de créer des JdR qui plaisent davantage aux femmes. Si plus de JdR comblent ce vide, je suppute que la mixité augmentera parmi les rôlistes.

Bien entendu, les JdR ne sont pas sommés de changer. Les passe-temps  principalement masculins existeront toujours, et il en va de même pour les loisirs principalement féminins. En soi, ce n’est pas sexiste : il n’y a aucun avantage social à être rôliste. Ce n’est pas comme si vous obteniez des promotions dans le monde des affaires en jouant au golf avec votre patron. Il est improbable de constater ce genre de comportements en JdR. En revanche, je crois réellement que le jeu de rôles en général gagnerait à diversifier sa population de joueurs.


Références

(1) NdT : Swing ((1989)-1995-1998) était un magazine sur le mode de vie visant la génération des 20-30 ans, créé par David Lauren, fils de Ralph Lauren.  À ne pas confondre avec l’actuel magazine homonyme qui vise les 45-55 ans “dynamiques” [Retour]

(2) NdT : Ambre trempe dans les intrigues, Buffy est de type comédie/film d’horreur ; “Blue Rose est un jeu de rôle de fantasy romantique (“Romantic Fantasy”), particulièrement inspiré d’œuvres d’écrivaines américaines. Le jeu se focalise principalement sur les interactions sociales et les choix moraux des PJ” (citation du Grog) [Retour]

(3) NdT : John Kim a pioché au hasard des exemples de personnages féminins ptgptb dans divers livres de règles et des scénarios. Il semble parfois s’étonnant que les personnages de femmes soient sous-représentés dans les JdR se déroulant à l’époque victorienne.... Cependant, certains exemples sont frappants par la fréquence des stéréotypes : femmes fatales, femmes de chambre, salopes, objets soumis, innocentes en danger à sauver, subordonnées effrayées, reines/sorcières jalouses à affronter… [Retour]

(4) NdT : l'écrivain Fritz Leiber classait dans le genre sword and sorcery les aventures de héros musclés, machos, amoraux et violents, en lutte contre le surnaturel, comme Conan le barbare. Dans le genre heroic fantasy, on trouve des champions vertueux défendant le Bien contre le Mal, et utilisant la Magie - comme Aragorn ou Gandalf dans le Seigneur des Anneaux. Mais aussi les chevaliers de la Table Ronde et les récits merveilleux du Moyen Âge. La distinction reste discutée. Source : Wikipedia [Retour]

(5) NdT : en effet, si les joueuses n’aiment pas la Fantasy, pourquoi Blue Rose est-il aussi populaire chez elles ? [Retour]

(6) NdT : l’article pourquoi les filles jouent au JdRptgptb explique qu’au contraire cet aspect geek permet de détendre les adolescentes du « concours continu de popularité » [Retour]

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