Gérer les imprévus
© 2007 M. J. Young
J’ai du mal à croire que j’ai écrit 107 articles d’environ 1 500 mots chacun sans jamais évoquer mon frère Roy. J’imagine qu’il m’est arrivé de le mentionner, mais je ne sais plus où ni quand.
Roy n’a que deux ans de moins que moi. Nous avons partagé la même chambre depuis son retour de la maternité jusqu’à mon départ pour l’université, puis les week-ends et les étés jusqu’à mon mariage. Je l’ai toujours considéré comme l’une des personnes les plus intelligentes que je connaisse. (C’est bien pratique, ça.) Je n’ai que deux souvenirs de ma vie avant Roy. Le plus clair est le moment où j’ai compris comment escalader mon lit pour bébé, l’autre a eu lieu un instant plus tôt, lorsque je regardais à travers ses barreaux. Roy, en plus d’être particulièrement brillant, adore les mots d’esprit. Il dit souvent que « le monde se divise en deux catégories : ceux qui divisent le monde en deux catégories et ceux qui ne le font pas ». Il a lui-même écrit une phrase que j’afficherais volontiers dans mon bureau : « la propreté frise l’impossible ». J’ai toujours adoré ses remarques bien tournées.
Il y en a une en particulier qui est en rapport avec notre sujet et que j’ai tellement aimée que j’en ai fait la réplique de l’un de mes personnages dans mon (oserais-je dire premier ?) roman, Verse Three, Chapter One (en). Lorsque Tom Titus, le cambrioleur high-tech, apprend que son plan d’évasion initial est tombé à l’eau et qu’il doit appliquer le plan B, il est pour le moins contrarié. Pour le rassurer, on lui dit alors : « C’est le plan B. C’est un bon plan B. »
Ce à quoi Tom répond, en reprenant les mots de mon frère : « un bon plan B, ça n’existe pas. S’il était bon, ce serait le plan A. »
Tom a raison, et donc, Roy aussi. On cherche toujours à avoir le meilleur plan possible. Pourtant, même le plan le mieux conçu du monde peut aller de travers. Il aura beau être parfait, on ne peut pas prévoir les situations imparfaites. Les choses peuvent parfois mal se passer, pas parce que le plan est mauvais, mais parce que :
-
quelqu’un n’a pas réussi à accomplir sa partie du plan,
-
les participants sont désynchronisés,
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un détail inconnu s’est immiscé en cours de route,
-
un élément aléatoire a interféré avec son déroulement.
Dans un épisode récent de la série télé Monk, un pilote d’avion assassine sa femme puis engage un sosie pour faire croire qu’elle est toujours vivante et qu’il quitte le pays avec sa femme. Lorsque le criminel est capturé, il demande au détective si c’était vraiment la première fois qu’il prenait l’avion [Le personnage de Monk est bourré de troubles compulsifs. Cela a semble-t-il fait capoter le plan du meurtrier. (NdT)]. Monk lui confirme que oui. Le criminel réplique alors : « on ne peut pas toujours tout anticiper. »
Le meilleur plan est un bon point de départ. Cependant, il faut aussi prévoir une autre piste, une solution de rechange à utiliser quand le plan de base ne fonctionne pas. Celle-ci ne sera bien sûr pas aussi bonne que le plan A ; ou alors, c’est que vous suivez le mauvais plan. Mais cette alternative a pour but de répondre à la question « que faire si… ? » (notamment si la suite de la question est « si le bon plan commence à déraper ».)
J’imagine que la plupart d’entre vous voient cela en termes de stratégie pour les joueurs : « encore un article de stratégie ludiste de M. J. Young ». Ça l’est, mais pas seulement.
C’est aussi une question de création de scénario. Lorsque vous écrivez un scénario, vous devez vous poser les mêmes types de questions. Voici le point de départ et voilà l’accroche. Mais que faire si vos joueurs n’y mordent pas ? Peut-être que vous allez avoir besoin d’un autre type d’appât, quelque chose qui vous permettra de les diriger là où vous voulez.
Mais alors, que faire s’ils s’en rendent compte et refusent d’y aller, s’ils ne veulent pas se diriger vers la Vallée de l’Ombre de la Mort, ou je ne sais où ? Dans ce cas, vous pourriez avoir besoin de garder une autre aventure sous le coude, un plan de secours pour que la partie ne sombre pas dans l’ennui si vos joueurs refusent de faire la seule activité intéressante que vous aviez prévue. Vous devrez alors mettre une nouvelle intrigue en place et les conduire ailleurs. Mais que faire s’ils ne veulent aller nulle part ? Il vous faudra au moins avoir une idée élémentaire de ce qu’il va se passer s’ils restent sur place.
Vous pouvez tenter de les attirer avec un appât tellement énorme qu’il serait peu probable que personne n’y morde. Confrontés à un scénario du type « le monde va disparaître à moins que vous ne le sauviez et vous êtes la seule personne capable de le faire », peu de joueurs diront « au diable le monde, vous croyez vraiment que je vais être le seul à crever pour que le reste du monde survive ? » Ce n’est pas une bonne histoire ni un bon défi, et ce n’est même pas franchement réaliste qu’un personnage dise une telle chose.
Mais que faire si vos joueurs ne veulent rien savoir ? Allez-vous laisser détruire le monde ? Allez-vous rapprocher l’heure de la destruction et donner une nouvelle chance à vos joueurs de l’empêcher ? Même si vous ne pouvez pas imaginer que vos joueurs fassent autre chose que ce que vous espérez, prévoyez un plan B. Ce ne sera pas un bon plan B – il n’y a pas de bon plan B - mais il aura le mérite d’exister (1).
Donc, posez-vous la question et répondez-y. En fait, répondez-y de plusieurs manières différentes. Esquissez des plans C, D et E sans forcément trop les préparer. Ils ne seront pas bons, mais ils pourront vous servir de béquille pour éviter la catastrophe. Vous serez en mesure de rebondir si les choses ne se passent pas comme vous l’auriez voulu.
À la semaine prochaine, pour un autre sujet.
Article original : Game Ideas Unlimited: Contingencies
1. NdT - par exemple : une autre équipe/un autre groupe de Héros sauve le monde / accomplit la mission à la place des PJ. C’est eux qui reçoivent les récompenses / sont vénérés comme martyrs et leur famille est anoblie. À l’inverse, la couardise des PJ est connue et on se moque d’eux, d’autant plus que l’autre groupe pourrait être ennemi ou concurrent des PJ. Voilà déjà une motivation puissante !
Maintenant MJ, annoncez-leur qu’en fait l’autre groupe n’a fait que retarder la fin du monde, qu’ils s’étaient trompés ou avaient menti. Il faut finir / refaire la cérémonie / la mission. Est-ce que les PJ ne se précipiteraient pas, là ? :)
C’est évidemment une variante de « donner une nouvelle chance à vos joueurs de faire le scénario de la mission » ; donc il faut prévoir un plan C ; mais peut-être qu’entre-temps vos joueurs et joueuses vous ont expliqué pourquoi l’aventure proposée ne les motivaient pas, et vous pourriez adapter l’aventure à leurs goûts, plutôt que leur resservir le même plat jusqu’à ce qu’iels le mangent… [Retour]
Pour aller plus loin…
quelques suggestions pour vous aider à élaborer des plans alternatifs :
- La Règle des Trois Indices : si les joueurs manquent un indice, il en reste deux autres
- Dans ses souvenirs rôlistes, Steve Dempsey explique comment le bac à sable donne une liberté d'action aux joueuses :
J’avais à peine besoin d’écrire un scénario. Les PJ avaient déjà des buts, des peurs et des espoirs. Ils savaient qu’ils n’allaient pas simplement rencontrer des kobolds s’ils allaient se promener au fond de la forêt. Ils savaient que puisqu’il n’y avait pas d’aventure linéaire à suivre, leurs actions pouvaient affecter le monde tout entier. (...) Cela devint plus qu’un jeu, d’une certaine façon cela acquit une existence propre. Je peux vous donner le nom du nain magnat du transport qui dirigeait la distillerie clandestine dans les bois du nord de Xilba, et lequel de ses fils avait accumulé de grosses dettes de jeu. Et si les PJ n’avaient pas recouvré la dette, vous pouviez être sûr que quelqu’un d’autre l’aurait fait.
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